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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/24626/2021

AARP/116/2024 du 08.04.2024 sur JTDP/1226/2023 ( PENAL ) , ADMIS

Normes : LCR.95

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

P/24626/2021 AARP/116/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 8 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1226/2023 rendu le 25 septembre 2023 par le Tribunal de police,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           Saisine de la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR)

a.a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/1226/2023 du 25 septembre 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de mise à disposition d'un véhicule à une personne non titulaire du permis de conduire requis, condamné à une peine pécuniaire de 45 jours-amende, à CHF 30.- l'unité, assortie du sursis, condamné aux frais de la procédure et rejeté ses conclusions en indemnisation.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à l'acquittement et à l'octroi d'une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

a.b. Le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement.

b. Selon l'ordonnance pénale du MP du 16 juin 2022, qui tient lieu d'acte d'accusation, il est reproché ce qui suit à A______ : Il a, à tout le moins le 12 décembre 2021 à 04h00, mis à disposition de C______ un véhicule automobile qu'il avait préalablement loué à cette fin, alors que celui-ci n'était pas titulaire d'un permis de conduire valable, ce qu'il savait ou aurait dû savoir s'il avait prêté l'attention commandée par les circonstances.

B.            Faits résultant du dossier de première instance

a. Selon le rapport de renseignements du 13 décembre 2021, un accident de la circulation était survenu le 12 décembre 2021 à 04h00, rue des Alpes à Genève. Au volant d'un véhicule [de marque] D______ de location, immatriculé VS 1______, C______, étudiant, domicilié rue 2______ no. ______ à E______ [GE], en avait perdu la maîtrise, en montant sur le trottoir et en percutant du matériel urbain, avant de prendre la fuite. C______ s'était toutefois annoncé aux services de police vers 15h00. Les recherches montraient qu'il n'était pas titulaire d'un permis de conduire valable.

b.a. Entendu par la police, C______ a expliqué avoir perdu la maîtrise de son engin. Il n'avait pas appelé la police car il avait eu peur. Il savait, en effet, qu'il ne pouvait pas conduire. C'était son ami, A______, qui avait loué la voiture et la lui avait laissée. Ce dernier savait qu'il n'avait pas de permis. La veille, sa mère avait eu un accident ; il était allé la voir à l'hôpital et était très soucieux par rapport à cela.

b.b.a. À la police, A______, domicilié rue 3______ no. ______ à Genève, a déclaré qu'il n'était pas au courant que son ami, C______, n'avait pas de permis. Celui-ci lui avait dit l'avoir passé à l'armée et, pour sa part, il n'avait pas vérifié. Ils avaient loué la D______ ensemble et devaient passer le week-end tous les deux. C'était la première fois qu'il louait une voiture. C______ avait payé tous les frais et la location. Il devait, quant à lui, en être le conducteur. Suite à leur soirée, il avait déposé la D______ chez C______ à E______. Ce dernier, qui l'avait alors gardée avec les clefs, ne devait pas la conduire seul. Jamais il n'avait laissé de véhicule à quelqu'un qui n'était pas en droit de conduire.

b.b.b. À teneur du contrat de location, le véhicule D______ a été loué à Genève-F______ du [vendredi] 10 décembre 2021 à 18h00 au [dimanche] 12 décembre 2021 à 20h00, au prix de CHF 3'100.-. A______, titulaire du permis de conduire [délivré le 22 mai 2012], y figure en qualité de "loueur" et de "conducteur 1" – aucun nom ne figure sous "conducteur 2".

