Skip to main content

Décisions | Tribunal pénal

1 resultats
P/13648/2020

JTDP/1176/2021 du 23.09.2021 ( OPCTRA ) , JUGE

Normes : LPG.11F aOCOVID2
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

 

Chambre 18


23 septembre 2021

 

SERVICE DES CONTRAVENTIONS

contre

Monsieur A_____, prévenu, assisté de Me Laïla BATOU

Madame B_____, prévenue, assistée de Me Laïla BATOU

Monsieur C_____, prévenu, assisté de Me Sophie BOBILLIER

Madame D_____, prévenue, assistée de Me Raphaël ROUX


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Service des contraventions conclut à un verdict de culpabilité des quatre prévenus des chefs de refus d'obtempérer et d'infraction à l'art. 7c al. 1 COVID et au prononcé d'amendes de CHF 600.-.

A_____ conclut à son acquittement et persiste dans ses conclusions en indemnisation.

B_____ conclut à son acquittement et persiste dans ses conclusions en indemnisation.

C_____ conclut à son acquittement et persiste dans ses conclusions en indemnisation.

D_____ conclut à son acquittement et persiste dans ses conclusions en indemnisation.

*****

Vu l'opposition formée le 28 mai 2020 par B_____ à l'ordonnance pénale rendue par le Service des contraventions le 22 mai 2020;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Service des contraventions du 28 août 2020;

Vu l'opposition formée le 3 juin 2020 par C_____ à l'ordonnance pénale rendue par le Service des contraventions le 22 mai 2020;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Service des contraventions du 28 juillet 2020;

Vu l'opposition formée le 28 mai 2020 par D_____ à l'ordonnance pénale rendue par le Service des contraventions le 22 mai 2020;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Service des contraventions du 29 juillet 2020;

Vu l'opposition formée le 5 juin 2020 par A_____ à l'ordonnance pénale rendue par le Service des contraventions le 22 mai 2020;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Service des contraventions du 28 juillet 2020;

Vu les art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lesquels le tribunal de première instance statue sur la validité de la contravention et de l'opposition;

Attendu que les ordonnances pénales et les oppositions sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition :

Déclare valables les ordonnances pénales du Service des contraventions du 22 mai 2020 et les oppositions formées contre celles-ci par A_____, D_____, C_____ et B_____.

 

et statuant à nouveau :

EN FAIT

A.a. Par ordonnance pénale du Service des contraventions du 22 mai 2020, valant acte d'accusation, il est reproché à B_____ de s'être, à Genève, le 6 mai 2020 à 12h08, trouvée dans un rassemblement de plus de cinq personnes dans l'espace public et d'avoir refusé d'obtempérer à une injonction de la police dans le cadre d'une manifestation sur le domaine public,

faits qualifiés d'infractions aux art. 7c al. 1 de l'Ordonnance fédérale 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020, état le 30 avril 2020 (Ordonnance 2 COVID-19 ; RS 818.101.24) et 10 de la Loi genevoise sur les manifestations sur le domaine public du 26 juin 2008 (LMDPu ; RS GE F 3 10).

b. Par ordonnance pénale du Service des contraventions du 22 mai 2020, valant acte d'accusation, il est reproché à C_____ de s'être, à Genève, le 6 mai 2020 à 12h08, trouvé dans un rassemblement de plus de cinq personnes dans l'espace public et d'avoir refusé d'obtempérer à une injonction de la police dans le cadre d'une manifestation sur le domaine public,

faits qualifiés d'infractions aux art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19 et 10 LMDPu.

c. Par ordonnance pénale du Service des contraventions du 22 mai 2020, valant acte d'accusation, il est reproché à D_____ de s'être, à Genève, le 6 mai 2020 à 12h08, trouvée dans un rassemblement de plus de cinq personnes dans l'espace public et d'avoir refusé d'obtempérer à une injonction de la police dans le cadre d'une manifestation sur le domaine public,

faits qualifiés d'infractions aux art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19 et 10 LMDPu.

d. Par ordonnance pénale du Service des contraventions du 22 mai 2020, valant acte d'accusation, il est reproché à A_____ de s'être, à Genève, le 6 mai 2020 à 12h20, trouvé dans un rassemblement de plus de cinq personnes dans l'espace public et d'avoir refusé d'obtempérer à une injonction de la police dans le cadre d'une manifestation sur le domaine public,

faits qualifiés d'infractions aux art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19 et 10 LMDPu.

