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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24427/2021

ACPR/582/2023 du 26.07.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : TÉMOIN;ANONYMAT
Normes : CPP.149.al1; CPP.150; CPP.105.al1.letc; CPP.149.al2.leta

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24427/2021 ACPR/582/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 26 juillet 2023

 

Entre

A______, représentée par par Me Nicolas CAPT, avocat, Cours des Bastions 15, Quinze Cours des Bastions Avocats Sàrl, case postale 519, 1211 Genève 12,

recourante,

contre la décision rendue le 13 juin 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 26 juin 2023, A______ recourt contre la décision du 13 juin 2023, communiquée par pli simple et reçue selon elle le surlendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'anonymiser son témoignage.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite décision et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il procède à l'anonymisation de son témoignage lors de son audition dans le cadre de la présente procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ est, notamment, soupçonné de lésions corporelles simples, voies de fait, injure, menaces, tentative de contrainte et violation de domicile perpétrés le 29 septembre 2022 sur sa conjointe, C______. Il conteste les faits.

b. Lors de l'audience de confrontation du 21 mars 2023, C______, à la question de savoir si elle avait parlé des évènements du
29 septembre 2022 à une personne proche ou un membre de la famille, a répondu en avoir seulement parlé à une éducatrice du Foyer D______ à E______ qui s'appelait A______.

c. Par mandat du 23 mars 2023, A______ a été citée à comparaître comme témoin à l'audience du 15 juin 2023.

d. Par courrier du 23 mai 2023 adressé au Ministère public, la prénommée a sollicité de pouvoir témoigner anonymement. Elle était amenée à côtoyer B______ en dehors de son travail car elle habitait le même quartier que lui, où ses enfants allaient à l'école et se rendaient à des activités extra-scolaires. Les enfants du précité et les siens consultaient le même pédiatre. Connaissant le passif de l'intéressé, elle ne souhaitait prendre aucun risque pour sa sécurité et celle de ses enfants.

e. Par pli du 13 juin 2023, le conseil de A______ a réitéré la demande de sa cliente.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public indique que le recours à l'anonymat, tel que prévu par les art. 149 et 150 CPP, devait être justifié concrètement par les circonstances. Il convenait ainsi d'effectuer une balance des intérêts de la défense et des témoins ou victimes appelés à déposer. En outre, la garantie de l'anonymat ne pouvait être ordonnée qu'en tant qu'ultima ratio, en présence d'indices sérieux d'une menace concrète. En l'espèce, à teneur des éléments en sa possession, il n'existait pas d'indices suffisants permettant de retenir une menace concrète à l'endroit de la précitée, ce d'autant que les faits reprochés au prévenu concernaient uniquement la sphère intrafamiliale. Rien dans le dossier ne permettait ainsi d'envisager – ne serait-ce que sous un angle purement théorique – un risque de menaces ou de violences susceptibles d'être perpétrées à l'encontre de l'intéressée ou de sa famille. À cela s'ajoutait que son nom apparaissait déjà dans la procédure, puisque C______ avait indiqué s'être confiée à elle en indiquant son prénom et le lieu où elle travaillait. L'audience du 15 juin prochain était par conséquent maintenue et elle était invitée à y participer. Dans le cas contraire, il ne serait pas fait application de l'art. 205 CPP, vu le délai de dix jours pour recourir contre la décision, mais une nouvelle audience serait convoquée ultérieurement, afin de procéder à son audition. Le Ministère public ajoutait ne pas minimiser ses inquiétudes et l'informait que son audition se déroulerait hors confrontation directe avec le prévenu.

D. A______ n'a pas comparu à l'audience agendée, ce dont elle a informé le Ministère public la veille de celle-ci, arguant qu'elle formerait recours contre sa décision du 13 juin 2023.

E. a. Dans son recours, A______ expose s'occuper, au foyer D______, des deux enfants de B______. Elle avait également suivi l'accompagnement de C______ après son placement dans un foyer spécialisé dans les violences conjugales. Jusqu'à son très récent déménagement en France voisine, elle avait habité dans le même quartier à F______ que B______. Elle continuait de le côtoyer fréquemment dès lors que leurs enfants respectifs partageaient bon nombre d'activités et fréquentaient le même pédiatre. Connaissant le passé de l'intéressé – qui s'en serait pris violemment à son épouse, laquelle avait dû être placée en urgence dans un foyer –, elle ne souhaitait prendre aucun risque pour sa sécurité et celle de ses enfants, craignant des représailles si elle témoignait. En refusant la mesure de protection sollicitée, le Ministère public avait violé l'art. 149 al. 1 et 2 let. a CPP.

b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du témoin directement touché dans ses droits (art. 105 al. 1 let. c et al. 2 CPP), qui a ainsi qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             3.1. L'art. 147 al. 1 1ère phrase CPP consacre le principe de l'administration des preuves en présence des parties durant la procédure d'instruction et les débats. Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique de participer et de collaborer découle du droit d'être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP). Il ne peut être restreint qu'aux conditions prévues par la loi, notamment lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret (art. 108 al. 1 let. b CPP; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand du Code de procédure pénale, Bâle 2019, n. 4 ad art. 108).

