Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/15396/2021

ACPR/335/2023 du 10.05.2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : USURE(DROIT PÉNAL);TRAITE D'ÊTRES HUMAINS;VOL(DROIT PÉNAL);ABUS DE CONFIANCE;PROCÈS-VERBAL;RECTIFICATION(EN GÉNÉRAL);DÉLAI;DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : CP.157; CP.182; LEI.116; LAVS.87; CPP.79; CPP.80.al3; CPP.78.al5; Cst.29.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15396/2021 ACPR/335/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 10 mai 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Céline MOREAU, avocate, PETER MOREAU SA, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4,

recourant,

contre la décision de rectification du procès-verbal de l'audience du 12 octobre 2022 rendue par le Ministère public à une date indéterminée,

et

B______, domicilié ______ [VD], comparant par Me C______, avocat,

D______, domiciliée ______ [VD], comparant par Me Valérie LORENZI, avocate, Yersin Lorenzi Latapie Alder, boulevard Helvétique 4, 1205 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 4 novembre 2022, A______ recourt contre la décision non-datée, notifiée selon lui le 26 octobre 2022, par laquelle le Ministère public a rectifié le procès-verbal de l'audience du 12 octobre 2022.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, au constat de l'illicéité de la modification apportée au procès-verbal, à l'annulation de ladite modification et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de rectifier "la pièce".

b. Le recourant, au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite depuis le 23 avril 2021, a été dispensé de versement de sûretés (art. 136 al. 2 let. a CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 23 avril 2021, A______, ressortissant bolivien, a déposé plainte pénale contre ses anciens employeurs, les époux B______ et D______.

En substance, il y exposait avoir été engagé par les prénommés en qualité d'employé domestique en novembre 2012, alors qu'il se trouvait en Espagne en situation précaire et sans autorisation de séjour en Suisse. Il avait travaillé, du lundi au vendredi, de 7h00 à 18h30 – ainsi que durant les week-ends – contre une rémunération mensuelle de CHF 1'650.-, augmentée à CHF 1'800.- en 2014; puis à partir de 2019, de 7h40 à 13h00, contre une rémunération de CHF 900.-.

Ses employeurs avaient celé aux autorités compétentes son arrivée et son emploi en Suisse, respectivement avaient éludé leurs obligations de payer ses cotisations sociales. B______ l'avait menacé d'expulsion et de poursuites judiciaires s'il dénonçait sa situation.

Le 26 février 2020, il avait été licencié avec effet immédiat.

A______ s'est constitué partie plaignante au pénal et au civil.

b. Le 30 novembre 2021, une instruction pénale a été ouverte contre B______ et D______ des chefs d'usure (art. 157 al. 1 CP) – voire usure par métier (art. 157 al. 2 CP) –, traite d'êtres humains (art. 182 al. 1 CP), infraction à l'art. 116 LEI et à l'art. 87 LAVS.

c. Les 18 septembre et 12 octobre 2022, le Ministère public a entendu les parties, en présence d'un interprète de langue espagnole et de leurs conseils respectifs.

Lors de la seconde audience, il a consigné à la page six du procès-verbal, dans la bouche de D______, la déclaration suivante: "[s]ur question de Me LORENZI qui me demande : [ ] [q]uels étaient les horaires de M. A______ à partir de 2014. Je réponds qu'en étant à la maison, je n'avais pas vraiment besoin de lui [ ]. Comme il était payé, il venait effectuer ses tâches, je dirais entre 9 heures et demi / dix heures et 4 et 5 heures".

Les parties ont signé le procès-verbal "après lecture et traduction".

d. Par lettre du 17 octobre 2022, également adressée à l'avocat du plaignant, le conseil de B______ a fait parvenir au Ministère public une liste des "erreurs de transcription" qu'il avait constatées à la lecture du procès-verbal d'audition du 12 précédent. Plus particulièrement, contrairement à ce qui était consigné en page six dudit procès-verbal, D______ avait déclaré: "09h30-10h00 et 14h30 et 15h00".

