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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/21811/2022

AARP/353/2025 du 01.10.2025 sur JTDP/891/2024 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE
Normes : CP.55a; CPP.428.al1; CPP.426.al2
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21811/2022 AARP/353/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 1er octobre 2025

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/891/2024 rendu le 11 juillet 2024 par le Tribunal de police,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/891/2024 du 11 juillet 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) a rejeté sa demande de suspension fondée sur l'art. 55a du Code pénal (CP) eu égard à la gravité des faits reprochés et à l'intérêt public prépondérant de la poursuite pénale, et l'a reconnu coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 et 2 al. 1 et 4 CP) ainsi que de tentative de contrainte (art. 22 cum art. 181 CP), l'a condamné à une peine privative de liberté de 12 mois, sous déduction de six jours de détention avant jugement, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans), les frais de la procédure étant mis à sa charge tout comme le remboursement de l'indemnité de procédure de CHF 4'390.40 versée par l'État à son défenseur d'office.

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant principalement à la suspension de la procédure (art. 55a CP) et, subsidiairement, à ce que la peine infligée soit une peine pécuniaire n'excédant pas 90 jours-amende à CHF 190.- le jour, avec sursis, délai d'épreuve de trois ans.

b. Selon l'ordonnance pénale du 13 octobre 2023, valant acte d'accusation, il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, le 16 octobre 2022, peu avant 01h00, au domicile conjugal sis no.______ chemin 1______, au [quartier de] F______, suite à une dispute avec son épouse C______ :

- étranglé cette dernière de sorte à lui couper la respiration pendant cinq secondes et lui avoir donné trois ou quatre coups de poing violents, lui causant notamment des ecchymoses au niveau de la partie gauche du visage, de la région latéro-cervicale droite et de la région claviculaire gauche ainsi que des dermabrasions au niveau de la partie gauche du visage et des érythèmes au niveau de la nuque ;

- dit à cette dernière que si elle appelait quelqu'un il la tuerait ainsi que leur fille puis se suiciderait, de sorte à l'effrayer, étant précisé qu'il n'est pas parvenu à ses fins, son épouse ayant envoyé un message à son frère.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______ est marié avec C______ depuis le ______ 2017 ; les époux vivent à Genève depuis lors. Au printemps 2022, cette dernière a spontanément avoué à son mari l'avoir trompé avec un autre homme, lors d'un séjour au Kosovo. Le couple en a beaucoup discuté et A______ a pardonné son infidélité. Cela étant, depuis lors et à chaque dispute, il évoquait systématiquement ce sujet délicat, crispant les relations conjugales.

b. Dans la nuit du 15 au 16 octobre 2022, C______ est sortie du domicile pour amener un médicament à une amie. Elle s'est ensuite rendue dans un restaurant D______ et est rentrée une demi-heure plus tard que prévu. Ce comportement a mis son mari en colère. Une dispute a éclaté en présence de leur fille âgée de deux ans, lors de laquelle le prévenu a saisi son épouse par le cou et l'a serré fortement, de sorte à lui couper la respiration pendant environ cinq secondes, sans toutefois lui faire perdre connaissance ou les urines. Il a lâché lorsqu'il a entendu leur fille crier. C______ a alors saisi son téléphone portable et couru vers la porte d'entrée. Son mari l'a rattrapée, l'empêchant de quitter le domicile conjugal. Il lui a donné plusieurs coups de poing au visage avant de la ramener de force sur le canapé et lui donner un verre d'eau. Lorsqu'elle a demandé à récupérer son téléphone, son mari l'a avertie que si elle appelait quelqu'un, il la tuerait ainsi que leur fille avant de se suicider. Malgré sa peur, elle a tout de même envoyé un message à son frère pour lui demander d'alerter la police.

c. Selon le rapport d'arrestation, il s'agissait de la première intervention de la police au domicile de cette famille, le prévenu étant inconnu des services de police pour des faits de violence. Le soir de l'intervention, la police avait pris une photographie du visage tuméfié de C______.

d. À teneur du constat de lésions traumatiques effectué par le Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) le 16 octobre 2022, C______ présentait les lésions suivantes pouvant entrer chronologiquement en relation avec les faits :

§  des ecchymoses au niveau de la partie gauche du visage (région supra-sourcilière, nez, région infra-orbitaire), de la région latéro-cervicale droite, de la région claviculaire gauche, du bras gauche et des membres inférieurs,

§  une unique pétéchie au niveau de la peau de la paupière supérieure gauche,

§  des dermabrasions au niveau de la partie gauche du visage (nez, pli naso-génien),

§  des érythèmes au niveau de la nuque.

