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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2377/2023

JTAPI/781/2024 du 19.08.2024 ( ICCIFD ) , REJETE

Normes : LIPM.16A
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2377/2023 ICCIFD

JTAPI/781/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 août 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Conseil fiscal Suisse Romande KPMG SA, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             A______SA (ci-après : la contribuable ou la recourante), inscrite au registre du commerce genevois depuis le ______ 2016, a pour but, l'acquisition, la détention, l'administration et l'aliénation directes ou indirectes de participations dans des sociétés en Suisse et à l'étranger, (…) _____.

Avant son inscription audit registre, elle existait sous le nom de B______ NV et se situait à ______, dans les Antilles néerlandaises.

2.             Le 20 mai 2016, la contribuable a adressé à l’administration fiscale cantonale
(ci-après : AFC-GE) une demande de ruling concernant le traitement fiscal de la réorganisation du groupe de société dont elle faisait partie. À cet effet, elle a notamment exposé qu’elle serait transférée en Suisse, sans liquidation, et organisée en la forme d'une société anonyme de droit suisse. Le transfert devait s'effectuer à la valeur comptable, en particulier sans réévaluation des réserves latentes afférentes aux droits de propriété intellectuelle comptabilisés à une valeur nulle et aux participations comptabilisées largement en dessous de leur valeur vénale. Pour le surplus, elle sollicitait la confirmation qu’elle pourrait bénéficier de la réduction de participations sur l'entier du bénéfice en capital réalisé sur la vente d'actions qu'elle détenait dans diverses sociétés du groupe, ceci même si une telle vente intervenait dans un délai de douze mois après le transfert de son siège.

3.             Le 17 juin 2016, l'AFC-GE a donné son accord à ce ruling.

4.             Dans sa déclaration fiscale pour l’année 2017, la contribuable a indiqué les valeurs comptables bruts de ses participations dans les sociétés du groupe, ainsi que leurs amortissements respectifs :

Participations

Valeurs comptables

Amortissements

C______ SA

34'501'297.-

20'197'987.-

D______

4'219'764.-

2'204'741.-

E______ SA

4'922'333.-

3'150'249.-

F______ Gmbh

2'304'598.-

2'304'598.-

G______

3'839'218.-

1'466'142.-

H______ Sàrl

19'821.-

19'821.-

I______

992.-

992.-

J______ SA

2'800'000.-

1'653'256.-

K______ SAS

3'137'898.-

1'652'213.-

Dans ses comptes de résultat 2016, elle a notamment comptabilisé un poste libellé « Depreciation and impairment losses on non-current assets » pour CHF 32'650'000.-.

5.             Sur demande de l'AFC-GE, la contribuable a expliqué que ce poste comptable était lié à un amortissement de la valeur comptable des participations qu'elle détenait et que celui-ci était dû principalement à un changement de la méthode d'évaluation desdites participations, sur décision des auditeurs. Le 4 juillet 2016, ces participations avaient été valorisées au prix du marché (prix d’acquisition), compte tenu de l'acquisition du groupe L______ par le groupe O______ en juin 2016. Les participations avaient été évaluées à cette époque sur la base de prévisions des résultats financiers du groupe L______ et, en particulier, des sociétés détenues par elle-même. Ces résultats étant inférieurs à ce qui avait été projeté au moment de leur acquisition, les auditeurs avaient décidé d'adopter une approche plus prudente et plus réaliste pour la valorisation des participations. Ces sociétés avaient ainsi été valorisées à la valeur de leurs fonds propres respectifs, ce qui avait entraîné un amortissement à hauteur de CHF 32'650'000.- dans ses états financiers au 4 juillet 2017. Les fonds propres ayant servis de base de calcul pour la détermination du besoin d'amortissement avaient été estimés sur la base des chiffres provisoires des filiales du 1er janvier au 4 juillet 2017. Les fonds propres des filiales s’élevaient à :

Année

 

