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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/33/2023

ACPR/417/2023 du 05.06.2023 ( RECUSE ) , REJETE

Recours TF déposé le 12.07.2023, rendu le 06.12.2023, REJETE, 7B_266/2023
Descripteurs : RÉCUSATION;EXPERT
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/33/2023 ACPR/417/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 5 juin 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Mes Yoann LAMBERT et Guglielmo PALUMBO, avocats, CMS von Erlach Partners SA, rue Bovy-Lysberg 2, case postale 5067, 1211 Genève 3,

requérant,

 

et

Drs C______ et D______, experts-psychiatres, CURML, rue Gabrielle-Perret-Gentil 4, 1211 Genève 14,

cités.

 


EN FAIT :

A. a. Par plis des 12 et 14 mars 2023, que le Ministère public a transmis à la Chambre de céans, A______, personnellement puis par ses défenseurs, demande la récusation des Drs C______ et D______, experts-psychiatres, à raison du contenu de leur rapport du 2 mars 2023.

b. Le 8 mai 2023, le Ministère public a transmis à la Chambre de céans une demande de récusation desdits experts formée lors de l’audience d’instruction du 5 précédent, à raison d’un passage spécifique du rapport.

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a.             Le 17 mai 2023, A______ a été renvoyé par-devant le Tribunal criminel pour y répondre d'assassinat (art. 112 CP), de brigandages aggravés (art. 140 ch. 4 CP) et d'atteinte à la paix des morts (art. 262 CP).

b.             Dans le cours de l’instruction préliminaire, une expertise psychiatrique avait été ordonnée. A______ ayant refusé de s’y soumettre et de délier ses médecins de leur secret, le travail des experts, les Drs C______ et D______, s’est déroulé sur dossier. Les experts ont déposé leurs conclusions le 8 mars 2023.

c.              Le 12 mars 2023, A______ a présenté des observations manuscrites, affirmant que le rapport démontrerait que le Dr C______ avait une connaissance au mieux incomplète, au pire mauvaise, du dossier de la cause et ferait preuve d’une partialité « inacceptable ». Il demandait à être confronté à l’expert.

d.             Le 14 mars 2023, ses défenseurs ont sollicité la récusation des (deux) experts et l’annulation du rapport.

e.              Les 4 avril et 5 mai 2023, les experts ont été longuement entendus, contradictoirement. Questionné – à la lumière d’un rapport de police du 22 mai 2019 – sur son appréciation selon laquelle A______ surestimait ses capacités dans le domaine de l’or et des pierres précieuses, dans lequel il se disait professionnellement actif, voire dans l’immobilier, le Dr C______ a déclaré avoir constaté une très grande différence entre les affirmations de A______ à ce sujet et la réalité, notamment à la lumière de ce qu’en avaient dit des professionnels de ces branches.

La Dresse D______ a donné la même réponse.

La défense a alors demandé la récusation des deux experts.

C. a. Dans le complément présenté par ses défenseurs à sa première requête, A______ reproche aux experts de s’être fondés sur une seule hypothèse, celle de sa culpabilité, et d’avoir, en p. 13 de leur rapport, tourné en ridicule ses dénégations. Sa dangerosité était affirmée sans que les experts n’eussent disposé d’un dossier médical. Son refus de coopérer était retenu à l’appui d’un mauvais pronostic de remise en question.

b. Les Drs C______ et D______ répondent avoir rédigé leur rapport en toute impartialité, dans les règles de l’art.

c. Le Ministère public propose de rejeter la requête, qui ne ferait que remettre en question une méthode de travail éprouvée.

d. A______ réplique que l’audition des experts ne réparait pas l’apparence de partialité donnée par ceux-ci.

D. a. Dans la motivation écrite de sa seconde requête, A______ oppose point par point le contenu du rapport de police du 22 mai 2019 aux passages qu’il conteste du rapport des experts. Il reproche à ceux-ci de n’avoir retenu qu’un aspect, « négatif et insensé », des constatations de police, soit de n’avoir pas déclaré ses revenus au fisc.

b. Il n’a pas été demandé de nouvelle prise de position aux experts.