c.a. Au MP, A______ a contesté avoir mis la voiture à disposition d'une personne dont il savait qu'elle n'avait pas le permis de conduire. C______ était un ami depuis cinq ans. Ils avaient fait beaucoup d'activités en commun (concerts, événements sportifs, etc.). C______ l'avait invité chez lui à plusieurs reprises. Il le connaissait donc bien. Une semaine avant les faits, C______ lui avait envoyé une vidéo sur INSTAGRAM dans laquelle on le voyait jouer avec des liasses de billets de CHF 1'000.- et avait expliqué qu'il s'apprêtait à rentrer d'une mission militaire au Kosovo. Ils avaient discuté, à cette occasion, de la location d'une voiture – c'était C______ qui avait décidé de prendre une D______. Pour sa part, il souhaitait se rendre à G______ [VD] car il avait un week-end de prévu. Ça tombait donc bien ; c'était une bonne affaire car il allait pouvoir conduire une D______ gratuitement – C______ payait tous les frais liés à la location. Quant à l'intérêt de ce dernier, ça devait être de pouvoir aller à G______ avec lui et qu'il l'y emmène. Ils avaient convenu que ce serait lui [A______] qui conduirait. Il n'était pas prévu que C______ conduise. Il n'avait pas loué le véhicule pour C______.

Pour lui, C______ avait le permis de conduire. Ce dernier avait indiqué, avant la location, qu'il n'avait pas encore le permis de conduire définitif et qu'il ne pouvait donc pas louer le véhicule à son nom. C______ n'avait pas précisé s'il avait le permis de conduire à l'essai ou le permis d'élève conducteur. Pour sa part, il n'avait pas vérifié. En route pour G______, C______ lui avait dit avoir passé son permis à l'armée – jusque-là il avait juste dit ne pas avoir de permis définitif. Quand il soutenait qu'il [A______] savait qu'il n'avait pas le permis, C______ mentait.

À G______, ils avaient rencontré des amis et s'étaient rendus en boîte de nuit. De retour à Genève, vers 03h30, il avait déposé C______ chez lui. Il avait laissé le véhicule et les clefs à celui-ci. En effet, son scooter était en bas de chez C______ : la veille, vers 16h00, il l'avait laissé là avant d'aller chercher le véhicule de location à l'aéroport ; il était donc prévu qu'il reprenne son deux-roues à ce moment-là. C'était C______ qui avait loué le véhicule, qui était donc sous sa responsabilité au vu des montants payés.

Le [samedi] 11 décembre 2021, il s'était réveillé tôt le matin. Il avait envoyé un message à C______ car ils devaient se voir à 09h00. Sans nouvelles de celui-ci, il était resté dans l'attente de son retour. Il était allé au sport et avait vaqué à ses occupations. C______ ne lui avait pas donné de réponse pendant plusieurs heures, avant de lui indiquer que sa mère était à l'hôpital, dans le coma. C______ lui avait alors dit avoir pris le véhicule. Pour sa part, bien qu'il sût où se trouvait le véhicule, il n'avait pas été "plus que ça" le chercher ; il n'avait pas voulu mettre la pression à C______, vu l'annonce qu'il venait de lui faire. Il voulait, quant à lui, se rendre à nouveau à G______ le samedi soir.

Il avait appris par la suite, de la mère de C______ elle-même, qu'elle n'avait pas été dans le coma, tout comme il avait appris que C______ n'était jamais parti au Kosovo. Les mensonges de celui-ci l'avaient étonné et déçu. Son avocat avait tenté de joindre ce dernier, en lien avec la procédure civile parallèle, en vain.

c.b. C______ n'a pas été entendu au MP. Les mandats d'amener décernés à son encontre n'ont pas porté.

d.a. Au Tribunal, A______ a persisté dans ses explications. C______ avait menti à la police. D'après ce qu'il avait compris, ce dernier avait passé le permis à l'armée et devait attendre trois ans pour qu'il soit confirmé. Il n'était pas question, lors de la location, que C______ conduise, raison pour laquelle la question du permis n'avait pas d'importance. De retour de G______, il avait laissé les clefs du véhicule à C______, qui s'était permis d'utiliser la voiture sans son autorisation. Il les lui avait laissées car la responsabilité financière (location, essence, dégâts, caution) était en mains de celui-ci. Pour sa part, bien que contractuellement responsable vis-à-vis de l'agence de location, il ne voulait pas prendre le risque d'utiliser le véhicule seul ; il préférait que la voiture reste auprès de C______ pour éviter qu'un incident ne se produise au cas où il la garderait en sa possession. Il était prévu qu'il vienne la reprendre le samedi à 09h00 pour faire des choses et ensuite aller en soirée. Bien qu'ils dussent se revoir, C______ ne lui avait pas répondu tout de suite, avant de lui annoncer, dans l'après-midi, que sa mère était dans le coma, ce qui l'avait choqué. Au fil des heures, il avait envoyé des messages à C______ pour savoir comment ils allaient s'organiser pour qu'il récupère le véhicule. Celui-ci avait répondu qu'il "s'en fichait" car sa situation était plus importante. Il aurait dû vérifier que C______ avait bien le permis après que ce dernier avait pris la voiture.


