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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24872/2021

ACPR/322/2023 du 05.05.2023 sur OTMC/782/2023 ( TMC ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : MESURE DE SUBSTITUTION À LA DÉTENTION;RISQUE DE COLLUSION;RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : CPP.237

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24872/2021 ACPR/322/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 5 mai 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance de prolongation des mesures de substitution rendue le 17 mars 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 29 mars 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 précédent, notifiée le 20 mars 2023, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné, jusqu'au 23 juin 2023, la prolongation des mesures de substitution consistant en :

a) l'interdiction de quitter le territoire suisse et de se rendre à l'hôtel C______;

b) l'obligation d'informer la Direction de la procédure, soit le Ministère public, en l'état, de tout changement d'adresse;

c) l'interdiction de tout contact, de quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, avec toutes les personnes mêlées à la présente procédure (soit notamment par personne interposée, par téléphone, SMS, messagerie, rencontres planifiées ou dues au hasard etc) et l'interdiction d'évoquer avec quiconque les faits relatifs à la présente procédure notamment avec D______, ses enfants et les employés de l'hôtel C______;

d) l'obligation d'entreprendre, au rythme et conditions fixés par le thérapeute, un traitement psychothérapeutique contre l'alcool et de se soumettre à des contrôles d'abstinence;

e) l'obligation de produire en mains du Servie de probation et d'insertion, chaque mois, un certificat attestant de la régularité du suivi thérapeutique;

f) – (mesure déjà exécutée);

g) l'obligation de suivre les règles ordonnées par le Service de probation et d'insertion dans le cadre du suivi des mesures de substitution.

b. Le recourant conclut, avec suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance précitée et à la levée de toutes les mesures de substitution; subsidiairement à la levée de celle décrite sous a) et plus précisément "l'interdiction de quitter le territoire suisse".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a été arrêté le 23 décembre 2021. Le lendemain, le Ministère public l'a relaxé, au profit de mesures de substitution, ordonnées le 26 décembre 2021 par le TMC pour une durée de six mois, régulièrement prolongées jusqu'au 23 mars 2023.

b. A______ est prévenu de voies de fait (art. 126 al. 2 CP), injures (art. 177 CP), vol (art. 139 CP), violation du devoir d'assistance et d'éducation (art. 219 CP) et conduite en état d'ébriété (art. 91 LCR).

c. Il lui est reproché d'avoir, à Genève, le 23 décembre 2021, vers 20h30, circulé au volant de son véhicule en état d'ébriété avec un taux d'alcool selon l'éthylomètre de 1.03 mg/l ainsi que d'avoir, le 3 décembre 2021, dérobé des ordinateurs et divers classeurs de la société de son ex-employeur, soit l'hôtel C______, sis rue 1______ no. ______ ainsi que, le 17 décembre 2021, la somme de CHF 500.- dans la caisse dudit hôtel et le téléphone portable appartenant à son épouse, D______, qui y travaille comme directrice.

Il lui est en outre reproché d'avoir, à Genève, au domicile familial, sis place 2______ no. ______, régulièrement insulté et exercé des violences verbales et physiques à l'encontre de son épouse et de ses enfants, E______, née en 2012, F______, né en 2010, G______, née en 2005, H______, né en 2007, I______ né en 2003 et J______, né en 1999, soit d'avoir :

- depuis août 2021, régulièrement injurié son épouse en lui tenant des propos dénigrants notamment devant les enfants, en la traitant de "merde, de connasse, de mauvaise mère, de bonne à rien qui ne sait pas gérer";

- le 29 mai 2021 à son domicile, à la suite d'un conflit, tordu le pouce droit de son fils H______, lui causant de la sorte une entorse;

- le 6 décembre 2021 insulté son épouse en lui disant "va te faire soigner c'est toi la pute";

- le 12 décembre 2021 retrouvé son épouse dans son bureau à l'hôtel et lui avoir dit, devant sa fille et les employés de l'hôtel, "tu es une merde, une connasse, tu es pire que ton père";

- le 21 décembre 2021, appelé son fils I______ qui travaillait à la réception de l'hôtel et après s'être disputé avec lui, lui avoir déclaré "tu n'as qu'à aller sucer la bite de ton grand-père";