EN DROIT :

1. 1.1. Lorsqu'est en cause la récusation d'un expert nommé par le ministère public, il appartient à l'autorité de recours, au sens des art. 20 al. 1 et 59 al. 1 let. b CPP, de statuer (arrêts du Tribunal fédéral 1B_488/2011 du 2 décembre 2011 consid. 1.1 et 1B_243/2012 du 9 mai 2012 consid. 1.1), de sorte que la Chambre de céans est compétente à raison de la matière (ACPR/491/2012 du 14 novembre 2012).

1.2. En tant que prévenu, le requérant a qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a CPP et, par analogie, 58 al. 1 CPP).

1.3. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP – disposition également applicable lorsque la requête tend à la récusation d'un expert (arrêt du Tribunal fédéral 1B_754/2012 du 23 mai 2013 consid. 3.1) –, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance.

1.3.1. La demande de récusation faisant suite au dépôt du rapport d’expertise a été présentée sans délai, pour avoir été formée dans les jours suivant la communication du rapport d’expertise aux défenseurs du prévenu.

1.3.2. Il n’en va pas de même de la seconde demande de récusation. Le passage de l’expertise débattu à l’audience du 5 mai 2023 était connu du requérant dès la réception du rapport, soit dès le 8 mars 2023 (date fournie dans la première requête). Par conséquent, en n’agissant qu’au moment où ce passage était abordé contradictoirement – et alors même que le rapport de police dont il voudrait tirer parti n’est pas une pièce nouvelle, pour être contenu dans le dossier remis aux experts –, le requérant n’a pas agi sans délai. Il n’était ainsi pas nécessaire d’interpeller les experts pour qu’ils prennent position sur des griefs auxquels ils ont de toute façon répondu à l’audience même.

2. On peut admettre que, lorsqu’il reproche aux cités une partialité « inacceptable », dans sa lettre du 12 mars 2023, le requérant se prévaut de l'art. 56 let. f CPP, quand bien même il ne s’y réfère nulle part, et notamment pas dans la motivation séparément fournie par ses avocats.

2.1. Par renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP, l'art. 56 CPP s'applique à la récusation d'un expert. L'exigence d'un procès équitable commande que l'impartialité de celui-ci soit garantie (ATF 125 II 541; arrêt du Tribunal fédéral 6B_258/2011 du 22 août 2011 consid. 1.3.1).

Quant à l'art. 56 let. f CPP, il prévoit que toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est récusable "lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention". Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.1 p. 179 et les arrêts cités). Elle concrétise les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert. Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de l'expert ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale (ATF 139 III 433 consid. 2.1.1 p. 436; 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144). 

2.2. À teneur de la jurisprudence (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_261/2018  du 24 octobre 2018 consid. 2.3.1.), l'administration de la preuve par expertise psychiatrique est imposée par la loi (cf. notamment art. 20 et 56 al. 3 et 4bis CP). Le rôle de l'expert n'est pas de se prononcer sur la commission, ou non, des actes reprochés au prévenu, ni sur leur qualification juridique, mais sur la faculté du prévenu, au moment des faits dénoncés, de pouvoir appréhender le caractère illicite d'un/d'acte(s) et de se déterminer d'après cette appréciation (art. 19 CP; arrêts  du Tribunal fédéral 1B_96/2017 du 13 juin 2017 consid. 2.2; 1B_90/2017 du 25 avril 2017 consid. 3.2); puis, selon les constatations effectuées, l'expert examinera notamment si des mesures doivent être envisagées (art. 56 ss CP). Pour procéder à sa mission, l'expert ne peut donc pas ignorer les circonstances factuelles à l'origine de la procédure et dont la réalité doit être établie par les autorités judiciaires, même si elles sont contestées en tout ou en partie par le prévenu. L'expert doit alors prendre en compte comme hypothèse de travail la réalité des actes délictueux dénoncés, par exemple ceux décrits dans l'acte d'accusation (cf. art. 325 al. 1 CPP) si celui-ci a déjà été établi. Dans de telles circonstances, la réalisation d'une expertise psychiatrique s'avère effectivement un exercice qui mérite une attention particulière de la part de l'expert.

La réalisation d'une expertise psychiatrique antérieurement à un éventuel verdict retenant, ou non, la réalité des faits dénoncés et la culpabilité – ce qui correspond à la pratique usuelle – ne viole ainsi pas le principe de présomption d'innocence (arrêts du Tribunal fédéral 1B_96/2017 du 13 juin 2017 consid. 2.2; 1B_90/2017 du 25 avril 2017 consid. 3.2).

