Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1009/2023 du 19.09.2023 ( LDTR ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 19 septembre 2023
|
dans la cause
A______, représentée par Me Lucien LAZZAROTTO, avocat, avec élection de domicile
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE
1. A______ (ci-après : la société) est propriétaire de l’immeuble sis sur la parcelle n° 1______, à l'adresse ______, route de B______.![endif]>![if>
2. En date du 29 juillet 2009, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a autorisé la surélévation d’un étage et la création de deux appartements en attique dans l’immeuble susmentionné (DD 2______).![endif]>![if>
3. Un contrôle sur place à la suite de la surélévation a été effectué par le département le 16 décembre 2021, en présence des représentants de la société, notamment Monsieur C______, administrateur. Lors de ce contrôle, M. C______ a notamment indiqué que six appartements de l'immeuble étaient vacants depuis plus de trois mois.![endif]>![if>
4. Par courrier du 14 janvier 2022, le département a informé la société et les régies concernées, que plusieurs manquements aux législations en vigueur, notamment à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI – L 5 05) et à son règlement d'application ainsi qu'à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maison d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR – L 5 20) avaient été constatées lors du contrôle sur place du 16 décembre 2021. Il s'agissait notamment :![endif]>![if>
a. de l'absence de mandataire professionnellement qualifié (ci-après: MPQ) chargé du suivi de l'autorisation de construire DD 2______, en violation de l'art. 6 LCI ;![endif]>![if>
b. du non-respect de l'art. 33A RCI, dans la mesure où la construction n'était pas finalisée et ce malgré l'annonce faite au département en janvier 2010, soit dix ans auparavant ;![endif]>![if>
c. de l'absence de construction du mur de séparation EI60 dans le couloir commun au sous-sol, en violation des plans visés ne varietur de la DD 2______ ;![endif]>![if>
d. de six appartements laissés vides malgré la pénurie de logements dans le canton et ce depuis plus de trois mois selon les explications de M. C______;![endif]>![if>
e. du changement d'affectation de l'arcade de gauche, autorisée comme tea-room par la DD 2______, mais utilisée actuellement comme restaurant ;![endif]>![if>
f. du non-respect de la condition n° 4 de l'autorisation de construire DD 2______.![endif]>![if>
Un délai de dix jours leur a été imparti pour transmettre leurs observations, précisant que toutes mesures ou sanctions justifiées par la situation demeuraient réservées.
Un dossier d'infraction a été ouvert (I-3______).
5. Par courrier du 26 janvier 2022, la société a transmis ses observations.![endif]>![if>
Les travaux de gros œuvre/surélévation avaient été réalisés sous les mandats de deux architectes successifs. Suite à la révocation du mandat du second, les travaux s'étaient arrêtés, notamment en ce qui concernait les aménagements intérieurs. Un nouveau MPQ, Monsieur D______, était désormais en charge de la reprise du chantier pour les travaux intérieurs et devait prendre contact avec le département concernant la construction du mur.
Il y avait eu d'importants dégâts d'eau qui avaient empêché la relocation des appartements et elle n'avait pas reçu de propositions de locations satisfaisantes.
L'arcade avait toujours été un restaurant depuis plus de 20 ans.
6. Par courrier du 4 février 2022, E______, soit l'une des régies concernées, a transmis ses observations. ![endif]>![if>
Elle n'était pas intervenue dans le cadre des travaux. Concernant les appartements vacants, elle ne pouvait agir de son propre chef, expliquant que lorsque les appartements étaient libérés de leurs locataires, c'était l'ancien propriétaire – F______ – qui organisait, gérait et dirigeait les travaux à entreprendre dans les logements vacants. Ce n'était qu'ensuite, sur la seule impulsion du propriétaire, que la régie était autorisée à proposer les appartements à la location puis à conclure les baux.