2016

2017

2018

M______ SA

CHF

1'467'550.-

2'621'025.-

4'074'201.-

C______ SA

CHF

5'759'284.-

13'998'403.-

13'357'123.-

E______ SA

CHF

646'734.-

829'573.-

999'883.-

G______

HK$

30'142'166.-

24'547'436.-

34'620'739.-

J______ SA

CHF

1'077'012.-

1'176'061.-

1'412'267.-

K______ SAS

EUR

2'221'261.-

2'752'134.-

3'034'781.-

6.             Par bordereaux du 7 avril 2022, l'AFC-GE a taxé la contribuable pour la période 2017. Elle a repris le montant CHF 32'650'000.- que la contribuable avait comptabilisé à titre de corrections de valeur de ses participations, au motif que celles-là n'étaient pas admises fiscalement selon la circulaire n° 28 de la conférence suisse des impôts (ci-après : la circulaire n° 28) et le principe de régularité de la présentation des comptes. Il en résultait des réserves latentes imposées de CHF 32'649'999.-. Ensuite, sur réclamation de la contribuable, l'AFC-GE a ramené ce montant à CHF 30'324'588.-, après avoir admis les corrections de valeur pour les filiales H______ Sàrl, I______ et F______ GmbH à hauteur de respectivement CHF 19'821,43, CHF 992,06 et CHF 2'304'598.-. Ces taxations sont entrées en force.

7.             Dans ses déclarations fiscales 2018 à 2020, la contribuable a indiqué ses participations à leurs valeurs comptables bruts et leurs amortissements respectifs :

Participations

Valeurs comptables

Amortissements

C______ SA

34'501'297.-

20'197'987.-

D______

4'219'764.-

2'204'741.-

E______ SA

4'922'333.-

3'150'249.-

F______ Gmbh

2'304'598.-

2'304'598.-

G______

3'839'218.-

1'466'142.-

H______ Sàrl

19'821.-

19'821.-

I______

992.-

992.-

J______ SA

2'800'000.-

1'653'256.-

K______ SAS

3'137'898.-

1'652'213.-

8.             Par bordereaux du 7 avril 2022, l'AFC-GE a taxé la contribuable pour les périodes 2018 à 2020. Le bénéfice imposable étant nul pour les trois années, aucun impôt sur le bénéfice n'était dû, ni en ICC ni en IFD. Seul l’impôt sur le capital était ainsi dû (en ICC). Les corrections des valeurs des participations n’étaient pas admises. Il en résultait des réserves latentes imposées de CHF 32'649'999.-, pour 2018, et de CHF 32'649'007.-, pour 2019 et 2020.

9.             Le 3 mai 2022, la contribuable a formé réclamation contre ces bordereaux.

En juillet 2016, le groupe japonais O______ l’avait acquise entièrement, pour un prix de CHF 125'000'000.-. Il s’agissait d’une transaction entre tiers indépendants. Ce prix avait été déterminé sur la base de son actif net et celui des filiales au 31 décembre 2015 (CHF 59,4 millions), multiplié par « un multiple 2.1x représentant la prime » (CHF 65 millions). Ce prix était le prix maximum que O______ était prêt à payer. Au 4 juillet 2016, soit la date de la transaction, elle avait comptabilisé ses participations au prix du transfert, comme requis par le droit comptable. Au 4 juillet 2017, sur décision de l’organe de révision, elle avait comptabilisé une correction de valeur pour CHF 32'650'000.-, en raison des pertes subies par les filiales. Les résultats du groupe avaient en effet diminué, passant d’un bénéfice de CHF 21,6 millions à une perte de CHF 6,6 millions en 2017. Ainsi, ses participations avaient été valorisées à la valeur de leurs fonds propres respectifs.

La valorisation des participations lors de leur vente à O______ et celle dictée par le droit comptable poursuivaient des finalités différentes et ne pouvaient pas être comparées. L’estimation des participations en application de la circulaire n° 28 était exclusivement applicable dans le domaine fiscal, tandis qu’un auditeur ne se référait jamais à ces instructions, mais se fondait sur des ouvrages de référence propres à sa profession et suivait des principes directeurs différents, dont en particulier celui de prudence.

