Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/63/2025 du 16.01.2025 ( OBL ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/11547/2023 ACJC/63/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 16 JANVIER 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______, appelant de décisions rendues par la Commission de conciliation en matière de baux et loyers le 24 mai 2024,
et
Madame B______, domiciliée ______, intimée, représentée par C______ [agence immobilière],
et
Monsieur D______, domicilié ______, autre intimé.
A. a. E______ et F______ étaient locataires d'un appartement situé au 1er étage de l'immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève, dont la bailleresse est B______. Le loyer mensuel était de 900 fr., plus 120 fr. de provision pour chauffage et eau chaude.
b. E______ est décédée fin août 2022, laissant comme seul héritier son fils, A______.
c. Par courrier du 22 mars 2023, A______ a informé la régie en charge de l'appartement qu'il avait l'intention de sous-louer celui-ci, en attendant de l'occuper personnellement.
d. Le 24 mars 2023, la régie a mis A______ en demeure de régler la somme de 5'250 fr., correspondant aux loyers du 1er novembre 2022 au 31 mars 2023, y compris les provisions pour chauffage et eau chaude ainsi que des frais de rappel, sous menace de résiliation.
Elle a en sus exposé qu'elle avait constaté que l'appartement était sous-loué, alors qu'aucune demande n'avait été adressée à la bailleresse. Elle a donc imparti un délai à A______ au 30 avril 2023 pour mettre fin à la sous-location, sous menace de résiliation.
e. Le 30 mars 2023, A______ a répondu qu'il n'avait jamais sous-loué l'appartement depuis le décès de sa mère.
f. Le 1er avril 2023, il a signé un contrat de sous-location de l'appartement précité avec G______, pour un loyer de 900 fr. par mois, charges de 437 fr. par mois en sus.
g. Par avis du 4 mai 2023, la bailleresse a résilié le bail pour le 31 janvier 2024 (résiliation ordinaire).
Par un autre avis du même jour, elle a également résilié le bail pour le 30 juin 2023, selon l'art. 257f CO (résiliation extraordinaire).
h. Le 1er juin 2023, A______ a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une demande en constatation de la nullité de résiliation de bail, subsidiairement en annulation de la résiliation et, plus subsidiairement encore, en prolongation de bail dirigée contre B______ et F______, le domicile de ce dernier étant inconnu.
La cause a été enregistrée sous n° C/11547/2023 en ce qui concerne le congé extraordinaire, et sous n° C/2______/2023 en ce qui concerne le congé ordinaire.
i. Par ordonnances du 24 juillet 2023, la Commission a imparti un délai à A______ pour fournir une adresse de notification valable du précité ou à tout le moins la preuve de démarches entreprises à cet effet, l'informant qu'à défaut la requête ne serait pas prise en considération en ce qu'elle visait F______.
A______ a répondu le 3 août 2023 que le précité était décédé en Thaïlande le ______ 2015 et qu'il dirigeait en conséquence la procédure contre la succession de feu F______, ignorant l'identité des héritiers éventuels. Il sollicitait la suspension de la procédure, laquelle a été ordonnée par ordonnances OCBL/329/2023 et OCBL/330/2023 du 21 août 2023.
Par nouvelles ordonnances du 1er décembre 2023, la Commission a imparti un délai à A______ pour communiquer la suite qu'il entendait donner aux procédures, et dit qu'à défaut celles-ci seraient rayées du rôle, faute d'objet.
j. Par ordonnances OCBL/14/2024 et OCBL/15/2024 du 5 février 2024, la Commission a ordonné la reprise des procédures et convoqué les parties à une audience de conciliation le 6 mars 2024.
k. Par courrier du 7 février 2024, A______ a informé la Commission de ce qu'il dirigeait la procédure contre D______, domicilié no. ______, rue 3______, [code postal] H______ [GE], fils de F______ et unique héritier, par substitution.
l. A______ ne s'étant pas présenté à l'audience de la Commission du 6 mars 2024, les causes ont été rayées du rôle par décisions du même jour, reçues le lendemain par le précité.
m. Par courriers déposés au greffe de la Commission le 19 mars 2024, A______ a sollicité la restitution de l'audience, au motif que, suite à une erreur d'agenda, il ne s'était pas présenté le 6 mars 2024.
n. Par écritures du 18 avril 2024, la bailleresse a conclu au rejet de la requête de restitution, faisant valoir d'une part sa tardiveté et relevant d'autre part que A______ n'avait jamais habité l'appartement litigieux, de sorte que la résiliation n'avait pas de "conséquences dramatiques" pour lui, contrairement à ce qu'il affirmait.