7. Par courrier du 9 février 2022, la régie G______ (ci-après: G______) a expliqué que pour la plupart des logements restés vacants, des avis d'ouverture de chantier avaient été déposés sur la plateforme en ligne AC DEMAT, le 7 décembre 2021, avec des dates de travaux couvrant la période du 3 janvier 2022 au 15 février 2022. En outre, un appartement de 5 pièces au 2ème étage avait été reloué au 15 janvier 2022, le choix de la candidate s'étant dans un premier temps porté sur un autre logement de 6 pièces avant qu'elle ne se désiste. Restaient alors vacants les appartements suivants:![endif]>![if>
- un 4.5 pièces au 1er étage : logement en cours de travaux ;![endif]>![if>
- un 5.5 pièces au 2ème étage : logement en cours de travaux ;![endif]>![if>
- un 3 pièces au 2ème étage : logement proposé à la location ;![endif]>![if>
- un 3.5 pièces au 4ème étage : logement proposé à la location ;![endif]>![if>
- un 6 pièces au 6ème étage : proposé à la location.![endif]>![if>
8. Par décision du 13 mai 2022, le département a ordonné à la société de terminer les travaux relatifs à l’autorisation de construire DD 2______ et de fournir des plans conformes à exécution d’ici au 25 novembre 2022. Il avait pris acte de la reprise du mandat par M. D______ s'agissant des travaux autorisés par la DD 2______. Compte tenu de la mise en danger des utilisateurs expliqué sous le point n°3 de la décision du 14 janvier 2022, le département lui avait ordonné de cloisonner les espaces en procédant à la construction du mur EI60 manquant au sous-sol conformément aux plans visés ne varietur de la DD 2______ et de ses conditions. Cette mesure devait être réalisée dans un délai de soixante jours dès notification et un reportage photographique ou tout autre élément en attestant de manière univoque devait parvenir au département dans le même délai. Or, force était de constater qu'aucun élément certifiant la bonne exécution de cet ordre ne lui était parvenu, malgré un rappel fait au MPQ par courriel du 27 janvier 2022. Une amende de CHF 500.- lui était infligée. ![endif]>![if>
Un nouveau délai au 27 mai 2022 a été imparti à la société pour se conformer à cet ordre.
Le département a aussi prononcé l’interdiction d’utiliser les locaux au niveau de l'arcade au rez-de-chaussée avec effet immédiat. En outre, il l'informait qu'il restait en attente d'un rapport circonstancié de l'office cantonal de la planification foncière (ci-après: OCLPF) relatif aux potentielles infractions à la LDTR.
La décision précisait qu'en cas de non-respect de celle-ci et/ou sans nouvelle de sa part dans le délai imparti, elle s'exposait à toutes nouvelles mesures et/ou sanction justifiées par la situation, précisant que la sanction administrative portant sur la réalisation de travaux non conformes à la législation en vigueur ferait l'objet d'une décision séparée.
9. Cette décision a été contestée par acte du 14 juin 2022 par la société, sous la plume de son conseil, auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) (A/4______) et par acte du 15 juin 2022 de l'exploitant du restaurant (A/5______) portant uniquement sur l'annulation de l'interdiction d'exploiter les locaux.![endif]>![if>
10. Par courrier du 19 mai 2022, la régie G______ a transmis au département le reportage photographique concernant la réalisation du mur EI60 en sous-sol.![endif]>![if>
11. Par jugement du 15 août 2022, entré en force, le tribunal a déclaré le recours de la société dans la procédure A/4______ irrecevable pour défaut du paiement de l'avance de frais (JTAPI/6______).![endif]>![if>
12. Par décision du 26 octobre 2022, le département a ordonné le rétablissement d'une situation conforme au droit dans un délai de trente jours. ![endif]>![if>
Il ressortait de la visite sur place du 16 décembre 2021, de l'analyse de l'instance LDTR et des pièces versées au dossier que six appartements avaient été laissés vides pour une période supérieure à trois mois (art. 27 LDTR), qu'aucun motif légitime n'était rempli (art. 28 LDTR) et que l'obligation d'annoncer les logements vides à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) n'avait pas été respectée (art. 29 LDTR). Il s'agissait des appartements suivants :
A. un 4.5 pièces au 1er étage ;![endif]>![if>
B. un 5.5 pièces au 2ème étage ; ![endif]>![if>
C. un 3 pièces au 2ème étage ; ![endif]>![if>
D. un 4.5 pièces au 3ème étage ;![endif]>![if>
E. un 3.5 pièces au 4ème étage ; ![endif]>![if>
F. un 6 pièces au 6ème étage.![endif]>![if>
Le fait d'avoir laissé ces appartements délibérément vides constituait une violation de la LDTR.