 

d.b. A______ a produit :

·         Des documents montrant qu'il doit CHF 35'000.- à H______ SA, détentrice de la D______ sinistrée, cette somme ayant été payée par ses parents et sa sœur, dont il est désormais le débiteur à due concurrence ;

·         Une "Lettre de témoignage" de sa mère, I______, à teneur de laquelle : "[…] Lors du processus de négociation avec l'agence de location […] j'ai souhaité prendre contact avec M. C______ qui ne répondait plus ni à l'agence de location ni à mon fils, pour essayer de trouver une solution à cette situation […] C'est la mère de M. C______ qui a répondu au téléphone (famille que je ne connais pas) j'ai été très surprise que cette dame décroche, car aux dires de son fils le soir de l'accident, il avait prétendu être parti d'urgence à l'hôpital car sa mère venait d'avoir un AVC et était dans le coma. Je lui ai donc exprimé mon étonnement et demandé si sa santé s'était améliorée. À ma grande surprise, elle a réagi avec étonnement. Aussi face à mon interrogation, elle m'a demandé qui j'étais et pourquoi cette question. Je me suis donc présentée, lui ai relaté les dires de son fils et elle m'a répondu "c'est quoi ces conneries", je lui ai par la suite expliqué la raison de mon appel, relaté les faits, ce qui m'avait amené à essayer de contacter son fils sur la ligne de son domicile, en espérant pouvoir trouver des solutions tous ensemble. Mais elle m'a répondu que cela faisait plusieurs jours qu'elle en l'avait pas vu, qu'il était majeur et n'a rien voulu savoir, et en m'indiquant par la suite que les mois précédents l'accident, il n'avait jamais été au Kosovo envoyé par l'armée. Elle m'a passé ensuite son frère, qui m'a dit qu'il allait essayer de le joindre et lui laisser le message de me rappeler. M. C______ ne m'a jamais rappelée ni envoyé aucun message […]".

C.           Procédure d'appel

a. Aux débats, A______ a expliqué avoir fait appel du jugement du Tribunal pour cause d'"injustice". Jamais il n'avait été convenu que C______ conduise. Celui-ci avait dit, mot pour mot, qu'il avait le "permis provisoire" et qu'il n'était donc pas en mesure de louer la voiture ; il avait passé le permis à l'armée au Kosovo et devait attendre trois ans. Il avait compris à ce moment-là que C______ n'avait pas le permis définitif. De retour de G______ à E______, il avait laissé la voiture et les clefs à ce dernier pour des raisons de sécurité : s'il avait amené ce véhicule, qui était cher, chez lui [dans le quartier] J______, il y aurait pu avoir un incident et il ne voulait pas en prendre le risque ; l'alarme aurait pu retentir, ce qui l'aurait contraint à devoir le déplacer. Il était donc plus logique de le mettre dans le parking de C______. Il était convenu qu'ils se retrouvent le lendemain matin, à 09h00, pour la suite du périple du week-end et utilisent à nouveau, ensemble, le véhicule. C______ lui avait dit textuellement : "Tu viens demain à la maison, j'ai un rendez-vous, tu m'y amènes et ensuite on ira à G______ !". Ils devaient en effet retourner à G______ le samedi. Il n'avait donc pas pensé que C______ se permette de prendre et de conduire le véhicule sans son autorisation, durant la journée du samedi. Il ne s'était pas dit, en laissant la D______ à E______, que C______ serait amené à l'utiliser – c'était un ami de confiance qu'il connaissait depuis cinq ans. Le dimanche, rien n'avait été prévu et il devait simplement ramener la voiture à l'aéroport.

