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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1958/2020

ACPR/29/2023 du 12.01.2023 sur OTMC/3486/2022 ( TMC ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : MESURE DE SUBSTITUTION À LA DÉTENTION;LÉSION CORPORELLE;ENFANT;VISITE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.123; CPP.237

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1958/2020 ACPR/29/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 12 janvier 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, France, comparant par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 7 novembre 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 18 novembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 novembre 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné la prolongation des mesures de substitution jusqu'au 8 mai 2023.

Le recourant conclut à l'annulation de cette ordonnance, à ce qu'il soit "renonc[é]" à la prolongation pour six mois des mesures de substitution, et au prononcé d'une prolongation jusqu'au 18 février "2022" [recte : 2023].

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.    A______, ressortissant camerounais, est divorcé de C______ depuis janvier 2020. Ensemble, ils ont eu un enfant, D______, né en 2014.

A______ est par ailleurs le père, à tout le moins, de deux des quatre enfants de sa précédente compagne, E______, soit F______, née en 2007, et G______, né en 2011.

b.   A______ est prévenu de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 et 2 al. 2 et 3 CP), menaces (art. 180 CP), violation du devoir d'assistance et d'éducation (art. 219 CP), dommages à la propriété (art. 144 CP), vol (art. 139 CP) et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI).

Il lui est reproché, d'avoir, à Genève :

- à tout le moins depuis 2017 et jusqu'au 27 novembre 2019, régulièrement exercé des violences physiques sur G______ et F______, à son domicile ou au domicile de E______, en l'absence de cette dernière, en les frappant notamment à coups de ceinture;

- en particulier, le 27 novembre 2019, menacé sa fille F______, par téléphone, en lui disant qu'il allait la frapper à son retour car elle était en retard, l'effrayant de la sorte, puis, lorsque cette dernière est rentrée à son domicile, tenté de la frapper avec deux branches d'arbre parsemées d'épines, avant de lui asséner des coups de pied sur le tibia et des coups de poing vers la rate, le cou et l'œil;

- le 17 novembre 2019, détruit le téléphone portable de C______ avant de l'emporter avec lui, puis cassé l'ordinateur portable et le rétroviseur gauche du véhicule de celle-ci, étant précisé qu'elle a déposé plainte le même jour;

- entre juillet 2018 et novembre 2019, séjourné en Suisse sans être au bénéfice des autorisations nécessaires et alors qu'il faisait l'objet d'une décision cantonale de renvoi définitive et exécutoire.

c. A______ conteste les faits, à l'exception de la destruction du téléphone portable et de l'ordinateur de son ex-épouse. S'il avait souvent élevé la voix contre ses enfants, il ne les avait jamais frappés.

Il n'a pas revu ses enfants F______ et G______ depuis le 17 novembre 2019. Il exerce, en revanche, un droit de visite sur son fils D______.

d. F______ et G______ ont été entendus en janvier 2020 par la police, selon le protocole NICHD, audition dont la retranscription figure au dossier.

e. À teneur des documents adressés par l'Office médico-pédagogique (ci-après : OMP) au Ministère public, G______ a fait l'objet d'un rapport d'évaluation médico-psychologique en juillet 2020, dont il ressort que le diagnostic de stress post-traumatique n'était pas confirmé. En revanche, le diagnostic "autres réactions à un facteur de stress sévère" était retenu au vu des facteurs de stress environnementaux, notamment "les violences de décembre 2019" et les conséquences sur le fonctionnement familial qui s'étaient ensuivies. Un suivi de groupe (psychodrame), voire des consultations thérapeutiques familiales, étaient proposés pour soutenir l'enfant. Parallèlement, il devait être offert la possibilité à la mère "d'élaborer les difficultés familiales" afin d'offrir un cadre suffisamment sécurisé à G______.

f. Arrêté le 12 janvier 2021 – sur la base d'un avis de recherche et d'arrestation –, et placé en détention provisoire en raison des risques de fuite, collusion et réitération, A______ a été libéré le 9 février suivant, au profit de mesures de substitution ordonnées le lendemain par le TMC, pour une durée de six mois (régulièrement prolongées depuis), consistant en :

- l'obligation de déférer à toute convocation du pouvoir judiciaire,

- l'interdiction de s'approcher de E______ et des enfants F______ et G______,

- l'interdiction de tout contact avec les précités.

g. Par avis du 15 juillet 2021, le Ministère public a informé les parties de la prochaine clôture de l'instruction et du renvoi en jugement du prévenu, un délai leur étant accordé pour faire part de leurs éventuelles réquisition de preuve. A______ a demandé qu'une expertise de crédibilité des déclarations de ses enfants soit ordonnée.

h. À teneur des expertises de crédibilité rendues le 13 juin 2022, les déclarations de F______ sont jugées crédibles par les experts, et celles de G______ faiblement crédibles.

i. Lors de l'audience du 1er septembre 2022 – à laquelle le prévenu, excusé, n'a pas comparu –, les experts ont, en substance, expliqué que plusieurs hypothèses pouvaient expliquer un faible score de crédibilité obtenu pour les déclarations de G______, comme le fait que l'enfant n'avait pas vécu ce qu'il alléguait, ou qu'il n'aurait pas les capacités intellectuelles pour faire une allégation qui remplit les critères de l'évaluation. Une déclaration considérée comme faiblement crédible ne voulait pas dire qu'elle était fausse ou mensongère.