C. a. Dans la décision querellée, le Ministère public a, de façon manuscrite, modifié le passage cité sous B.c. ci-dessus en biffant les mots "9 heures et demi / dix heures et 4 et 5 heures" et en les remplaçant par " 09h30-10h00 et 14h30 et 15h00".

b. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 25 octobre 2022, reçu le lendemain par les parties, le Ministère public les a informées de son intention de rendre une ordonnance de classement, excepté pour les faits constitutifs d'infractions à l'art. 117 LEI.

Y était joint, selon A______ – ce qui n'est pas contesté – le procès-verbal rectifié de l'audience du 12 octobre 2022.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé son droit à une décision motivée. Par ailleurs, la demande de rectification du procès-verbal formée par le conseil de B______ était manifestement tardive. Elle était de surcroît abusive, dès lors que les déclarations d'une partie ne pouvaient pas être modifiées à la suite d'une demande du conseil de l'autre partie. Ce d'autant que ce dernier n'avait pas fourni la moindre preuve concernant une "erreur de transcription". Enfin, la manière de procéder du Ministère public était incompatible avec les exigences découlant du droit conventionnel concernant les victimes de traite d'êtres humains et travail forcé.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. La demande de rectification du procès-verbal n'était pas tardive, dans la mesure où elle avait été formulée cinq jours après l'audience du 12 octobre 2012. Par ailleurs, le procès-verbal, validé par sa signature manuscrite, avait valeur d'ordonnance au sens de l'art. 80 al. 3 CPP.

c. Dans leurs observations séparées, B______ et D______ concluent, sous suite de frais, au rejet du recours et à la confirmation de la décision querellée.

B______ relève qu'il n'avait pu constater les erreurs dans le procès-verbal qu'après l'audience du 12 octobre 2022, dans la mesure où, pressé par le temps, la relecture sur place n'avait pas eu lieu. Le Ministère public avait rectifié des erreurs manifestes, de sorte qu'une demande formelle de modification du procès-verbal n'était pas nécessaire. Contrairement à ce que prétendait le plaignant, les rectifications y apportées n'étaient pas à elles seules décisives dans la procédure.

D______ souligne que son époux entendait uniquement préciser les propos qu'elle avait effectivement tenus lors de l'audience du 12 octobre 2022, et en aucun cas les rectifier.

d. A______ n'a pas souhaité répliquer.

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et – la date de notification de la décision entreprise étant inconnue – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), par le plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Il convient de déterminer s'il porte sur une décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans.

1.2.1. En vertu de l'art. 79 CPP, la direction de la procédure et le préposé au procès-verbal rectifient les erreurs manifestes; ils en informent les parties (al. 1). La direction de la procédure statue sur les demandes de rectification (al. 2). Le préposé au procès-verbal et la direction de la procédure authentifient les rectifications, les modifications, les radiations et les adjonctions apportées au procès-verbal. Les modifications du contenu sont effectuées de telle sorte que le texte d'origine du procès-verbal demeure lisible (al. 3).

On entend par erreurs manifestes les erreurs dans la désignation des personnes, des montants ou des devises d'argent, des erreurs d'orthographe, de syntaxe ou des erreurs dues à des fausses manipulations informatiques (arrêt du Tribunal fédéral 6B_676/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019 n. 1 ad art. 79).

L'alinéa 2 de l'art. 79 CPP vise les cas dans lesquels le contenu matériel de la déposition est faux ou inexact (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO / JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 3 ad art. 79).

Lorsqu'une demande de rectification au sens de l'art. 79 al. 2 CPP est formée, la direction de la procédure statue – en respectant le droit d'être entendu des autres parties – par une décision au sens de l'art. 80 al. 3 CPP. La voie du recours est ouverte (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire, Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2016, n. 7 ad art. 79; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 3ème éd., Zurich 2018, n. 5 ad art. 79).

1.2.2. En l'espèce, la lettre du 17 octobre 2022, adressée par le conseil de B______ au Ministère public, s'apparente – contrairement à ce que soutiennent les intimés qui y voient une correction d'erreur manifeste – à une demande de rectification au sens de l'art. 79 al. 2 CPP, dès lors que la correction des horaires de travail du plaignant viendrait à modifier le contenu matériel des propos consignés dans la bouche de l'intimée dans le procès-verbal du 12 octobre 2022. La décision rendue par le Procureur sur la demande de rectification est donc sujette à recours, conformément aux principes sus-énoncés.