B. Après appréciation des éléments figurant à la procédure, le Tribunal retient ce qui suit:

a.a. L'Appel du 4 mai est une action citoyenne qui s'est développée au printemps 2020, durant la crise liée au COVID-19, et qui a pour but un redémarrage plus humaniste, local et durable de la société au sortir de la pandémie.

a.b. Dans le cadre de cette action, une initiative citoyenne appelée « #4m2 » a vu le jour sur les réseaux sociaux. Il s'agissait pour les participants d'occuper l'espace public de manière symbolique en traçant au sol un carré de 2mx2m, à la craie ou au moyen de scotch par exemple, et de demeurer immobile au milieu de ce carré, en silence, de 12h00 à 12h15, chaque jour dès le 4 mai 2020. En ce qui concerne le canton de Genève, cette action devait notamment avoir lieu sur l'esplanade de la gare Cornavin.

a.c. Le 4 mai 2020 a eu lieu la première action. De très nombreuses personnes de même que la presse étaient présentes sur l'esplanade de la gare Cornavin. La police n'est pas intervenue et il n'y a pas eu de débordements.

b. Le 6 mai 2020, B_____, C_____, D_____ et A_____ ainsi que deux autres personnes non identifiées ont participé à cette action sur l'esplanade de la gare Cornavin. Ils se trouvaient chacun debout ou assis au centre d'un carré différent mesurant 4m2 et tracé au sol à la craie ou au moyen de scotch, respectant de la sorte les distances sanitaires.

c. Peu après le début de l'action, soit peu après 12h00, la police est intervenue afin de disperser les participants.

d. En ce qui concerne le début de l'intervention de la police, les éléments qui suivent découlent des rapports établis par la police le 6 mai 2020, des images vidéos ainsi que des déclarations de B_____, C_____, D_____ et A_____ et des policiers entendus, F_____ et E_____:

-            L'action était pacifique et se déroulait dans le calme. C'est l'intervention de la police qui a causé un petit attroupement de badauds.

-            L'action devait durer seulement 15 minutes au total. Les intéressés ont commencé à manifester à 12h00 et avaient l'intention de quitter les lieux à 12h15, comme plusieurs d'entre eux l'ont expliqué.

-            Dès le début de l'intervention de la police, les deux participants non identifiés ont immédiatement quitté les lieux. A teneur du dossier, il n'est toutefois pas possible d'établir à quelle heure ils sont partis, ni où ils se trouvaient exactement, dans la mesure où plusieurs carrés tracés les jours précédents étaient restés en place.

-            C_____ se trouvait à une certaine distance de B_____, D_____ et A_____, qui se trouvaient quant à eux relativement proches les uns des autres, de sorte qu'on peut les considérer comme faisant partie d'un même groupe.

-            A son arrivée, la police a commencé par demander aux prévenus de se soumettre à un contrôle d'identité, avant de leur demander, dans un second temps, de circuler.

-            Il n'est pas établi, au vu des déclarations contradictoires des participants et des policiers à ce sujet, que la police ait donné l'ordre de circuler avant de relever les identités. Cela semble d'ailleurs en contradiction avec le constat d'une infraction COVID qui commande de relever les identités en premier.

e. S'agissant de l'attitude de B_____, C_____, D_____ et A____ lors de l'intervention de la police, les images vidéo, les déclarations des intéressés et celles de F_____ et E_____ permettent de retenir ce qui suit :

e.a. C_____ n'a pas opposé de résistance et a présenté ses papiers d'identité à la police, certes très lentement mais calmement.