E______ a quant à elle déclaré que ses enfants souhaitaient voir leur père, étant précisé que F______ lui avait dit avoir contacté celui-ci par WhatsApp.

j. S'agissant de sa situation personnelle, A______ habite à H______, France, avec sa nouvelle compagne et leur enfant né en 2019. Il est employé en qualité de manutentionnaire dans le cadre de missions temporaires.

À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, il a été condamné à trois reprises par le Ministère public :

-          le 19 juin 2015, à une peine pécuniaire avec sursis (non révoqué) pour lésions corporelles simples – notamment à l'égard de la sœur de sa compagne d'alors – et violation d'une obligation d'entretien,

-          le 18 avril 2016, à une peine pécuniaire pour violation d'une obligation d'entretien,

-          le 27 janvier 2017, à une peine pécuniaire pour lésions corporelles simples – à l'égard de C______ –, contrainte (commise à réitérées reprises), violation du devoir d'assistance ou d'éducation, et séjour illégal.

k. À la demande du Ministère public, un curateur de représentation a été nommé, le 18 octobre 2022, aux enfants F______ et G______, lesquels étaient jusqu'ici représentés par leur mère. Cette dernière a, quant à elle, été invitée à se déterminer sur son éventuelle qualité de partie plaignante.

l. Le 1er novembre 2022, le Ministère public a requis la prolongation des mesures de substitution pour une durée de six mois. Il devait encore statuer sur la qualité de partie plaignante de E______, prononcer un avis de prochaine clôture, accomplir les éventuels actes d'instruction requis par les parties et procéder à la clôture de l'instruction. En l'état, les risques de fuite, collusion et réitération perduraient, ce qui justifiait la prolongation demandée.

m. Par ordonnance – non contestée – du 21 novembre 2022, le Ministère public a rejeté la qualité de partie plaignante de E______.

C.            Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu que le risque de fuite subsistait. Le risque de collusion était concret, bien que le prévenu eût déjà été confronté aux plaignantes, ce risque pouvant prendre la forme de pressions sur les mineurs F______ et G______, jusqu'à la clôture de l'instruction voire l'audience de jugement. Dans la mesure où les contacts entre le prévenu et ses enfants avaient cessé depuis novembre 2019, soit plus de douze mois avant l'arrestation du prévenu, le Ministère public n'était pas compétent pour ordonner et fixer les conditions d'une éventuelle reprise des relations personnelles entre les enfants et leur père. Le risque de réitération était tangible, le prévenu ayant déjà été condamné pour lésions corporelles simples et contrainte.

Les mesures ordonnées paraissaient aptes et adéquates encore à ce jour pour diminuer les risques retenus. Il se justifiait de les prolonger pour six mois, durée qui apparaissait raisonnable au vu de l'état de la procédure et de la nécessité de prévenir les risques précités. Cette durée permettrait de couvrir non seulement la période allant jusqu'à la clôture de l'instruction, mais également le délai (ou une partie du délai) nécessaire avant la date de l'audience de jugement, soit vraisemblablement plusieurs mois encore dès lors que le prévenu n'était pas détenu.

D.           a. Dans son recours, A______ souligne que la prolongation des mesures de substitution intervenait pour la quatrième fois et à nouveau pour une durée de six mois. Or, la condition de l'exception prévue à l'art. 227 al. 7 CPP n'était en l'espèce pas remplie. La procédure pénale ouverte contre lui ne présentait aucune difficulté particulière, tant au niveau des infractions en cause, que du volume du dossier ou des actes d'instruction à entreprendre, étant relevé que celle-ci touchait à sa fin. Il ne voyait donc pas sur quel cas exceptionnel se fondait cette nouvelle prolongation de six mois. Les mesures de substitution étaient extrêmement incisives et s'apparentaient, en intensité, à une privation de liberté. Depuis vingt-et-un mois, il était interdit de tout contact avec ses enfants, âgés désormais de 11 et 15 ans. Il ne pouvait s'accommoder de cette situation. Le maintien indéfini des mesures accroissait la distance avec ses enfants et rendrait encore plus difficile la reprise du lien. Le principe de célérité (art. 5 al. 1 CP) et le bien-être supérieur de l'enfant (art. 3 ch. 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant) imposaient désormais une diligence quant au temps de la procédure. Ainsi, la prolongation des mesures de substitution ne devait pas dépasser trois mois, ce qui laisserait largement le temps au Ministère public de "ponctuer enfin cette instruction".

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. L'instruction n'avait pas souffert de retard, étant relevé que l'intention de clore l'instruction avait été annoncée en juillet 2021 déjà. La procédure avait été prolongée par la mise en œuvre de l'expertise de crédibilité requise par le prévenu, puis par l'audition des experts. Un nouvel avis de prochaine clôture serait prochainement rendu. La prolongation, pour six mois, des mesures de substitution tenait compte des actes devant encore être accomplis avant la clôture de l'instruction, ainsi que du délai vraisemblablement nécessaire avant le jugement. A______ invoquait le bien-être supérieur de l'enfant, mais lors de son arrestation, en janvier 2021, il avait déclaré vivre à H______ et n'avoir plus eu de contact avec ses enfants depuis novembre 2019. Il ne semblait ainsi avoir accompli, déjà à cette époque, aucune démarche en vue d'exercer un éventuel droit de visite sur ceux-ci. Compte tenu du temps écoulé depuis les derniers contacts, il appartenait aux instances civiles de statuer sur une éventuelle reprise des relations personnelles, le Ministère public n'ayant pas la compétence de déterminer les conditions et modalités d'une telle reprise, si tant est qu'elle pût être envisagée au regard de l'intérêt des enfants. Les mesures de substitution n'empêchaient pas A______ d'œuvrer à la préparation de reprises de contact, puis de solliciter un éventuel allégement des mesures de substitution, pièces et propositions concrètes à l'appui. En l'état, lesdites mesures demeuraient adéquates et proportionnées.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance et renonce à formuler des observations.

d. Le recourant persiste dans ses conclusions.

E. Par avis du 19 décembre 2022, le Ministère public a informé les parties de la prochaine clôture de l'instruction et du renvoi en jugement de A______.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir prolongé pour une durée de six mois les mesures de substitution ordonnées en premier lieu le 10 février 2021.

2.1.       Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst., concrétisé par l'art. 237 al. 1 CPP), le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si elles permettent d'atteindre le même but que la détention, par exemple l'interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble (al. 2 let. c) et/ou l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (al. 2 let. g).

2.2.       À teneur de l'art. 237 al. 4 CPP, les dispositions sur la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté s'appliquent par analogie au prononcé des mesures de substitution ainsi qu'au recours contre elles.

2.3.       Selon l'art. 227 al. 7 CPP, la détention provisoire peut être prolongée plusieurs fois, chaque fois de trois mois au plus et, dans des cas exceptionnels, de six mois au plus. Ce contrôle périodique doit permettre de vérifier que les motifs de détention existent toujours et que les principes de célérité et de proportionnalité sont encore respectés (ATF 141 IV 190 consid. 3.2.; 137 IV 180 consid. 3.5).

Le renvoi général de l'art. 237 al. 4 CPP aux règles matérielles et formelles concernant la détention se justifie par le fait que les mesures de substitution sont ordonnées aux mêmes conditions que la détention provisoire, soit en présence de soupçons suffisants ainsi que de risques de fuite, de collusion ou de réitération (art. 221 CPP), conditions qui doivent en elles-mêmes faire l'objet d'une réévaluation périodique. À l'instar de la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, les mesures de substitution doivent en tout temps demeurer proportionnées au but poursuivi, tant par leur nature que par leur durée (ATF 141 IV 190 consid. 3.3; 140 IV 74 consid. 2.2).

2.4. En l'espèce, le risque de collusion avec les enfants du recourant demeure. En effet, bien que leurs déclarations à la police aient été retranscrites et aient fait l'objet d'une expertise de crédibilité, il n'est pas exclu, en l'état, que la juridiction de fond demande à les entendre, en particulier la fille aînée. Par ailleurs, le risque de récidive persiste également, au vu des antécédents spécifiques du prévenu, soit des lésions corporelles sur des proches. L'intéressé ne paraît au demeurant pas le contester, puisqu'il conclut à la prolongation des mesures de substitution pour une durée moindre que celle ordonnée. Leur levée n'entre donc pas en ligne de compte.

Pour tenir compte du principe de la proportionnalité, et au vu du nouvel avis de prochaine clôture de l'instruction rendu le 19 décembre 2022 – soit après le dépôt du recours –, il se justifie de prolonger les mesures de substitution jusqu'au 8 mars 2023, une telle durée paraissant en l'état suffisante pour permettre le renvoi du prévenu en jugement.

3.             Le recours sera ainsi partiellement admis et les mesures de substitution prolongées jusqu'au 8 mars 2023.

4.             L'admission du recours, même partielle, ne donne pas lieu au paiement de frais, qui seront laissés à la charge de l'État.

5.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office, qui ne l'a du reste pas demandé.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet partiellement le recours.

Annule l'ordonnance querellée en tant qu'elle a prolongé les mesures de substitution jusqu'au 8 mai 2023 et ordonne leur prolongation jusqu'au 8 mars 2023.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Le communique, pour information, à la curatrice de F______ et G______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.