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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21769/2020

ACPR/91/2023 du 07.02.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE;RISQUE DE COLLUSION
Normes : CPP.236

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21769/2020 ACPR/91/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 7 février 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus d'exécution anticipée de peine, rendue le 7 novembre 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 18 novembre 2022, A______ recourt contre la décision du 7 novembre 2022, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé sa requête visant l'exécution anticipée de sa peine.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de la décision querellée et à ce que l'exécution anticipée de sa peine soit ordonnée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 3 février 2021, le Ministère public a prévenu A______ aux art. 115 al. 1 let.b et c LEI et 19a LStup ainsi que d'infraction grave à l'art. 19 al. 1 et 2 LStup commise de concert avec D______ et E______.

b.        Le 1er septembre 2021, la police a adressé au Ministère public un rapport de synthèse portant sur les données, obtenues par voie de l'entraide internationale avec la France, du téléphone de A______, soit "ses identifiants" et "plusieurs milliers de messages", tous en albanais. Il ressort notamment dudit rapport que "des personnes" s'étaient renseignées sur les déclarations faites par E______ dans la procédure.

c.         Après que A______ eut refusé, le 8 octobre 2021, de répondre aux questions de la police sur ce rapport, l'audience du 8 novembre 2021 a dû être reportée à la demande du conseil de A______ au motif qu'il avait fait recours contre le refus du Procureur d'écarter les pièces issues de la commission rogatoire du 18 mai 2021. Le recours de l'intéressé a été rejeté par arrêt de la Chambre de céans du 10 février 2022 (ACPR/90/2022).

d.        Le 24 mars 2022, le Ministère public a étendu les charges reprochées à A______ (cf. B.i).

e.         Le 4 mai 2022, lors d'une fouille de la cellule de A______, les gardiens ont trouvé des documents manuscrits contenant des numéros de téléphone et des informations relatives à la procédure émanant de E______, alors que les intéressés étaient à l'isolement.

f.         Lors de l'audience de confrontation du 10 octobre 2022, A______ a prétendu ne pas se souvenir du courrier de E______ mais a admis lui avoir écrit.

g.        Par courrier du 26 octobre 2022, A______ a formellement sollicité l'exécution anticipée de sa peine.

h.        Par décision du 7 novembre 2022, le Ministère public l'a refusée (cf. infra C.).

i.          Le 11 janvier 2023, le Procureur a tenu l'audience finale lors de laquelle il a fait part à A______, s'agissant du trafic de stupéfiants, de son intention de le renvoyer en jugement pour avoir à Genève et dans le canton de Vaud, entre 2020 et le 3 février 2021, participé à un trafic international de cocaïne et d'héroïne et d'avoir dans ce cadre importé, détenu, conditionné, remis ou vendu à des tiers plusieurs kilos de cocaïne et d'héroïne, respectivement pris des mesures à cette fin, notamment d'avoir:

le 24 juillet 2020, importé en Suisse, depuis Lyon, par une personne indéterminée, puis réceptionné et détenu à son domicile à F______ [VD] un paquet d'héroïne, d'un poids d'à tout le moins 500 grammes et d'un taux de pureté indéterminé, et un paquet d'héroïne ou de cocaïne d'à tout le moins 500 grammes d'un taux de pureté indéterminé;

les 24 et 25 août 2020, importé en Suisse, par une personne indéterminée, puis réceptionné et détenu à son domicile à F______ à tout le moins un kilo de cocaïne d'un taux de pureté de 94 %, avant d'en remettre la moitié, à Genève, à une personne demeurée non identifiée, entre le 25 et le 26 août 2020;

entre août 2020 et le 14 novembre 2020, organisé l'importation en Suisse par E______ de cocaïne et d'héroïne, plus particulièrement d'avoir:

·         recruté ce dernier pour effectuer un ou plusieurs transports de drogue;

·         acquis une voiture de marque G______ [marque, modèle] et remis à E______ afin qu'il l'immatricule à son nom le 29 septembre 2020;

·         envoyé E______, en octobre 2020, aux Pays-Bas et en Allemagne, afin qu'il laisse la voiture à des personnes demeurées non identifiées et chargées d'y aménager une cachette;

·         envoyé E______ récupérer la voiture le 29 octobre 2020;