Ensuite, lorsqu'il lui a été demandé de circuler, il s'est exécuté, prenant un petit peu de temps pour le faire car son attention était attirée par ce qu'il se passait vers A_____ et D____.

e.b. En ce qui concerne D_____, la situation est plus floue et les déclarations de l'intéressée sont contradictoires avec celles de F_____. En effet, D_____ prétend avoir dans un premier temps demandé à F_____ la raison de ce contrôle d'identité, puis, le voyant ensuite se détourner et être occupé avec un autre manifestant, avoir dans un second temps rangé ses affaires, s'apprêtant à quitter les lieux à 12h15. Quant à F_____, il affirme avoir demandé à D_____ à deux reprises de présenter sa carte d'identité avant de l'appréhender, sans toutefois se rappeler si l'intéressée avait refusé lors de la deuxième requête de présenter sa carte d'identité ou si elle n'avait simplement plus rien dit. La version de D_____ apparait plus vraisemblable aux yeux du Tribunal et est d'ailleurs compatible avec les images vidéo sur lesquelles on la voit enlever le scotch au sol, préparant ainsi son départ, alors même qu'aucun policier ne s'adresse à elle.

e.c. D'après les explications de B_____, un policier lui a demandé sa carte d'identité ; pendant qu'elle la cherchait, le policier en question s'est dirigé vers D_____ ; lorsqu'il est revenu vers elle, il lui a reproché de ne pas lui avoir montré sa carte d'identité, alors qu'elle l'avait dans la main ; elle a ensuite rapidement circulé. Sur les images vidéo, on la voit prête à partir après avoir enfilé son manteau et repris son sac au même moment où D_____ enlève le scotch au sol, soit à 12h15. Selon E_____, intervenu auprès d'elle, B_____ avait purement et simplement refusé de présenter sa carte d'identité. Vu les contradictions entre ces versions, et le seul élément matériel au dossier, soit l'image qui montre en effet l'intéressée en train de fouiller dans son sac, c'est la version la plus favorable à la prévenue qui sera retenue, soit la sienne.

e.d. S'agissant de A_____, force est de constater qu'à part lui-même, personne n'indique qu'il se trouvait, au début de l'intervention de la police, dans un carré près des places de taxi. En toute hypothèse, d'après les images vidéo et les déclarations de E_____, pendant l'intervention, il se trouvait dans un carré devant la gare, à côté de B_____.

Les images montrent également que durant toute l'intervention, A_____ a discuté les ordres de la police, qu'il est resté un petit moment dans son carré, puis s'est déplacé pour y revenir, pris dans une sorte d'altercation avec F_____, qu'il filmait au moyen de son téléphone portable de façon agaçante, voire provocatrice pour le policier.

Si on ignore à quelle heure exactement la police a donné l'ordre de circuler et à quelle heure A_____ a été interpellé, il est établi par les images que A_____ a montré sa pièce d'identité lors de la deuxième minute du film, alors que la police était déjà sur place depuis plusieurs minutes. Il a ensuite continué à parlementer alors que F_____ lui avait clairement demandé à plusieurs reprises de circuler. Les images vidéo montrent qu'à ce moment-là, D_____ avait enlevé le scotch au sol et B_____ était prête à partir, ce qui permet de déterminer qu'il était 12h15. C'est vraisemblablement à cet instant que F_____ a interpelé D_____, car on le voit se détourner de A_____ pour se diriger vers l'intéressée.

Il n'est pas possible de déterminer avec précision combien de temps après cela F_____ est revenu et a menotté A_____, mais il était à tout le moins 12h20, puisqu'il s'agit de l'heure mentionnée sur l'ordonnance pénale.

f. D'après les rapports établis par la police le 6 mai 2020, plus précis que les ordonnances pénales du Service des contraventions, il est reproché aux intéressés ce qui suit s'agissant du refus d'obtempérer à une injonction de la police dans le cadre d'une manifestation sur le domaine public :

-        B_____ : avoir refusé de circuler.

-        C_____ : avoir refusé de circuler.

-        D_____ : avoir refusé de présenter sa carte d'identité.

-        A_____: avoir refusé de circuler.