Les bénéfices consolidés du groupe s’élevaient à CHF 21,6 millions en 2015, CHF 4,6 millions en 2016, CHF – 6,6 millions en 2017 (perte), CHF 4,2 millions en 2018 et CHF – 1,3 millions en 2019 (perte).

10.         Par décisions du 8 juin 2023, l'AFC-GE a admis partiellement cette réclamation, la rejetant pour le surplus.

En juillet 2016, O______ avait acquis la contribuable à concurrence de 100 %. La transaction s'était effectuée entre tiers indépendant pour un prix de CHF 125 millions. Le 4 juillet 2016 (date de bouclement de l’exercice 2016), les participations détenues dans la société contribuable avaient une valeur comptable de CHF 52'308'024.-. Cette valeur avait augmenté à CHF 55'745'922.- en janvier 2017, suite à l'acquisition de 20% supplémentaire de la participation J______ SA et de l'acquisition des 100 % de la participation N______ Sàrl. La valeur comptable de ces participations représentait leurs actifs nets, les réserves latentes non comprises.

La valeur de la contribuable résidait dans les participations qu'elle détenait. Par la vente de la holding, toutes ses participations pouvaient être considérées comme ayant fait l'objet de cette transaction entre tiers. Sous l'angle fiscal, l'AFC-GE était restrictive concernant l'acceptation d'une correction de valeur sur une participation ayant fait l'objet d'une transaction entre tiers. Afin d'examiner si une correction pouvait être acceptée, elle se basait sur la circulaire n° 28 et son commentaire. Selon ces derniers, seules les valeurs comptables des participations dont la situation économique avait considérablement changé pouvaient faire l'objet d'une correction de valeur fiscalement reconnue. Par changement considérable, on entendait une variation du chiffre d'affaire de 20% et une variation du capital de 10 %. Par conséquent, seules les corrections de valeurs sur les participations H______ Sàrl, I______ et F______ GmbH étaient acceptées, ce à concurrence de respectivement CHF 19'821,43, CHF 992,06 et CHF 2'304'598.-. S’agissant des autres participations, la contribuable n’avait pas fourni d’éléments démontrant une perte de leurs valeurs postérieurement à leur acquisition par O______. Pour la période fiscale précédent le bouclement de l’exercice 2018 (soit le 4 juillet 2018), ces participations ne voyaient ni leurs chiffres d'affaires respectifs diminués de plus de 20 %, ni leur capital diminué d'au moins 10 %. La reprise sur les corrections de valeurs de CHF 30'324'588.- était donc maintenue, s’agissant du capital.

11.         Par acte du 11 juillet 2023, la contribuable, sous la plume de son mandataire, a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à leur annulation.

Reprenant, en la développant, son argumentation précédente, elle a notamment ajouté que son organe de révision avait exigé la comptabilisation d'une correction de valeur sur les participations, compte tenu des pertes et des bénéfices inférieurs aux attentes enregistrés au sein des filiales. Ceci justifiait un changement de méthode d’évaluation afin de refléter la valeur « utile » des participations. Cette réévaluation suivait le principe de prudence qui impliquait notamment qu'en cas de choix entre deux valeurs défendables, la valeur la plus désavantageuse pour la société soit prise en compte.

L'AFC-GE ne disposait d'aucune base légale pour déroger au principe de déterminance. Les corrections de valeur suivantes devaient être acceptées en application de la circulaire n° 28 :

Année

2018

2019

2020

M______ SA

 

2'204'741.-

 

C______ SA

20'197'033.-

 

 

E______ SA

 

 

3'150'249.-

G______

 

 

1'466'142.-

J______ SA

1'653'255.-

 

 

K______SAS/N______SA

 

 

1'652'212.-

Totaux

21'850'288.-

2'204'741.-

6'268'603.-

Ces corrections découlaient de la variation du bénéfice ou du chiffre d’affaires (CA) suivants :

Année

2018

2019

2020

 

Variation bénéfice/CA

Variation bénéfice/CA

Variation bénéfice/CA

M______ SA

 

-67 % du bénéfice

-626 % du bénéfice

C______ SA

-148 % du bénéfice

-96 % du bénéfice

-232 % du bén./-46 % du CA

E______ SA

 

 

-48 % du bénéfice

G______

 

 

-44 % du CA

J______ SA

-21 % du CA

 

-62 % du CA

K______SAS/N______SA

 

 

-100 % du bénéfice

Ainsi, les corrections de valeur sur les participations étaient justifiées commercialement et donc déductibles du bénéfice imposable, selon les éléments figurant dans les tableaux ci-dessus.