Le département ordonnait de remettre en location les appartements A et B et de lui transmettre la preuve de remise en location des appartements C à F en fournissant les nouveaux contrats de bail et les avis de fixation initial (formule officielle) de chacun de ces appartements. Un nouvel état locatif actualisé de l'immeuble devait également être transmis.
En outre, au vu de la pénurie importante de logements qui sévissait dans le canton depuis de nombreuses années, du nombre d'appartements concernés, de leur typologie et de la période durant laquelle ceux-ci avaient été soustraits au marché du logement, une amende administrative de CHF 20'000.- était prononcée, dont le montant tenait compte de la gravité tant objective que subjective de l'infraction. Comme autres circonstances, avaient été pris en considération son statut de professionnelle de l'immobilier et la violation manifeste et intentionnelle des devoirs de diligence de Monsieur H______, soit l'un des administrateurs de la société.
13. Par acte du 28 novembre 2022, la société (ci-après: la recourante), sous la plume de son conseil, a formé recours contre la décision précitée concluant à son annulation, subsidiairement, à la réduction du montant de l'amende administrative, sous suite de frais et dépens.![endif]>![if>
La décision était entachée d'un grave vice de forme. La procédure de demande de renseignements et de sommation prévue aux art. 26 ss LDTR n'avait pas été respectée. Le département avait adressé deux courriers à la recourante en lien avec les appartements concernés : le premier du 14 janvier 2022, sollicitant des informations et ne contenant aucune référence aux art. 26 ss LDTR ni menace de sanction et la décision du 26 octobre 2022. Le principe de l'incrimination (art. 31 LDTR) n'avait pas été respecté. Si cette procédure avait été suivie, le département aurait pu être informé que les appartements visés étaient en travaux, respectivement proposés à la location dès le début de l'année 2022 et elle avait fourni des explications au département, par courrier, en janvier et février 2022, sans que ce dernier ne sollicite d'informations complémentaires sur les motifs légitimes allégués.
Il aurait également pu être informé du fait que les appartements visés avaient tous été reloués entre le 15 décembre 2021 et le 1er juin 2022, de sorte qu'au moment du prononcé de la décision, la situation dénoncée par le département n'avait plus cours. En effet, dans sa décision, il ordonnait le rétablissement d'une situation conforme au droit en procédant à la remise en location des appartements de 4.5 pièces au 1er étage et de 5.5 pièces au 2ème étage. Or, ces appartements avaient été reloués les 15 mars et 1er juin 2022. La mesure du département se fondait ainsi sur un état de fait erroné.
Le prononcé de l'amende en raison de la violation des art. 26 ss LDTR, pour avoir laissé un appartement inoccupé durant plus de trois mois, n'était fondé sur aucune base légale expresse. Ces articles avaient valeur de lex specialis et concernaient l'expropriation temporaire de l'usage (art. 32 LDTR), seule sanction applicable en l'espèce, ce qui excluait l'application de l'art. 44 LDTR.
Le montant de l'amende était disproportionné. Le contexte de la pénurie de logement était indépendant de sa volonté délictuelle. De plus, la prise en compte de la période d'inoccupation était manifestement erronée, puisque le département considérait à tort, au moment du prononcé de la décision querellée, que certains appartements étaient inoccupés. En outre, ses explications n'avaient pas été prises en compte, alors que dès le début de l'année 2022, les appartements visés étaient soit en travaux, soit proposés à la location à des loyers usuels et non abusifs. Il existait donc des motifs légitimes à leur non-occupation. Enfin, l'incrimination personnelle d'un des administrateurs n'avait pas de rapport avec les faits reprochés.