C.a. B_____ est née le 8 août 1974. Elle est séparée et mère de deux enfants. Elle est scénariste.

b. C_____ est né le 10 novembre 1979. Il est divorcé et n'a pas d'enfant. Il exerce la profession de chargé de travaux spéciaux au sein de l'entreprise G_____SA.

c. D_____ est née le 19 janvier 1971. Elle est mariée et mère de deux enfants. Elle est céramiste et enseignante.

d. A_____ est né le 9 juin 1973. Il est séparé et père de deux enfants. Il est cinéaste.

D.a. B_____ a déposé des conclusions en indemnisation pour un montant de CHF 1'669.89 auquel devait s'ajouter une indemnité couvrant l'activité de son conseil pour l'audience de jugement.

b. C_____ a déposé des conclusions en indemnisation pour un montant de CHF 1'475.-.

c. D_____ a déposé des conclusions en indemnisation pour un montant s'élevant à CHF 5'350.54.

d. A_____ a déposé des conclusions en indemnisation pour un montant de CHF 2'455.56 auquel devait s'ajouter une indemnité couvrant l'activité de son conseil pour l'audience de jugement.

EN DROIT

Culpabilité

1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 § 2 CEDH et, sur le plan interne, par l'art. 32 al. 1 Cst. ainsi que par l'art. 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves.

Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe in dubio pro reo signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a; 124 IV 86 consid. 2a; 120 Ia 31 consid. 2c).

Infractions à l'art. 7c Ordonnance 2 COVID-19

2.1. A titre liminaire, le Tribunal relève que le principe de la lex mitior ne s'applique pas aux lois temporaires (Zeitgesetze), c'est-à-dire aux ordonnances dont la validité est dès le départ limitée dans le temps, soit expressément, soit en raison de la fonction de l'ordonnance (ATF 116 IV 258 consid. 4; 105 IV 1 consid. 1; 102 IV 198 consid. 2b). Une loi ultérieure plus clémente (y compris l'abrogation sans substitution de la loi temporaire) n'affecte donc pas l'appréciation des actes commis pendant la période de validité d'une loi temporaire (ATF 105 IV 1 consid. 1), car l'abrogation d'une loi temporaire n'est pas fondée sur un changement de conception juridique, mais sur un changement de circonstances factuelles (ATF 89 IV 113 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 1A.274/1999 du 25 février 2000 consid. 2.d.aa).

2.2. Contrairement à ce que plaident les Conseils des prévenus, il n'est pas envisageable d'appliquer au cas d'espèce, dont les faits datent de la première vague de la pandémie, les règles sur les rassemblements en vigueur au jour de l'audience de jugement, lesquelles sont intervenues après un changement de circonstances, en particulier après la mise en place du port du masque, de la désinfection et de la vaccination de la population ou encore des tests de dépistage.

3.1.1. L'art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19 en vigueur au moment des faits prévoyait que les rassemblements de plus de cinq personnes dans l'espace public, notamment sur les places publiques, sur les promenades et dans les parcs, étaient interdits.

3.1.2. D'après l'art. 10f al. 2 let. a Ordonnance 2 COVID-19, est puni de l'amende quiconque enfreint l'interdiction de rassemblement dans les lieux publics visée à l'art. 7c Ordonnance 2 COVID-19.

3.2. En l'espèce, comme retenu par le Tribunal dans la partie en fait (point B.d. supra), il n'est pas possible d'établir où se trouvaient les deux participants qui ont quitté les lieux immédiatement au début de l'intervention de la police. En outre, les prévenus n'étaient pas rassemblés en un seul et même endroit puisque C_____ se trouvait à une certaine distance des trois autres. Pour ces deux raisons, en application du principe in dubio pro reo, le Tribunal retiendra que les prévenus ne faisaient pas partie d'un rassemblement de plus de cinq personnes.

Les prévenus seront par conséquent acquittés du chef d'infraction à l'art. 7c al. 1 cum art. 10f al. 2 let. a Ordonnance 2 COVID-19.

Infractions à l'art. 10 LMDPu

4. A titre liminaire, il sied de constater que la jurisprudence fédérale citée par les Conseils des prévenus (arrêts du Tribunal fédéral 2C_290/2021 et 2C_308/2021 du 3 septembre 2021), d'après laquelle une limitation de rassemblement à quinze participants serait excessive, n'est pas applicable au cas d'espèce. Outre le fait que l'arrêt en question a été rendu en 2021 alors que les faits faisant l'objet de la présente procédure datent de mai 2020, soit une période où la situation sanitaire était complètement différente, il ne concerne en aucun cas la question pertinente dans notre cas d'espèce, laquelle est de savoir si la police pouvait disperser une manifestation non autorisée.

5. S'agissant ensuite de l'argument selon lequel l'action « #4m2 » n'entrerait pas dans la notion de manifestation au sens de la LMDPu, le Tribunal relève que la Chambre pénale de recours du canton de Genève a déjà eu l'occasion de juger que cette action n'était pas le fruit du hasard mais s'inscrivait dans un but de « pression citoyenne », peu importe à cet égard que le prévenu en question n'ait pas eu l'intention initiale de se réunir avec les autres participants (ACPR/771/2020 du 30 octobre 2020 consid. 4). Il ne fait dès lors aucun doute qu'une telle action correspond à la notion de manifestation nécessitant l'obtention d'une autorisation au sens de l'art. 3 LMDPu.

6. La LMDPu a été adoptée le 26 juin 2008 et est entrée en vigueur le 1er novembre 2008. Le 9 juin 2011, le Grand Conseil du canton de Genève a adopté une modification, faisant suite à la vaste manifestation « Contre l'Organisation mondiale du commerce » du 28 novembre 2009, au cours de laquelle des grandes scènes d'émeutes avaient eu lieu, engendrant notamment des déprédations du mobilier urbain, des voitures incendiées et des vitrines brisées (MGC 2009-2010 II A 1552). Dite modification a fait l'objet d'un contrôle de légalité par le Tribunal fédéral, lequel a déclaré notamment l'art. 10 LMDPu conforme à la Constitution fédérale et à la Convention européenne des droits de l'homme (arrêt du Tribunal fédéral 1C_225/2012 du 10 juillet 2013 consid. 2.1 et 5ss).

Partant, le grief de la défense d'après lequel la liberté d'expression des prévenus aurait été violée doit être rejeté.

7. L'un des buts majeurs de la LMDPu est de renforcer les moyens sécuritaires à disposition des forces de l'ordre contre les participants d'une manifestation menaçant la sécurité publique, le but étant de prévenir toute forme d'incidents pouvant engendrer notamment des violences, des émeutes ou des déprédations.

Le fait que la LMDPu permette, de manière proportionnée, d'adresser des injonctions aux participants d'une manifestation et de sanctionner les comportements répréhensibles est sans équivoque. Il ressort ainsi clairement de la LMDPu, en particulier son art. 10, que cette loi est applicable aux participants d'une manifestation (AARP/159/2021 du 6 mai 2021 consid. 3.1.1 et 3.2 et les références citées).

Ainsi, le grief de la défense d'après lequel l'art. 10 LMDPu est un délit propre pur et n'est pas applicable aux manifestants, mais seulement à l'organisateur d'une manifestation, doit également être rejeté, à tout le moins en ce qui concerne le refus de se conformer aux injonctions de la police.

8.1. L'art. 10 LMDPu punit de l'amende jusqu'à CHF 100'000.- celui qui a omis de requérir une autorisation de manifester, ne s'est pas conformé à sa teneur, a violé l'interdiction édictée à l'art. 6 al. 1 LMDPU – disposition interdisant aux participants d'une manifestation de porter une tenue empêchant l'identification, de détenir des armes ou des objets pouvant causer des dommages – ou ne s'est pas conformé aux injonctions de la police.

Conformément aux principes de proportionnalité et d'opportunité, la police procède à la dispersion des manifestations non autorisées ou qui ne respectent pas les conditions de l'autorisation (art. 6 al. 3 LMDPu).

La jurisprudence retient que le principe de proportionnalité a été respecté lorsque, dans le cadre d'une manifestation non autorisée de kurdes s'étant enchaînés aux barrières placées devant l'ONU, la police leur a laissé 20 à 30 minutes pour se défaire de leurs entraves symboliques et quitter les lieux, avant de les mettre en contravention pour refus d'obtempérer (AARP/159/2021 du 6 mai 2021).

