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Décisions | Chambre de surveillance

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C/19806/2022

DAS/279/2023 du 14.11.2023 sur DJP/586/2023 ( AJP ) , REJETE

Normes : LDIP.20; LDIP.86; LDIP.90; CC.20
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19806/2022 DAS/279/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 14 NOVEMBRE 2023

 

Appel (C/19806/2022) formé le 11 septembre 2023 par Madame A______, domiciliée ______ (Allemagne), représentée par Me Maximilien DE RIDDER, avocat.

* * * * *

Arrêt communiqué par plis recommandés du greffier
du 14 novembre 2023 à :

 

- Madame A______
c/o Me Maximilien DE RIDDER, avocat
Route de Chêne 30, 1211 Genève 6.

- Monsieur B______
c/o Me Matteo INAUDI, avocat
Avenue Léon-Gaud 5, 1211 Genève 12.

- JUSTICE DE PAIX.

 


Attendu, EN FAIT, que par décision DJP/586/2023 datée du 25 août 2023 et communiquée aux parties pour notification le 30 août 2023, la Justice de paix s'est déclarée compétente pour connaître de la succession de C______, décédé le ______ 2022 (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions et mis les frais, arrêtés à 300 fr., à la charge de la succession (ch. 2 et 3);

Que la Justice de paix a retenu en substance qu'étant compétente matériellement pour prendre des mesures de nature provisoire dans le cadre des successions, elle devait statuer dans cette limite sur sa propre compétence à raison du lieu, contestée en l'espèce, l'examen de la compétence des autorités suisses sur le fond étant du ressort du juge du fond, cas échéant;

Que ce faisant et dans la présente cause, elle a considéré que le dernier domicile du défunt était à Genève et que dès lors elle était compétente prima facie pour prendre les mesures découlant de sa compétence matérielle;

Que par appel du 11 septembre 2023, A______, veuve du défunt, a conclu à l'annulation de la décision en question et à la constatation de l'incompétence de la Justice de paix pour "traiter" de la succession de C______, subsidiairement, à l'annulation de la décision et au renvoi de la cause à la première instance pour nouvelle décision;

Qu'elle soutient en substance, que celui-ci était domicilié en Allemagne au moment de son décès, de sorte que sa succession devait être réglée par les autorités allemandes, d'ores et déjà saisies par ailleurs;

Qu'elle fait grief à la Justice de paix d'avoir constaté les faits de manière inexacte et violé les dispositions relatives à l'établissement et à la détermination du domicile, en ne retenant pas que le dernier domicile du défunt était en Allemagne, celui-ci étant inscrit dans les registres officiels allemands comme domicilié, qu'il y était assuré depuis 2014 et qu'il y avait reçu des prestations à domicile depuis 2017, notamment;

Qu'en date du 28 septembre 2023, l'appelante a requis la suspension de la procédure d'appel au motif qu'il était nécessaire d'attendre le résultat d'une procédure civile au fond introduite par elle le 21 septembre 2023 auprès du Tribunal de première instance visant, notamment, à ce qu'il soit constaté que les autorités suisses n'étaient pas compétentes dans le cadre de la succession en question et principalement à faire constater l'inexistence du testament daté du 15 septembre 2017, subsidiairement d'en prononcer la nullité partielle;

Que par détermination du 12 octobre 2023, B______, frère du défunt, s'est opposé à cette requête;

Que par réponse à l'appel du même jour, il a conclu à son rejet et à la confirmation de la décision attaquée, soutenant que la Justice de paix avait constaté les faits de manière exacte et n'avait pas violé le droit, le défunt, qui n'avait jamais annoncé son départ de Suisse et y avait le centre de ses intérêts, étant domicilié à Genève au moment de son décès;

Que les parties ont été informées le 13 octobre 2023 que la cause était mise en délibération;

Attendu qu'il ressort pour le surplus de la procédure:

Que C______, né le ______ 1937, de nationalité allemande, domicilié route 1______ no. ______, [code postal] Genève, est décédé le ______ 2022 à D______ (Allemagne);

Que le défunt, marié à A______, n'avait pas de descendance et avait un frère, B______;

Que selon sa déclaration auprès de l'Office cantonal de la population et des migrations, il était inscrit comme étant marié mais résidant seul à Genève;