On se fondait trop sur les dires de C______ à la police. Pourtant, celui-ci n'avait jamais pris la peine de déférer aux mandats et l'avait lâché, de sorte qu'il payait le prix de ses actes et devait se "désincriminer".

b. Par la voix de son conseil, A______ conclut à l'acquittement. La déposition de C______, qui n'avait été entendu qu'une fois, n'était pas étayée. Il n'avait pas pu être confronté à ce dernier. Il n'avait pas remis la voiture dans l'objectif que C______ conduise ; il n'y avait pas eu de mise à disposition.

EN DROIT :

1.                  L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décision illégale ou inéquitable (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions (art. 391 al. 1 CPP).

2.                  2.1.1. La présomption d'innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 de la Constitution fédérale [Cst.], 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales [CEDH], ainsi que son corollaire, le principe "in dubio pro reo", concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau de la preuve incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 148 IV 409 consid. 2.2).

2.1.2. L'art. 6 par. 3 let. d CEDH garantit à tout accusé le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. Cette disposition exclut qu'un jugement pénal soit fondé sur les déclarations de témoins sans qu'une occasion appropriée et suffisante soit au moins une fois offerte au prévenu de mettre ces témoins en doute et de les interroger , à quelque stade de la procédure que ce soit (ATF 140 IV 172 consid. 1.3 ; 133 I 33 consid. 3.1 ; 131 I 476 consid. 2.2). Il s'agit de l'un des aspects du droit à un procès équitable institué à l'art. 6 par. 1 CEDH. En tant qu'elle concrétise le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), cette exigence est également garantie par l'art. 32 al. 2 Cst. (ATF 144 II 427 consid. 3.1.2 ; 131 I 476 consid. 2.2). Ce droit est absolu lorsque la déposition du témoin en cause est d'une importance décisive, notamment lorsqu'il est le seul témoin ou que sa déposition constitue une preuve essentielle (ATF 131 I 476 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_862/2021 du 21 juin 2022 consid. 1.1).

2.1.3. L'art. 95 al. 1 de la loi fédérale sur la circulation routière [LCR] réprime quiconque conduit un véhicule automobile sans être titulaire du permis de conduire requis (let. a) ; conduit un véhicule automobile alors que le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire lui a été refusé, retiré ou qu’il lui a été interdit d’en faire usage (let. b) ; conduit un véhicule automobile alors que son permis de conduire à l’essai est caduc (let. c) ; effectue une course d’apprentissage sans être titulaire d’un permis d’élève conducteur ou sans être accompagné conformément aux prescriptions (let. d) ; met un véhicule automobile à la disposition d’un conducteur dont il sait ou devrait savoir s’il avait prêté toute l’attention commandée par les circonstances qu’il n’est pas titulaire du permis requis (let. e).

L'interprétation de la notion de mise à disposition visée à l'art. 95 al. 1 let. e LCR est plus restrictive, plus étroite, que le simple fait de tolérer l'usage. L'auteur doit avoir un comportement actif consistant à remettre expressément au conducteur un pouvoir de disposition effectif et direct sur le véhicule confié, indépendamment de savoir si, en finalité, le conducteur fait usage du véhicule et l'engage sur la voie publique. Cette remise du pouvoir de disposer se traduit déjà par la remise des clefs du véhicule. L'interprétation cohérente de cette infraction, découlant notamment du fait que l'art. 95 al. 1 let. e LCR réprime un acte de participation aux autres comportements incriminés par l'art. 95 al. 1 let. a-d LCR, indique que l'auteur doit céder l'usage d'un véhicule dans la perspective de la commission par le conducteur d'une infraction à l'art. 95 al. 1 let. a-d LCR, ce qui présuppose l'usage du véhicule sur la voie publique. Ainsi, l'auteur qui cède l'usage d'un véhicule en vue de sa démolition ou pour toutes autres raisons qui excluent un usage sur la voie publique n'encourt pas la peine de l'art. 95 al. 1 let. e LCR (Y. JEANNERET, Les dispositions pénales de la loi sur la circulation routière (LCR), Berne 2007, n° 38 et 41 ad art. 95 ; A. BUSSY / B. RUSCONI / Y. JEANNERET / A. KUHN / C. MIZEL / C. MÜLLER, Code suisse de la circulation routière : commentaire, 4ème éd., Lausanne 2015, ch. 2.1 et 2.4 ad art. 95).