Le fait que le prévenu conteste tout ou partie des faits qui lui sont reprochés ne permet pas de nier l'aptitude de la mesure, étant rappelé que l'expert doit se fonder, en tant qu'hypothèse de travail, sur la réalité des actes dénoncés (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_245/2021 du 2 août 2021 consid. 3.5). Une apparence de prévention de la part d'un expert ne saurait donc découler du seul fait qu'il ait pris en compte, à titre d'hypothèse de travail, une éventuelle commission par le prévenu des circonstances factuelles qui font l'objet de la procédure (cf. aussi ACPR/504/2018 du 10 septembre 2018). De manière générale, le fait que l'expert formule, dans son rapport, des conclusions défavorables à l'une des parties ne constitue pas un motif de récusation (ATF 132 V 93 consid. 7.2.2; arrêt du Tribunal fédéral du 23 mai 2022 1B_653/2021 du consid. 2.4.).

2.3. À la lumière de ces principes, les griefs du requérant tombent à faux.

Le requérant reproche aux cités d’avoir retenu sa culpabilité pour l’homicide dont il devra répondre, alors même que c’est précisément ce qu’un expert est en droit de faire, à titre d’hypothèse de travail, s’il n’y est pas tout simplement tenu. On ne voit pas que les cités, se substituant au juge du fond, auraient déclaré le requérant coupable de la forme aggravée d’homicide pour laquelle il sera jugé. Ils n’ont pas « tourné en ridicule » ses dénégations. Au passage visé de leur rapport, les experts se livrent à une analyse des entretiens téléphoniques que le requérant a passés avec des tiers. Ils ne se sont pas montrés partiaux en observant que, devant ces interlocuteurs, le requérant affirmait son innocence enfin établie. Ils pouvaient, sans manquer à leurs devoirs, qualifier de « déformation » ou d’« interprétation » de la réalité le contraste entre les dialogues étudiés et le contenu matériel du dossier, notamment la détention provisoire constamment maintenue pour cause de charges suffisantes d’homicide.

« Omettre » d’aborder et débattre de l’hypothèse inverse n’est pas un signe d’inimitié. On ne s’expliquerait pas l’utilité d’une expertise de responsabilité pénale fondée sur le postulat que des faits délictueux n’aient pas été commis. Telle n’est pas la prémisse de l’art. 20 CP. Or, le requérant n’a pas attaqué la décision de l’autorité de recours qui confirmait la nécessité de l’expertiser (ACPR/486/2022 du 21 juillet 2022). La possibilité qu’une infraction n’ait pas été commise relève de l’appréciation des preuves, qui appartient au juge, et à lui seul (art. 10 CPP), car il incombe au juge, et non à l'expert, de résoudre les questions juridiques qui se posent dans le complexe de faits faisant l'objet de l'expertise (cf. ATF 142 IV 49 consid. 2.1.3; 138 III 193 consid. 4.3; arrêt du Tribunal fédéral 1B_163/2020 du 20 juillet 2020 consid. 2.4).

Fonder un « mauvais pronostic » sur le refus de coopérer n’est pas non plus un signe d’inimitié. La décision de ne pas se soumettre à l’examen des experts (et de ne pas les laisser accéder à ses données médicales, cf. rapport p. 2) est un choix du requérant, qui entraîne des conséquences ou des conclusions dont il est mal venu de se plaindre, puisque cette attitude fait partie des éléments qu’il laisse à la disposition des experts pour apporter une réponse, non pas au risque de récidive, mais à la faculté de se remettre en question et d’être, par-là, éventuellement accessible à une mesure thérapeutique.

3. La requête sera rejetée.

4. Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP). L’émolument sera fixé à CHF 800.-

5. À ce stade, il n'y a pas lieu d'indemniser le défenseur d'office (cf. art. 135 al. 2 cum 138 al. 1 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare irrecevable la requête du 5 mai 2023.

Rejette la requête du 12 mars 2023.

Met les frais de l’instance, arrêtés à CHF 800.- à la charge de A______.

Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant (soit pour lui son conseil principal), aux Drs C______ et D______, au Ministère public et au Tribunal criminel.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/33/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- demande de récusation (let. b)

CHF

715.00

-

CHF

Total

CHF

800.00