Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/2536/2024

JTAPI/758/2024 du 06.08.2024 ( LVD ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2536/2024 LVD

JTAPI/758/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 6 août 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Brice VAN ERPS, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Madame B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 29 juillet 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame B______, son épouse, sise ______[GE], et de la contacter.

L’intéressé avait repoussé son épouse en lui saisissant le bras droit. Le 17 avril 2024 lors d’un conflit, il lui avait tiré les cheveux, fait qu’il avait reconnu.

2.             Selon le rapport de renseignement du 7 mai 2024, la police était intervenue au domicile conjugal le 17 avril 2024, aux alentours de 17 heures 20. Mme B______ présentait des entailles superficielles au niveau de l’avant-bras gauche et M. A______ des rougeurs, des traces de griffures et des hématomes au niveau du cou. Des traces de luttes étaient également visibles dans l’appartement, notamment des débris de verre tachetés de sang jonchant le sol et des traces de vomi de Mme B______. Des photographies des blessures et des traces ont été jointes audit rapport.

Interrogée par la police dans la soirée, Mme B______ a déclaré qu’une dispute avait éclatée lors de laquelle son époux l’avait frappée et lui avait tiré les cheveux la faisant tomber en arrière sur le lit matrimonial. Lorsque son époux la tirait en arrière, elle l’avait agrippé à la hauteur du col et l’avait griffé pour se défendre. Son époux l’avait ensuite maintenue sur le lit en posant ses genoux sur son ventre. Ensuite, ils s’étaient débattus et avaient gesticulés sans se frapper. Un verre s’était brisé, ce qui lui avait occasionné plusieurs blessures et des saignements. Choquée et en raison des douleurs, elle avait vomi par terre. Elle souhaitait vivre en bonne harmonie avec M. A______.

Quant à lui, M. A______ a déclaré à la police que son épouse l’avait traité de « prostitué » et le provoquait en parlant très fort, ce qui avait conduit leur voisin à taper contre le mur pour leur signaler qu’ils faisaient trop de bruit. Souhaitant éviter un scandale, il l’avait prise par le bras pour l’amener dans une autre pièce. Ils s’étaient alors bousculés, elle l’avait griffé au cou et il l’avait repoussée sans la frapper. Il avait ensuite quitté l’appartement pour attendre les forces de l’ordre. C’est en remontant dans l’appartement qu’il avait constaté, avec la police, les blessures que son épouse avait au poignet. Il ne savait pas comment elle s’était infligées celles-ci mais il n’y était pour rien. Il reconnaissait lui avoir tiré les cheveux pour se défendre.

3.             Il ressort du rapport de renseignement du 28 juillet 2024 qu’une patrouille de police était intervenue au domicile des époux le même jour, vers 15 heures 58, suite à un appel de Mme B______. Des traces de luttes avaient été constatées, notamment de la vaisselle et de la nourriture jonchant le sol, photographies à l’appui.

Auditionnée dans la foulée par la police, Mme B______ a déclaré qu’une dispute avait éclatée alors qu’ils se trouvaient dans leur salon. A cette occasion, son époux s’était saisi d’un verre pour le lui jeter dessus. Il ne l’avait pas insultée mais lui avait saisi le bras droit et l’avait repoussée. Elle ne se souvenait pas très bien de ce qui s’était passé. Elle souhaitait divorcer.

Entendu le même jour par les forces de l’ordre, M. A______ a expliqué que son épouse lui avait donné un coup de poing sur la tempe gauche alors qu’il buvait son café en regardant la télévision. Afin d’éviter qu’elle lui donne d’autres coups, il l’avait repoussée sèchement avec ses mains, sans lui donner de coups. Il l’avait ensuite écartée d’un mouvement circulaire avec son bras, sans violence et s’était rendu dans la chambre à coucher. Son épouse avait alors tenu des propos dégradants envers sa famille et lui-même. Il l’avait alors à nouveau repoussée avec ses mains hors de la chambre et avait fermé la porte. Il a nié avoir frappé on épouse.

4.             Par acte du 2 août 2024, reçu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 5 août 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a fait opposition à cette décision.