12.         Dans sa réponse du 1er décembre 2023, l'AFC-GE a conclu à l’irrecevabilité du recours en tant qu’il portait sur l’IFD et à son rejet dans la mesure où il concernait l’ICC.

A défaut d’intérêt actuel, le recours était irrecevable en matière d’IFD, dès lors que le bénéfice imposable était nul pour les trois années en cause et que le capital propre n’était pas soumis à cet impôt.

La valeur vénale des participations litigieuses correspondait au prix d'acquisition en 2016. Il n'y avait en principe pas de raison de s'écarter de cette évaluation, sauf si la situation de la société avait considérablement changé depuis son acquisition, ce qu'il incombait à la recourante de prouver. Or, celle-ci se limitait à analyser seulement une partie des critères retenus par la circulaire n° 28, sans examiner l'ensemble des circonstances. Elle fondait son examen sur les critères du bénéfice et du chiffre d'affaires, en passant sous silence, en particulier, l'examen des fonds propres. Elle appliquait ensuite, de manière très mécanique, un correctif de valeur lorsqu'un critère faisait défaut. Elle n'expliquait toutefois pas la raison du changement dans la situation économique des filiales, ni en quoi celui-ci était considérable au point de justifier des correctifs de valeur. Ainsi, elle ne pondérait nullement son résultat selon une analyse plus globale de la situation économique. Cette manière de procéder, très partielle, ne permettait pas d'évaluer la situation économique réelle des filiales, puisqu'elle ne présentait pas l'ensemble des circonstances.

Il ressortait, au contraire, des états financiers des participations que leurs fonds propres comptables avaient systématiquement augmenté entre l'année du transfert entre tiers (2016) et l'année 2018. Les comptes des filiales pour 2019 et 2020 n'ayant pas été produits, ce comparatif ne pouvait être établi pour ces deux années. Toutefois, en l'absence d'éléments allégués par la recourante sur la survenance, en 2019 et 2020, d'un évènement ayant causé une moins-value sur un poste d'actifs de l'une des participations, on pouvait admettre qu'en 2019 et 2020, comme en 2018, les fonds propres comptables s’étaient, en tout cas, maintenus. Ainsi, la comparaison des fonds propre démontrait bien que les filiales n'avaient pas perdu de valeur, mais au contraire, avaient augmenté leur valeur d'année en année.

Si, comme le prétendait la recourante, les participations avaient perdu plus de CHF 30'000’000.- de leur valeur en une année depuis leur acquisition, il apparaissait alors étonnant qu'un acquéreur ait accepté l'acquisition des participations en 2016 à une valeur si basse.