·         envoyé E______, le 12 novembre 2020, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas afin qu'il prenne possession des quantités suivantes de drogue qu'il a importées en Suisse le 14 novembre 2020:

o   un kilo de cocaïne ou d'héroïne, d'un taux de pureté indéterminé, que E______ a remis à Lausanne à un tiers demeuré non identifié;

o   999.7 grammes de cocaïne, d'un taux de pureté de 79.7%, 499.7 grammes d'héroïne, d'un taux de pureté de 39% et 499.9 grammes d'héroïne, d'un taux de pureté de 39.7%, étant précisé que cette drogue a été saisie lors de l'interpellation de E______ le 14 novembre 2020;

le 3 février 2021, détenu à son domicile, deux parachutes de cocaïne d'un poids brut total de 25 grammes, lesquels étaient destinés à être vendus ou remis à des tiers, ainsi que du matériel pour conditionner la drogue.

A______ a contesté ces faits, sous réserve d'avoir participé au transport réalisé par E______, lequel devait importer des produits cannabiques. Pour le surplus, la drogue saisie le 3 février 2021 était destinée à sa consommation personnelle.

Le Procureur a informé les parties qu'il fixerait un délai au 31 janvier 2023 pour le dépôt des réquisitions de preuves. Il a pris note que A______, par son conseil, lui préciserait d'ici cette date s'il demanderait le versement d'autres messages, et a précisé qu'il convoquerait une audience si l'intéressé souhaitait s'exprimer sur d'autres messages que ceux figurant dans le rapport du 1er septembre 2021.

j.          Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 24 janvier 2023, le Procureur a informé les parties de ce qu'il procèderait à une audition – laquelle a été fixée au 6 février 2023 –, en lien avec E______. Pour tenir compte de la détention de A______ et du principe de célérité, il confirmait, d'ores et déjà, le délai imparti pour les réquisitions de preuves.

k.        Précédemment, les 6 mai 2021 et 27 avril 2022, le Procureur a ordonné la mise en liberté de D______, respectivement celle de E______, avec des mesures de substitution.

l.          Le TMC a ordonné, le 5 février 2021, la mise en détention provisoire de A______, laquelle a été régulièrement prolongée, la dernière fois le 27 décembre 2022 jusqu'au 4 mars 2023, durée nécessaire pour permettre au Ministère public de tenir une audience finale, clôturer l'instruction, statuer sur les éventuelles réquisitions de preuves des parties et renvoyer le prévenu en jugement. Il a notamment retenu que le risque de collusion demeurait très concret, le prévenu étant soupçonné d'avoir participé à un trafic international de stupéfiants, dans le cadre d'un vaste réseau dont l'ensemble des membres du réseau n'avaient pas été identifiés.

m.           A______ né en 1990 est de nationalité albanaise et sans autorisation de séjour en Suisse.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que le prévenu contestait l'essentiel des charges et que, au vu du risque de collusion, tel que retenu par le TMC, les conditions pour une exécution anticipée de peine n'étaient pas réunies.

D. a. Dans son recours, A______ considère que l'instruction se trouvait à un stade permettant l'exécution anticipée de sa peine, la procédure d'instruction étant sur le point d'être close. Il conteste l'existence d'un risque de collusion. L'instruction, qui durait depuis plus de deux ans, n'avait pas identifié les prétendus autres membres du réseau; ses coprévenus, d'ores et déjà en liberté, auraient déjà pu - par hypothèse - entrer en contact avec ces membres.

Il avait admis avoir participé au transport du 14 novembre 2020, mais il n'y avait aucun soupçon concernant son éventuel lien avec les autres importations de stupéfiants en Suisse.

Il ne voyait pas en quoi le changement d'établissement pénitentiaire aurait une influence sur les contacts qu'il pourrait avoir avec le prétendu réseau international.

Depuis le début de la procédure, la direction de la procédure tardait à diligenter son instruction, de sorte qu'il était vraisemblable que le renvoi en jugement ne s'opère qu'en seconde partie de 2023.

b. Dans ses observations, le Ministère public relève que les trois prévenus avaient fait des déclarations divergentes sur plusieurs points importants et que les déclarations du recourant avaient par ailleurs varié.

Si l'instruction arrivait à son terme, il devrait encore statuer sur les éventuelles réquisitions de preuve des prévenus et procéder à une nouvelle audition.