- avoir régulièrement tenu des propos dégradants, notamment à l'égard de sa fille E______, et conduit en état d'ébriété alors que ses enfants se trouvaient à bord du véhicule.

d. Entendu à la police, puis au Ministère public, A______ a reconnu avoir, le jour de son arrestation, conduit sa voiture en état d'ébriété. Il a contesté les autres faits. Il considérait ne pas avoir de problème d'alcool, même s'il lui arrivait parfois "d'exagérer". Il était d'accord de suivre un traitement contre l'alcool.

e. Lors de l'audience de confrontation du 28 janvier 2022, A______ a expliqué qu'il consommait environ 5 à 8 verres d'alcool par jour entre 2019 et fin 2021. En décembre 2021, il s'était pris en main (séjour aux HUG et à [la clinique] K______). Depuis lors, il buvait tout au plus une ou deux bières. À la suite de l'avertissement formel du Ministère public, il avait pris note de l’obligation d'abstinence complète imposée par les mesures de substitution. À l'issue de l'audience, il a été autorisé à prendre contact par téléphone avec ses enfants.

f. Le 17 mars 2022, D______ a déposé une nouvelle plainte à l'encontre de A______ pour avoir, le 12 mars 2022, entre 15h et 16h, causé divers dommages matériels dans le studio de la résidence de l'hôtel C______ alors qu'il venait y récupérer ses affaires personnelles.

L'intéressé n'a pas donné suite aux mandats de comparution qui lui ont été adressés les 8 avril, 19 avril et 20 juin 2022.

g. Par courriers des 5 avril 2022 et 2 février 2023, le Ministère public a rappelé à A______ les mesures de substitution ordonnées à son encontre, lui adressant un nouvel avertissement formel.

h. Le 14 septembre 2022, le conseil de A______ a fait état de démarches en vue d'un accord civil entre les époux et le dépôt d'une requête commune de divorce, moyennant le retrait des plaintes pénales.

i. Le 13 mars 2023, D______ a, par le biais de son conseil, confirmé au Ministère public qu'elle entendait retirer sa plainte une fois le divorce finalisé, ce qui devrait intervenir d'ici quelques semaines.

j. À teneur des rapports du Service de probation et d'insertion (ci-après : SPI) des 3 janvier, 18 et 23 février, 9 juin, 27 septembre et 2 décembre 2022, 27 janvier, 28 février et 10 mars 2023, A______ n'avait pas respecté son obligation d'entreprendre un traitement psychothérapeutique, s'étant présenté à seulement deux séances auprès du [centre de consultation] L______. Depuis juillet 2022, il était suivi par son médecin généraliste. En substance, il considérait ne pas avoir besoin d'un traitement spécifique pour son problème d'alcool et ne comprenait pas l'obligation de rester abstinent. Des avertissements lui avaient été adressés et il ne s'était pas présenté à deux rendez-vous fixés par le SPI. Par téléphone du 9 mars 2023, il s'était engagé à reprendre le suivi auprès du SPI, persistant à refuser de se soumettre au suivi ordonné.

k. A______ a travaillé comme directeur de l'hôtel C______ du 10 octobre 2001 au 22 décembre 2021, date à laquelle il a été licencié.

Aucune condamnation n'est inscrite à son casier judiciaire suisse.

C. Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu la persistance de charges suffisantes et graves. Aucune plainte n'avait encore été retirée, étant souligné qu'une partie des faits était poursuivie d'office. L'instruction devait se poursuivre, notamment par l'audition du prévenu, voire celle des enfants du couple.

Un risque de collusion perdurait surtout vis-à-vis de la partie plaignante et des enfants.

Il existait en outre un risque de réitération tangible, dans la mesure où A______ ne semblait pas avoir cessé de consommer de l'alcool, ce malgré l'interdiction prononcée et refusait de se soumettre à un suivi psychothérapeutique.

Les mesures en vigueur – à l'exception de celle mentionnée sous la lettre f (déjà pleinement exécutée) – paraissaient aptes et adéquates pour diminuer les risques présentés par le prévenu, de sorte qu'elles pouvaient être prolongées de trois mois.

