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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/4035/2024

JTAPI/1203/2024 du 09.12.2024 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4035/2024 LVD

JTAPI/1203/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 décembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Damien LEDERMANN, avocat, avec élection de domicile

contre

Madame B______, agissant en son propre nom et pour le compte de ses enfants mineurs, C______ et D______, représentés par Me Clara SCHNEUWLY, avocate, avec élection de domicile

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Vu le dépôt de plainte de Madame B______ le 27 novembre 2024 à l'encontre de son époux, Monsieur A______, pour des faits susceptibles d'être constitutifs, à teneur du rapport de renseignements du 28 novembre 2024, de lésions corporelles simples au sens de l'art. 123 ch. 1 et 2 al. 1 et 4 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP − RS − 311.0), contrainte (art. 181 CP) et voies de fait (art. 126 CP) ;

2.             Vu l'audition police de M. A______, en qualité de prévenu, le 27 novembre 2024, lors de laquelle il a, en substance, contesté les faits lui étant reprochés, expliquant que le couple rencontrait des difficultés depuis 2021 qu'il était en désaccord avec son épouse quant à leurs manières de vivre et l'éducation de leurs enfants, dont il supportait principalement la charge en raison de la fragilité psychologique préoccupante de Mme B______, laquelle avait fait deux tentatives de suicide et avait été hospitalisée, enfin, qu'il reconnaissait avoir eu des excès d'énervement, mais qu'il n'avait jamais frappé ses enfants ;

3.             Vu la mesure d'éloignement administratif prononcée par le commissaire de police le 27 novembre 2024 à l'encontre de M. A______, pour une durée de douze jours, soit du 28 novembre 2024 à 02h00 jusqu'au 9 décembre 2024 à 17h00, lui faisant interdiction de contacter ou de s'approcher de son épouse, Mme B______ et de leurs enfants mineurs, C______ et D______, ainsi que de s'approcher et de pénétrer dans le domicile conjugal, sis E______ 1______, F______, ainsi que dans les écoles de C______ et D______, sises respectivement : G______ 2______, F______ et H______ 3______, I______ ;

4.             Vu la description des dernières violences, soit d'avoir :

-          le 16 juillet 2024, été violent avec son fils C______, en l'ayant saisi par les bras et secoué fortement, sa tête ayant heurté [une porte] ;

-          durant l'été 2024, empêché Mme B______ et ses enfants de quitter le domicile de ses parents ;

-          à la fin de l'été 2024, secoué une nouvelle fois C______, sa tête ayant heurté [une porte] ;

-          le 25 août 2024, insulté Mme B______ de « woke bitch » ;

-          le 25 novembre 2024, saccagé la chambre des enfants ;

5.             Vu la description des violences précédentes, soit d'avoir :

-          en août 2023, saisi Mme B______ au niveau de la gorge et projeté celle-ci contre un mur, ceci en lui cognant la tête ;

-          à une date indéterminée, pris un disque vinyle et frappé le bas du dos de Mme B______ avec cet objet ;

-          à une date indéterminée, saisi son fils C______ et l'avoir fortement secoué ;

6.             Vu l'opposition formée par M. A______, sous la plume de son conseil, à cette décision, par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci- après : le tribunal) le 5 décembre 2024 ;

7.             Attendu que les parties ont été entendues le 6 décembre 2024 devant le tribunal :

Que M. A______ a déclaré ne pas s'opposer à l'interdiction de se rendre au domicile conjugal au motif qu'il vivait à l'hôtel depuis que son épouse le lui avait demandé le 26 novembre 2024, soit le lendemain de leur dispute, qu'il résidait à l'hôtel J______, à K______ en France et que, le 17 décembre 2024, il emménagerait dans son nouveau logement, sis L______ 4______, F______, contrat de sous-location à l'appui ;

Que cela étant, il avait peur pour ses enfants vu les trois tentatives de suicide de sa femme, précisant que celle-ci avait tenté de se défenestrer, en présence de C______, alors qu'elle se trouvait à la clinique de la M______ ;

Qu'il avait contacté le Service de protection des mineurs (ci-après : SPMi) le 4 décembre 2024 et qu'il avait rendez-vous le 6 décembre 2024 à 14h00 ;

Qu'enfin, sa femme avait eu recours à la violence tant à son égard qu'à l'égard des enfants ;

Qu'également entendue, Mme B______ a déclaré qu'elle ne solliciterait pas la prolongation de la mesure d'éloignement administratif vu la requête en mesures protectrices de l'union conjugale, avec mesures superprovisionnelles, déposée le 6 décembre 2024 devant le Tribunal de première instance ;

Que c'était elle qui s'occupait essentiellement des enfants depuis plusieurs semaines ;