Le principe de prudence ne pouvait justifier la constitution de réserves latentes arbitraires. La recourante ne démontrait pas qu'il y avait un risque certain ou quasi-certain de perte qui justifierait la prise en compte d'un correctif. Quand bien même les correctifs de valeur seraient admis, la méthode d’évaluation proposée par la recourante ne se justifiait pas. En effet, en premier lieu, celle-ci avait comptabilisé les correctifs en 2017 et ce n'était que suite au refus de l'AFC-GE qu'elle avait proposé de les comptabiliser sur d'autres exercices comptables. Ensuite, la méthode d'évaluation proposée ne reflétait pas la réalité économique. En effet, cette méthode se basait sur les fonds propres des filiales (equity method). Or, utiliser une méthode d'évaluation selon les seuls fonds propres revenait à considérer que les filiales ne disposaient plus de capacité de rendement, ce qui n'était manifestement pas le cas, ce d'autant que la recourante avait précisé, dans sa demande de ruling de 2016, que les participations avaient été valorisées largement au-dessous de leurs valeurs vénales. A cet égard, la recourante ne démontrait pas ni n'alléguait que des évènements étaient intervenus dans ce court intervalle, modifiant de manière aussi substantielle la valeur des participations. De plus, la recourante retenait les fonds propres des filiales de l'année 2017. Elle demandait ainsi des correctifs de valeur correspondant à la différence entre la valeur comptable et la valeur des fonds propres des participations en 2017. Or, l'on ne pouvait appliquer le résultat ainsi obtenu à des années subséquentes. Une telle manière de procéder ne permettait pas de refléter la situation économique réelle dans laquelle se trouvait la société à une période donnée et était manifestement contraire au principe de périodicité. Cette incohérence pouvait s'expliquer par le fait que les corrections de valeur avaient été initialement requises au cours de l'exercice 2017 et que ce n'était que suite au refus de l'AFC-GE de les admettre que la contribuable avait accommodé son argumentation juridique pour faire valoir les correctifs sur d'autres périodes fiscales, en contradiction avec ses explications données en premier lieu. Or, la contribuable ne pouvait choisir à quel moment il était plus favorable pour elle de faire valoir des charges en fonction des conséquences juridiques, celles-là devant porter sur des faits dont l'origine se déroulait durant la période de calcul.

13.         Par réplique du 3 janvier 2024, respectivement duplique du 30 janvier suivant, les parties ont maintenu leurs conclusions respectives.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable, dans cette mesure, sous l’angle des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

Toutefois, pour qu'un recours soit - ou demeure - recevable, il faut encore que son auteur ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit annulée ou modifiée (cf. art. 60 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), ce qui suppose en particulier l'existence d'un intérêt actuel et pratique (ATF 131 II 361 consid. 1.2). Un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas à fonder un intérêt actuel (cf. ATF 127 III 41 consid. 2b).

Dans le domaine fiscal, ne revêt pas un intérêt actuel et pratique le recours du contribuable dont les conclusions, bien que tendant à l'annulation d'une décision de taxation, n'impliquent pas une diminution de l'impôt (cf. ATF 140 I 114 consid. 2.4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_489/2018 du 13 juillet 2018 consid. 2.2.4).

Lorsqu’un contribuable reçoit une taxation sur un revenu nul et qu'il n'a en conséquence pas d'impôt à payer, le montant des pertes qui ont conduit à la taxation sur un revenu nul constitue uniquement un motif de la décision de taxation, de sorte que ce montant ne bénéficie pas de la force de chose jugée matérielle. Par conséquent, dans la mesure où un contribuable souhaite que le montant de la perte à reporter sur la période fiscale suivante soit arrêté, un intérêt actuel digne de protection lui fait défaut. Le montant du report de pertes doit être examiné dans les périodes subséquentes, lors desquelles un bénéfice imposable est taxé (arrêt du Tribunal fédéral 2C_987/2020 du 22 juin 2021 consid. 1.3).

3.             En l’espèce, par bordereaux IFD 2018, 2019 et 2020, l'AFC-GE n’a fixé aucun impôt sur le bénéfice. Les reprises qu’elle a opérées n’impactent que le montant du capital propre, lequel n’est pas soumis à l’IFD, mais uniquement à l’ICC. Ainsi, si les conclusions de la recourante étaient admises, elles n'entraîneraient aucune diminution de l’IFD, de sorte que, conformément à la jurisprudence citée plus haut, elles doivent être déclarées irrecevables en tant qu’elles concernent cet impôt.

Il en résulte que le recours n’est recevable qu’en tant qu’il concerne l’ICC.

4.             Aux termes de l'art. 12 al. 1 de la loi sur l’imposition des personnes morales
(LIPM - D 3 15), sont notamment considérés comme bénéfice net imposable les sommes affectées à des fonds de réserves (let. b), les amortissements et les provisions qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial (let. e).