B. Par décisions JCBL/19/2024 et JCBL/20/2024, rendues le 24 mai 2024, entre A______ d'une part, et B______ et D______ d'autre part, la Commission a rejeté la demande de restitution formée par A______ et dit que la procédure était gratuite.
En substance, la Commission a retenu que la requête était tardive, car formée plus de dix jours après l'empêchement. Elle devait en tout état être rejetée, les inadvertances, oublis et motifs analogues ne permettant pas une restitution.
C. a. Par actes déposés au greffe de la Cour le 28 juin 2024, A______ a formé recours contre ces décisions, concluant à leur annulation et à ce que sa demande de restitution soit acceptée.
b. Par mémoires réponses du 30 août 2024, B______ a conclu à l'irrecevabilité des recours, subsidiairement à leur rejet.
D______ ne s'est pas déterminé dans le délai imparti par la Cour.
c. Par répliques et dupliques des 8 octobre et 5 novembre 2024, les parties ont persisté dans leurs conclusions.
d. Elles ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 6 décembre 2024 de ce que les causes étaient gardée à juger.
1. Les causes C/11547/2023 et C/2______/2023 seront traitées dans la même décision (art. 124 CPC).
2. 2.1.1 La décision de radiation du rôle prise en vertu de l'art. 242 CPC est une décision finale au sens de l'art. 308 al. 1 let. a CPC, qui est soumise à l'appel si la valeur litigieuse selon l'art. 308 al. 2 CPC est atteinte. Si tel n'est pas le cas, cette décision peut faire l'objet d'un recours, conformément à l'art. 319 let. a CPC (ATF 148 III 186 consid. 6).
Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1).
2.1.2 En l'espèce, compte tenu du loyer en 900 fr. par mois, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte contre les décisions de radiation du rôle prise par la Commission le 6 mars 2024.
Les actes déposés par l'appelant contre les décisions de radiation l'ont été dans le respect du délai de recours de 30 jours (art. 311 al. 1 CPC). Le fait qu'ils soient à tort intitulés recours ne fait pas obstacle à leur recevabilité et les actes seront traités comme des appels.
2.2.1 Selon l'art. 149 CPC, lorsque le tribunal est saisi d'une demande de restitution il donne à la partie adverse l'occasion de s'exprimer et statue définitivement sur la restitution.
Le Tribunal fédéral a jugé que, contrairement au texte de l'art. 149 CPC, l'exclusion de toute voie de droit n'était pas opposable à la partie requérante, dans le contexte particulier où le refus de restitution entraîne la perte définitive du droit en cause. Dans ce cas, ledit refus constitue une décision finale, contre laquelle la voie de l'appel ou de recours est ouverte, devant la seconde instance cantonale (ATF 139 III 478 consid. 6.3 et 7.3 non publié; arrêts du Tribunal fédéral 4A_456/2013 du 23 janvier 2014 consid. 4.2; 4A_343/2013 du 13 janvier 2014 consid. 5).
2.2.2 En l'espèce, le droit de la locataire de contester le congé selon l'art. 273 CO, qui prévoit un délai de péremption de 30 jours, est perdu du fait des décisions de refus de la restitution du 6 mars 2024. Ces décisions sont par conséquent des décisions finales, sujettes à appel.
Les appels, écrits et suffisamment motivés, contrairement à ce que tente de soutenir l'intimée, formés le 28 juin 2024, sont dès lors recevables.
2.3 L'appel peut être formé pour violation du droit ou constatation inexacte des faits (art. 310 CPC).
2.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).
3. L'appelant fait grief à la Commission d'avoir retenu qu'il avait agi tardivement et considéré que sa faute n'était pas légère.
3.1 Selon l'art. 148 al. 1 CPC, le tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n’est imputable qu’à une faute légère. La requête est présentée dans les dix jours qui suivent celui où la cause du défaut a disparu (al. 2).