14. Le 31 janvier 2023, le département a transmis ses observations, accompagnées de son dossier. Il concluait au rejet du recours.![endif]>![if>
Il ne s'agissait pas d'une procédure d'expropriation au sens des art. 26 ss LDTR, mais d'une sanction administrative pour non-respect de ladite loi sur la base de l'art. 44 LDTR. En laissant des locaux vides pendant plusieurs mois, la recourante avait violé le but même de la LDTR et avait aussi violé son obligation d'annonce à l'OCPM.
De surcroît, la décision querellée concernait une situation constatée le 16 décembre 2021 et au sujet de laquelle, de l'aveu de M. C______, six appartements avaient été laissés vides pendant plusieurs mois. Le fait que des travaux avaient été initiés ensuite ou encore que les logements avaient été loués ou proposés à la location courant 2022 n'avait aucune incidence. Par ailleurs, tant les régies en charge de l'immeuble que la recourante avaient pu se déterminer par courriers avant que la décision ne fût rendue. À cet égard, certains courriers confirmaient que les six appartements avaient été laissés vacants depuis plusieurs mois et rien ne contredisait cet élément.
L'ordre de remise en état portait non seulement sur la remise en location des appartements A et B, mais également sur la transmission de la preuve de location des appartements C à F et des baux et avis de fixation pour ces appartements. Un état locatif actualisé était également demandé. Il prenait note des faits et preuves amenés dans le cadre du recours. Ce point ne présentait plus ni problème ni contrainte pour la recourante, la remise en location ayant déjà été effectuée et les pièces demandées produites. Cet élément était actuellement examiné par les services compétents. Néanmoins, dans la mesure où, à la date de la prise de décision, l'ensemble des éléments demandés n'avaient pas été communiqués au département, la décision querellée était fondée sur ce point.
L'amende était dès lors justifiée dans son principe. Concernant sa quotité, la faute commise par la recourante ne pouvait être considérée comme légère, vu la situation de grave pénurie de logements existante à Genève, du nombre d'appartements concernés, du fait qu'ils rentraient tous dans la catégorie de biens dans laquelle sévissait une pénurie et que leur vacance avait duré plusieurs mois sans motif légitime. Par ailleurs, en tant que professionnelle de l'immobilier, la recourante ne pouvait ignorer la LDTR. Quant à son administrateur, M. H______, il était également administrateur d'autres sociétés actives dans le domaine immobilier, dont certaines avaient un passif d'infractions, de sorte qu'il ne pouvait ignorer les obligations de la société et laisser les locaux vacants, sauf à violer son devoir de diligence. Le montant de l'amende n'était ainsi pas disproportionné.
15. Le 21 février 2023, la recourante a répliqué. ![endif]>![if>
La décision querellée faisait expressément référence aux art. 27, 28 et 29 LDTR, lesquels se trouvaient sous la section de la loi consacrée à l'expropriation, laquelle formait un tout, dont l'expropriation et l'amende étaient deux des aboutissements possibles. Le processus préalable des art. 27 à 31 LDTR devait être respecté. La systématique de la LDTR contredisait la position du département. Le défaut d'annonce de l'art. 29 LDTR était forcément le premier comportement pouvant aboutir au prononcé d'une amende administrative, mais seulement après le respect des différentes étapes, sans quoi le législateur n'aurait pas réservé la menace d'une amende à la seule sommation de l'art. 31 LDTR. Ce choix du législateur était ainsi une lex specialis et concrétisait sa volonté de n'amender le propriétaire qu'à l'issue d'un processus de mise en garde comportant deux avertissements successifs
Elle avait transmis la copie des baux au département par courrier du 25 septembre 2022 et, à cette date, tous les appartements visés par l'ordre de rétablissement d'une situation conforme au droit étaient reloués. Elle avait ensuite à nouveau donné suite à cet ordre non seulement à l'occasion de son recours, mais aussi par courrier du 28 novembre 2022 adressé au département. L'ordre de remise en état était ainsi infondé au moment du prononcé de la décision.
L'amende administrative était également infondée dans son principe. Concernant sa quotité, le contexte de la pénurie était indépendant de toute volonté délictuelle. En outre, la période de vacance « de plusieurs mois » ne ressortait pas du dossier ni n'était précisée par le département. Si elle ne contestait pas sa qualité de professionnelle de l'immobilier, le passif d'infractions d'un de ses administrateurs dans d'autres sociétés ne pouvait influer sur la quotité de la sanction infligée.
