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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1755/2024

JTAPI/520/2024 du 28.05.2024 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;OPPOSITION(PROCÉDURE);PROLONGATION;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1755/2024 LVD

JTAPI/520/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 mai 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Yael AMOS, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 21 mai 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située, 1______ C______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

2.             Selon cette décision, M. B______ avait, le 19 mai 2024, étranglé pendant plusieurs secondes Mme A______, puis l’avait poussée avant de maintenir sa tête contre un canapé. Le 23 décembre 2023, il l’avait saisie par le bras et l’avait secouée. Vers le 5 avril 2024, il l’avait à nouveau saisie par les bras, l’avait jetée sur le lit et lui avait asséné plusieurs coups de poing dans les bras, le ventre et les côtes.

3.             Par acte du 24 mai 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours.

Elle vivait avec M. B______ depuis environ huit mois. Sa fille, âgée de 6 ans, vivait avec eux. De manière générale, il la traitait de « basura » et « hija de puta » et la dénigrait en affirmant qu’elle ne servait à rien car elle ne rapportait pas d’argent. Le 23 décembre 2023, il l’avait saisie par le bras et secouée violemment. Autours du 5 avril 2024, lors d’une dispute, il l’avait insultée avant de la saisir par les bras et la secouer violement. Le 19 mai 2024, il l’avait saisie par la gorge pendant de longues secondes avant de la pousser et de la maintenir contre un canapé. Sa fille mineure avait été témoin des violences. Elle ne pouvait pas envisager la reprise de la vie commune au vu de la gravité des violences, de leur réitération et du fait qu’elles avaient gagné en intensité. Il était à craindre que de nouvelles violences se produisent.

Elle a produit un constat médical du 21 mai 2024 de la Dre D______ d’où il ressort qu’elle avait un hématome de 3 cm du 1 cm à la face antérieur de 1/3 inférieur de l’avant-bras gauche et une ecchymose de 3 cm sur 1 cm à la face antérieur de 1/3 inférieur à l’avant-bras droit, pouvant, selon toute vraisemblance, avoir été causé par les sévices qu’elle disait avoir subis.

4.             M. B______ a déposé plainte pénale à l’encontre de M. B______ le 21 mai 2024. Le 23 décembre 2023, il l’avait secouée durant environ 1 minute. Le 5 avril 2024, il lui avait donné des coups de poings dans les bras, le ventre et les côtes et le 19 mai 2024, il l’avait poussée sur le canapé, l’avait étranglée durant plusieurs secondes, avait arraché ses colliers, l’avait attrapée par les cheveux et lui avait secoué la tête avant de la poser sur le canapé en la bloquant avec sa jambe. Dès le lendemain, il lui avait confisqué les clés de l’appartement.

5.             Auditionné le 21 mai 2024, M. B______ a expliqué que depuis le début de leur relation, ils avaient eu trois grandes disputes. La première, le 8 décembre 2023 lors de laquelle ils s’étaient insultés mutuellement avant qu’elle ne casse des meubles. Il n’avait pas fait usage de violence à son égard. En février 2024, elle lui avait griffé le bras mais il ne l’avait pas touchée. En y repensant, suite aux griffures, il l’avait attrapée par le bras et l’avait repoussée mais ne lui avait pas donné de coups de poing. Le 18 mai 2024, elle l’avait griffé au niveau de la clavicule droite. Il lui avait donc saisi le bras pour la repousser. Hormis ce geste, il n’y avait pas eu de violence de sa part. Confronté aux déclarations de Mme A______, M. B______ a admis qu’il lui avait saisi les poignets et l’avait bloquée sur le canapé car elle voulait le griffer. Il ne l’avait pas étranglée, ni saisi les cheveux ni secouée. Il lui avait à nouveau saisi les poignets et l’avait déplacée sur le canapé lorsqu’elle était venue s’asseoir sur ses genoux. Il lui avait effectivement pris les clés. Cependant, elle en possédait un autre jeu.

6.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties par téléphone du 27 mai 2024 de l'audience qui se tiendrait le 28 mai 2024.

