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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/8323/2022

CAPH/68/2024 du 06.09.2024 sur JTPH/312/2023 ( OS ) , PARTIELMNT CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8323/2022 CAPH/68/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

ASSOCIATION A______, sise ______ [GE], appelante et intimée sur appel joint d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 18 septembre 2023 (JTPH/312/2023), représentée par Me Anne MEIER, avocate, Troillet Meier Raetzo, rue de Lyon 77, case postale, 1211 Genève 13,

et

Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée et appelante sur appel joint, représentée par Me Samir DJAZIRI, avocat, Djaziri & Nuzzo, rue Leschot 2, 1205 Genève.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/312/2023 du 18 septembre 2023, le Tribunal des prud'hommes (ci-après: le Tribunal), statuant par voie de procédure simplifiée, a déclaré recevable la demande formée le 18 octobre 2022 par B______ contre son ancien employeur A______ (chiffre 1 du dispositif), condamné A______ à lui verser la somme nette de 12'861 fr. avec intérêts à 5% dès le 22 novembre 2021 au titre d'indemnité pour licenciement abusif (ch. 2), dit qu'il n'était pas perçu de frais ni de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 4).

B.            a. Par acte expédié le 17 octobre 2023 à la Cour de justice, A______ forme appel contre ce jugement, concluant à son annulation et, cela fait, à ce que B______ soit déboutée de toutes autres ou contraires conclusions.

b. Dans sa réponse du 20 novembre 2023, B______ conclut au rejet de l'appel. Formant par ailleurs un appel joint, elle conclut à ce que A______ soit condamnée à lui verser la somme de 19'291 fr. 50 avec suite d'intérêts au titre d'indemnité pour licenciement abusif.

c. Dans sa réplique et réponse à l'appel joint, A______ a persisté dans ses conclusions d'appel et s'est opposée aux conclusions prises sur appel joint par sa partie adverse.

d. B______ a dupliqué et répliqué sur appel joint, persistant dans ses précédentes conclusions.

e. Les parties ont été informées par avis de la Cour du 20 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. A______ est une association de droit suisse dont le siège est à Genève.

Elle poursuit le but de s’engager en faveur d’une société juste au niveau social, politique et économique, d’apporter son soutien aux personnes pour leur permettre de vivre de façon décente et dans la sécurité, de soutenir les personnes et les organisations luttant pour les Droits humains aussi bien en Suisse qu’à l’étranger ; de mettre en place des dispositifs adaptés, notamment des projets de formation, d’intégration, de conseil et d’insertion grâce à des structures spécialisées et professionnelles, ainsi que la location de services.

C______ en est la directrice adjointe et dispose d’une signature collective à deux.

b. Par contrat de durée indéterminée, B______ a été engagée par A______ en qualité de conseillère en placement à partir du 10 avril 2017.

Elle a été employée à plein temps, puis à 90% dès le 1er janvier 2020 pour un salaire annuel brut de 82'400 fr., respectivement 76'401 fr. 90.

c. Par congé-modification du 23 février 2021, le contrat de travail de B______ a été modifié avec effet au 1er juin 2021 pour des raisons d'ordre économique et de réorganisation. Son salaire annuel a été fixé à 77'166 fr. bruts, treizième salaire compris, pour son activité à 90%.

d. Selon l'ensemble des témoins entendus au cours de la procédure, A______ rencontrait des problèmes organisationnels et administratifs récurrents notamment en lien avec le versement des salaires et la facturation, ce qui se répercutait sur les conseillers en placement. Cette problématique a fait l'objet de plusieurs discussions lors de séances individuelles ou de groupe auxquelles la direction de A______ participait.

e. Lors d'un entretien annuel effectué au mois de juillet 2018, il a été relevé que B______ était une excellente collaboratrice, professionnelle, fiable, sérieuse, avec un très bon esprit d'équipe et que ses objectifs étaient atteints. Elle avait pu parfois se laisser influencer par certains collaborateurs/trices dans un certain négativisme/climat malsain et une ambiance morose. Sa supérieure l'avait sentie par moments fatiguée par les problèmes organisationnels du back office et le fait de devoir pallier tous types d'absences.

f. Par courriel du 25 octobre 2018, adressé à la direction et envoyé en copie à tous les membres de l'équipe, B______ s'est plainte au sujet d'une armoire, laquelle avait donné lieu à une altercation avec une collègue, du travail de l'un de ses collègues, ainsi que de dysfonctionnements persistants, notamment des erreurs de facturation, des erreurs de saisie de salaire, un manque de transmission d'informations et de soutien administratif. Elle regrettait qu'aucune mesure ne soit mise en place pour remédier à la situation et s'est dite épuisée.