16. Le 16 mars 2023, le département a dupliqué.![endif]>![if>
Une expropriation représentait une ultima ratio et, en l'occurrence, en vertu du principe de proportionnalité, il avait été décidé de régler la situation, dans un premier temps, par le biais de l'ordre de remise en location/production de documents et de l'amende. La sommation de l'art. 31 LDTR ne concernait que la procédure d'expropriation. L'art. 44 LDTR était une norme générale pouvant s'appliquer à n'importe quelle violation de la LDTR et, quoiqu'il en fût, la recourante avait violé l'art. 29 LDTR ainsi que le but même de la loi, ce qui justifiait le prononcé de l'amende administrative.
Le service LDTR avait confirmé n'avoir aucune trace de la communication des documents demandés. Dans la mesure où le lien Swisstransfer était expiré et que la pièce produite à cet effet par la recourante ne permettait pas de démontrer le contenu des pièces jointes, il ne pouvait être retenu que lesdits documents étaient en sa possession avant le prononcé de la décision querellée. De plus, si ces documents avaient été transmis, l'avocat de la recourante l'aurait indiqué dans son courrier du 28 novembre 2022. Même s'il devait être prouvé que l'ordre était entièrement respecté à la date de la décision litigieuse, celle-ci n'impliquait aucune démarche supplémentaire de la part de la recourante et, dès lors, on peinait à saisir quel intérêt la recourante disposait à contester la décision sur ce point, dans la mesure où l'absence de documents requis ne motivait pas l'amende administrative.
17. Le 30 mars 2023, la recourante a transmis des observations spontanées.![endif]>![if>
18. Par jugement du 4 mai 2023 (JTAPI/7______), le tribunal a admis le recours de l'exploitant (A/5______), retenant, en substance, qu'à teneur des éléments du dossier, la dernière affectation autorisée des locaux ne visait pas l'exploitation d'un tea-room, comme le prétendait le département à l'origine, ni d'un supermarché, mais d'un réfectoire/cafétéria, à l'instar d'un café-restaurant. En outre, l'interdiction d'utiliser les locaux a été jugée disproportionnée. Ce jugement n'a pas été contesté et est entré en force. ![endif]>![if>
19. Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.![endif]>![if>
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).![endif]>![if>
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).![endif]>![if>
3. Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée dans le cas d’espèce.![endif]>![if>
4. La recourante critique la décision querellée au motif que la procédure prévue aux art. 26 ss LDTR n'aurait pas été respectée, notamment le défaut de sommation avant le prononcé de l'amende. De son côté, le département conteste que la procédure desdits articles aurait dû être suivie et est d'avis que l'art. 44 LDTR était directement applicable.![endif]>![if>
5. Selon l'art. 26 LDTR, afin de remédier à la pénurie de logements, l’Etat peut acquérir par voie d’expropriation, conformément à la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE – L 7 05), l’usage temporaire des appartements locatifs laissés vides de tout occupant sans motif légitime durant plus de 3 mois consécutifs. Il s’agit d’une mesure temporaire, qui porte sur le droit d’usage du logement mais n’en affecte pas le droit de propriété. Elle est conçue pour être une ultima ratio (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 382).![endif]>![if>
Est un appartement laissé vide tout appartement inoccupé qui n’est pas offert en location, ou qui fait l’objet d’une location fictive, ou qui ne trouve pas preneur parce que le loyer réclamé dépasse de manière abusive le loyer admissible en vertu du droit fédéral (art. 27 LDTR).
6. D'après l'art. 28 LDTR, constitue notamment un motif légitime de maintenir un appartement vide le dépôt d’une requête en autorisation de démolir ou de transformer, lorsque, sur la base du dossier, le département considère :![endif]>![if>
a) soit que la démolition est susceptible d’être autorisée ;
b) soit que l’état de l’immeuble impose à l’évidence sa transformation hors la présence des occupants.