Les ecchymoses et dermabrasions constatées sur le visage étaient compatibles avec des coups de poing portés à ce niveau. Les ecchymoses constatées au niveau du cou et de la région claviculaire gauche étaient quant à elles compatibles avec une manœuvre de strangulation manuelle. Sa vie n'avait toutefois pas été mise en danger d'un point de vue médico-légal.

e. C______ a déposé plainte pénale lors de son audition à la police du 16 octobre 2022, avant de la retirer lors de sa première audition devant le Ministère public (MP), indiquant n'avoir jamais voulu déposer plainte mais uniquement faire des déclarations à la police.

Elle a déclaré que leur relation conjugale s'était détériorée depuis qu'elle avait avoué à son mari l'avoir trompé avec un autre homme. Ils se disputaient une à deux fois par mois, sur fond de soupçons d'infidélité. Dans la nuit du 16 octobre 2022, alors qu'ils discutaient sur un ton colérique, le prévenu lui avait sauté à la gorge et l'avait étranglée fortement, l'empêchant de respirer durant cinq secondes environ. Il avait lâché sa prise dès qu'il avait entendu leur fille crier. C______ s’était mise à courir à la cuisine pour attraper son téléphone portable et ensuite quitter leur domicile. Son mari l'avait rattrapée avant qu'elle ne puisse en sortir. Il lui avait alors donné trois ou quatre coups de poing au visage, puis l'avait traînée sur le canapé où il lui avait mis de l'eau sur son visage ainsi que de la glace pour apaiser. Ensuite, au moment où il lui avait restitué son téléphone, il lui avait dit que si elle dénonçait les faits à qui que ce soit, il la tuerait ainsi que leur fille, puis se suiciderait. Elle avait tout de même envoyé un message, le soir même, à son frère pour lui demander d'alerter la police. Ce que ce dernier a fait.

f. Entendu par la police, A______ a admis s'être disputé avec son épouse, l'avoir saisie par le cou et l'avoir repoussée, sans toutefois avoir serré au niveau de sa gorge. Elle avait crié et couru en direction de la porte. C'est alors qu'il l'avait poussée et elle s’était cognée contre le mur, se causant toute seule les blessures au visage, notamment l'hématome à l'œil gauche. Il s’était ensuite excusé, lui avait donné un médicament pour calmer ses douleurs et ils avaient discuté de ce qui venait de se passer. Il avait nié l'avoir frappée au visage, l'avoir étranglée et même l'avoir menacée de la tuer ainsi que leur fille puis de se suicider.

g. A______ a été mis en détention provisoire du 16 au 21 octobre 2022, puis libéré avec des mesures de substitution, consistant principalement en une interdiction de se rendre au domicile conjugal et en une obligation d'entreprendre un suivi thérapeutique.

h. Devant le MP, le prévenu a reconnu avoir perdu confiance en sa femme à cause de son infidélité, tout en confirmant ses précédentes déclarations, à savoir en substance qu'il n'était pas l'auteur des lésions constatées. Ensuite, lors de la première audience de confrontation en présence de sa femme, il a concédé que "tout ce qu'elle a dit est vrai". Il s'est excusé, regrettant ses actes et précisant qu'"elle ne mérit[ait] pas cela".

i. Lors d'une audience subséquente, la lésée a déclaré au MP que depuis que son mari était sorti de prison, leur relation s'était apaisée, il prenait tous les jours de leurs nouvelles, présentait constamment des excuses et disait regretter amèrement ses gestes et ses mots. Elle souhaitait lui donner une seconde chance et reprendre la vie commune.