Que le frère du défunt, B______, a remis à la Justice de paix en date du 13 octobre 2022 un testament daté du 15 septembre 2017, rédigé en langue allemande, par lequel il l'avait institué comme son unique héritier;

Que la veuve du défunt avait parallèlement déposé auprès des autorités allemandes un testament antérieur du défunt daté du 31 octobre 2011, dans lequel son épouse était instituée comme unique héritière;

Que, par écriture du 28 avril 2023 adressée à la Justice de paix, l'épouse du défunt a conclu à ce que la Justice de paix prenne acte de son opposition à la délivrance d'un certificat d'héritier en faveur de B______, se réservant le droit de contester l'authenticité du testament déposé auprès d'elle, à ce qu'elle constate son absence de compétence pour "traiter" de la succession et à ce qu'elle n'entre pas en matière sur l'ouverture de celle-ci;

Qu'elle soutenait notamment, que depuis un AVC survenu en 2014, la santé du défunt s'était continuellement dégradée, de sorte qu'il recevait des prestations de soins à domicile;

Qu'elle a produit des attestations d'assurance démontrant que le de cujus était assuré auprès d'une caisse d'assurance-maladie allemande depuis le 1er janvier 2014 jusqu'au ______ 2022, date du décès;

Qu'au vu du testament de 2011 l'instituant unique héritière, elle avait requis, par le biais d'un notaire allemand, la délivrance d'un certificat d'héritier le 9 septembre 2022 auprès des autorités allemandes, la question de la compétence des autorités allemandes demeurant pendante et étant en cours d'instruction auprès d'elles;

Attendu que, par déterminations du 31 juillet 2023, B______ a conclu à ce que la Justice de paix constate sa compétence pour "traiter" de la succession et entre en matière sur sa demande d'ouverture de la succession;

Qu'il a soutenu que son frère avait son domicile à Genève;

Qu'il avait passé toute sa vie professionnelle à Genève depuis les années 60 et continué à y vivre après sa retraite, de sorte qu'il continuait, notamment, à y remplir ses déclarations fiscales, y compris celle de 2021 durant l'année 2022, ce qu'il n'avait jamais fait en Allemagne;

Que la déclaration fiscale pour 2021 avait été transmise à l'Administration fiscale cantonale le 22 août 2022 par son mandataire;

Que le défunt avait été hospitalisé à plusieurs reprises à Genève entre le 12 février 2010 et le 2 février 2016, conformément aux certificats d'hospitalisation de E______ produits;

Qu'il était assuré en Suisse auprès de F______ pour son assurance-maladie obligatoire jusqu'à son décès;

Que le 25 mars 2020, lui avait été délivrée, suite à la demande de son médecin de E______, une garantie d'assurance de prise en charge des coûts pour l'alimentation artificielle à domicile d'une validité de deux ans;

Que notamment entre mars et juillet 2020, il avait reçu des prestations de soins à domicile à Genève;

Que c'est à Genève que le défunt avait d'ailleurs réalisé un test d'aptitude à la conduite le 19 avril 2021 auprès d'un médecin, après avoir suivi des cours de conduite et acheté un véhicule qu'il avait fait immatriculer en Suisse au printemps 2020;

Que le défunt effectuait des séjours en Allemagne, sous l'impulsion de son épouse qui y résidait, mais continuait à résider régulièrement à Genève où il était d'ailleurs propriétaire de plusieurs biens immobiliers, dont celui où il vivait;

Qu'en outre, le défunt s'occupait encore, entre 2020 et 2021, d'un conflit de voisinage au sein de la copropriété de l'immeuble où il résidait à Genève;

Que le dossier contient trois attestations établies par les voisins du défunt au no. ______, route 1______ à Genève, déclarant que celui-ci se rendait en Allemagne contre sa volonté mais séjournait régulièrement à Genève où il avait encore fêté son anniversaire le ______ 2021, avant de se rendre une dernière fois en Allemagne en voiture, n'ayant plus été en mesure de revenir à Genève postérieurement;

Qu'en date du 18 août 2023, A______ a fait tenir à la Justice de paix un document intitulé "Meldebestätigung" indiquant que le défunt aurait déclaré son emménagement dans la commune de G______ (Allemagne) le 26 avril 2016;

Considérant, EN DROIT, que les décisions du juge de paix, qui relèvent de la juridiction gracieuse, sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. e CPC). Elles sont susceptibles d'un appel dans un délai de dix jours (art. 314 al. 1 CPC) auprès de la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 2 LOJ), si la valeur litigieuse est égale ou supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC);