A______ a expliqué qu'à la suite de ce courriel, un entretien avait eu lieu en présence de la directrice adjointe et de B______, au cours duquel cette dernière avait été rendue attentive au fait que sa manière d'agir et son mode de communication n'étaient pas acceptables.

Par courriel du 5 novembre 2018, la directrice adjointe a rappelé à B______ et à sa collègue concernée par l'altercation mentionnée sous considérant C.f. ci-dessus que la direction attendait une attitude courtoise, professionnelle et positive, garante d'une ambiance propice à une bonne collaboration.

g. Lors de l'entretien annuel qui s'est tenu le 17 juillet 2019, A______ a indiqué qu’un bon nombre de soucis avait été solutionné, tout en relevant que certains devaient encore être gérés. Elle a, par ailleurs, donné certaines instructions concernant le travail devant être attribué au collègue dont B______ s'était plainte. Il a également été demandé à cette dernière d'adopter une attitude positive et de s'abstenir de toute communication négative qui mettait à mal les efforts entrepris.

h. Au courant de l'année 2020, A______ a pris d'importantes mesures de réorganisation pour répondre aux dysfonctionnements et aux pertes financières enregistrées par les agences de placement depuis 2017.

Selon ses explications, la réorganisation avait notamment consisté à mettre en place un cadre de travail participatif, à encourager une plus grande responsabilité de l'équipe et à effectuer un travail sur l'esprit d'équipe. Ce processus avait pour objectif de redéfinir, reformuler et clarifier les objectifs attendus tant par la direction que par l'équipe de travail. Tous les collaborateurs avaient été entendus et les remarques individuelles et collectives avaient été prises en compte.

Certains contrats de travail, dont celui de B______, ont été modifiés en vue de la réorganisation mise en place (cf. let. C.c supra).

h.a Le témoin D______ a déclaré devant le Tribunal qu'à partir de cette période, soit environ six mois après l’épidémie de Covid, une nouvelle responsable avait été engagée et qu’il y avait eu d'énormes tensions ; l'atmosphère était devenue lourde alors qu'avant l'équipe était soudée et fonctionnait bien. Le témoin a ajouté que tout le monde était content de B______, cela jusqu'au changement de la responsable. Selon les témoins E______ et F______, la situation ne s'était pas améliorée, les problèmes en lien avec le paiement des salaires ayant continué. Il fallait régulièrement corriger les décomptes de salaire, qui étaient faux. En fin de compte, les décomptes étaient cependant corrigés et les sommes correctes réglées.

i. A______ a allégué, sans être contredite, qu'une séance avec l'équipe des agences de placement et la direction s'était tenue le 20 avril 2021, afin de discuter du nouveau cadre de travail dans les agences. B______ s'était plainte longuement, en insistant sur les dysfonctionnements, ce à quoi le directeur de l'association lui avait assuré que ses doléances avaient bien été entendues et l’avait invitée à adopter une attitude constructive sans s'attarder sur des situations passées.

j. Par courrier recommandé du 16 août 2021, A______ a résilié le contrat de travail de B______ avec effet au 31 octobre 2021, référence faite aux motifs évoqués oralement lors d’un entretien s’étant tenu le même jour, dont il ressortait que "la collaboration n'était plus possible dans ces conditions". L'employée a été libérée de son obligation de travailler.

k. Le même jour, B______ a adressé un courriel à la direction de A______, dans lequel elle a remercié son employeur pour les années de collaboration et fait part de son sentiment vis-à-vis de son licenciement.