j. À teneur du rapport médical du 19 septembre 2023, attestant du suivi ordonné par mesures de substitution, le médecin a certifié que le prévenu se montrait assidu et ponctuel à ses rendez-vous, participant activement aux séances thérapeutiques, se montrant calme, impliqué et collaborant dans son suivi. Le prévenu ne contestait pas les infractions reprochées, acceptait les accusations et exprimait des regrets vis-à-vis de son comportement. Il semblait avoir pris conscience de la gravité de ses actes et des conséquences d'une mauvaise gestion émotionnelle. Il avait mis en œuvre des stratégies pour les éviter.

k. Les mesures de substitution ont été levées le 19 octobre 2023.

l. Une ordonnance pénale a été rendue par le MP le 13 octobre 2023, condamnant le prévenu à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 190.- l'unité, sous déduction de six jours-amende correspondant à six jours de détention avant jugement, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, ainsi qu'à une règle de conduite consistant à entreprendre un suivi thérapeutique axé sur les problèmes de violence pendant la durée du délai d'épreuve.

m. Le prévenu a formé opposition et sollicité la suspension de la procédure en vertu de l'art. 55a CP, soulignant qu'il s'agissait d'un épisode isolé et qu'il souhaitait qu'on lui donne une seconde chance.

n. En parallèle, C______ a également formulé une demande de suspension de la procédure, par courrier adressé le 22 novembre 2023 au MP, affirmant que leur relation conjugale s'était considérablement améliorée, son mari ayant entrepris des démarches en vue de changer son comportement et faisant preuve d'un engagement sincère envers elle.

o. Le MP n'a pas donné de suite favorable, considérant à teneur de son ordonnance de maintien du 11 décembre 2023, que "la situation des parties apparaît déjà stabilisée, qu'elles ont repris la vie commune depuis près d'une année et qu'on ne voit pas en quoi la suspension de six mois serait de nature à améliorer la situation de la victime".

p. C______ ne s'est pas vue notifier cette décision de refus de suspension.

q. Devant le TP, le prévenu a reconnu les faits qui lui sont reprochés, précisant que sa femme avait raconté la vérité à la police. Il a également indiqué avoir agi sous le coup de l'énervement, raison pour laquelle il ne se souvenait plus précisément de ce qui s'était passé. À présent, la relation conjugale se passait "mieux que jamais".

L'épouse a également été entendue. Elle a confirmé qu'il n'y avait plus eu d'autres épisodes de violences, qu'elles soient physiques ou verbales. Son mari avait nettement changé dans tous les domaines et avait droit à une seconde chance, soulignant qu'il faisait des efforts et qu'elle ne regrettait pas son choix. Son mari avait financé sa formation professionnelle et elle travaillait dans l'entreprise de ce dernier à mi-temps en qualité de secrétaire.

C. a. Lors de l'audience tenue le 17 mars 2025 par-devant la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), le prévenu a annoncé que sa femme et lui essayaient d'avoir un deuxième enfant et que cette procédure pénale était pénible pour eux. À l'issue de l'audience, la Cour de céans a décidé de suspendre la procédure au sens de l'art. 55a CP pour une durée de six mois, tenant compte de la demande qui avait été formulée, en son temps, par la lésée au MP.

b. Une nouvelle audience a eu lieu le 22 août 2025 pour procéder à une évaluation de la situation du couple, lors de laquelle la CPAR a longuement entendu C______. Cette dernière, très fragilisée par une récente fausse couche, a expliqué que sa relation conjugale se passait bien et que son mari avait été très présent ces derniers mois, durant lesquels elle avait dû être alitée. Comme elle était dans l'impossibilité totale de marcher, son mari la portait, la lavait et s'occupait seul de tout le ménage. En outre, il amenait leur fille à la crèche, faisait les courses alimentaires, cuisinait et continuait à travailler dans sa société. Elle a confirmé que leur relation maritale s'était stabilisée et que son mari n'avait plus jamais levé la main sur elle. Quand bien même leur relation se passait bien, elle avait toujours une petite crainte au fond d'elle qu'il franchisse la ligne rouge, rappelant qu'"on ne sait jamais". Elle a insisté sur le fait qu'elle ne tolèrerait plus aucune violence de sa part, qu'elle n'hésiterait pas à déposer plainte et à demander le divorce si un acte de violence devait se reproduire, ce dont il était au courant. Elle a également confirmé qu'elle était bien entourée par sa famille et ses amis qui la soutenaient et pouvaient intervenir rapidement en cas de besoin.

c. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions, précisant qu'il ne réclame aucune indemnisation fondée sur l'art. 429 CPP.

d. Le MP a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

e. Les arguments plaidés seront discutés, dans la mesure de leur pertinence, au fil des considérants qui suivent.

D. A______ est né le ______ 1989 et est de nationalité kosovare. Il est marié depuis le ______ mai 2017 à C______, ressortissante suisse née à Neuchâtel, et père d'une fille née le ______ 2020. Il est arrivé en Suisse en 2013 et est actuellement au bénéfice d'un permis d'établissement. Il travaille en tant que chauffagiste pour sa propre société, E______ SA, et réalise à ce titre un salaire mensuel net d'environ CHF 12'000.-. Il s'acquitte d'un loyer de CHF 1'677.- par mois, sans compter le parking. Il n'a ni fortune ni dettes. Il est sans antécédent judiciaire et aucune autre procédure pénale ne figure au casier judiciaire.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Selon l'art. 55a CP, en cas de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 2 al. 3 à 5), de voies de fait réitérées (art. 126 al. 2, let. b, bbis et c), de menace (art. 180 al. 2) ou de contrainte (art. 181), le ministère public ou le tribunal peut suspendre la procédure (al. 1) si la victime est notamment le conjoint ou ex-conjoint de l'auteur et que l'atteinte a été commise durant le mariage ou dans l'année qui a suivi le divorce (let. a, ch. 1), si la victime ou, lorsqu'elle n'a pas l'exercice des droits civils, son représentant légal le requiert (let. b) et, si la suspension semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de la victime (let. c).

Le législateur estime ainsi que l'intérêt public à la poursuite pénale l'emporte en principe. La suspension constitue l'exception : l'autorité peut ordonner une suspension lorsque des circonstances particulières contrebalancent l'intérêt public à la poursuite pénale (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violence, FF 2017 6956).

La suspension est limitée à six mois (al. 4 phr. 1). Avant la fin de la suspension, le ministère public ou le tribunal procède à une évaluation. Si la situation de la victime s'est stabilisée ou améliorée, il ordonne le classement de la procédure (al. 5).

L'art. 55a al. 3 CP exclut toutefois la suspension lorsque des violences répétées au sein du couple peuvent être soupçonnées. Si la personne prévenue a déjà été condamnée pour certaines infractions de violence dans la relation de couple actuelle ou dans une précédente relation, l'intérêt public à la poursuite pénale l’emporte, et la procédure est menée à bien pour déterminer s’il y a récidive.

Si la victime révoque son accord à la suspension de la procédure ou s’il s’avère que la situation ne s’est ni stabilisée ni améliorée et que, par conséquent, l'intérêt à la poursuite pénale l'emporte, le ministère public ou le tribunal reprend la procédure dans les six mois qui suivent la suspension.

Si la victime ne révoque pas son accord à la suspension de la procédure avant l’échéance des six mois, le ministère public ou le tribunal examine si sa situation s’est stabilisée ou améliorée en déterminant, entre autres, si la victime est protégée contre de futurs accès de violence de la personne accusée et si elle se sent en sécurité. Si la situation de la victime s’est stabilisée ou améliorée, l'autorité de poursuite pénale ordonne le classement de la procédure.