Selon l’art. 16A LIPM, les amortissements des actifs justifiés par l’usage commercial sont autorisés, à condition qu’ils soient comptabilisés ou, en cas de tenue d’une comptabilité simplifiée en vertu de l’art. 957 al. 2 du Code civil suisse (CO, Code des obligations – RS 220), qu’ils apparaissent dans un plan spécial d’amortissements (al. 1). En général, les amortissements sont calculés sur la base de la valeur effective des différents éléments de fortune ou doivent être répartis en fonction de la durée probable d’utilisation de chacun de ces éléments (al. 2). Les amortissements opérés sur des actifs qui ont été réévalués afin de compenser des pertes ne sont admis que si les réévaluations étaient autorisées par le droit commercial et que les pertes pouvaient être déduites conformément à l’art. 19 al. 1 LIPM, au moment de l’amortissement (al. 3).

5.             Les comptes, et notamment le compte de résultats, établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices particulières (principe de l'autorité du bilan commercial ou de déterminance). L'autorité du bilan commercial tombe lorsque des normes impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent, telle que l’art. 12 LIPM (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 7.2, non publié in ATF 147 II 155 et les arrêts cités).

6.             S'agissant de l'évaluation de participations dans des sociétés non cotées, le Tribunal fédéral se réfère et applique la circulaire n° 28, non seulement pour l'impôt sur la fortune, mais également lorsqu'il s'agit de procéder à l'estimation de la valeur vénale de titres non cotés dans le contexte de l'impôt sur le bénéfice et de l'impôt sur le revenu (arrêt 2C_132/2020 précité consid. 8.1.2).

La circulaire n° 28 prévoit que pour les titres qui ont fait l'objet d'un transfert substantiel entre tiers indépendants, la valeur vénale correspond généralement au prix d'acquisition (chap. A/2, ch. 5). Le prix obtenu lors d'un tel transfert n'est toutefois à prendre en considération que s'il permet de déterminer une valeur vénale représentative et plausible de la société, situation qui doit être examinée selon l'ensemble des circonstances (chap. A/2, ch. 5 et commentaire de la circulaire, p. 4).

La valeur vénale déterminée conformément à ce qui précède est conservée aussi longtemps que la situation économique de la société n'aura pas considérablement changé (chap. A/2, ch. 5). Selon le commentaire accompagnant la circulaire n° 28, les critères déterminants permettant de juger d'un changement de la situation économique d'une entreprise sont le bénéfice, le chiffre d'affaires, les fonds propres et les rapports de participation. En règle générale, doivent être qualifiés de considérables une variation du chiffre d'affaires de 20%, une variation du capital de 10% qui ne résulterait pas du bénéfice ordinaire ou un changement dans les rapports de participations à hauteur de 10%. Si l'une de ces conditions est remplie, l'estimation doit être revue (p. 4).

7.             Les amortissements des actifs justifiés par l'usage commercial sont autorisés, à condition que ceux-ci soient comptabilisés ou, à défaut d'une comptabilité tenue selon l'usage commercial, qu'ils apparaissent dans un plan spécial d'amortissements. Un amortissement est justifié par l'usage commercial dans la mesure où il permet de tenir compte d'une véritable moins-value d'un poste au bilan (arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2020 précité consid. 8.2.1).

Les participations représentent des immobilisations pour leur détenteur qui, s'il s'agit d'une société anonyme, ne doit pas les évaluer à un montant supérieur à leur prix d'achat ou de revient. Dans la mesure où elles subissent une moins-value durable, elles doivent faire l'objet d'amortissements correspondants (ATF 119 Ib 116 consid. 3c). Un amortissement sur une participation suppose ordinairement une baisse de valeur de la société (Robert DANON, in Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2e éd. 2017, no 44). Toutefois, l'amortissement d'une participation peut dans certains cas aussi être possible fiscalement indépendamment d'une baisse de valeur, soit indépendamment de la situation et des pertes de la société achetée. Par exemple, l'acquéreur qui recherche de nouvelles parts de marché devrait pouvoir amortir la part du prix des actions correspondant à son investissement et comptabiliser l'amortissement comme une charge de marketing (arrêt du Tribunal 2C_132/2020 précité consid. 8.2.2 et les réf. citées).