L’énumération de l’art. 28 LDTR est exemplative. Partant, d’autres motifs peuvent apparaître comme légitimes, par exemple le besoin du propriétaire ou de ses proches de disposer des locaux. Il en va de même des autres motifs menant à la fin de la mesure d’expropriation selon l'art. 37 LDTR (Emmanuel GAIDE/ Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 385).
7. Tout appartement laissé vide doit être annoncé par son propriétaire ou son gérant dans les 3 mois à l'OCPM. Celui-ci avise alors le département (art. 29 LDTR).![endif]>![if>
8. Lorsqu’il constate ou apprend qu’un appartement demeure vide sans motif légitime, le département adresse une demande de renseignements au propriétaire. Il attire son attention sur les dispositions du présent chapitre et l’invite à indiquer par écrit dans les 15 jours les motifs pour lesquels et la date depuis laquelle l’appartement est laissé vide (art. 30 LDTR).![endif]>![if>
La procédure préalable de demande de renseignements de l’art. 30 LDTR permet au propriétaire d’exercer son droit d’être entendu avant que la sommation lui soit adressée (Emmanuel GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 390).
9. D'après le texte de l'art. 31 al. 1 et 2 LDTR, lorsqu’à l’expiration du délai de l’art. 30 deuxième phr. LDTR, le propriétaire ne rapporte pas la preuve d’un motif légitime quant au maintien d’un appartement vide, ou lorsqu’il ne donne pas suite à la demande de renseignements, le département peut lui adresser une sommation. ![endif]>![if>
Le contenu de la sommation est le suivant :
a) Invitation à relouer l’appartement dans un délai de 2 mois à un loyer raisonnable au locataire de son choix ou à une personne proposée par l’OCLPF;
b) Mention selon laquelle le refus d’y donner suite est passible de l’amende administrative prévue à l’art. 137 LCI, conformément à l’art. 44 LDTR ;
c) Mention selon laquelle le refus d’y donner suite ouvre la faculté à l’Etat d’exercer son droit d’expropriation.
Toutes ces indications doivent figurer cumulativement dans la sommation. L’invitation à relouer l’appartement est l’expression, dans la sommation, du caractère d’ultima ratio de la mesure d’expropriation. Le propriétaire est incité à remédier à la situation. Le loyer « raisonnable » est un loyer non abusif au sens des art. 269 ss CO. Le propriétaire a le choix de son cocontractant ; il peut conclure avec le locataire désigné par lui ou avec une personne proposée par l’OCLPF. Il n’est pas obligé de conclure. Toutefois, il s’expose à l’expropriation de l’usage de son appartement s’il ne conclut pas de bail. Le délai de 2 mois court dès l’entrée en force de la sommation, à moins que celle-ci n’ait été déclarée exécutoire nonobstant recours. La menace de l’amende administrative pour le cas où il ne serait pas donné suite à la sommation est l’expression de ce que laisser un appartement délibérément vide constitue une violation de la LDTR. Le principe de l’incrimination est ainsi respecté (Emmanuel GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 389-390).
10. Si la sommation demeure infructueuse, le Conseil d’Etat examine si les conditions sont réunies pour déclarer d’utilité publique l’expropriation temporaire du droit d’usage de l’appartement concerné. Tel est le cas lorsque l’appartement dont il s’agit se trouve dans un immeuble dont les loyers répondent, ou répondaient jusqu’à récemment, aux besoins prépondérants de la population (art. 32 al. 1 LDTR). Le cas échéant, le Conseil d’Etat peut, indépendamment des sanctions visées à l’art. 31 al. 2 LDTR, déclarer d’utilité publique et décréter l’expropriation temporaire du droit d’usage de l’appartement concerné. L’urgence est présumée et l’arrêté du Conseil d’Etat ordonne la prise de possession immédiate (art. 32 al. 2 LDTR).![endif]>![if>
11. En même temps qu’il décrète l’expropriation, le Conseil d’Etat peut infliger une amende au propriétaire exproprié. Dans ce cas, la violation de la LDTR consiste en le fait de laisser vides des appartements, ce qui est expressément indiqué dans la sommation comme étant une violation de la loi (Emmanuel GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN).![endif]>![if>
12. Selon l'art. 44 LDTR, celui qui contrevient aux dispositions de la LDTR est passible des mesures et sanctions administratives prévues par les art. 129 à 139 LCI, sous réserve des peines plus élevées prévues par le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Le département notifie aux intéressés par lettre recommandée les mesures qu'il ordonne. Il fixe un délai pour leur exécution (art. 130 LCI). Les propriétaires ou leurs mandataires sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par cette autorité (art. 131 LCI). ![endif]>![if>
13. Le principe de la légalité, consacré à l’art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige que les autorités n’agissent que dans le cadre fixé par la loi.![endif]>![if>
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 140 V 485 consid. 4.1 ; 140 V 227 consid. 3.2 et les arrêts cités).