3.2. L'art. 149 al. 1 CPP, qui prévaut sur la règle générale prévue à l'art. 108 al. 1 let. b CPP, prévoit plus spécifiquement que, s'il y a lieu de craindre qu'un témoin, par exemple, puisse, en raison de sa participation à la procédure, être exposé (lui ou ses proches) à un danger sérieux menaçant sa vie ou son intégrité corporelle ou à un autre inconvénient grave, la direction de la procédure prend, sur demande ou d'office, les mesures de protection appropriées. Dans ce cadre, elle peut notamment assurer l'anonymat de la personne à protéger (art. 149 al. 2 let. a CPP).

La garantie de l'anonymat constitue une mesure de protection particulièrement incisive n'entrant en ligne de compte que comme ultima ratio (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, Bâle 2016, n. 6 ad art. 150).

L'existence d'un danger sérieux pour la vie ou l'intégrité corporelle sera admise lorsque des menaces de mort ont été proférées à l'encontre de la personne concernée ou doivent être sérieusement redoutées (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 3 ad art. 149). Une simple hypothèse, même théoriquement ou abstraitement plausible, ne suffit pas. Il doit exister des indices concrets. Ainsi, la peur purement subjective de menaces est insuffisante (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 et 11 ad art. 149).

L'inconvénient majeur doit être d'un niveau comparable au risque pour la vie et l'intégrité corporelle (P. GOLDSCHMID / T. MAURER / J. SOLLBERGER (éds), Kommentierte Textausgabe zur Schweizerischen Strafprozessordnung, Berne 2008, p. 160; voir ACPR/595/2018 consid. 5.1). Les autres dangers que ceux menaçant la vie ou l'intégrité corporelle ne peuvent donc être pris en considération que s'ils représentent un cas d'exposition grave (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 12 ad art. 149). Il y a notamment menace d'un tel inconvénient lorsque quelqu'un doit s'attendre à un dommage matériel important, par exemple la destruction au moyen d'explosifs de sa maison de vacances. Des indices sérieux d'une menace concrète sont exigés (ATF 139 IV 265 consid. 4.2 p. 267 s.). Des simples pressions psychologiques, d'éventuels désagréments sur le plan personnel ou financier, de possibles tentatives d'intimidation ou une probable réaction haineuse du prévenu à l'encontre d'un témoin entendu à charge ne sont pas suffisants. Tel pourrait en revanche être le cas du danger de perdre le droit de garde sur un enfant, la menace d'une atteinte à l'intégrité sexuelle, le risque d'une atteinte grave à l'avenir professionnel susceptible de provoquer un gain manqué considérable, voire une perte durable des moyens de subsistance ou la menace d'une atteinte grave à la réputation professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 1B_447/2015 du 25 avril 2016 consid. 3.1 et les références citées).

3.3. En l'espèce, la recourante allègue côtoyer fréquemment le prévenu, qui habitait le même quartier de F______ où elle avait vécu jusqu'à récemment, ses enfants et les siens partageant de nombreuses activités extra-scolaires communes ainsi que le même pédiatre. Elle craignait pour sa sécurité et celle de sa famille si elle témoignait dans la présente procédure, compte tenu du fait que l'intéressé était soupçonné de violences conjugales sur son épouse.

Elle ne prétend pas avoir fait l'objet de menaces concrètes du prévenu à ce stade, alors même que son nom et sa qualité de témoin lui sont connus car figurant au dossier (cf. pv d'audience du 21 mars 2023 et citation à comparaître à l'audience du 15 juin 2023). Sa crainte, subjective, n'est étayée par aucun indice concret. Que le prévenu soit soupçonné de violences conjugales contre son épouse ne signifie pas qu'il pourrait commettre des actes similaires sur des tiers, hors d'un contexte familial. Or, seules des menaces concrètes d'un danger sérieux pour la vie ou l'intégrité corporelle ou d'un autre inconvénient grave permettent d'envisager une mesure de protection telle que celle demandée.

Partant, la décision du Ministère public n'est pas critiquable et sera donc confirmée.

4. Le recours est par conséquent rejeté.

5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24427/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

Total

CHF

985.00