Que l'appel doit en outre être motivé (art. 311 al. 1 CPC);

Qu'en l'espèce, l'appel a été formé dans le délai de dix jours, dès la notification de la décision, et est motivé, la valeur litigieuse étant largement atteinte, de sorte qu'il est recevable;

Que la Cour dispose d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit (art. 310 CPC);

Que l'appelante requiert en premier lieu la suspension de la procédure;

Que cette demande est sans objet dans la mesure de la décision rendue ce jour sur le fond de son appel;

Que l'appelante reproche à la Justice de paix de s'être déclarée compétente ratione loci pour connaître de la succession de feu C______, soutenant que le dernier domicile du défunt était en Allemagne;

Qu'aux termes de l'art. 86 al. 1 LDIP, les autorités judiciaires ou administratives suisses du dernier domicile du défunt sont compétentes pour prendre les mesures nécessaires au règlement de la succession et connaître des litiges successoraux;

Qu'en vertu de l'art. 20 al. 1 let. a LDIP, qui repose sur les mêmes critères que l'art. 23 al. 1 CC (ATF 119 II 167 consid. 2b), une personne physique a son domicile dans l'Etat dans lequel elle réside avec l'intention de s'y établir (arrêt du Tribunal fédéral 5A_278/2017 consid. 3.1);

Que le domicile de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir; le séjour dans une institution de formation ou le placement dans un établissement d’éducation, un home, un hôpital ou une maison de détention ne constitue en soi pas le domicile et que nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (art. 23 al. 1 et 2 CC);

Que la notion de domicile comporte deux éléments: l'un objectif, la présence physique en un lieu donné; l'autre subjectif, l'intention d'y demeurer durablement (ATF 141 V 530 consid. 5.2; 137 II 122 consid. 3.6; 136 II 405 consid. 4.3);

Que le domicile correspond, en principe, au lieu où se focalisent un maximum d'éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 141 V 530 idem; 136 II 405 idem);

Qu'en effet, le critère principal de détermination du domicile d'une personne reste celui du centre de ses relations personnelles, en particulier des relations familiales;

Que le domicile des époux sera en principe commun, sauf s'ils ont clairement établi le centre de leurs relations personnelles respectives en des lieux différents à la suite d'une séparation ou pour d'autres raisons (arrêt 2C_413/2011 consid. 3.4);

Qu'il appartient au juge du fond de statuer définitivement sur la compétence des autorités suisses - et de déterminer à cette fin le lieu du dernier domicile du de cujus;

Qu'il incombe cependant au juge de paix de procéder à un examen provisoire prima facie de cette question pour déterminer sa propre compétence à prononcer des mesures de sûreté (DAS/65/2020 du 29 avril 2020 consid. 3.2);

Que la Justice de paix est chargée des tâches relatives à la dévolution des successions au sens de la Loi d'application du Code civil (ci-après: LaCC), lorsque la personne décédée était domiciliée à Genève;

Qu'elle est compétente pour ordonner l'administration d'office d'une succession, le bénéfice d'inventaire ou la liquidation officielle de la succession (art. 3 al. 1 et 93 ss LaCC) et peut ainsi prendre les mesures de sûretés nécessaires pour assurer la dévolution, telle qu'elles sont prévues par les art. 551 ss CC (apposition des scellés, inventaire, administration d'office de la succession, ouverture du testament, délivrance du certificat d'héritier, etc…);

Que la succession d'une personne qui avait son dernier domicile en Suisse est régie par le droit suisse (art. 90 al. 1 LDIP), tandis que la succession d'une personne qui a eu son dernier domicile à l'étranger est régie par le droit que désignent les règles de droit international privé de l'Etat dans lequel le défunt était domicilié (art. 91 al. 1 LDIP);

Que la présente cause porte exclusivement en l'état sur la compétence locale de la Justice de paix dont la compétence matérielle se limite à prendre des mesures de nature provisoire, telles que rappelées ci-dessus, afin de protéger la dévolution de la succession;

Qu'en l'espèce, c'est avec raison que la Justice de paix a considéré que, prima facie, le domicile du défunt était à Genève, de sorte qu'elle était compétente pour prendre les mesures relevant de sa compétence matérielle;

Que l'appelante soutient que le domicile allemand aurait dû être retenu essentiellement du fait que le défunt y a bénéficié de soins stationnaires, y a formellement annoncé son arrivée et a signalé dans sa déclaration fiscale genevoise qu'il était domicilié à l'étranger;

Que s'agissant de ce dernier point, l'argument est vain et spécieux, comme relevé par l'intimé, dans la mesure où la mention en question est une mention préimprimée du formulaire de déclaration fiscale genevoise à la suite de laquelle une indication doit être donnée si tel est le cas, alors que, précisément, aucune information que tel aurait été le cas pour le contribuable en question (le défunt) ne figure sur la déclaration fiscale de celui-ci en regard de ladite mention;

Que s'agissant des soins stationnaires, il n'est pas contesté que le défunt en ait eu besoin en fin de vie;

Qu'il n'est pas contesté non plus, au vu des pièces produites, qu'il a bénéficié de tels soins en Allemagne comme en Suisse;

Que ceux-ci sont devenus nécessaires où qu'il se fût trouvé, sans que cela n'impacte en rien la notion de domicile, le défunt séjournant indifféremment à Genève et en Allemagne à certaines périodes;

Qu'enfin, et pour purger les arguments de l'appelante, quand bien même une annonce de prise de domicile du défunt aurait été faite en Allemagne le 26 juin 2016, on ne sait par qui d'ailleurs à lecture de la pièce produite, celui-ci n'a pas annoncé son départ du canton de Genève;

Qu'appréciant notamment ce dernier fait de manière correcte, la Justice de paix a, à raison, retenu que le de cujus, qui avait été domicilié à Genève depuis des décennies et ne l'avait pas quittée après son passage de la vie professionnelle à la retraite, n'avait pas eu la volonté de changer de lieu de domicile;

Qu'elle a également retenu, à raison, que le défunt était déclaré auprès de l'Office cantonal de la population et des migrations comme marié mais vivant seul à Genève de longue date, relevant par-là l'organisation antérieure de la vie du couple, dont rien au dossier ne laisse à penser qu'elle aurait été modifiée avant le décès;

Qu'à raison encore elle a retenu que, comme pour les soins stationnaires, le défunt, assuré contre la maladie en Suisse comme en Allemagne, avait été suivi médicalement tant en Suisse qu'en Allemagne lorsqu'il y séjournait, du fait des nécessités relatives à son état de santé;

Qu'à juste titre enfin, elle a retenu qu'en 2021 encore, le défunt avait effectué des tests médicaux en Suisse pour attester de son aptitude à la conduite, avait suivi à Genève des cours de conduite auprès d'une école de conduite et avait acheté un véhicule qu'il avait fait immatriculer et assurer à Genève, et s'impliquait pour la résolution de conflits de voisinage dans la copropriété dans laquelle il résidait, durant les dernières années avant son décès;

Que tous ces éléments, de même que l'existences de biens immobiliers du défunt à Genève, qu'il habitait pour partie, et d'autres biens, comptes et coffre, et de l'existence de relations personnelles avec des voisins de longue date notamment, permettent de conclure que le centre de ses intérêts se trouvait à Genève, de sorte que son domicile permettait à la Justice de paix de se déclarer compétente comme elle l'a fait pour prononcer les mesures de sa compétence matérielle relatives à la succession du défunt;

Que sa décision sera confirmée, l'appel étant rejeté sous suite de frais et dépens à charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al.1 CPC);

Que l’émolument de décision pour la procédure d'appel sera fixé à 2'000 fr. (art. 67 RTFMC), partiellement compensé par l'avance de 500 fr. versé par l'appelante, qui reste acquise à l'Etat de Genève;

Que l'appelante sera condamnée au versement du solde en 1'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire;

Qu'elle versera des dépens à hauteur de 2'000 fr. à l'intimé.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 11 septembre 2023 par A______ à l'encontre de la décision DJP/586/2023 rendue le 25 août 2023 par la Justice de paix dans la cause C/19806/2022.

Au fond :

Confirme la décision attaquée.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance de frais versée par cette dernière, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne en conséquence A______ à verser à l’Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 1'500 fr. à titre de solde des frais judiciaires.

Condamne A______ à verser à B______ la somme de 2'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Paola CAMPOMAGNANI et Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

 

Voie de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.