La décision de suspendre, de reprendre ou de classer la procédure pénale ne doit plus être laissée à la seule victime. La révision de l'art. 55a CP (en vigueur depuis le 1er juillet 2020) vise à décharger la victime ; par ailleurs, elle tend à conférer à l'autorité une plus grande marge d'appréciation et, par voie de conséquence, à lui confier davantage de responsabilité. L'autorité ne doit plus être obligée de se plier sans examen à la volonté de la victime. Dans le cas d'infractions poursuivies d'office, l'intérêt public à la poursuite pénale est en principe prépondérant. Si la victime entend suspendre la procédure et si la suspension peut contribuer à stabiliser ou à améliorer sa situation, la procédure peut être suspendue également lorsqu'elle porte sur des infractions poursuivies d'office. Un tel prononcé suppose une déclaration correspondante de volonté de la victime. L'autorité doit en outre vérifier que la suspension est effectivement de nature à entraîner la stabilisation ou l'amélioration souhaitées de la situation. Les autorités sont tenues d'effectuer une pesée des intérêts et de procéder à un examen de la proportionnalité, étant précisé que la suspension doit constituer l'exception et non la règle (arrêt du Tribunal fédéral 6B_563/2022 du 29 septembre 2022 consid. 1.2.3).

2.2. En l'espèce, C______ et le prévenu sont mariés depuis plusieurs années et vivent ensemble à Genève, avec leur enfant née en 2020. Le prévenu travaille en qualité d'entrepreneur et assume, de manière prépondérante, les charges de la famille.

Il est établi, à teneur des éléments au dossier, que dans la nuit du 16 octobre 2022, une dispute a éclaté au sein du couple, sur fond de jalousie liée à une infidélité de l'épouse. L'altercation verbale a dégénéré en une violence physique. Le prévenu a saisi son épouse à la gorge avec ses deux mains et l'a serrée quelques secondes, sans toutefois lui faire perdre connaissance ni perdre les urines. Il l'a ensuite lâchée mais voyant qu'elle tentait de fuir le domicile conjugal, il l'a rattrapée et lui a donné plusieurs coups de poing au visage, lui causant des lésions corporelles, lesquelles sont attestées par un constat de lésions traumatiques.

Dans le cadre de la procédure pénale ouverte pour violences domestiques, l'épouse a refusé de participer en qualité de plaignante, indiquant au MP qu'elle n'avait aucune intention de déposer plainte contre son époux. Le prévenu a d'abord nié les faits reprochés, puis les a rapidement reconnus tout en tentant de minimiser ses gestes, admettant toutefois la véracité des déclarations de son épouse, les jugeant toutes conformes à la vérité.

Le prévenu a suivi activement une thérapie axée sur la violence et la gestion des émotions, durant près d'une année, de sorte que son médecin a pu certifier que ce dernier ne contestait pas les infractions reprochées, acceptait les accusations et exprimait des regrets vis-à-vis de son comportement. Il semblait avoir pris conscience des conséquences d'une mauvaise gestion émotionnelle et avait mis en œuvre des stratégies pour les éviter.

Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, l’appelant n'a fait l'objet d'aucune condamnation et aucune autre procédure pénale n'y est inscrite. Les renseignements de police indiquent qu’il n'est pas connu pour des faits de violence et qu'aucune intervention domiciliaire n'a eu lieu pour ce couple marié et vivant à Genève depuis 2017, hormis pour cet incident. Partant, aucun soupçon de violence répétée ne peut être émis à l'encontre du prévenu.

Le couple a repris la vie commune dès que les mesures de substitution ont été levées, et vivent encore ensemble à ce jour. C'est dans ce contexte que tant le prévenu que son épouse ont chacun sollicité, par lettre séparée, une suspension de la procédure au sens de l'art. 55a CP auprès du MP. L'autorité de poursuite et le premier juge ont refusé cette suspension, décisions qui n'ont toutefois pas été notifiées à la victime mais uniquement au prévenu. Dans la mesure où cette dernière n'a pas reçu d'ordonnance de refus de suspension de la procédure, elle a été dans l'impossibilité de recourir contre cette décision. Sa demande de suspension est donc toujours d'actualité, sachant qu'elle n'a manifesté aucune rétractation et qu'elle a clairement expliqué, lors de l'audience d'évaluation de la situation du couple, tenue par-devant la juridiction d'appel, vouloir donner une seconde chance à son mari avec qui elle continue de vivre sous le même toit et avec qui elle a récemment tenté de concevoir un deuxième enfant. Au vu des projets d'avenir que le couple a en commun, l'intérêt de la victime à éviter une procédure pénale revêt une importance particulière, qu'il convient de respecter, étant précisé que cette dernière est née en Suisse, a la nationalité suisse et a de la famille en Suisse, notamment ses parents et son frère, qui peuvent la soutenir et l'aider en cas de besoin.