Au vu des déclarations des prévenus et des enjeux, le risque de collusion important perdurait; il s'était déjà concrétisé, comme le montraient les documents saisis le 4 mai 2022 dans la cellule de A______.

Le fait que les autres prévenus ne soient plus détenus à ce stade de l'instruction était sans pertinence. La participation et les charges reprochées étaient différentes; être l'un des organisateurs de l'importation des stupéfiants et trois transports de stupéfiants s'agissant du recourant.

La requête du recourant était prématurée et serait réexaminée, sérieusement, au moment du renvoi en jugement.

c. A______ réplique notamment que les lettres saisies le 4 mai 2022 n'étaient pas de nature à démontrer un risque de collusion dans la mesure où ces lettres remontent au début de la procédure pénale.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (393 al. 1 let. b CPP; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung - Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 12 ad art. 393; cf. aussi ACPR/176/2021 du 16 mars 2021) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé sa demande d'exécution anticipée de sa peine.

2.1.       Selon l'art. 236 al. 1 CPP, la direction de la procédure peut autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet. L'exécution anticipée des peines et des mesures est, de par sa nature, une mesure de contrainte qui se classe à la limite entre la poursuite pénale et l'exécution de la peine. Elle doit permettre d'offrir à l'accusé de meilleures chances de resocialisation dans le cadre de l'exécution de la peine avant même l'entrée en force du jugement (ATF 133 I 270 consid. 3.2.1 p. 278). En vertu de l'art. 236 al. 4 CPP, le prévenu est soumis au régime de l'exécution de la peine dès son entrée dans l'établissement, sauf si le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté s'y oppose (arrêts du Tribunal fédéral 1B_426/2012 du 3 août 2012 consid. 2.1; 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et les arrêts cités).

Le "stade de la procédure" permettant l'exécution de peine de manière anticipée correspond au moment à partir duquel la présence du prévenu n'est plus immédiatement nécessaire à l'administration des preuves, ce qui est en principe le cas lorsque l'instruction est sur le point d'être close (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 236; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et la référence citée).

Même après ce stade, l'exécution anticipée de la peine doit être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis si le régime de l'exécution anticipée devait être mis en œuvre. Il appartient alors à l'autorité de démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres, propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi le régime d'exécution de peine du prévenu, même avec les mesures possibles de l'art. 236 al. 4 CPP, en compromettrait l'accomplissement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_107/2020 du 24 mars 2020 consid. 2.1).

Un risque de collusion justifiant un refus d'exécution anticipée de peine demeure lorsque le fonctionnement concret d'une bande n'a pas pu être établi (arrêts du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 et 1B_107/2020 du 24 mars 2020) ou parce que le prévenu conteste avec véhémence les graves accusations portées contre lui, le risque de collusion demeurant ainsi jusqu'à l'audience de jugement, moment où les preuves essentielles et décisives doivent être administrées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_400/2017 du 18 octobre 2017).

2.2.       En l'occurrence, la Chambre de céans, à laquelle il n'appartient pas d'apprécier le rôle respectif de chacun des prévenus dans le trafic, constate que le recourant sera renvoyé en jugement pour infraction grave à la LStup et infraction à la LEI. Le risque de collusion a systématiquement été retenu contre lui par le TMC; l'intéressé est impliqué dans un important trafic de stupéfiants dont l'ensemble des membres du réseau n'ont pas tous été identifiés, de sorte qu'il ne peut être exclu qu'il cherche à les contacter, ce qu'il pourrait faire plus facilement sous le régime de l'exécution de peine.

Enfin, le but de l'art. 236 CPP est d'offrir au détenu un régime d'exécution tenant compte notamment de sa situation et de lui assurer, cas échéant, de meilleures chances de resocialisation (ATF 143 IV 160 consid. 2.1). Or, force est de constater que le recourant ne répond pas à cette condition préalable, faute de pouvoir espérer séjourner en Suisse par la suite.

En toute hypothèse, le Procureur, qui mène son instruction sans retard, a annoncé qu'il réexaminerait la question lors du renvoi en jugement auquel il devrait procéder rapidement, sauf demande de réquisition de preuves de la part du recourant.

3.             Le recourant, bien qu'au bénéfice de l'assistance juridique, supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 [arrêts qui rappellent que l'autorité de deuxième instance est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de recours, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire]) qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

4.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, comprenant un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

 

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/21769/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

-

CHF

Total

CHF

985.00