5.             A l'audience du 7 août 2024 devant le tribunal, Mme B______ a confirmé ses déclarations à la police. Le 17 avril 2024, ils avaient eu une dispute avec son époux. Son époux voulait la frapper et pour se protéger, alors qu'elle se trouvait sur le lit, elle l'avait griffé au niveau du cou. Elle ne l'avait pas frappé. Par contre, lui oui. Il avait utilisé sa chaussure de sécurité pour le travail pour lui donner un coup sur le pied. Il lui avait tiré les cheveux. Un verre s'était cassé et elle s'était coupée avec les débris. Comme il lui avait tiré les cheveux, elle s'était mise en colère et ensuite elle avait vomi. Le 28 juillet 2024, ils s'étaient à nouveau disputés. Elle avait eu peur et avait appelé la police. Ils ne s'étaient pas frappés. Son époux avait pris un verre. Elle croyait qu'il allait la frapper avec celui-ci mais il ne l'avait pas fait. Elle n'en était pas sûre mais elle pensait qu'il l'avait poussée. Elle ne s'en souvenait plus. Hormis ces deux évènements, il n'y avait jamais eu de coups échangés entre eux. Elle souhaitait qu'ils se séparent et qu'ils soient éloignés. Elle était d'accord qu'il rentre à la maison. Elle pensait que ça se passerait comme avant. Elle allait se taire, comme ça il ne se fâcherait pas car il se mettait en colère lorsqu'elle parlait. Comme leur mariage avait été arrangé, ils pourraient également appeler leurs familles respectives pour des conseils. Ils devaient parler avec leur famille et écouter ce qu'elle disait. Elle n'avait pas peur de son époux ni qu'il la frappe. C'était mieux qu'ils soient éloignés pour l'instant, car le temps leur permettrait de réfléchir.

M. A______ a confirmé ses déclarations à la police et maintenu son opposition à la mesure d'éloignement. Il n'était pas d'accord avec la version des faits des évènements de son épouse. Le 17 avril 2024, il était rentré du travail et elle n'avait pas arrêté de parler pendant qu'il mangeait, ce qu'il ne voulait pas. La tension était montée. Elle avait commencé à le traiter de "rapporteur". Lorsqu'elle s'était approchée de lui, il avait jeté l'assiette par terre. Elle voulait le frapper alors il l'avait repoussée sur le lit. Elle s'était relevée et l'avait saisi par le cou. Il s'était éloigné en la repoussant à nouveau. Il avait ensuite quitté l'appartement. Le 28 juillet 2024, il regardait la télévision en buvant le café. Elle avait commencé à parler et s'était mise devant la télévision. Il l'avait alors repoussée avec sa main droite pour l'éloigner. Elle était revenue et il s'était donc mis en colère. Il l'avait à nouveau repoussée avec sa main avant de partir dans sa chambre. Elle était venue dans la chambre. Il l'avait poussée hors de celle-ci. Elle avait ensuite appelé la police. S'ils décidaient de s'éloigner l'un de l'autre, il devait voir où il pouvait dormir. Depuis le 28 juillet 2024, il dormait chez un ami. Il pouvait y loger jusqu'à jeudi, soit la fin de la mesure d'éloignement. Il ne savait pas s'il allait rentrer à la maison car il craignait que les tensions recommencent avec son épouse. Il confirmait son opposition à la mesure d'éloignement. Il ne s'était pas rendu chez VIRES parce qu'il n'avait pas compris qu'il devait y aller. Il comprenait maintenant qu'il devait les appeler en sortant de l'audience pour fixer un rendez-vous. Lorsqu'il rentrerait à la maison, il essayerait d'avoir une vie normale avec son épouse, de la respecter ainsi que les règles de la maison. Il allait essayer de se calmer et comme ils avaient deux chambres, il comptait vivre dans l'une d'entre elles. Il travaillait à C______ de 7h00 à 16h15 du lundi au vendredi.

Le conseil de M. A______ a conclu à la levée immédiate de la mesure d'éloignement.

Le représentant du commissaire de police a conclu au maintien de la mesure d'éloignement.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce et aux vu des déclarations des parties et des pièces du dossier, le tribunal retient que la situation conjugale du couple est difficile. Chaque époux estime que les altercations ayant entrainé des violences physiques de part et d’autre ont été provoquées par l’autre. Selon les constatations policières et les photographies annexées aux rapports de renseignement, chaque époux a subi des lésions, notamment des griffures et des hématomes, ce qui laisse à penser que les violences dans le couple sont réciproques.

En tout état, les faits tels que décrits par les deux époux correspondent sans conteste à la notion de violence domestique, au sens défini plus haut. Dans ces circonstances, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les conjoints en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile conjugal est lui aussi l'auteur de violences.

Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements, de la situation visiblement conflictuelle et complexe dans laquelle les deux intéressés se trouvent et de la volonté clairement exprimée de ne plus souhaiter poursuivre la vie commune, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

6.             Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 2 août 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 29 juillet 2024 pour une durée de dix jours ;

2.             la rejette ;

3.             dit qu’il n’est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Genève, le

 

Le greffier

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties. Une copie du jugement est transmise pour information au conseil de Monsieur A______.