8.             En ce qui concerne le fardeau de la preuve, il appartient à l'autorité fiscale de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, alors qu'il incombe au contribuable d'apporter la preuve des faits de nature à réduire ou éteindre son obligation fiscale (cf. ATF 143 II 661 consid. 7.2). S'agissant des personnes morales, le bénéfice imposable est celui qui ressort du compte de résultats, si les comptes ont été établis conformément aux règles du droit commercial, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices particulières. S'il existe une présomption selon laquelle une comptabilité établie conformément aux dispositions du droit commercial est exacte, il n'en demeure pas moins que l'autorité de taxation est habilitée à demander des renseignements à la personne morale contribuable, afin de vérifier que l'imposition peut bien avoir lieu sur la base des comptes produits. En effet, dans la procédure de taxation, le contribuable est soumis à un devoir étendu de collaboration (arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2020 précité consid. 8.2.3).  

9.             En l’espèce, dans sa demande de ruling du 20 mai 2016, la recourante a affirmé que ses participations étaient comptabilisées « largement » en dessous de leur valeur vénale, ce que corrobore le prix de leur vente en juin de cette année (CHF 125'000'000.-). Ce prix d'acquisition, fixé entre tiers indépendants sur le marché libre, représentait en principe leur valeur vénale. Un amortissement n'était dès lors envisageable qu'en cas de perte de valeur des participations ou d'achat à un prix surfait.

Or, en 2017 déjà, la recourante a amorti ses participations à concurrence de CHF 32'650'000.-, expliquant, à la demande de l'AFC-GE, avoir dû le faire en raison des résultats inférieures réalisés postérieurement à son acquisition en 2016. Elle n’a pourtant pas remis en cause le refus de cet amortissement pour l’exercice 2017, à concurrence de CHF 30'324'588.-. Elle s’est ensuite prévalue de ce même amortissement lors des trois exercices subséquents (2018, 2019 et 2020), soutenant, dans sa réclamation, que l’estimation des participations ne pouvait s’effectuer selon la circulaire n° 28, mais uniquement en fonction de leurs fonds propres. Dans son recours cependant, elle se prévaut précisément de cette directive pour, finalement, faire valoir des amortissements moins élevés que ceux comptabilisés initialement, soit CHF 21'850'288.- (2018), CHF 2'204'741.- (2019) et CHF 6'268'603.- (2020).

Dans ces conditions, on ne saurait admettre que ces amortissements ont été correctement comptabilisés. En tout état, la recourante n’a pas démontré que les participations en cause auraient effectivement subi une moins-value durable. Au contraire, comme relevé par l'AFC-GE, il ressort du dossier qu’entre 2016 et 2018, les fonds propres de ses filiales ont considérablement augmenté, passant d’environ CHF 45 millions en 2016 à plus de CHF 57 millions en 2018. La recourante ne prétend pas que tel n’aurait pas été le cas entre 2019 et 2020, étant relevé qu’elle n’a pas produit les comptes de ses filiales pour ces deux exercices, de sorte que le tribunal n’est pas en mesure de vérifier les chiffres qu’elle avance pour ces années. Ces éléments ne tendent ainsi pas à confirmer la baisse de rentabilité qu’elle fait valoir. Cette tendance à la hausse est en revanche confirmée par le bénéfice de CHF 4,2 millions que le groupe a réalisé en 2018. Seule perte de CHF 1,3 millions que ce dernier aurait subie en 2019 ne saurait justifier un amortissement des participations à hauteur de plus de CHF 30 millions. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il ne peut ainsi être retenu que la recourante aurait subi une diminution significative de sa situation économique justifiant les amortissements litigieux. Enfin, elle ne démontre pas que ses participations auraient été acquises à un prix surfait en 2016, ce qui aurait pu expliquer les amortissements en cause.

Au vu de ce qui précède, les décisions contestées doivent être confirmées.

10.         Partant, le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

11.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’500.- ; il est couvert par l’avance de frais de CHF 2'000.- versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de cette avance, soit CHF 500.-, lui sera restitué.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 11 juillet 2023 par A______SA contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 8 juin 2023 ;

2.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

3.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 500.- ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Federico ABRAR et Stéphane TANNER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier