Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision
AARP/170/2025 du 19.05.2025 sur JTDP/2/2025 ( PENAL ) , RENVOYE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE P/22544/2023 AARP/170/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale d'appel et de révision Arrêt du 19 mai 2025 |
Entre
A______, domiciliée ______, ROUMANIE, comparant par Me B______, avocate,
appelante,
contre le jugement JTDP/2/2025 rendu le 3 janvier 2025 par le Tribunal de police,
et
SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8 ,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.
EN FAIT :
A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/2/2025 du 3 janvier 2025, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable de mendicité en un lieu proscrit, lui infligeant une amende de CHF 380.- (peine privative de liberté de substitution : quatre jours), frais à sa charge.
A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à ce que la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) constate la nullité des ordonnances pénales du Service des contraventions (OPSDC) à l'origine de la saisine du TP.
b. Selon lesdites OPSDC, au nombre de dix, il est reproché à A______ d'avoir mendié, à dix reprises, à Genève en des lieux proscrits au sens de l'art. 11A al. 1 let. c de la loi pénale genevoise (LPG).
c. Pour chaque occurrence, les faits reprochés ont été constatés par la police, qui a dressé un rapport de contravention, et tenus pour établis par le TP. Ils ne sont pas contestés en appel.
d. Cela étant, l'appelante expose, que les dix OPSDC portaient une signature pré-imprimée, selon la pratique mise en place par le Service des contraventions (SDC).
e. Elle y a valablement fait opposition, non-motivée, sous la plume de son avocate, et n'a pas donné suite aux courriers du SDC lui donnant l'occasion d'expliciter ses griefs suite à la réception des oppositions, de sorte que ledit service a rendu autant d'ordonnances de maintien, signées manuellement par un juriste dont l'identité est déclinée par l'apposition de son timbre humide, et a saisi le TP.
f. Devant le premier juge, A______ a plaidé, à titre préjudiciel, la nullité des OPSDC (PV TP p. 2), grief rejeté par le TP au motif qu'il était tardif et que, en tout état, l'absence de signature manuscrite relevait d'une inadvertance, non d'une pratique établie.
g. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite, conformément à l'art. 406 al. 1 let. c du code de procédure pénale (CPP).
Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions, reprenant l'argument, concluant subsidiairement à son acquittement. Elle n'a pas pris de conclusions en indemnisation fondées sur les art. 429 et 436 CPP ; elle y avait pourtant été invitée dans le courrier lui impartissant le délai pour le dépôt de son écriture, lequel précisait qu'à défaut, il serait statué sur la base des éléments au dossier.
Le Ministère public (MP) et le SDC, de même que le TP, concluent au rejet de l'appel. Le MP soutient en particulier que le grief serait tardif.
Les arguments plaidés seront examinés ci-après en fonction de leur pertinence.
EN DROIT :
1. 1.1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP). La magistrate exerçant la direction de la procédure de la juridiction d'appel est compétente pour statuer lorsque seules des contraventions font l'objet de l'appel (art. 129 al. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire [LOJ]).
1.2. En matière contraventionnelle, l'appel ne peut être formé que pour le grief selon lequel le jugement est juridiquement erroné ou l'état de fait établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).
2. 2.1. L'ordonnance pénale contient la signature de la personne qui l'a établie (art. 353 al. 1 let. k CPP).
Lorsque des autorités administratives sont instituées en vue de la poursuite et du jugement des contraventions, elles ont les attributions du ministère public
(art. 357 al. 1 CPP).
Les dispositions sur l'ordonnance pénale sont applicables par analogie à la procédure pénale en matière de contraventions (art. 357 al. 2 CPP).
Dans cette hypothèse, les cantons ne peuvent pas prévoir de dispositions de procédure contraires ou complémentaires (ATF 140 IV 192 consid. 1.3 ; arrêts du
Tribunal fédéral 6B_1051/2017 du 23 mars 2018 consid. 1.1 et 6B_845/2015 du
12 février 2016 consid. 5.1 [non publié dans l'ATF 142 IV 70]).
2.2. Le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition (art. 356 al. 2 CPP).
Seul le tribunal de première instance est compétent pour statuer sur la validité de ces actes (ATF 142 IV 201 consid. 2 ; 140 IV 192 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_883/2020 du 15 avril 2021 consid. 2.1.2).
Si l'ordonnance pénale n'est pas valable, le tribunal l'annule et renvoie le cas au ministère public en vue d'une nouvelle procédure préliminaire (art. 356 al. 5 CPP).