D. a. Dans son recours, A______ conteste les risques retenus. Il produit une convention d'accord complet sur les effets accessoires du divorce signée par lui-même et son épouse le 7 mars 2023, prévoyant un large droit de visite avec ses enfants mineurs.

b. Dans ses observations, le Ministère public relève que la levée des mesures de substitution était prématurée, dès lors que les plaintes n'avaient pas été retirées et que la convention de divorce n'avait pas encore été ratifiée. En outre, une partie des infractions se poursuivait d'office, notamment la violation des règles de la circulation routière, laquelle était précisément en lien avec la consommation d'alcool du prévenu.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance et renonce à formuler des observations.

d. Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne conteste pas l'existence de charges suffisantes et graves retenues dans l'ordonnance querellée, de sorte qu'il peut être renvoyé, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge (art. 82 al. 4 CPP); ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références), qui expose les indices graves et concordants pesant sur le prévenu.

3.             Le recourant conteste tout risque de collusion.

3.1. Selon l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsqu'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité; en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).

3.2. En l'occurrence, les faits en cause sont relativement anciens et ont été instruits en grande partie, étant souligné que ceux du 12 mars 2022 se poursuivent sur plainte et qu'un retrait de plainte est annoncé. En outre, lors de l'audience du 28 janvier 2022, le Ministère public a déjà levé l'interdiction faite au recourant de parler à ses enfants. Enfin, D______ a elle-même confirmé la conclusion d'un accord avec le recourant sur le plan civil et rien ne permet d'affirmer que, dans ce cadre, il aurait exercé ou tenté d'exercer des pressions auprès d'elle et de leurs enfants.

Dans ce contexte, le maintien d'une interdiction de contact n'a plus lieu d'être et il convient de lever une interdiction devenue inutile.

Il en sera de même des autres mesures de substitution prononcées (l'interdiction de quitter la Suisse et de se rendre à l'hôtel de C______, l'obligation de communiquer un changement d'adresse, l'obligation de se présenter à toute convocation judiciaire), d'une part, parce que de telles mesures sont essentiellement de nature à pallier un risque de fuite – non retenu en l’espèce – et, d'autre part, parce qu'au vu de l'évolution de la situation des parties, de leur domicile séparé et du licenciement intervenu, l'interdiction de se rendre à l'hôtel C______ ne parait plus nécessaire.

4. Le recourant conteste tout risque de réitération.

4.1. Pour admettre un risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, les infractions redoutées, tout comme les antécédents, doivent être des crimes ou des délits graves, au premier chef les délits de violence (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1 et les références). Plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences sont élevées quant au risque de réitération. Il demeure qu'en principe le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9). Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 146 IV 326 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_668/2021 du 4 janvier 2022 consid. 4.1). Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3-4). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné – avec une probabilité confinant à la certitude – de les avoir commises (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1).

4.2. En l'espèce, quand bien même les parties vivent séparées depuis plusieurs mois, le risque de réitération reste concret, étant rappelé que la consommation d'alcool semble avoir joué un rôle non négligeable dans le cadre des faits reprochés. S'ajoute à cela le comportement contradictoire du recourant, qui, tout en admettant une problématique d'alcool, refuse de la traiter, d'être abstinent et a régulièrement omis de se présenter aux rendez-vous fixés par le SPI.

Enfin, le fait que le recourant n'est plus titulaire d'un permis de conduite n'exclut pas – quoi qu'il en dise – la possibilité de conduire à nouveau sous l'influence de l'alcool et de mettre en danger des tiers.

Dans ce contexte, l'obligation de suivre un traitement psychothérapeutique contre l'alcool et de se soumettre à des tests d'abstinence, reste nécessaire pour prévenir des infractions du même type vis-à-vis de son épouse et de ses enfants, ainsi que le risque de nouvelle récidive en matière de circulation routière et respecte le principe de proportionnalité.

5. Le recourant, qui a partiellement gain de cause, ne supportera pas de frais.

6. L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

 

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet partiellement le recours

Annule les chiffres a), b) et c) du dispositif de l'ordonnance querellée.

Confirme l'ordonnance pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Le communique, pour information, au Service de probation et d'insertion et à D______ (soit pour elle son conseil).

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.