7.             Lors de cette audience, Mme A______ a confirmé ses déclarations à la police. Il y avait effectivement eu trois épisodes de violence. Lors de ceux-ci, M. B______ l'avait traitée de "basura et hija de puta". Il ne l'avait pas fait en d'autres circonstances. La première fois, sa fille n'avait rien entendu ni vu. La deuxième fois, elle était présente avec eux dans la voiture et la troisième fois, elle avait vu et entendu. Elle souhaitait se séparer de M. B______, sinon il y aurait de nouveaux épisodes de violence. Elle souhaitait rester dans l'appartement jusqu'à ce que sa fille termine l'année scolaire. Ensuite, elle pensait déménager. Ils avaient pris cet appartement ensemble. Si M. B______ devait revenir à la maison, elle ne savait pas comment cela se passerait. Cela dépendait de lui. En dehors des trois événements de violence, c'était une personne plutôt calme mais il pouvait s'énerver et devenir agressif. Tout dépendait de lui. Elle avait peur de lui car il était un peu agressif et que, lors des trois événements, il l'avait été avec elle. Elle était préoccupée plus pour sa fille que pour elle-même. S’il devait rentrer au domicile, elle pensait que ce ne serait plus la même chose et que ce serait différent. Durant les trois épisodes, c'était elle qui avait commencé à lui parler afin qu'il lui prête attention. Comme il ne lui en donnait pas, elle l'avait touché avec son doigt et l’avait saisi par les bras. A ce moment-là, ils avaient commencé à parler et c'était devenu plus agressif. Durant le troisième épisode, c'était lorsqu'il l'avait agrippée qu'elle l'avait griffé au cou pour se défendre. Elle l'avait également fait la première fois mais elle ne se rappelait plus très bien. Elle ne travaillait pas et ne payait pas de loyer.

M. B______ a indiqué qu'il n'était pas d'accord pour la prolongation de la mesure d'éloignement. Il ne savait pas où aller. Jusqu'alors, il était resté chez sa nièce mais son frère et sa famille allaient venir en vacances chez elle. Il ne pouvait donc pas y rester. Cela faisait une semaine qu'il dormait sur un canapé. Il était d'accord pour qu'elle reste dans l'appartement avec sa fille jusqu'à la fin de l'année scolaire mais il voulait également retourner dans son appartement car il ne savait pas où loger. Il s'était rendu chez E______. C’était Mme A______ qu'il l'avait agressée, lui s’était uniquement défendu. Ils s’étaient disputés, elle l'avait griffé et il l'avait saisie par les poignets. C’est vrai qu’il l'avait poussée sur le canapé mais il ne l’avait même pas giflée ni tiré des coups de poing comme elle le prétendait, sinon elle aurait eu des hématomes. Lors de l'épisode de la voiture, ils s’étaient simplement poussés. Sa fille était présente. Lors du troisième épisode, sa fille était dans sa chambre et dormait. Il ne savait pas si elle avait entendu. S'agissant du certificat médical, c'est comme il venait de l’expliquer, à savoir que, comme elle l'avait griffé, il lui avait saisi les poignets. S'ils restaient ensemble, ils restaient ensemble et s'ils se séparaient, ils pouvaient le faire amicalement. Ils n'avaient pas besoin de se bagarrer. De son côté, il avait des sentiments pour elle et souhaitait bien rester avec elle. C'était elle qui avait été agressive durant les trois événements. Elle lui avait dit qu'elle allait voir un psychologue pour régler ses problèmes d'agressivité. De son côté, la seule chose qu'il pourrait entreprendre pour éviter la violence c'était de partir lorsqu'une dispute éclatait.

8.             Sur ce, le tribunal a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, il apparait que le couple connait des difficultés et que la situation s'est dégradée. S'agissant des évènements ayant conduit au prononcé de la mesure d’éloignement litigieuse, les versions données par les parties diffèrent. En accordant du crédit à ce que déclare chacune d'elles, et au vu du certificat médical produit il peut être retenu que des violences ont été échangées le 23 décembre 2023, début avril 2024 et le 19 mai 2024. A cet égard, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les conjoints en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile conjugal est lui aussi l'auteur de violences. Or, il existe ses soupçons suffisants et concrets que Mme A______ a subi des violences physiques de la part de M. B______, en présence de sa fille, eu égard aux déclarations des parties, notamment les aveux partiels de l’intéressé et au constat médical produit. Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements et de la tension qui entache les rapports des parties, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

5.             Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 30 juin 2024 à 17 h 00.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 24 mai 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 21 mai 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 30 juin 2024 à 17 h, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu’il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière