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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19810/2022

ACPR/297/2023 du 27.04.2023 sur ONMMP/422/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;DÉNONCIATION CALOMNIEUSE;INTENTION
Normes : CPP.310; CP.174; CP.303

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19810/2022 ACPR/297/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 27 avril 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Vanessa GREEN, avocate, GREEN Avocats, rue Ferdinand-Hodler 9, 1207 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 3 février 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 16 février 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 3 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette ordonnance, au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction, avec l'audition de B______ et C______ et celle de "l'éducateur de l'école mentionné dans l'ordonnance de non-entrée en matière du 5 novembre 2021 rendue dans la procédure P/1______/2021", ainsi qu'à l'apport de l'intégralité de ladite procédure à la présente.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.A______ et B______ se sont mariés le ______ 2010. De leur union sont nés: D______, le ______ 2010, et E______, le ______ 2014.

Ils se sont séparés à la fin de l'année 2018, donnant lieu à l'ouverture d'une procédure en mesures protectrices de l'union conjugale (C/2______/2019) puis de divorce (C/3______/2021), laquelle est toujours pendante.

b. Le 16 septembre 2022, A______ a déposé plainte contre B______ et le nouveau conjoint de celle-ci, C______, psychiatre, pour diffamation (art. 173 CP), dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) et induction de la justice en erreur (art. 304 CP).

En substance, cherchant à empêcher l'instauration d'une garde alternée, B______ l'avait accusé, auprès des autorités civiles et des intervenants spécialisés, d'abuser sexuellement de E______, en procédant à des "jeux" sous la douche durant lesquels il "lavait" le sexe de sa fille. Elle avait, en outre, porté plainte contre lui pour ces faits, lui reprochant encore de maltraitances psychologiques sur D______ et des démarches visant à aliéner les enfants.

c. Des pièces versées à la procédure, il ressort les éléments suivants:

- lors d'une audience du 4 mai 2021 par-devant le Tribunal de première instance, B______ a déclaré: "[A______] viole, il insulte les enfants. [ ] Je ne sais pas comment m'exprimer, la langue française n'est pas ma langue maternelle. Je peux reformuler dans le sens où il force E______ pour les choses sexuelles. Je me réfère à la problématique de la douche";

- dans sa dénonciation du 20 mai 2021, C______ explique agir "car devant la passivité/complicité de ceux impliqués et le verrouillage complet autour de ce drame", il ne pouvait "plus supporter la souffrance de cette fille mineure, souffrance provoquée par un père qui s'obstine et refuse d'arrêter son jeu sexuel qui dure déjà depuis trop longtemps";

- dans sa plainte du 6 juin 2021, B______ accuse A______ de "comportements incestueux" envers E______, "d'abus moral, de pression psychologique et de chantage (menaces de [la] tuer ou [la] mutiler, [l']expulser du pays, etc.)" et de "maltraitances (abus psychologiques et pressions)" sur D______. A______ avait en outre provoqué et alimenté le conflit de loyauté, appris aux enfants à mentir aux psychologues, aux enseignants et aux intervenants du Service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale, et "saboté" toutes les visites chez les psychothérapeutes et les médecins afin d'obtenir des certificats falsifiés en faveur de la garde alternée;

- par ordonnance du 5 novembre 2021, rendue dans la procédure P/1______/2021, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte de B______ et la dénonciation de C______, laquelle n'était qu'un "témoignage indirect des accusations" de sa compagne. Les allégations portées contre A______ n'étaient étayées par aucun élément objectif. B______ l'avait expressément admis en reconnaissant, à la police, qu'elle ne disposait d'aucune "preuve solide" et qu'elle ne pensait pas son mari capable de faire cela. En outre, elle avait avoué à l'éducateur de l'école des enfants et à la Dre F______, médecin scolaire, qu'elle avait dénoncé son mari pour qu'il "lâche". L'ensemble des intervenants amenés à gérer la situation familiale avaient conclu à une implication, dans la séparation, des enfants par leurs parents, lesquels les exposaient régulièrement à des conflits de loyauté;

- le 25 mai 2022, le Dr G______ a rendu une évaluation psychiatrique de B______, lui diagnostiquant un "trouble de la personnalité paranoïaque sévère qui la conduit à avoir une perception biaisée de la réalité voire à la création de nouveaux éléments qui vont dans le sens de sa conviction paranoïaque" et une "fixation paranoïaque à l'égard de son mari qui la prive de tout sentiment d'empathie à son égard et de capacité à pouvoir établir une véritable coopération parentale";

- à la demande du Tribunal de première instance, le Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML) a réalisé une évaluation familiale. Pour les experts, les difficultés parentales plaçaient les enfants dans un conflit de loyauté. B______ et C______ s'influençaient et se stimulaient dans le même sens réciproquement "dans un registre de collusion narcissique rappelant certains traits de folie à deux". Il était "urgent d'éloigner les enfants de la relation d'emprise de leur mère et de son compagnon et de les protéger au plus vite". Ils ont recommandé que E______ aille vivre chez son père et que la garde exclusive des deux enfants soit attribuée à ce dernier.

d. Entendue par la police le 5 janvier 2022, B______ a contesté avoir porté plainte contre son mari pour lui faire cesser sa demande de la garde alternée. Elle ne voulait pas détruire la réputation de ce dernier, juste dénoncer les propos que E______ lui avait rapportés, afin que des investigations puissent déterminer s'ils étaient avérés. Elle ne pensait toujours pas que A______ fût capable d'actes d'ordre sexuel sur leur fille.

e. Le même jour, C______ a déclaré que l'objectif de sa dénonciation, en sa qualité de médecin, était que les dires de E______ soient investigués dès lors que pour lui, les douches durant lesquelles A______ lavait les parties intimes de sa fille avaient eu lieu. Il avait décidé d'agir en voyant que "personne ne faisait rien pour E______".

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public rappelle le contexte conflictuel et retient qu'il ne pouvait être reproché à B______ et C______ d'avoir eu l'intention de porter atteinte à l'honneur de A______. Ils cherchaient uniquement à défendre les droits de E______, qu'ils pensaient légitimes. Comme ils n'avaient fait que rapporter les dires de cette dernière, ils n'avaient pas connaissance de l'innocence de A______.

D. a. Dans son recours, A______ se plaint d'une constatation inexacte des faits et d'une application erronée de l'art. 310 CPP. Les agissements dénoncés dans sa plainte remplissaient les éléments constitutifs objectifs des art. 173, 174, 303 et 304 CP. Le Ministère public ne pouvait pas retenir que B______ et C______ tenaient pour vraies leurs allégations à son encontre, ni qu'ils ignoraient son innocence. Il ressortait également de sa plainte que B______ avait adopté des comportements susceptibles de constituer une violation du devoir d'assistance ou d'éducation (art. 219 CP).

b. Dans ses observations, le Ministère public maintient les termes de son ordonnance et conteste, au surplus, la réalisation des éléments constitutifs de l'art. 219 CP.

c. Dans sa réplique, A______ soutient, pièces nouvelles à l'appui, que les comportements adoptés par B______ procédaient d'une aliénation parentale.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

S'agissant des infractions de diffamation (voire calomnie) et de dénonciation calomnieuse, le recourant a la qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

Tel n'est toutefois pas le cas pour l'infraction visée à l'art. 304 CP, qui protège exclusivement l'intérêt collectif de la justice pénale (ACPR/194/2022 du 21 mars 2022 consid. 2.2).

Le recours est ainsi recevable sur le premier point mais pas sur le second.

1.2. Les pièces nouvelles sont recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.

2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe une non-entrée en matière ne peut être prononcée par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243 ss).

2.2. Se rend coupable de diffamation au sens de l'art. 173 ch. 1 CP, quiconque, en s'adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, de même que celui qui aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon.

La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations propagées sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

Le fait de s'adresser à un magistrat ou à un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions n'exclut pas le caractère délictueux de l'acte. Toutefois, il ne saurait y avoir diffamation punissable lorsque celui qui a tenu les propos incriminés était en droit d'agir pour la défense d'intérêts légitimes d'ordre public ou privé (ATF 69 IV 114). Ainsi, il est admis que le devoir procédural d'alléguer les faits constitue un devoir de s'exprimer au sens de l'art. 14 CP; une partie, ou son avocat, peut dès lors invoquer cette disposition, à la condition de s'être exprimée de bonne foi, de s'être limitée aux déclarations nécessaires et pertinentes et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 135 IV 177 consid. 4 p. 177; 131 IV 154 consid. 1.3.1 p. 157; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., Berne 2010, n. 105-114 ad art. 173).

2.3. L'art. 303 al. 1 CP réprime notamment du chef de dénonciation calomnieuse celui qui aura dénoncé à l'autorité, comme auteur d'un crime ou d'un délit, une personne qu'elle savait innocente, en vue de faire ouvrir contre elle une poursuite pénale.