Elle a déploré le fait que le principe d’équité n’avait pas été respecté, dans la mesure où certains de ses collègues et elle-même n’avaient pas été entendus par la direction et que depuis l’arrivée de l’une des collaboratrices, deux clans s’étaient formés et des tensions étaient apparues. B______ a également indiqué avoir perdu des clients en raison du grand nombre d’erreurs en lien avec le versement des salaires et que bien qu’elle en ait fait part à ses supérieurs, aucune solution n’avait été apportée à cette problématique. Elle a, en outre, contesté avoir tenu des propos négatifs à l’encontre de A______ et de sa direction et a déploré le fait qu’elle n’avait jamais eu d’entretien de "recadrage" avant son licenciement. Enfin, B______ a indiqué accepter la décision de A______.

l. Par courrier de son conseil du 30 août 2021, B______ a requis de A______ qu’elle lui indique les motifs de son licenciement.

Le 15 septembre 2021, A______ lui a répondu que son licenciement se fondait sur les remarques négatives envers la structure et la direction qu’elle avait formulées oralement de manière répétée et constante devant l’équipe durant plusieurs années, sur les remarques désobligeantes qu’elle avait formulées à l’encontre de certains collègues de manière inappropriée dans un cadre professionnel, ainsi que sur un manque d’ouverture au changement. A______ a, par ailleurs, indiqué qu’elle considérait que l’attitude négative de B______ constituait un frein au bon fonctionnement de l’agence ainsi qu’à la réorganisation qui avait dû être mise en place.

m. Par courrier du 22 octobre 2021, B______ a contesté les motifs de son licenciement. Elle a fait opposition à son congé, qu'elle considérait abusif, dans la mesure où les motifs invoqués par A______ pour le justifier étaient fictifs et que le réel motif de son licenciement était, selon elle, le fait qu’elle avait exercé sa liberté d’opinion.

n.a Interrogée devant le Tribunal, C______ a indiqué avoir directement participé au processus ayant mené à la résiliation du contrat de travail de B______ et avoir été présente au moment de son licenciement. Elle a confirmé que le licenciement avait été décidé sur la base des motifs suivants : une attitude négative répétée, un manque d’ouverture au changement, alors que la situation générale, soit notamment les pertes financières importantes, imposaient une réorganisation, ainsi qu’une attitude inadéquate envers ses collègues depuis plusieurs années. Les diverses remarques qui avaient été formulées par l'employée n’avaient, en revanche, pas été prises en compte.

n.b Les témoins D______, F______ et G______, anciens collègues de B______, ont tous déclaré ne jamais avoir entendu une critique sur le travail de cette dernière ni celle-ci critiquer l'association ou ses collègues.

Les témoins précités s'étaient tous les trois plaints auprès de la hiérarchie des problèmes récurrents au sein de la structure. D______ a ajouté qu’il était difficile pour les employés de parler avec la nouvelle responsable des problèmes rencontrés avec la personne en charge de la facturation et du paiement des salaires car s'ils le faisaient, cela se "retournait contre eux". Selon lui, il avait lui-même été licencié pour cette raison. Pour sa part, G______ a déclaré que B______ lui avait conseillé de ne pas parler des problèmes au sein de l'agence mais de s’adresser directement à la hiérarchie afin de ne pas créer une ambiance négative, ce qu'elle avait fait. Bien qu'aucune mesure n'ait été décidée à la suite de sa plainte, elle avait pu s'exprimer librement auprès de son employeur, sans qu'aucune mesure de rétorsion n'ait été prise à son encontre, étant précisé qu'elle avait elle-même résilié son contrat de travail. F______ n'avait, pour sa part, jamais constaté de mesure de rétorsion.

o. B______ a été incapable de travailler, pour cause de maladie, du 30 août au 31 octobre 2021 inclus, prolongeant ainsi son délai de congé au 31 décembre 2021.

p. B______ ayant trouvé un nouvel emploi avant l’échéance de son délai de congé, les rapports de travail la liant à A______ ont, d’un commun accord entre les parties, pris fin le 21 novembre 2021.

D. a. Par demande simplifiée motivée, déclarée non conciliée et introduite devant le Tribunal le 18 octobre 2022, B______ a assigné A______ en paiement de la somme totale de 20'562 fr. 80, à titre d’indemnité pour licenciement abusif, avec intérêts à 5% l’an dès le 1er novembre 2021.