2.3. Selon l'ATF 148 IV 445 rendu le 22 juin 2022 par le Tribunal fédéral :
- la signature personnelle manuscrite constitue en matière d'ordonnances pénales une exigence de validité formelle érigée dans l'intérêt de la sécurité du droit. Elle permet de connaître l'identité de son auteur, soit la personne qui a prononcé la condamnation et fixé la peine, et de confirmer que l'acte correspond à sa volonté réelle
(consid. 1.4.1) ;
- une ordonnance pénale munie d'une signature en facsimilé, et non de la signature manuscrite de son auteur, n'est pas nulle, mais annulable (consid. 1.4.2) ;
- une telle ordonnance pénale doit être annulée par le tribunal et renvoyée à l'autorité de poursuite en vue d'une nouvelle procédure préliminaire, dans la mesure où le prononcé d'une ordonnance pénale valable constitue une condition préalable pour que le tribunal puisse juger l'affaire sur le fond (consid. 1.5.1) ;
- le vice ne peut être guéri par la transmission de l'ordonnance pénale au tribunal si le non-respect des exigences de forme repose sur une pratique établie (consid. 1.5.1).
2.4. Le 4 décembre 2024, le Conseil d'État a adopté le Règlement concernant les modalités de signature des ordonnances pénales rendues par le SDC (RMSOP), lequel est entré en vigueur le 11 décembre suivant. Il prévoit que les ordonnances pénales rendues par le service précité sont munies d'une signature manuscrite ou d'une signature électronique qualifiée (art. 2 RMSOP).
2.5. En l'espèce, les OPSDC ne présentent ni l'identité ni la signature de leur auteur, ce qui ne remplit pas les exigences de l'art. 353 al. 1 let. k CPP (cum art. 357 al. 2 CPP). Dès lors, elles sont viciées sur le plan formel.
Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, cet état de fait tient bien à une pratique établie et appliquée par le SDC, au plus tard jusqu'à l'entrée en vigueur du RMSOP en décembre 2024, et non d'une inadvertance ponctuelle, situation que la CPAR a déjà constatée dans un récent arrêt AARP/148/2025 du 28 avril 2025, consid. 2.5. Aucune réparation du vice n'est partant envisageable, pas même par le biais des ordonnances de maintien signées par un juriste du service.
Comme déjà jugé dans le même arrêt, on ne saurait suivre la défense lorsqu'elle soutient que le vice de forme serait tel qu'il annihilerait tous les effets juridiques des décisions litigieuses. Aussi, celles-ci ne sont pas nulles, mais annulables.
Cela étant, ainsi qu'il a également été retenu dans la jurisprudence précitée, on ne saurait reprocher à l'appelante d'avoir soulevé le moyen de manière tardive puisque l'opposition d'une prévenue ne nécessite pas de motivation (art. 354 al. 2 CPP) et que sa conseil l'a plaidé lors des premiers débats, sur question préjudicielle, étant rappelé que c'est précisément à ce stade de la procédure qu'il peut être demandé du juge qu'il tranche un grief portant sur la validité de l'acte d'accusation (art. 339 al. 2 let. a CPP) et, partant, sur la validité de l'ordonnance pénale qui en tient lieu.
2.6. En conclusion, le grief formel, invoqué en temps utile, est bien fondé et l'appel doit être admis.
Vu la nature du vice, il n'est pas possible d'y remédier en appel, de sorte que le premier jugement sera annulé et la cause renvoyée au TP pour qu'il annule les ordonnances pénales litigieuses dans le sens des considérants et renvoie la cause au SDC (art. 409 al. 1 et al. 2 CPP).
2.7. Les arguments au fond de la défense ne seront par conséquent pas examinés.
3. Les frais de la procédure d'appel et ceux de la procédure de première instance seront laissés à charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).
4. La décision sur les frais préjuge en principe de la question de l'indemnisation
(ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 ; 137 IV 352 consid. 2.4.2), de sorte que l'appelante eût pu prétendre à la couverture de ses frais de défense nécessaires, au sens des art. 429 et 436 CPP.
Faute pour l'appelante d'avoir présenté de telles prétentions chiffrées, justificatifs à l'appui, il lui sera, ainsi qu'annoncé dans le courrier l'invitant à ce faire, alloué d'office une indemnité de CHF 864.80 (TVA au taux de 8.1% comprise) pour deux heures d'activité, toutes instances confondues, au taux horaire de CHF 400.-. Il a notamment été tenu compte, dans cette estimation, de ce que les oppositions n'étaient pas motivées et de ce que l'argumentation ensuite développée devant le TP et la CPAR a déjà été articulée, à moult reprises, par ladite avocate dans d'autres causes identiques.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/2/2025 rendu le 3 janvier 2025 par le Tribunal de police dans la procédure P/22544/2023.
L'admet.
Annule ce jugement.
Renvoie la cause au Tribunal de police pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Laisse les frais de première instance et d'appel à la charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).
Alloue à A______ une indemnité de CHF 864.80 (TVA comprise) en couverture de ses honoraires d'avocate pour l'ensemble de la procédure.
Notifie le présent arrêt au Tribunal de police et aux parties.
Le communique, pour information, à l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM).
La greffière : Sonia LARDI DEBIEUX |
| La présidente : Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.