14. En l'espèce, selon une interprétation systématique de la LDTR, les art. 26 ss LDTR sont regroupés dans la section 2 « expropriation temporaire de l’usage des appartements locatifs laissés abusivement vides » du chapitre VII relatif aux mesures visant à lutter contre la pénurie d’appartements locatifs, étant relevé qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans la loi d'autres normes au sujet d'appartements laissés vides. Combinée à une interprétation littérale de la LDTR, il appert que les art. 26 ss LDTR imposent le respect d'une procédure particulière en cas d'appartements laissés abusivement vides. La position du département à cet égard, estimant que cette procédure serait réservée aux cas d'expropriation, n'est pas convaincante. En effet, à le suivre, puisqu'il ne s'agirait en l'espèce pas d'une situation où une expropriation temporaire de l'usage des logements serait envisagée in fine – ce qu'aucune des parties ne conteste –, la procédure prévue par les art. 26 ss LDTR ne devrait pas être respectée, bien que les normes qui fondent la décision litigieuse soient toutes comprises dans ce chapitre de la loi (art. 26 à 29 LDTR). Dans cette mesure, l'interprétation de la LDTR opérée par le département reviendrait à permettre de sanctionner par le biais de l'amende le fait de laisser des appartements abusivement vides, situation susceptible d'entrainer une expropriation temporaire, sans respecter la procédure liée à cette conséquence juridique potentielle, au motif qu'elle ne serait simplement pas encore envisagée à ce stade. Une telle interprétation ne peut clairement pas être conforme à ce qu'envisageait le législateur. À cet égard, si les mémoriaux du Grand Conseil ne permettent pas de mettre clairement en évidence la volonté du législateur quant à l'application conjointe de ces normes, certains indices découlent de l'exposé des motifs du projet de loi 13'258 (« Rendons automatique la loi actuelle d’expropriation du droit d’usage d’appartements locatifs laissés abusivement vides » ; ci-après: PL 13'258), déposé le 9 février 2023. En effet, le PL 13'258 vise la modification de la formulation potestative de l'art. 31 al. 1 LDTR (« le département peut lui adresser une sommation »), en la remplaçant par une véritable obligation juridique pour le département. L'exposé des motifs précise le but recherché par cette proposition de modification de la LDTR en indiquant qu'en « modifiant le verbe " pouvoir " par " devoir ", [le PL 13'258] vise à forcer les autorités à agir face à des appartements laissés volontairement vides en rendant contraignant le processus d’expropriation temporaire (…) Ainsi, les autorités ne pourront pas, par manque de courage ou pire par passivité coupable, se retrancher derrière la loi telle qu’elle est aujourd’hui ». À la lecture de l'exposé des motifs, il appert que la formulation potestative de l'art. 31 al. 1 LDTR ne saurait être comprise comme une faculté laissée au département de ne pas adresser ladite sommation au propriétaire concerné au profit d'une autre procédure, notamment par le prononcé d'une amende administrative selon l'art. 44 LDTR uniquement. Au contraire, cette formulation potestative de l'art. 31 al. 1 LDTR doit plutôt s'interpréter dans le sens où elle accorde au département une marge de manœuvre quant au choix d'enclencher la suite de la procédure par la voie de la sommation, ou simplement de renoncer à la poursuivre. La doctrine va dans le même sens et retient que « la menace de l'amende administrative pour le cas où il ne serait pas donné suite à la sommation est l'expression que laisser un appartement délibérément vide constitue une violation de la LDTR. […] Le département est libre d'adresser la sommation, comme il est libre de temporiser ou de renoncer à engager la procédure » (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉGAGO GAUDIN, op. cit., p. 389 s.).![endif]>![if>
