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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/23345/2023

ACJC/963/2024 du 30.07.2024 sur JTBL/262/2024 ( SBL ) , JUGE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23345/2023 ACJC/963/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 30 JUILLET 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 29 février 2024, représentée par [la régie] B______,

et

1) Monsieur C______, actuellement sans domicile connu, intimé,
2) Monsieur D______, domicilié c/o E______, ______, intimé.


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/262/2024 du 29 février 2024, le Tribunal des baux et loyers (ci-après: le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a autorisé A______ SA à faire exécuter par la force publique le jugement JTBL/34/2023 rendu le 18 janvier 2023, à l'échéance d'un délai de six mois après l'entrée en force du jugement (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

En substance, les premiers juges ont retenu que D______ s'acquittait régulièrement des indemnités pour occupation illicite et occupait l'appartement litigieux avec un enfant en bas âge, de sorte que l'intérêt de la bailleresse à reprendre possession rapidement des locaux devait être pondéré avec celui du locataire et de sa famille à ne pas être privés soudainement de tout abri, et donc à disposer du temps nécessaire pour trouver à se reloger, fut-ce de manière provisoire, en quittant le logement litigieux. Un délai de six mois après l'entrée en force du jugement devait être octroyé avant que la bailleresse ne puisse requérir l'exécution.

B. a. Par acte expédié le 25 mars 2024 à la Cour de justice, A______ SA (ci‑après : A______ SA ou la bailleresse ou la recourante) a formé recours contre ce jugement, sollicitant son annulation et, cela fait, concluant à être autorisée à faire exécuter immédiatement par la force publique le jugement JTB/34/2023 rendu le 18 janvier 2023.

Elle a fait valoir nouvellement que le compte locataire enregistrait un solde débiteur de 7'724 fr. 50, les indemnités pour occupation illicite n'étant plus payées depuis le 1er novembre 2023. Elle a produit une pièce nouvelle à l'appui de cette allégation.

b. Ni D______ (ci-après: le locataire), ni C______ n'ont répondu au recours dans le délai imparti à cette fin par la Cour.

c. Les parties ont été avisées le 29 avril 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Par jugement n° JTBL/34/2023 du 18 janvier 2023, désormais exécutoire, le Tribunal des baux et loyers, statuant d'accord entre les parties, a, notamment, dit qu'une unique prolongation de bail portant sur l'appartement de 2 pièces no 1______, situé au 5ème étage de l'immeuble sis no. ______, avenue 2______, [code postal] Genève, était accordée à E______, C______ et D______, échéant le 31 août 2023, dit que l'accord trouvé entre les parties valait jugement d'évacuation dès le 1er septembre 2023, y compris à l'égard de D______, dit que les locataires et le sous-locataire étaient autorisés à restituer le logement susmentionné, en tout temps, moyennant un préavis écrit de 15 jours pour le 15 ou la fin mois, débouté les parties de toutes autres conclusions et dit que la procédure était gratuite.

b. L'appartement n'ayant cependant pas été restitué, la bailleresse a sollicité l'exécution indirecte du jugement par requête du 3 novembre 2023.

c. Lors de l'audience du 13 février 2024, la requête a été retirée en ce qui concerne E______, sa représentante ayant indiqué qu'elle avait quitté la Suisse et donc les locaux litigieux et ne s'opposait pas à la requête. La bailleresse a persisté dans la requête pour ce qui était des autres occupants de l'appartement, C______ n'ayant fait savoir au Tribunal que par téléphone qu'il avait également quitté la Suisse. Elle a précisé que les indemnités pour occupation illicite étaient régulièrement payées, mais que les occupants avaient déjà disposé d'un délai pour restituer les locaux.

Ni D______ ni C______ n'étaient présents ou représentés à l'audience.

d. Une nouvelle audience a eu lieu le 29 février 2024, lors de laquelle la bailleresse a persisté dans sa requête, répétant que les indemnités étaient à jour.

D______ a exposé qu'il avait un fils de 2 ans, qu'il cherchait à partir car le logement n'était pas adapté à sa famille mais ne trouvait rien.

Le Tribunal a informé les parties présentes que C______ avait quitté la Suisse selon les documents envoyés par son épouse.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre des baux et loyers de la Cour connaît des appels et des recours dirigés contre les jugements du Tribunal des baux et loyers (art. 122 let. a LOJ).

1.2 Seule la voie du recours est ouverte contre les décisions du tribunal de l'exécution (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

En l'espèce, la recourante conteste les mesures d'exécution prononcées par le Tribunal, de sorte que la voie du recours est ouverte.

1.3 Le recours est recevable pour avoir été interjeté dans le délai de 10 jours dès réception de la décision motivée (art. 321 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 CPC).

1.4 Le recours peut être formé pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. La recourante a allégué des faits nouveaux et produit une pièce nouvelle devant la Cour, qui sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

3. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir octroyé à l'intimé un sursis humanitaire de six mois dès l'entrée en force du jugement.

3.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).

En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une nouvelle prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en prévoyant que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis (ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).

3.2 En l'espèce, seul l'intimé D______ occupe l'appartement litigieux. Il sait au moins depuis le mois de janvier 2023 qu'il doit libérer les locaux loués, soit depuis plus d'une année. Même s'il dit vouloir se reloger, il n'a produit aucun document attestant de ses recherches effectives. Il n'a pas non plus indiqué la durée du sursis qui serait, selon lui, nécessaire pour trouver un autre logement. Compte tenu de l'écoulement du temps dû à la procédure, l'intimé a disposé d'un temps suffisant pour organiser son déménagement. Le seul fait qu'il soit à jour dans le paiement des indemnités, étant relevé que celles-ci sont dues, ne suffit pas à l'autoriser à rester plus longtemps dans l'appartement. Le Tribunal a ainsi mésusé de son pouvoir d'appréciation en accordant à l'intimé un sursis de six mois après l'entrée en force du jugement, ce qui revient à une nouvelle prolongation de bail.

Le jugement entrepris sera dès lors annulé, et la recourante autorisée à recourir à la force publique dès le prononcé du présent arrêt.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 25 mars 2024 par A______ SA contre le jugement JTBL/262/2024 rendu le 29 février 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/23345/2023.

Au fond :

Annule ce jugement et, statuant à nouveau :

Autorise A______ SA à faire exécuter par la force publique le jugement JTBL/34/2023 rendu par le Tribunal des baux et loyers le 18 janvier 2023, dès le prononcé du présent arrêt.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Sibel UZUN, Madame
Cosima TRABICHET-CASTAN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.