1.3. Partant, le recours est recevable.

2. Le recourant considère que la demande de rectification du 17 octobre 2022 était tardive, de sorte que le Ministère public n'aurait pas dû entrer en matière.

2.1. L'art. 79 al. 2 CPP ne prévoit pas de délai pour agir après la découverte de l'inexactitude au procès-verbal, comme c'était le cas du projet du CPP, lequel prévoyait un délai de cinq jours (cf. Message relatif à l'unification du droit de la Procédure pénale, FF 2006 p. 1395). Sur ce point, le législateur a suivi l'actuel art.  235 al.  3 CPC (Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale, Conseil des États (BO CE) 2007, p. 716).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la rectification du procès-verbal au sens de l'art. 79 al. 2 CPP se réfère seulement aux vices découverts et invoqués ultérieurement ("erst später entdeckte und geltend gemachte Mängel") (ATF 141 IV 20 consid. 1.4.4; arrêts du Tribunal fédéral 6B_492/2012 du 22 février 2013 consid. 1.5 et 6B_596/2012 du 25 avril 2013 consid. 1.4.2). Une demande en ce sens doit être déposée devant la direction de la procédure dans un délai raisonnable après la prise de connaissance du procès-verbal, conformément au principe de la bonne foi, sous peine de péremption (arrêts du Tribunal fédéral 6B_676/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2.1 et 1B_311/2011 du 30 août 2011 consid. 3.1). Il est en effet contraire à la bonne foi de n'invoquer qu'en instance de recours les vices entachant le procès-verbal (arrêts du Tribunal fédéral 6B_596/2012 du 25 avril 2013 consid. 1.4.2 et 6B_682/2012 du 25 avril 2013 consid. 1.4.2).

Le Tribunal pénal fédéral considère, pour sa part, dans un arrêt de 2012 que la demande de rectification du procès-verbal doit être formulée en fin d'audition lorsque celui-ci est soumis pour relecture en vertu de l'art. 78 al. 5 CPP (arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2012.33 du 13 juin 2012 consid. 2.3 et 2.5; dans le même sens: arrêt de l'Obergericht d'Appenzell Rhodes-Extérieures OG ARGVP 2015 3668 du 8 décembre 2014 consid. 1.5). Dans un arrêt de 2018, il a toutefois laissé ouverte la question de savoir si une demande, formée cinq jours – respectivement onze et douze jours – après les audiences – avait été déposée dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2018.130, BB.2018.58 du 12 septembre 2018 consid. 1.4.3).

Selon la jurisprudence cantonale, est irrecevable, pour cause de tardiveté, la demande de rectification déposée quarante-cinq jours, ou même vingt jours après la découverte de l'erreur (arrêt du Kantonsgericht de Saint-Gall FE-2018.11 du 25 octobre 2018 consid. 2; arrêt de l'Obergericht d'Appenzell Rhodes-Extérieures précité consid. 1.5).

En doctrine, certains auteurs soutiennent que la requête en rectification doit être formulée immédiatement après la lecture du procès-verbal, sans autre précision (G. BOMIO / D. BOUVERAT in A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit., n. 3 ad art. 79 ; N. SCHMID / D. JOSITSCH, op. cit., n. 2 ad art. 79). D'autres font leurs les considérants du Tribunal pénal fédéral dans son arrêt de 2012 précité (P. NÄPFLI in M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 3 ad art. 79), respectivement précisent que la demande doit intervenir lors de la relecture du procès-verbal (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 6 ad art. 79). D'aucuns prônent une acception plus large et considèrent qu'une demande de rectification peut intervenir, même après le prononcé d'un jugement, dès lors qu'il est concevable que l'erreur dans le procès-verbal ne soit reconnaissable qu'à la suite dudit jugement. L'erreur découverte doit toutefois être invoquée dès que possible, devant l'autorité compétente en vertu de l'art. 79 al. 2 CPP (D. BRÜSCHWEILER / R. NADIG / R. SCHNEEBELI, in A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung StPO, 3ème éd., Zurich 2020, n. 3a ad art. 79).