La personne à qui l'usage est cédé doit être un conducteur qui, au moment où le véhicule automobile lui est remis, ne possède pas le permis de conduire requis (Y. JEANNERET, op. cit., n° 40 ad art. 95).

Subjectivement, tant l'intention que la négligence sont réprimées (art. 100 ch. 1 LCR). Dans le contexte de l'art. 95 al. 1 let. e LCR, l'auteur agit intentionnellement lorsqu'il sait que le conducteur auquel il cède l'usage de son véhicule n'est pas titulaire du permis requis et qu'en dépit de cela, il lui remet un pouvoir de disposer de ce véhicule. On rappelle que l'intention fait défaut si l'auteur exclut tout usage du véhicule confié sur la voie publique. La négligence se traduit par une conscience erronée portant sur le contenu du permis de conduire d'un tiers. L'auteur a une obligation générale de se renseigner activement, obligation qui est toujours satisfaite s'il se fait produire le permis de conduire de l'intéressé. L'obligation de contrôler le contenu du permis de conduire sera très stricte lorsque l'auteur ne connaît pas le conducteur et pourra être atténuée, voire supprimée lorsque les rapports particuliers – proches, familiers, amis ou bonnes connaissances – existant entre l'auteur et le conducteur sont tels que le premier est en droit de se fier de bonne foi aux assurances qui lui sont faites par le conducteur. L'erreur dans laquelle se trouve l'auteur est toujours évitable, et partant l'infraction est punissable par négligence, lorsqu'il n'a pas satisfait à son devoir de vérification du permis du tiers alors qu'il était exigible compte tenu des circonstances (JdT 1978 I 484 n° 75 ; Y. JEANNERET, op. cit., n° 45 et 48 ad art. 95 ; A. BUSSY / B. RUSCONI / Y. JEANNERET / A. KUHN / C. MIZEL / C. MÜLLER, op. cit., ch. 2.5 ad art. 95).

2.2. Il est établi que C______ n'était titulaire d'aucun permis de conduire lors des faits.

Il convient de déterminer si l'appelant a mis le véhicule D______ à disposition de C______.

Si l'on en croit les déclarations de ce dernier à la police, tel est le cas : l'appelant a loué cette voiture et la lui a "laissée", assurément pour qu'il en dispose à sa guise. Cela étant, faute de confrontation entre les deux hommes, la CPAR ne saurait fonder sa décision sur les seules déclarations de C______, qui constituent la preuve essentielle à charge de l'appelant, qui les conteste au demeurant. Il convient en outre de se montrer prudent. Non seulement C______ semble ne pas vouloir déférer aux mandats qui lui sont décernés et être interrogé sur les faits, mais il s'est montré capable de mentir à la police au sujet de l'"accident" de sa mère, non avéré. Ses allégations, accablantes pour le prévenu, sont donc sujettes à caution.

Le prévenu a été constant dans ses déclarations. Même si ses propos peuvent parfois paraître ambigus, il n'a pas varié sur l'essentiel. Ainsi, si la remise de la voiture et des clefs, de retour à E______ vers 03h30, doit être considérée comme un comportement actif consistant à octroyer à C______ un pouvoir de disposition effectif sur la D______, il n'appert pas pour autant que l'appelant l'ait fait dans la perspective que ce dernier la conduise sur la voie publique. Le prévenu s'en est défendu. Il a cédé la voiture pour d'autres raisons, relevant, selon ses explications successives, qui se complètent, de commodités pratiques – il était en scooter –, d'un souci économique – la responsabilité financière du véhicule incombait à ses yeux à C______ – et sécuritaire – il était préférable de le stationner sur une place prévue à cet effet à E______ plutôt que dans la rue [dans le quartier] J______. Étant entendu que l'appelant devait récupérer la D______ le lendemain matin pour qu'il en reprenne, seul, le volant et qu'ils se rendent tous deux à divers endroits, à G______ en particulier. Ces explications ne peuvent, en l'absence d'élément venant les contredire, être exclues (art. 10 al. 3 CPP). Dans ces conditions, faute pour le prévenu d'avoir laissé la voiture à son ami pour qu'il la roule sur la voie publique, on ne saurait voir dans son comportement un acte de participation à celui réprimé par l'art. 95 al. 1 let. a LCR. La mise à disposition d'un véhicule au sens de l'art. 95 al. 1 let. e LCR n'est pas établie.

Quant à la journée du samedi et à la nuit du samedi-dimanche (04h00), à supposer qu'il faille faire grief à l'appelant de ne pas avoir cherché à récupérer "plus que ça" la voiture, après qu'il a appris que C______ s'en était servi pour – soi-disant – se rendre au chevet de sa mère malade, il faudrait y voir non pas un comportement actif, seul incriminé, mais une simple tolérance, ne tombant pas sous le coup de la loi.

En conclusion, l'un des éléments objectifs de l'art. 95 al. 1 let. e LCR – la mise à disposition – fait défaut. L'infraction n'est donc pas réalisée.

Il n'y a pas lieu, partant, d'analyser l'élément subjectif. La question de savoir si l'appelant savait ou aurait pu savoir que C______ n'était pas titulaire d'un permis de conduire valable peut rester ouverte.

L'appel est admis. Le jugement entrepris sera réformé.

3.                  3.1.1. Les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé. Si l’autorité de recours rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce également sur les frais fixés par l’autorité inférieure (art. 428 al. 1 et 3 CPP).

3.1.2. Si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s’il bénéficie d’une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2023, applicable en tant que l'appel est dirigé contre un jugement rendu avant le 1er janvier 2024 (art. 453 al. 1 CPP)).

3.1.3. Les frais de défense doivent être pleinement indemnisés. Il appartient néanmoins au juge de vérifier concrètement que les frais engagés pour la défense du prévenu s'inscrivent dans le cadre de l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (FF 2006 1057 p. 1313 ; ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2). L'indemnité visée par l'art. 429 al. 1 let. a CPP doit correspondre au tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1459/2021 du 24 novembre 2022 consid. 4.1).

3.2. L'appelant obtient gain de cause. Compte tenu de son acquittement, les frais de la procédure d'appel doivent être laissés à la charge de l'Etat, tout comme ceux de la procédure préliminaire et de première instance. Le prévenu peut prétendre, en conséquence, à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice de ses droits de procédure, au demeurant raisonnable.

La durée de l'activité à indemniser s'élève à 12 heures et 15 minutes, au tarif horaire de CHF 400.- pour l'avocat chef d'étude et de CHF 200.- pour l'avocat-stagiaire, correspondant à un montant de CHF 4'400.-, TVA non comprise (non assujetti à la TVA), en lien avec la procédure préliminaire et de première instance.

Cinq heures et 25 minutes seront retenues pour l'ensemble de la procédure d'appel (durée des débats d'appel : 40 minutes, non une heure), au même tarif, correspondant à une indemnité de CHF 2'066.65, TVA non comprise (non assujetti à la TVA).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1226/2023 rendu le 25 septembre 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/24626/2021.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ de mise à disposition d'un véhicule à une personne non titulaire du permis de conduire requis (art. 95 al. 1 let. e LCR).

Laisse les frais de la procédure d'appel à la charge de l'État.

Laisse les frais de la procédure préliminaire et de première instance à la charge de l'État.

Alloue à A______ un montant de CHF 2'066.65 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits au cours de la procédure d'appel.

Alloue à A______ un montant de CHF 4'400.- à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits au cours de la procédure préliminaire et de première instance.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal pénal.

 

La greffière :

Anne-Sophie RICCI

 

Le président :

Fabrice ROCH

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.