8.2. En l'espèce, comme relevé au consid. 5 supra, le rassemblement du 6 mai 2020 correspond à la notion de manifestation au sens de la LMDPu. Cette manifestation n'était pas autorisée, aucune autorisation n'ayant même été demandée, ce que personne ne conteste. Partant, la police avait le droit d'agir selon l'art. 6 al. 3 LMDPu, à savoir qu'elle avait le devoir de procéder à la dispersion de la manifestation.

8.3. Reste à examiner si la police a procédé à la dispersion des prévenus conformément aux principes de proportionnalité et d'opportunité.

Au moment où la police est arrivée sur les lieux, la manifestation dont il est question se déroulait dans le calme, en silence, sans agitation aucune et sans attroupement de badauds. Il est difficile de concevoir qu'une telle manifestation ait pu en soi représenter un réel danger pour l'ordre public, telles que des violences ou des émeutes. En outre, les manifestants étaient bien moins nombreux que le 4 mai 2020, premier jour de l'action « #4m2 », journée lors de laquelle la police n'est même pas intervenue.

Il n'a pas été possible pour le Tribunal d'établir avec exactitude combien de temps chaque prévenu est resté dans son carré entre le début de l'intervention de la police et son départ effectif, de sorte qu'il est impossible de connaître la durée exacte d'une éventuelle objection, par les prévenus, à l'ordre de circuler émis par la police à leur encontre.

Cependant, dans la mesure où la police est forcément arrivée sur les lieux après 12h00, qu'elle a commencé par procéder au contrôle des différentes identités avant de sommer les prévenus de circuler, qu'un tel contrôle prend parfois plusieurs minutes comme cela ressort des images, que certains prévenus ont pris un peu de temps avant de présenter leur carte d'identité, que la police s'est détournée successivement de D_____ et de B_____ pour s'occuper d'un autre manifestant, avant que le contrôle d’identité soit terminé et que les prévenus avaient prévu de quitter les lieux à 12h15, on comprend qu'il n'a pu s'écouler que 5 à 8 minutes au maximum entre la fin du contrôle et le départ spontané des prévenus, en ce qui concerne ceux qui sont effectivement partis.

Au vu de ce qui précède, force est de constater que même si la police avait le droit et le devoir de donner l'ordre à cette manifestation, non autorisée, de se disperser, les principes de proportionnalité et d'opportunité auraient dû la conduire à agir avec plus de retenue, notamment en laissant encore quelques minutes aux prévenus pour rassembler leurs affaires et quitter les lieux, plutôt que de les mettre en contravention à 12h08 comme cela ressort de certaines ordonnances pénales, ce d'autant que la durée de 15 minutes de la manifestation était connue de la police.

Par conséquent, la police n'a pas respecté les principes de proportionnalité et d'opportunité lors de son intervention.

8.4. Il s'agit encore d'examiner l'attitude de chaque prévenu en particulier.

8.4.1. En ce qui concerne B_____, le Tribunal a retenu (point B.e.c. supra) la version la plus favorable à la prévenue, à savoir qu'elle n'a refusé ni de présenter sa carte d'identité, ni de circuler, étant relevé que l'ordonnance pénale la concernant ne décrit qu'un refus de circuler et non pas un refus de présenter ses documents d'identité.

8.4.2. Il est reproché à C_____ de ne pas avoir circulé. Or, force est de constater que vu les éléments de fait retenus pour établis par le Tribunal (point B.e.a. supra), on ne peut raisonnablement pas soutenir qu'il n'a pas circulé assez rapidement.

8.4.3. S'agissant de D_____, à qui il est reproché de ne pas avoir obtempéré à l'ordre de présenter sa pièce d'identité, le Tribunal a retenu (point B.e.b. supra) qu'après s'être enquise de la raison du contrôle de ses papiers, elle a constaté que le policier qui lui avait demandé de lui présenter lesdits papiers était occupé avec un autre participant, qu'elle a donc rangé ses affaires et qu'elle s'apprêtait à quitter les lieux à 12h15. On ne peut ainsi pas retenir qu'elle a refusé d'obtempérer.