2.2. En l'espèce, il ressort du procès-verbal de l'audience du 12 octobre 2022 que les parties l'ont signé après lecture et traduction sans demander de correction. Le conseil de l'intimé a déposé au Ministère public la demande de rectification cinq jours après l'audience.

On peut retenir des principes et opinion sus-énoncés qu'en l'absence de délai à l'art. 79 al. 2 CPP, ni la jurisprudence du Tribunal fédéral ni celle – récente – du Tribunal pénal fédéral ne précisent dans quel laps de temps l'erreur dans le procès-verbal doit être invoquée pour admettre que la demande a été formée "dans un délai raisonnable", et la doctrine est divisée à ce sujet.

L'opinion selon laquelle la demande de rectification doit être formulée au plus tard en fin d'audition ne trouve d'appui ni dans la loi ni dans les travaux préparatoires. Aucun élément concret ne permet par ailleurs de retenir que le législateur, en ayant renoncé au délai de cinq jours prévu à l'origine dans le projet du CPP, a souhaité, par le biais d'une lacune qualifiée, imposer à la partie concernée de formuler sa demande de rectification – qui plus est, de manière formelle et motivée – au plus tard en fin d'audience. Si tel était le cas, le législateur se serait en effet limité à l'art. 78 al. 5 aux termes duquel "[à] l'issue de l'audition, le procès-verbal est lu ou remis pour lecture à la personne entendue. Après en avoir pris connaissance, la personne entendue appose sa signature au bas du procès-verbal et en paraphe chaque page [ ]". Or, il a accordé – en sus – aux parties la faculté de demander la rectification du procès-verbal (art. 79 al. 2 CPP).

La question du délai pour formuler une demande de rectification du procès-verbal doit ainsi être abordée en lien avec le principe de la bonne foi, concrétisé à l'art. 3 al. 2 let. a CPP et qui concerne tant les autorités que les parties (ATF 131 I 185 consid. 3.2.4 p. 192; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1122/2013 du 6 mai 2014 consid. 1.3 ; 6B_21/2011 du 13 septembre 2011 consid. 4.1.3). L'un des principaux devoirs imposés aux parties par ce principe veut que celles-ci se prévalent de leurs moyens au moment prévu par la loi ou sans tarder.

En application de ce principe, la jurisprudence relative à l'art. 58 CPP (délai pour une demande de récusation) a précisé que n'est pas tardive une requête formée dans un délai de six ou sept jours (arrêts du Tribunal fédéral 1B_512/2017 du 30 janvier 2018 consid. 3 et 6B_882/2008 du 31 mars 2009 consid. 1.3). Rien ne s'oppose à ce que, par analogie, les principes dégagés par cette jurisprudence s'appliquent à la requête de rectification du procès-verbal. En effet, les termes de l'art. 58 CPP ("sans délai" et "dès qu'elle a connaissance du motif de récusation") sont proches de ceux employés par la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l'art. 79 al. 2 CPP ("dans un délai raisonnable" et "après la prise de connaissance du procès-verbal"). Par ailleurs, les deux dispositions figurent dans le titre du CPP relatif aux autorités pénales et les demandes respectives doivent être présentées à la direction de la procédure.

Eu égard aux règles de la bonne foi, la demande de rectification litigieuse, formée cinq jours après l'audience, l'a ainsi été sans délai au sens des principes sus-évoqués.

Partant, la requête de rectification n'était pas tardive et le Ministère public pouvait donc statuer sur celle-ci.

3. Le recourant reproche au Ministère public d'avoir violé son droit d'être entendu.

3.1. Le pouvoir de cognition de l'instance de recours se limite aux violations des règles de procédure. Elle n'est en effet pas en mesure de trancher quelle était la formulation exacte des propos tenus par les parties lors de d'audience devant le Ministère public (Obergericht Zurich, UH140382 du 21 janvier 2015 consid. III.2 et UH130216 du 11 novembre 2013 consid. III.1.a).