2.3. Au vu de l'ensemble des éléments, force est de constater que le prévenu – qui a admis les faits qui lui sont reprochés et qui s'est excusé auprès de son épouse à maintes reprises – a pris conscience de la gravité de ses actes et a entrepris un suivi médical durant près d'une année, ce qui lui a permis d’acquérir les outils nécessaires à la gestion de ses émotions et surtout à la maîtrise de sa colère. On peut dès lors s'attendre à un changement de comportement de sa part et à une meilleure réaction dans des situations problématiques.

Le MP est d'ailleurs allé dans ce sens, dans sa décision du 11 décembre 2023, considérant que la situation du couple s'était "déjà stabilisée" pour justifier son refus de suspendre au sens de l'art. 55a CP. Un tel raisonnement semble toutefois contraire à la volonté du législateur qui autorise précisément la suspension de la procédure dans des cas de violences domestiques, notamment en présence de lésions corporelles et de menaces (qui sont loin d'être des cas de bagatelles), afin de favoriser l'amélioration et la stabilité du couple en détresse. On ne comprendrait pas qu'une demande de suspension émanant de la victime soit refusée au motif que le couple est déjà parvenu à une stabilisation et à une amélioration dans ses relations conjugales. On ne devrait pas traiter plus sévèrement un tel couple, qui est déjà parvenu à une certaine sérénité, par rapport à celui dont les efforts sont encore en cours de processus. Un tel raisonnement conduirait à des résultats choquants et inéquitables.

Au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, force est de constater que la situation matrimoniale s'est stabilisée et qu'aucun acte de violence n'est survenu depuis lors. Partant et sachant que la volonté de la victime de suspendre la procédure est restée intacte, il y a lieu d'y donner suite et d'ordonner le classement, vu l'évaluation favorable.

3. 3.1. L'art. 428 al. 1 CPP dispose que les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé. Selon l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

3.2. En l’espèce, les frais de la procédure d’appel doivent être mis à la charge de l'appelant dans la mesure où il a adopté un comportement illicite et fautif à l'égard de sa compagne, ce qu'il ne conteste pas. L'appelant sera donc condamné aux frais de la procédure d'appel, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'000.-.

3.3. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de revoir la répartition des frais de la procédure préliminaire et de première instance (art. 428 al. 3 CPP), laquelle sera confirmée.

4. 4.1. L'appelant n'ayant pas formé appel contre sa condamnation à rembourser à l'État de Genève l'indemnité versée à son conseil en CHF 4'390.40 (art. 135 al. 4 CPP), il sera pris acte de sa condamnation (art. 402 CPP).

4.2. En outre, l'appelant ayant renoncé tant en première instance qu'en procédure d'appel à toute indemnité au sens de l'art. 429 CPP, il lui sera donné acte de sa renonciation.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/891/2024 rendu le 11 juillet 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/21811/2022.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Classe la procédure (art. 55a al. 3 CP).

Prend acte de ce que le premier juge a fixé les frais de la procédure préliminaire et de première instance à CHF 5'661.90 et les met à charge de A______.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'425.-, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'000.- (art. 426 al. 2 CPP) et les met à charge de A______.

Prend acte de la renonciation de A______ à se voir allouer une indemnité pour le dommage subi et/ou à titre de réparation du tort moral (art. 429 CPP).

Prend acte de la condamnation de A______ à rembourser à l'État de Genève l'indemnité versée de CHF 4'390.40 (art. 135 al. 4 CPP).

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, à l’Office cantonal de la population et des migrations, ainsi qu'à C______.

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Sara GARBARSKI

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

5'661.90

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

100.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

250.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'425.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

7'086.90