8.4.4. En guise de conclusion intermédiaire relativement à B_____, C_____ et D____, le Tribunal retient principalement que l'ordre de circuler donné par la police sans laisser quelques minutes aux manifestants pour quitter les lieux alors qu'il était prévu qu'ils le fassent à 12h15, ce que la police savait, n'était pas proportionné, raison pour laquelle les prévenus seront acquittés du chef d'infraction à l'art. 10 LMDPu. A cet égard, le Tribunal relève que le dispositif contient une erreur qui doit être rectifiée (art. 83 al. 1 CPP) ; l'acquittement dont il est question concerne l'art. 10 LMDPu et non l'art. 11F LPG.

Subsidiairement, quand bien même la police aurait agi de manière proportionnée et opportune au moment de disperser ces manifestations, il n'est pas établi que, par leurs agissements, B_____, C_____ et D_____ ne se sont pas conformés à ses injonctions.

8.4.5. S'agissant de A_____, le Tribunal a retenu (point B.e.d. supra) qu'il ne s'est pas rapidement soumis aux ordres de la police, a parlementé avec les policiers, est resté dans son carré, en est sorti puis est revenu, a filmé F_____ et a eu une attitude provocatrice. En outre, au moment où il s'est fait menotter par la police, il était à tout le moins 12h20. Force est de constater qu'il n'est plus possible à ce moment-là de considérer l'ordre de circuler comme étant disproportionné. Ainsi, A_____ a effectivement objecté à l'ordre qui lui avait été intimé par la police de circuler.

Par conséquent, l'intéressé sera reconnu coupable d'infraction à l'art. 10 LMDPu, étant précisé que le dispositif contient une erreur de plume et que la condamnation dont il est question concerne bien l'art. 10 LMDPu et non l'art. 11F LPG.

Peine

9.1.1. L'art. 47 CP prévoit que le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravite de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerne, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

9.1.2. Si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes, l'autorité compétente renonce à le poursuivre, à le renvoyer devant le juge ou à lui infliger une peine (art. 52 CP).

9.2. En l'espèce, même si A_____ a fait le choix de défier la police et de ne pas obéir à un ordre légal et proportionné, sa faute reste de peu de gravité. De plus, il est vraisemblable qu'il est resté sur place en raison de l'interpellation de D_____, qui lui paraissait injuste. Finalement, il n'apparait pas que la police ait clairement indiqué à l'intéressé que s'il ne quittait pas les lieux immédiatement, il serait interpellé. Par conséquent, eu égard à la faute minime de l'intéressé, de l'absence de dommage et de l'absence de conséquences sur les intérêts privés et publics concernés, le prévenu sera exempté de toute peine.

Frais et indemnités

10.1. Le prévenu supporte les frais de procédure s'il est condamné (art. 426 al. 1 CPP).

En cas d'acquittement partiel, les frais doivent être attribués au condamné proportionnellement, dans la mesure des infractions pour lesquelles il est reconnu coupable (Petit commentaire du Code de procédure pénale, 2ème éd., 2016, n. 6 ad art. 426).

10.2.1. En l'espèce, vu le verdict de culpabilité concernant A_____, portant sur les faits les plus importants, les deux tiers du quart des frais de procédure seront mis à sa charge (art. 9 al. 1 let. d du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP; E 4.10.03]).

10.2.2. Vu l'acquittement des autres prévenus, le solde des frais sera laissé à la charge de l'Etat.

11.1.1. Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu qui est au bénéfice d'une ordonnance de classement ou qui est acquitté totalement ou en partie a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

Si le prévenu est libéré d'un chef d'accusation et condamné pour un autre, il est condamné aux frais relatifs à sa condamnation et a droit à une indemnité correspondant à son acquittement partiel (Petit commentaire du CPP, op. cit., n. 10 ad art. 429 CPP).