Sur le plan subjectif, l'auteur doit savoir que la personne qu'il dénonce est innocente. Il ne suffit donc pas qu'il ait conscience que ses allégations pourraient être fausses. Il doit savoir que son affirmation est inexacte. Aussi, le dol éventuel ne suffit pas (ATF 136 IV 170 consid. 2.1 p. 176 et les références citées). En outre, seul l’auteur qui agit dans un dessein particulier – à savoir en vue de faire ouvrir une poursuite pénale – peut se rendre coupable de dénonciation calomnieuse. Cet article consacre ainsi une infraction subjectivement spéciale (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 19 ad art. 303).

2.4. En l'espèce, les accusations des mis en cause contre le recourant sont manifestement de nature à porter atteinte à son honneur, ce que le Ministère public ne conteste pas au demeurant.

L'autorité intimée estime cependant que l'intention fait défaut pour la diffamation, les mis en cause n'ayant pas voulu porter atteinte à l'honneur du recourant, et, pour la dénonciation calomnieuse, ceux-ci n'auraient cherché qu'à faire la lumière sur les dires de E______.

Ce raisonnement ne saurait être suivi.

Dans son ordonnance du 5 novembre 2021, rendue dans le cadre de la procédure P/1______/2021, le Ministère public a retenu que la mise en cause avait expressément admis n'avoir aucune preuve pour étayer ses accusations contre son ex-conjoint et qu'elle ne le pensait pas capable de commettre les actes dénoncés, ce qu'elle a d'ailleurs derechef confirmé lors de son audition en qualité de prévenue dans la présente cause. Elle aurait également avoué à des tiers qu'elle avait agi dans l'unique but que le recourant "lâche".

Comme ces éléments ont conduit l'autorité précédente à refuser d'entrer en matière sur la plainte, respectivement la dénonciation, des mis en cause, il apparaît contradictoire d'exclure d'emblée, dans la présente procédure, toute intention délictuelle des intéressés au moment d'accuser le recourant.

Surtout que les accusations litigieuses sont catégoriques et sans réserve, ce qui tranche avec les déclarations susmentionnées de la mise en cause. Leur nature affirmative, sans même l'emploi du conditionnel, contraste avec la prétendue volonté de simplement faire "investiguer" les dires de E______. Cette finalité est également disputée par le fait que les mis en cause n'ont pas limité leurs affirmations aux "comportements incestueux" du recourant mais se sont étendus sur des aspects périphériques, comme le supposé "sabotage" des séances thérapeutiques mis en œuvre par celui-ci pour obtenir un certificat favorable à la garde alternée. Si aucune suite n'a été donnée à ces accusations, on peut néanmoins supposer qu'elles n'étaient pas – initialement – étrangères aux intérêts civils de la mise en cause.

À cela s'ajoute, d'une part, le contexte conflictuel dans lequel les enfants se trouvent impliqués et, d'autre part, "l'emprise" de leur mère, elle-même en proie à une disposition à créer "de nouveaux éléments qui vont dans le sens de sa conviction".

Dans ces circonstances, des soupçons subsistent quant à la réelle intention des mis en cause, qui semblent agir par motivation mutuelle. La non-entrée en matière apparaît dès lors prématurée pour les infractions contre l'honneur et la dénonciation calomnieuse. À cet égard, il sera pertinent d'entendre derechef les mis en cause.

2.5. Le recourant soutient dans son recours que les comportements dénoncés dans sa plainte seraient constitutifs d'une violation du devoir d'assistance ou d'éducation. Cette infraction ne ressortait toutefois pas de sa plainte, si bien qu'il l'allègue pour la première fois devant la Chambre de céans.

Partant, ce grief ne serait pas recevable faute de décision préalable. Dès lors que la cause est renvoyée au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction, il sera néanmoins laissé à l'appréciation de cette autorité si elle entend instruire d'office ce chef d'accusation également.

3.             Fondé, le recours doit être admis. L'ordonnance querellée sera donc annulée et la cause renvoyée au Ministère public afin qu'il procède dans le sens des considérants.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant, partie plaignante qui obtient gain de cause, n'a pas conclu à l'octroi de dépens ni ne les a – a fortiori – chiffrés, de sorte qu'il ne lui en sera pas alloué (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière du 3 février 2023 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés versées par lui (CHF 1'200.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).