Que son mari avait des explosions énormes de colère et qu'elle avait attendu très longtemps avant de déposer plainte, car elle avait tout fait pour protéger ses enfants, sa famille et son couple bien qu'elle et les enfants subissent la violence de M. A______ depuis des années, précisant qu'il s'agissait d'une violence psychologique, verbale et physique, laquelle était aussi dirigée contre les objets qui se trouvaient dans leur appartement ;

Qu'elle avait également pris contact avec le SPMi qui lui avait fixé rendez-vous le 6 décembre 2024 à 10h00, rendez-vous qu'elle avait dû reporter vu l'audience du jour ;

Qu'aujourd'hui, elle avait peur pour ses enfants et que, de ce fait, elle ne souhaitait pas que son époux pût continuer, seul, à voir les enfants pour l'instant, qu'enfin, elle avait peur de le croiser dans la rue ;

Que cela étant, elle était d'accord que son mari appelât les enfants et qu'il les vît deux heures samedi 7 ou dimanche 8 décembre 2024, en présence de leur baby-sitter N______, laquelle, contactée durant l'audience, avait confirmé sa disponibilité le 7 décembre 2024 entre 10h00 et 12h00 ;

Que sur question du représentant du commissaire de police, elle a indiqué qu'elle avait effectivement repris son activité professionnelle à 100% ;

Que par l'intermédiaire de son conseil, M. A______ a maintenu son opposition s'agissant de l'interdiction de contact avec son épouse et ses enfants, sous réserve de la proposition qui lui a été faite par son épouse, à savoir un appel et une visite accompagnée de N______ durant le week-end, précisant qu'il prendrait contact avec N______ pour convenir du lieu et qu'il appellerait les enfants dimanche 8 décembre 2024 sur le portable de son épouse ;

Que le représentant du commissaire de police a indiqué ne pas s'opposer aux aménagements tels qu'ils venaient d'être convenus d'entente entre les parties ;

Que par l'intermédiaire de son conseil, Mme B______ a conclu au rejet de l'opposition formée par M. A______, sous réserve des aménagements décrits ci-dessus.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, dès lors que M. A______ ne s'oppose pas à l'interdiction de se rendre au domicile conjugal ni aux écoles fréquentées par ses deux enfants, seule sera examinée l'interdiction de contact et de s'approcher de son épouse et de leurs deux enfants.

Le tribunal retient que, même si les déclarations des parties sont pour l'essentiel contradictoires, il ressort néanmoins clairement de celles-ci que la situation est conflictuelle et qu'elle s'est dégradée au cours des derniers mois. S'agissant des faits du 25 novembre 2024, les parties admettent qu'elles ont eu une altercation au domicile conjugal. En tout état, les faits décrits par les parties correspondent sans conteste à la notion de violence domestique au sens défini plus haut.

La question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les concubins en étant à peu près certain que celui qui fait l'objet, comme en l'espèce, d'une interdiction de contact est lui aussi l'auteur de violences, ce qui est le cas in casu.

Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements, la situation visiblement conflictuelle et complexe dans laquelle les parties se trouvent, leur volonté clairement exprimée de ne pas poursuivre la vie commune, les craintes qu'elles ont toutes deux exprimées au sujet des enfants et la requête en mesures protections de l'union conjugale déposée par Mme B______ le 6 décembre 2024, la perspective qu'ils soient à nouveau immédiatement en contact, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administratif ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation, apparaît inopportune.

Cela étant dit, les époux, tous deux assistés de leurs conseils, se sont mis d'accord sur le fait que M. A______ serait autorisé, en présence de leur baby-sitter N______, à passer deux heures avec les enfants le samedi 7 décembre 2024 entre 10h00 et 12h00 et qu'il pourrait appeler les enfants le dimanche 8 décembre 2024 sur le téléphone portable de son épouse.

Aussi, dans le souci de favoriser un certain apaisement entre les époux et de préserver les mineurs du conflit conjugal, le tribunal confirmera la mesure prononcée à l'égard de M. A______, limitée à l'interdiction de contact, sous réserve des aménagements convenus d'entente entre les parties.

Au vu de ce qui précède, cette mesure, prise pour une durée de 12 jours, n'apparaît pas d'emblée disproportionnée, étant rappelé qu'elle prendra fin le 9 décembre 2024 à17h00, Mme B______ ayant confirmé avoir renoncé à en solliciter la prolongation.

6.             Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée, en tant qu'elle concerne l'interdiction de contact, sous réserve des aménagements convenus d'entente entre les parties.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 4 décembre 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 27 novembre 2024 pour une durée de douze jours ;

2.             la rejette en tant qu'elle se rapporte à l'interdiction de contacter ou de s'approcher de Madame B______, C______ et D______, sous réserve d'une visite de deux heures avec C______ et D______ le samedi 7 décembre 2024 entre 10h00 et 12h00, en présence de leur baby-sitter N______ et d'un appel téléphonique aux enfants le dimanche 8 décembre 2024 sur le téléphone portable de Madame B______ ;

3.             dit qu'il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

 

Genève, le

 

La greffière