3.2. Les éventuelles modifications du procès-verbal au sens de l'art. 79 al. 2 CPP ne doivent être acceptées que de façon restrictive et sur demande formelle et motivée de la personne concernée, des parties ou du juge. La preuve d'une inexactitude – soit, en règle générale, une lacune ou une retranscription des propos contredisant leur sens originel – peut être apportée par tous les moyens disponibles. Ainsi, les personnes présentes au moment où le procès-verbal a été rédigé peuvent être citées en qualité de témoin (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit., n. 1 ad art. 78; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 3 ad art. 79).

Examinant un cas dans lequel le Ministère public avait refusé de modifier les termes utilisés dans une question posée au témoin par le mandataire du prévenu, le Tribunal cantonal de Fribourg a considéré qu' "il paraît [ ] difficile de trancher postérieurement à l'audition quelle était la formulation exacte de la question posée par le mandataire de la recourante et ce que le Ministère public a effectivement entendu. [ ]. Dans ces conditions, la solution du Ministère public consistant à verser au dossier pénal en annexe au procès-verbal litigieux la demande de rectification et sa réponse paraît judicieuse" (arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de Fribourg 502 2016 270 du 13 mars 2017 consid. 2 d).

3.3. Lorsqu'une demande de rectification lui est soumise, la direction de la procédure statue en respectant le droit d'être entendu des parties (N. SCHMID / D. JOSITSCH, op. cit., n. 4 ad art. 79).

Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 146 IV 218 consid. 3.1.1).

Le droit d'être entendu impose par ailleurs à l'autorité l'obligation de motiver sa décision afin, d'une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d'autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d'exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183; 138 I 232 consid. 5.1 p. 237).

Si une garantie procédurale n'a pas été respectée, il convient, autant que possible, de remettre la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne si l'exigence en cause n'avait pas été méconnue ; en matière de droit d'être entendu, la réparation consiste à renvoyer le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle rende une nouvelle décision après avoir donné à la personne intéressée l'occasion de s'exprimer (arrêt du Tribunal fédéral 1B_85/2010 du 19 avril 2010 consid. 4.2).

Le droit d'être entendu est un grief d'ordre formel, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès de recours sur le fond. Une violation du droit d'être entendu peut toutefois être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 137 I 195 consid. 2.2 et 2.3.2 p. 197 s. et les arrêts cités), ce qui est le cas pour l'autorité de recours (art. 391 al. 1 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_574/2020 du 3 décembre 2020 consid. 4.1). Une telle réparation dépend de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 135 I 276 consid. 2.6.1 p. 285).

3.4. En l'espèce, le conseil de l'intimé a demandé – sans formuler d'offres de preuve – la rectification des propos de son épouse consignés à la page 6 du procès-verbal de l'audience du 12 octobre 2022. Le Ministère public y a donné suite et a procédé à la rectification requise, sans donner préalablement l'occasion aux autres parties de se prononcer. Ce faisant, le Ministère public a violé le droit d'être entendu du recourant.

Par ailleurs, la décision querellée ne permet pas de comprendre pour quel motif le Ministère public a procédé à la rectification litigieuse, qui va plus loin qu'une rectification d'erreur manifeste, puisqu'elle modifie complètement le sens des déclarations: "9 heures et demi / dix heures et 4 et 5 heures" devient "09h30-10h00 et 14h30 et 15h00".

Cette violation du droit d'être entendu du recourant est, ici, trop importante pour être réparée dans le cadre de la procédure de recours. Qui plus est, dans ses observations, le Ministère public n'a pas expliqué les motifs de la rectification ni n'a répondu aux griefs du recourant.

4. Partant, le recours doit être admis. La décision querellée sera annulée et la cause retournée au Ministère public pour qu'il rende une nouvelle décision, motivée.

5. Les frais de l'instance de recours seront laissés à la charge de l'État.

6. Il n'y a pas lieu de fixer à ce stade l'indemnité due au conseil juridique gratuit (art. 135 al. 2 et 138 al. 1 CPP), la procédure n'étant pas terminée.

* * * * *

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule la décision querellée et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).