Si le défaillant rend vraisemblable qu’il a méconnu sans sa faute ou à la suite d’une faute légère seulement le délai de réponse ou la convocation aux débats principaux (en particulier lorsque le délai de réponse ou la citation à comparaître auront été notifiés par voie édictale), il se pourrait que le délai de l’art. 148 al. 2 parte seulement de la communication d’une décision par défaut, voire de sa connaissance effective ultérieure, notamment dans le cas où cette communication elle-même aurait eu lieu par voie édictale. (…) On peut, selon Tappy, transposer les mêmes solutions au cas où l’intéressé a connu le délai ou l’audience, mais s’est ensuite trompé à leur égard par une faute jugée seulement légère, par exemple une erreur d’agenda. Selon ledit auteur, dans tous ces cas, le défaillant doit demander la restitution dans les dix jours dès le moment où il apprend effectivement qu’il aurait dû respecter le délai ou comparaître. Il n’est pas nécessaire que ce soit par un avis officiel et cela pourrait même découler d’un courrier ou d’un appel de la partie adverse, mais il doit en avoir une connaissance suffisamment sûre, qui résultera en tout cas d’une démarche du tribunal : si par exemple un avocat ne se présente pas à une audience de débats principaux qu’il a mal agendée et où il devait représenter son client et qu’une décision par défaut est en conséquence rendue selon l’art. 234, il se pourrait qu’il ne réalise son erreur qu’en recevant ladite décision par défaut. Le délai relatif de dix jours de l’art. 148 al. 2 ne courra alors que dès cette notification (CR CPC-Tappy, art. 148 CPC N 27).
Il suffit que les conditions (matérielles) d'application de l'art. 148 CPC soient rendues vraisemblables par le requérant, qui supporte le fardeau de la preuve. La requête de restitution doit ainsi être motivée, c'est-à-dire indiquer l'empêchement et accompagnée des moyens de preuve disponibles (arrêt du Tribunal fédéral 5A_927/2015 précité consid. 5.1 et les références). Il est généralement admis que les empêchements doivent non seulement être allégués, mais établis par pièces (arrêt du Tribunal fédéral 4A_9/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.3).
La faute légère vise tout comportement ou manquement qui, sans être acceptable ou excusable, n'est pas particulièrement répréhensible, tandis que la faute grave suppose la violation de règles de prudence élémentaires qui s'imposent impérieusement à toute personne raisonnable (arrêts du Tribunal fédéral 5A_927/2015 du 22 décembre 2015 consid. 5.1; 4A_163/2015 du 12 octobre 2015 consid. 4.1).
L'art. 148 CPC laisse une grande marge d'appréciation au tribunal, la disposition étant formulée comme une "Kann-Vorschrift". L'autorité ne saurait agir arbitrairement, mais elle peut prendre sa décision en tenant compte des circonstances, telles le type de procédure, la nature du délai ou de l'audience dont la restitution est sollicitée (CR-CPC-tappy, art. 148 CPC N. 20).
3.2.1 En l'espèce, l'appelant savait qu'une audience était fixée au 6 mars 2024. Il a réalisé le lendemain 7 mars 2024, en prenant connaissance des décisions rayant les causes du rôle, qu'il avait noté une date erronée dans son agenda.
Les demandes de restitution ont été déposées le 19 mars 2024, soit 12 jours après que l'appelant ait réalisé son erreur, de sorte que le délai de l'art. 148 al 2 CPC était échu. Les décisions entreprises ne souffrent donc pas la critique en ce qu'elles retiennent la tardiveté des requêtes de restitution.
3.2.2 En tout état, l'appelant n'a pas rendu vraisemblable son erreur d'agenda, en produisant, par exemple, copie de celui-ci, de sorte qu'il n'y a pas lieu de se prononcer plus avant sur le caractère léger ou pas de la faute commise.
Compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, c'est à juste titre que la Commission a rejeté les requêtes de restitution.
Les décisions entreprises seront dès lors confirmées.
4. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).
* * * * *
La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevables les appels interjetés le 28 juin 2024 par A______ contre les décisions JCBL/19/2024 et JCBL/20/2024, rendues le 24 mai 2024 par la Commission de conciliation en matière de baux et loyers dans les causes C/11547/2023 et C/2______/2023.
Au fond :
Confirme ces décisions.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Zoé SEILER, Monsieur
Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.