A l'appui de ses conclusions, elle a, en substance, allégué que son licenciement faisait suite au fait qu’elle avait exercé sa liberté d’expression en faisant part à sa responsable du fait que la personne en charge du versement des salaires ne faisait pas correctement son travail. Elle a fermement contesté les motifs de licenciement allégués par son employeur, relevant qu’avant l’entretien du 16 août 2021 à l’issue duquel son licenciement lui avait été communiqué, son employeur ne lui avait jamais fait part de ses prétendus griefs, ni oralement, ni par écrit. Dans la mesure où elle estimait que son licenciement était abusif, elle réclamait une indemnité à ce titre, correspondant à quatre mois de salaire.

b. A______ a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions.

Elle a invoqué l’absence d’opposition valable au congé, l’employée n’ayant pas exprimé la volonté de maintenir les rapports de travail.

S'agissant des motifs du congé, elle a, en substance, allégué que malgré la bonne qualité du travail fourni par son employée, il existait des tensions au sein de l’équipe ayant conduit à une certaine défiance envers la hiérarchie. B______ entretenait ce climat de tension et de conflit en remettant systématiquement en question sa hiérarchie et ses collègues, en critiquant leur travail et en rejetant la responsabilité de la situation sur les autres. L'attitude négative de B______ constituait ainsi un frein au bon fonctionnement de l'agence de placement et à la réorganisation de la structure. Elle avait été rendue attentive à plusieurs reprises, lors de séances s'étant tenues en automne 2018, le 17 juillet 2019 et le 20 avril 2021, sur la nécessité de changer d'attitude, sans que cela ne produise d’effet. Dans la mesure où le comportement de B______ mettait en péril la cohésion de l’équipe, qu’elle ne permettait pas de retrouver une ambiance de travail saine et sereine et que le bon fonctionnement de l’agence s’en trouvait compromis, elle n’avait eu d’autre choix que de la licencier.

c. Lors des audiences de débats tenues les 12 et 21 juin 2023, le Tribunal a entendu les parties ainsi que divers témoins dont les déclarations ont été reprises dans la partie EN FAIT ci-dessus dans la mesure utile.

d. Les parties ont plaidé à l'issue de l'audience du 21 juin 2023 en persistant dans leurs conclusions respectives.

E. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a relevé que depuis son engagement en 2017, B______ avait fourni un travail qui donnait satisfaction à son employeur, étant souligné qu'aucun des témoins n'avait jamais entendu une quelconque critique formulée à son égard. Par ailleurs, il ne résultait aucunement de l'instruction que B______ aurait formulé des critiques à l'encontre de sa hiérarchie ou de ses collègues, ni qu'elle aurait eu un comportement susceptible de mettre en péril la cohésion de l'équipe. Au contraire, elle avait adopté un comportement conciliant et raisonnable en conseillant sa collègue G______ de ne pas mentionner ouvertement au sein de l'agence les difficultés qu'elle rencontrait dans son travail mais plutôt de s'adresser directement à la hiérarchie afin de ne pas générer une ambiance négative. L'employeur n'apportait ainsi aucun élément de preuve de ses propres allégations, de sorte que les motifs invoqués pour justifier le licenciement relevaient en réalité du prétexte. Le congé était ainsi abusif, donnant droit à une indemnité correspondant, au vu des circonstances d'espèce, à deux mois de salaire.

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement attaqué constitue une décision finale rendue dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

1.2 Interjeté dans le délai et la forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3 et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La valeur litigieuse étant inférieure à 30'000 fr., la procédure simplifiée est applicable (art. 243 al. 1 CPC), de sorte que la cause est soumise aux maximes inquisitoire (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC).

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par les juges de première instance et vérifie si ceux-ci pouvaient admettre les faits qu'ils ont retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

2. L'appelante conteste en premier lieu que l'intimée se soit valablement opposée au congé. Elle soutient que l'intimée n'a contesté que les motifs du congé et non la résiliation en soi, ce qui serait insuffisant selon les exigences légales.

2.1.1 En vertu de l'art. 336b al. 1 CO, la partie qui entend demander une indemnité pour résiliation abusive (art. 336 et 336a CO) doit faire opposition au congé par écrit auprès de l'autre partie, au plus tard jusqu'à la fin du délai de congé.

Selon la jurisprudence, il ne faut pas poser des exigences trop élevées à la formulation de cette opposition écrite. Il suffit que son auteur y manifeste à l'égard de l'employeur qu'il n'est pas d'accord avec le congé qui lui a été notifié
(ATF 136 III 96 consid. 2; 123 III 246 consid. 4c; arrêts du Tribunal fédéral 4A_59/2023 du 28 mars 2023 consid. 4.1; 4A_320/2014 du 8 septembre 2014 consid. 3.1 et les autres références citées).

L'opposition a pour but de permettre à l'employeur de prendre conscience que son employé conteste le licenciement et le considère comme abusif; elle tend à encourager les parties à engager des pourparlers et à examiner si les rapports de travail peuvent être maintenus (cf. art. 336b al. 2 CO; arrêts du Tribunal fédéral 4A_320/2014 précité consid. 3.1; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 4e éd. 2019, p. 839). Dans cette perspective, le droit du travailleur de réclamer l'indemnité pour licenciement abusif s'éteint si le travailleur refuse l'offre formulée par l'employeur de retirer la résiliation (ATF 134 III 67 consid 5; arrêt du Tribunal fédéral 4A_59/2023 du 28 mars 2023 consid. 4.1; Wyler/Heinzer, op.cit., p. 839).

Il n'y a pas d'opposition lorsque le travailleur s'en prend seulement à la motivation de la résiliation, ne contestant que les motifs invoqués dans la lettre de congé, et non à la fin des rapports de travail en tant que telle (arrêts du Tribunal fédéral 4A_59/2023 du 28 mars 2023 consid. 4.1; 4A_320/2014 du 8 septembre 2014 consid. 3.1; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 836).

2.1.2 En présence d'un litige sur l'interprétation de clauses contractuelles, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant, empiriquement sur la base d'indices, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 144 III 93 consid. 5.2.2).

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle est divergente, le juge doit interpréter les déclarations faites et les comportements selon la théorie de la confiance (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3).

Il doit déterminer le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune des parties pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre, et ce en fonction de l'ensemble des circonstances, c'est-à-dire du contexte dans lequel elles ont traité (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3 et les arrêts cités). Même si la teneur d'une clause contractuelle paraît claire à première vue, il peut résulter d'autres conditions du contrat, du but poursuivi par les parties ou d'autres circonstances que son texte ne restitue pas exactement le sens de l'accord conclu. Il n'y a cependant pas lieu de s'écarter du sens littéral du texte adopté par les intéressés lorsqu'il n'y a pas de raisons sérieuses de penser qu'il ne correspond pas à leur volonté (ATF 136 III 186 consid. 3.2.1; 135 III 295 consid. 5.2; 129 III 118 consid. 2.5; arrêt du Tribunal fédéral 4A_549/2022 du 24 novembre 2023 consid. 4.1).

2.2 En l'espèce, l'intimée a été licenciée par courrier du 16 août 2021 pour le 31 octobre 2021, délai prolongé au 31 décembre 2021 en raison de son incapacité de travail. Les parties se sont finalement entendues pour mettre un terme aux rapports de travail le 21 novembre 2021 au vu du nouvel emploi trouvé par l'intimée.

Si, dans un premier temps, l'intimée a certes indiqué accepter son licenciement tout en contestant les raisons de celui-ci, elle est toutefois revenue sur sa position après avoir pris conseil auprès d’un avocat. Sous la plume de ce dernier, elle a, par courrier du 22 octobre 2021, contesté les motifs de son licenciement exposant qu'ils étaient fictifs, donnés en raison du fait qu'elle avait usé de sa liberté d'expression, et a fait opposition à son congé qu'elle considérait dès lors comme abusif. Ce faisant, elle a clairement fait part à son employeur qu'elle n'était pas d'accord avec le congé qui lui avait été notifié. Contrairement à ce que soutient l'appelante, elle ne s'est pas contentée de contester les motifs, mais s'est également opposée à la résiliation en tant que telle en s'"opposant au congé". Les termes et formulations employés (motifs "fictifs", "congé abusif" et "opposition au congé") sont clairs et expriment sans ambiguïté le fait que l'intimée entendait contester le congé, tant dans ses motifs que dans son principe.

Quoi qu'en dise l'appelante, on ne saurait déduire du fait que l'intimée a cherché un emploi pendant le délai de congé qu'elle n'entendait pas contester la résiliation et la fin des rapports de travail. En effet, au vu des difficultés notoires liées au marché du travail et des incertitudes quant aux possibilités et délais pour retrouver un nouvel emploi, on ne saurait lui faire grief d'avoir agi sans tarder afin d'éviter une période de chômage et les désavantages financiers en découlant.

Enfin, c'est en vain que l'appelante tente de se prévaloir des arrêts du Tribunal fédéral 4A_412/2022 du 11 mai 2023 et 4A_59/2023 du 28 mars 2023 dès lors que ces affaires diffèrent manifestement du cas présent. En effet, contrairement à la présente cause, le travailleur de la première affaire ne s’était pas opposé au congé ; la seconde n'avait à aucun moment porté sur le caractère abusif du congé.  

Par conséquent, l'opposition au congé formée par l'intimée est suffisamment claire et non équivoque pour établir sa volonté de contester la résiliation de son contrat. Quoi qu'il en soit, selon le principe de la confiance, l'appelante ne saurait procéder à une autre interprétation. Formée de surcroît par écrit et pendant le délai de congé, l'opposition est dès lors valable.

Infondé, l'appel sera rejeté sur ce point.

3. L'appelante conteste le caractère abusif du congé retenu par le Tribunal.

Elle soutient que le congé a été donné non pas en raison des critiques que l'intimée avait émises, mais en raison de son comportement, qui ne rendait plus possible la poursuite des rapports de travail. Selon l’appelante, l’intimée s'en prenait de manière directe à ses collègues et persistait à ressasser des problèmes du passé malgré un processus de réorganisation et avait été invitée à plusieurs reprises à s'exprimer de manière mesurée et objective, en utilisant les canaux appropriés.

3.1 Chaque partie peut décider unilatéralement de mettre fin à un contrat de travail de durée indéterminée (art. 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n'a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre fin au contrat unilatéralement est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO). L'art. 336 CO énonce une liste de cas de résiliation abusive, concrétisant l'interdiction générale de l'abus de droit (ATF 150 III 78 consid. 3.1.1; 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.1; 131 III 535 consid. 4.1- 4.2).

3.1.1 En vertu de 336 al. 1 CO, le congé est notamment abusif lorsqu'il est donné par l'employeur en raison de l’exercice par le travailleur d’un droit constitutionnel, à moins que l’exercice de ce droit ne viole une obligation résultant du contrat de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l’entreprise (let. b) ou parce que le travailleur fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (let. d CO).

Les prétentions résultant du contrat de travail portent notamment sur des salaires, des primes ou des vacances. Le fait que l'employé se plaigne d'une atteinte à sa personnalité ou à sa santé et sollicite la protection de l'employeur peut aussi constituer une telle prétention (art. 328 CO; arrêt du Tribunal fédéral 4A_401/2016 du 13 janvier 2017 consid. 5.1.1).

Pour que l'art. 336 al. 1 let. d CO soit applicable, il faut que l'autre partie ait eu la volonté d'exercer un droit et qu'elle ait été de bonne foi, même si sa prétention, en réalité, n'existait pas (ATF 136 III 513 consid. 2.4). La bonne foi est présumée (art. 3 al. 1 CC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_3/2023 du 30 août 2023 consid. 5.1.1). Les prétentions émises par l'employé doivent encore avoir joué un rôle causal dans la décision de l'employeur de le licencier (ATF 136 III 513 consid. 2.6). Ainsi, le fait que l'employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n'a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l'employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l'origine et qu'elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_652/2018 du 21 mai 2019 consid. 4.1). Déterminer s'il existe un rapport de causalité naturelle est une question de fait (ATF 136 III 513 consid. 2.6; arrêt du Tribunal fédéral 4A_89/2021 du 30 avril 2021 consid. 3.1).

3.1.2 La liste de l'art. 336 CO n'est toutefois pas exhaustive, de sorte qu'une résiliation abusive peut aussi être admise dans d'autres circonstances, en recourant à l'interdiction générale de l'abus de droit consacrée à l'art. 2 al. 2 CC. Il faut cependant que ces situations apparaissent comparables, par leur gravité, aux cas expressément envisagés par la loi (ATF 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.1; 131 III 535 consid. 4.2).

Le caractère abusif du congé peut résider dans le motif répréhensible qui le sous-tend, dans la manière dont il est donné, dans la disproportion évidente des intérêts en présence, ou encore dans l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but (ATF 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.2 et 2.4). Un licenciement pourra être abusif si l'employeur exploite sa propre violation du devoir imposé par l'art. 328 CO de protéger la personnalité du travailleur
(ATF 125 III 70 consid. 2a). Ainsi, lorsqu'une situation conflictuelle sur le lieu de travail nuit notablement au travail en commun dans l'entreprise, le congé donné à l'un des employés en cause est abusif si l'employeur n'a pas pris préalablement toutes les mesures que l'on pouvait attendre de lui pour désamorcer le conflit, telles que des modifications de son organisation ou des instructions adressées aux autres travailleurs (ATF 132 III 115 consid. 2.2; 125 III 70 consid. 2c;
cf. également ATF 136 III 513 consid. 2.5 et 2.6).

3.1.3 Pour dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel. Déterminer le motif d'une résiliation est une question de fait (ATF 136 III 513 consid. 2.3). En revanche, savoir si le motif ainsi établi donne lieu à un congé abusif ou non relève du droit (arrêts du Tribunal fédéral 4A_368/2022 du
18 octobre 2022 consid. 3.1.1).

3.1.4 En application de l'art. 8 CC, c'est en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. La jurisprudence a toutefois tenu compte des difficultés qu'il peut y avoir à apporter la preuve d'un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui donne le congé. Le juge peut ainsi présumer en fait l'existence d'un congé abusif lorsque l'employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l'employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n'a pas pour résultat d'en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de "preuve par indices". De son côté, l'employeur ne peut rester inactif; il n'a pas d'autre issue que de fournir des preuves à l'appui de ses propres allégations quant au motif du congé (ATF 130 III 699 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_368/2022 du 18 octobre 2022 consid. 3.1.2).

3.1.5 La partie qui résilie abusivement le contrat doit verser à l'autre une indemnité (art. 336a al. 1 CO). Celle-ci est fixée par le juge, compte tenu de toutes les circonstances; toutefois, elle ne peut dépasser le montant correspondant à six mois de salaire du travailleur (art. 336a al. 2 CO).

3.2 En l'espèce, il est établi que l'appelante connaissait des carences administratives ainsi que des problèmes récurrents en lien avec le versement des salaires et que l'intimée, ainsi que d'autres collègues, s'en sont plaints auprès de la direction à plusieurs reprises. Cela étant, le simple fait que l'intimée se soit plainte, de bonne foi, des dysfonctionnements existant au sein de l'appelante ne saurait suffire pour admettre que le congé donné ultérieurement par cette dernière est abusif. Encore faut-il que la dénonciation de ces griefs ait joué un rôle déterminant dans la décision de mettre fin au contrat de travail.

La directrice adjointe de l'appelante, qui a participé au processus de licenciement, a confirmé devant le Tribunal que le congé ne reposait pas sur les remarques qui avaient été formulées par l'intimée mais sur son attitude générale, qualifiée d’inadéquate envers ses collègues et face à la structure de l'association. Selon les éléments au dossier, il lui a notamment été reproché d'avoir entretenu les tensions en mettant en copie de son courriel du 25 octobre 2018, aux termes duquel elle s'est plainte de plusieurs points, l'ensemble des membres de l'équipe sans que cela ne soit nécessaire, ce qui est établi par pièce. L'appelante a également enjoint à plusieurs reprises son employée, soit en novembre 2018, en juillet 2019 et en avril 2021, d'adopter une attitude positive et constructive, sans rester focalisée et revenir sans cesse sur les problèmes déjà évoqués et connus, qui faisaient l'objet de diverses mesures.

Il ressort en effet de l'instruction que l'appelante a pris en considération les problèmes dénoncés par l'intimée et ses collègues et a tenté d'y remédier par différents moyens. A teneur du compte-rendu de l'entretien annuel du 17 juillet 2019, certaines problématiques ont été solutionnées et des instructions spécifiques ont été données concernant le travail du collègue dont l'intimée s'était plainte dans son courriel du 25 octobre 2018. Quant aux problèmes de nature administrative, dont la facturation et le versement des salaires, une importante réorganisation de la structure a été mise en place sur la base d'un travail participatif, dans le cadre duquel l'avis des employés a été recueilli et de nouveaux responsables ont été successivement nommés. L'appelante n'est ainsi pas restée inactive face à ses propres carences et a pris des mesures afin d'améliorer la situation. Bien que les résultats escomptés n'aient pas été entièrement obtenus, puisque des témoins ont affirmé que les problèmes liés au versement des salaires avaient perduré, il ne saurait être reproché à l'appelante d'avoir maintenu une situation problématique sans tenter d'y apporter de solution. Il s'ensuit que les dysfonctionnements au sein de l'association ont été pris ont sérieux et que des efforts ont été entrepris par l'employeur en réponse aux diverses remarques formulées notamment par l’intimée.

Ces éléments et la teneur des courriels adressés à cette dernière tendent à démontrer que c'était davantage la manière de faire et le comportement adopté par celle-ci qui lui étaient reprochés, et non pas le fait d’avoir relevé les difficultés rencontrées par la structure. Si l'intimée avait certes le droit de s'exprimer, ce qu'elle a d'ailleurs fait, elle devait aussi accepter les solutions proposées et les changements décidés par l'appelante, en lui laissant le temps d’améliorer la situation.

Bien que l'instruction et en particulier les différents témoignages n'aient pas permis d'établir que l'intimée aurait tenu des propos acerbes à l'encontre de sa hiérarchie ou de ses collègues, il ressort néanmoins des éléments précités que l'appelante n'était pas satisfaite du comportement adopté par son employée et qu’elle le voyait comme un frein au bon développement de l'association, ce qu'elle n'a pas manqué de lui communiquer.

A cela s'ajoute que la réorganisation de l'appelante s'inscrivait dans un processus participatif, dans le cadre duquel l'avis des employés était expressément sollicité. L'intimée, de même que d’autres employés, s'est d'ailleurs plainte à de nombreuses reprises du fonctionnement de l’appelante, sans qu'aucune mesure de rétorsion n'ait été constatée selon les déclarations des témoins F______ et G______. Si le témoin D______ a pour sa part affirmé le contraire, l'avis de ce dernier ne repose que sur son propre sentiment, sans être étayé par le moindre élément.

Au vu de ce qui précède, il n'apparaît pas que la liberté d'expression, encouragée par l'appelante, dont a usé l'intimée pour dénoncer certains dysfonctionnements, soit le motif déterminant du congé, mais bien l'attitude générale de l'intimée et la collaboration devenue difficile entre les parties. Dans son courriel du
16 août 2021 adressé à son employeur à la suite de son licenciement, l'intimée a du reste reconnu que la collaboration était difficile et elle semblait comprendre et accepter la décision de l'employeur, quand bien même elle n'y adhérait pas.

En définitive, les motifs invoqués par l'appelante pour justifier le congé donné, partiellement établis, ne paraissent pas relever du prétexte pour sanctionner le fait que l'intimée avait dénoncé certains dysfonctionnements existant au sein de l'association.

L'appel se révèle fondé. Le chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué sera par conséquent annulé en tant qu'il retient le congé comme étant abusif et condamne l'appelante à verser à l'intimée une indemnité à ce titre.

4. Compte tenu de l'issue du litige, il n'y a pas lieu d'examiner l'appel joint, qui porte uniquement sur la quotité de l'indemnité.

5. La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., il ne sera pas prélevé de frais judiciaires, ni alloué de dépens (art. 71 RTFMC et 22 al. 2 LaCC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 17 octobre 2023 par l'ASSOCIATION A______ contre le jugement JTPH/312/2023 rendu le 18 septembre 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/8323/2022.

Au fond :

Annule le chiffre 2 du dispositif de ce jugement.

Confirme le jugement pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires d'appel ni alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Paola CAMPOMAGNANI, présidente; Madame Nadia FAVRE, Monsieur Valery BRAGAR, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.