11.2.1. A_____ sera par conséquent indemnisé pour un tiers de ses frais de défense, l'acquittement dont il fait l'objet visant un volet moins important en termes de gravité et de temps de préparation nécessaire à son Conseil pour assurer sa défense.

11.2.2. B_____ et C_____ seront indemnisés conformément aux conclusions qu'ils ont prises. S'agissant de D_____, l'indemnité sera légèrement réduite, dans la mesure où il ne se justifie pas de retenir un nombre d'heures d'activité plus élevé que pour les précités.

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant contradictoirement :

Acquitte B_____ de refus d'obtempérer (art. 11F LPG art. 10 LMDPu [rectification d'erreur matérielle; art. 83 CPP]) et de participation à un rassemblement de plus de 5 personnes (art. 10f al. 2 let. a et 7c al. 1 Ordonnance 2 Covid-19).

Acquitte C_____ de refus d'obtempérer (art. 11F LPG art. 10 LMDPu [rectification d'erreur matérielle; art. 83 CPP]) et de participation à un rassemblement de plus de 5 personnes (art. 10f al. 2 let. a et 7c al. 1 Ordonnance 2 Covid-19).

Acquitte D_____ de refus d'obtempérer (art. 11F LPG art. 10 LMDPu [rectification d'erreur matérielle; art. 83 CPP]) et de participation à un rassemblement de plus de 5 personnes (art. 10f al. 2 let. a et 7c al. 1 Ordonnance 2 Covid-19).

Acquitte A_____ de participation à un rassemblement de plus de 5 personnes (art. 10f al. 2 let. a et 7c al. 1 Ordonnance 2 Covid-19).

Déclare A_____ coupable de refus d'obtempérer (art. 11F LPG art. 10 LMDPu [rectification d'erreur matérielle; art. 83 CPP]).

L'exempte de toute peine (art. 52 CP).

Condamne A_____ aux frais de la procédure à concurrence de CHF 182.- (art. 426 al. 1 CPP).

Laisse le solde des frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).

Condamne l'Etat de Genève à verser à B_____ CHF 2'530.40 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Condamne l'Etat de Genève à verser à C_____ CHF 1'475.- à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Condamne l'Etat de Genève à verser à D_____ CHF 3'088.85 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Condamne l'Etat de Genève à verser à A_____CHF 998.- à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Déboute A_____ et D_____ de leurs conclusions en indemnisation pour le surplus.

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

 

Informe les parties que, dans l'hypothèse où elles forment un recours à l'encontre du présent jugement ou en demandent la motivation écrite dans les dix jours qui suivent la notification du dispositif (art. 82 al. 2 CPP), l'émolument de jugement fixé sera en principe triplé, conformément à l'art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale (RTFMP; E 4.10.03).

 

La Greffière

Juliette STALDER

La Présidente

Sabina MASCOTTO

 

 

Vu l'annonce d'appel formée par A_____ et du Ministère public, laquelle entraîne la motivation écrite du jugement (art. 82 al. 2 let. b CPP),

LE TRIBUNAL DE POLICE

Condamne A_____à payer un émolument complémentaire de CHF 400.- à l'Etat de Genève.

La Greffière

Juliette STALDER

La Présidente

Sabina MASCOTTO

 

 

Voies de recours

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Lorsque seules des contraventions ont fait l'objet de la procédure de première instance, l'appel ne peut être formé que pour le grief que le jugement est juridiquement erroné ou que l'état de fait a été établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

Etat de frais

 

Frais du Service des contraventions

CHF

600.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

180.00

Frais postaux (convocation)

CHF

56.00

Emolument de jugement

CHF

200.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

7.00

Total

CHF

1'093.00

A la charge de A_____

 

182.00

A la charge de l'Etat

 

911.00

Emolument de jugement complémentaire

CHF

400.00

Total

CHF

1493.00 (dont 911.- à charge de l'Etat)

==========

 

Notification au conseil de A_____ par voie postale

Notification au conseil de B_____, par voie postale.

Notification au conseil de C_____, par voie postale.

Notification au conseil de D_____, par voie postale.

Notification au Service des contraventions, par voie postale.

Notification au Ministère public, par voie postale.