Par conséquent, il est manifeste que la procédure mise en place par les art. 26 ss LDTR doit être suivie en cas de logements laissés vides depuis plus de trois mois, dans la mesure où elle instaure une procédure particulière pour régler cette situation spécifique. Il convient en outre de souligner que la sanction dont le propriétaire doit être menacé de manière préalable selon l'art. 31 al. 2 let. b LDTR ne peut être concrètement prononcée qu'en conséquence du refus de donner suite à l'ordre contenu dans la sommation au sens de l'art. 31 al. 2 let. a LDTR. Ce dispositif n'ouvre ainsi la voie à une sanction que dans la mesure où le propriétaire se montre récalcitrant et persiste, malgré une mise en garde explicite, à ne pas mettre en location des logements vacants. Le caractère spécifique de ce dispositif légal ne laisse pas de place à la possibilité d'ériger en une infraction plus générale au sens de l'art. 44 LDTR le seul fait d'avoir laissé des logements vacants.
Or, en l'occurrence, lors du contrôle sur place du 16 décembre 2021, le département a constaté que les logements étaient vacants depuis plus de trois mois, ce que M. C______ a admis à ce moment. Le département a ensuite imparti à la recourante un délai de dix jours pour faire valoir ses observations par courrier du 14 janvier 2022, ce qu'elle a fait par courrier du 26 janvier 2022. Ultérieurement, il a prononcé un premier ordre d'achever les travaux, accompagné d'une amende administrative de CHF 500.- par décision du 13 mai 2022, laquelle est entrée en force. Enfin, le 26 octobre 2022, le département a prononcé la décision contestée.
Ainsi, si le département a permis à la recourante de se déterminer avant le prononcé de la décision querellée, ce qui équivaut de facto à l'exercice de la demande de renseignement prévue à l'art. 30 LDTR, certes dans un délai inférieur à ce que prévoit ladite norme, il est manifeste que le département n'a pas adressé à la recourante la sommation exigée par l'art. 31 LDTR, mentionnant notamment que le refus d’y donner suite est passible de l’amende administrative (art. 137 LCI cum 44 LDTR), mais a directement prononcé l'amende administrative, sans attendre que la sommation soit infructueuse. Dans cette mesure, il est manifeste que le département ne s'est pas conformé à la procédure expressément mise en place par la LDTR en cas d'appartements laissés abusivement vides, étant par ailleurs précisé qu'au moment du prononcé de cette décision, d'après l'état locatif actualisé au 1er juin 2022 et les différents baux transmis, les appartements concernés étaient à l'évidence tous loués, à tout le moins depuis le 1er juin 2022.
La constatation de ce vice suffit ainsi à justifier l'annulation de la décision querellée, indépendamment des chances de succès au fond s'agissant de la contestation de l'amende administrative.
15. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision annulée. ![endif]>![if>
16. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA – E 5 10.03), la recourante, qui obtienne gain de cause, est exonérée de tout émolument. Son avance de frais de CHF 900.- lui sera restituée. ![endif]>![if>
17. Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).![endif]>![if>
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 25 novembre 2022 par A______ contre la décision du département du territoire du 26 octobre 2022 ;![endif]>![if>
2. l'admet ;![endif]>![if>
3. annule la décision du département du territoire du 25 novembre 2022 ;![endif]>![if>
4. renvoie la cause au département du territoire pour la suite à y donner au sens des considérants ;![endif]>![if>
5. renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution à A______ de l’avance de frais de CHF 900.- ;![endif]>![if>
6. condamne l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;![endif]>![if>
7. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.![endif]>![if>
Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Manuel BARTHASSAT, François HILTBRAND, Diane SCHASCA et Romaine ZÜRCHER, juges assesseurs
Au nom du Tribunal :
Le président
Olivier BINDSCHEDLER TORNARE
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |