Skip to main content

Décisions | Chambre des baux et loyers

1 resultats
C/7329/2021

ACJC/132/2024 du 12.02.2024 sur JTBL/985/2022 ( OBL ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 15.03.2024, 4A_160/2024
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7329/2021 ACJC/132/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 12 FEVRIER 2024

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ SA, ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 20 décembre 2022, représentée par Me Pascal PETROZ, avocat, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

 

 

et

Mesdames C______ et D______, domiciliées ______ [GE], intimées, représentées par Me Aurèle MULLER, rue des Deux-Ponts 14, 1205 Genève.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/985/2022 du 20 décembre 2022, reçu par les parties le 23 décembre 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré inefficaces les congés notifiés par A______ SA à C______ et D______ le 22 mars 2021 pour le 30 juin 2021 (chiffre 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

En substance, les premiers juges ont retenu que la surélévation de l’immeuble – motif des congés – ne comportait aucune urgence alléguée et ne visait qu’à permettre d’augmenter le rendement de l’immeuble, ce qui ne justifiait pas une résiliation anticipée des baux. Les autres travaux d’entretien envisagés pouvaient être réalisés sans que l’immeuble ne soit surélevé et, partant, sans que les baux litigieux ne soient résiliés. Ces travaux ne relevaient quoi qu’il en soit pas d’une situation de danger ou d’urgence commandant d’être effectués immédiatement. Finalement, il n’avait pas été démontré que C______ avait sous-loué à son fils l’un des deux appartements qu’elle avait pris en location et les deux appartements n’en formaient au surplus qu’un seul, comme cela ressortait des plans et compte tenu du fait qu’un seul contrat de bail avait été établi pour les deux appartements, fixant un seul loyer.

B. a. Par acte expédié le 1er février 2023 à la Cour de justice, A______ SA forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, cela fait, à ce qu’il soit constaté que les congés sont valables et efficaces, à ce que C______ et D______ ainsi que tout autre occupant éventuel soient condamnés à évacuer immédiatement les appartements et à ce qu’elle soit autorisée à faire au besoin appel aux forces de police ou à un huissier judiciaire afin de procéder à l’évacuation forcée.

b. Dans leur réponse du 6 mars 2023, C______ et D______ concluent, principalement, à la confirmation du jugement entrepris, subsidiairement, si les congés devraient être validés, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal afin qu’il statue sur la prolongation de bail et les conséquences pécuniaires du congé anticipé, et, plus subsidiairement, à ce qu’il leur soit accordé une pleine et entière prolongation de bail de quatre ans et à la condamnation de A______ SA au versement en leur faveur d’une indemnité de 1'347'760 fr., plus intérêts à 5% l’an dès le 31 mars 2021.

c. A______ SA a répliqué les 5 mai, 19 juin et 6 juillet 2023 et C______ et D______ ont dupliqué les 7 et 22 juin 2023, persistant dans leurs conclusions respectives.

Dans sa réplique du 5 mai 2023, A______ SA a allégué que l’Office des autorisations de construire avait prolongé jusqu’au 26 février 2024 l’autorisation de construire DD 1______ portant sur les travaux projetés. Elle a produit l’avis de l’Office des autorisations de construire du 22 février 2023 en attestant.

d. Les parties ont été avisées le 7 août 2023 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Feu E______ a fait construire l’immeuble sis rue 2______ no. ______ à Genève, dont il est resté le propriétaire jusqu’à son décès.

A la suite du décès de feu E______, l’immeuble est devenu propriété de son hoirie, alors composée de son épouse, F______, ainsi que de ses deux filles, C______ et D______.

Feu E______ avait réservé le 8ème étage de l’immeuble, initialement composé de plusieurs studios, à ses filles, C______ et D______.

Ces dernières y occupent deux appartements de 3,5 pièces et 2 pièces reliés entre eux par une porte communicante (C______) ainsi qu’un appartement de 6 pièces (D______).

b. Par contrat du 23 mars 2005, l’hoirie de feu E______, soit pour elle F______ ainsi que C______ et D______, ont conclu avec C______ un contrat de bail à loyer portant sur la location de deux appartements de 3,5 pièces et 2 pièces situés au 8ème étage de l’immeuble, pour un loyer mensuel hors charges de 600 fr.

Le bail a été conclu dès le 1er janvier 2005 et son art. 5 indique qu’il est de durée déterminée, prenant fin au décès de la locataire.

Le même jour, l’hoirie de feu E______, soit pour elle F______ ainsi que C______ et D______, ont conclu avec D______ et son époux, G______, aujourd’hui décédé, un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de 6 pièces situé au 8ème étage de l’immeuble concerné, pour un loyer mensuel hors charges de 965 fr.

Le bail a débuté le 1er janvier 2005 et son art. 5 indique qu’il a est de durée déterminée, prenant fin au décès des locataires.

Selon l’art. 7 des clauses particulières des baux, les locataires avaient l’autorisation du bailleur de faire inscrire les baux au Registre foncier.

c. Les baux ont été annotés au Registre foncier le ______ 2005.

d. Le 6 octobre 2005, l’hoirie de feu E______, soit pour elle F______ ainsi que C______ et D______, ont conclu avec H______ un contrat de vente à terme, aux termes duquel les premières cédaient au second l’immeuble, pour un prix de 7'800'000 fr. Etait joint au contrat un état locatif au 1er octobre 2005 totalisant un loyer annuel net de 610'332 fr., dont des loyers annuels nets de 7'200 fr. pour F______, 5'400 fr. et 1'800 fr. pour C______ et 11'580 fr. pour D______.

Le contrat indiquait que les baux à vie en faveur de C______ et D______ et G______ étaient annotés au Registre foncier.

Les membres de l’hoirie ainsi que l’époux de D______ prenaient l’engagement de ne pas sous-louer leurs appartements et d’y conserver leur domicile, faute de quoi le bail relatif à l'appartement concerné prendrait immédiatement fin.

Pour fixer le prix de vente, les parties ont pris en considération un taux de capitalisation de 7.5%. Elles ont déduit de l’état locatif, avant capitalisation, les loyers annuels nets de F______, de C______ et de D______ (7'791'360 fr., arrondi à 7'800'000 fr. x 7.5% = 584'352 fr., soit 610'332 fr. – 7'200 fr. – 5'400 fr. – 1'800 fr. – 11'580 fr.).

e. Le texte de l'art. 11 al. 4 de la loi genevoise sur les constructions et les installations diverses (ci-après LCI ; L 5 05), lequel prévoit qu'un dépassement du gabarit peut être autorisé à certaines conditions, a été adopté le 17 février 2006.

f. Par courriers du 27 janvier 2017, feu G______ et D______ ainsi que C______ ont été informés de ce que les relations contractuelles se poursuivraient avec A______ SA, en lieu et place de H______.

A______ SA, en sa qualité d’usufruitière, est ainsi devenu bailleresse, H______ étant demeuré nu-propriétaire.

g. Le 25 septembre 2017, H______ a déposé une demande d’autorisation de construire pour des travaux de surélévation de l’immeuble, avec la création de treize logements.

Etaient également projetés des travaux d’assainissement dans l’immeuble, notamment le remplacement des fenêtres et des stores, le ravalement de la façade, le rafraîchissement des communs et le remplacement des boîtes aux lettres et de certaines portes palières.

La création d’un local à vélo au sous-sol et d’un sas d’entrée ainsi que d’un compartimentage coupe-feu des étages existants étaient également prévus.

h. Par courrier du 21 septembre 2018, feu G______ et D______ ont été informés qu’une demande d’autorisation de surélévation de l’immeuble avait été déposée. Une surélévation impliquant techniquement un déménagement temporaire pendant la durée des travaux, le propriétaire s’engageait à trouver à ces derniers un logement de remplacement qui conviendrait et à prendre intégralement en charge les frais y relatifs. Il s’engageait également à les reloger par la suite dans l’immeuble, aux mêmes conditions contractuelles. Le Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après le Département) avait été mis au courant de la protection dont les locataires bénéficiaient et du fait qu’une surélévation n’entraînerait aucune hausse de loyer ni modification de bail.

i. Le 24 septembre 2018, le Département a établi un préavis favorable sous certaines conditions, notamment que les locataires du 8ème étage soient relogés et que les travaux n’aient aucune incidence sur les loyers des locataires concernés.

j. Par décision du ______ 2019, le Département a délivré l’autorisation de construire.

k. Par courrier et avis du 22 mars 2021, les baux de C______ et D______ ont été résiliés, avec effet au 30 juin 2021. Selon les explications fournies, l’autorisation de construire requise était entrée en force et permettait la surélévation de l’immeuble, les travaux ne pouvant toutefois intervenir qu’une fois que les locaux à transformer, dont faisaient partie les appartements du 8ème étage, seraient libres de tout occupant. Il avait été proposé aux locataires une solution de relogement pour la période des travaux ainsi que d’intégrer un nouveau logement construit après les travaux, sans modification de loyer, ou un déménagement dans un autre logement de leur choix, le montant du loyer restant garanti, ainsi que la prise en charge des frais de déménagement et de relogement, mais les locataires avaient persisté à refuser ces offres, de telle sorte que la continuation du bail était devenue manifestement intolérable, raison pour laquelle les baux étaient résiliés pour justes motifs.

l. Par courrier du 24 mars 2021, C______ et D______ ont adressé à H______ - avec lequel elles étaient restées en contact bien que A______ SA soit devenue la bailleresse - le contrat de vente à terme de l’immeuble mentionnant les baux à vie et le fait que le prix de vente en avait tenu compte. Elles ont exposé être conscientes et comprendre l’exaspération du propriétaire de ne pouvoir augmenter le rendement de l’immeuble, et fait valoir qu’à leur âge (76 et 78 ans), devoir quitter leur domicile était pour elles "moralement impossible et traumatisant".

m. Par requêtes déposées le 14 avril 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarées non conciliées lors des audiences du 10 juin 2021 devant la Commission de conciliation et introduites le 8 juillet 2021 devant le Tribunal, C______ et D______ ont conclu, principalement, à l’inefficacité des congés, subsidiairement, à leur annulation et, plus subsidiairement, à ce qu’il leur soit accordé une pleine et entière prolongation de bail de quatre ans.

La cause opposant C______ à A______ SA a été référencée sous le numéro de cause C/7329/2021, tandis que celle opposant D______ à A______ SA a été référencée sous le numéro C/7330/2021.

n. Dans son mémoire de réponse et demande reconventionnelle du 15 octobre 2021 dans la procédure C/7329/2021, A______ SA a conclu, sur demande principale, au déboutement de C______ et à ce que soient constatés la validité et l’efficacité du congé, et, sur demande reconventionnelle, à l’évacuation de C______ ainsi que tout autre occupant éventuel, avec l’autorisation de pouvoir faire appel à la force publique pour procéder à l’évacuation, et, subsidiairement, à ce qu’il soit constaté que le bail de l’appartement de 2 pièces, respectivement celui de 3,5 pièces, avait automatiquement pris fin, à l’évacuation de C______ et à l’autorisation de faire appel à la force publique pour procéder à l’évacuation de l’appartement concerné.

Dans son mémoire de réponse et demande reconventionnelle du 15 octobre 2021 dans la cause C/7330/2021, A______ SA a conclu, sur demande principale, au déboutement de D______ et à ce que soient constatées la validité et l’efficacité du congé, et, sur demande reconventionnelle, à l’évacuation de D______ ainsi que tout autre occupant éventuel, avec l’autorisation de pouvoir faire appel à la force publique pour procéder à l’évacuation.

o. Par mémoire de réponse sur demande reconventionnelle du 11 novembre 2021, C______ et D______ ont, sur demande principale, persisté dans leurs conclusions et, sur demande reconventionnelle, conclu à l’irrecevabilité des conclusions reconventionnelles relatives à l’exécution immédiate du jugement et au déboutement de A______ SA de toutes ses autres conclusions subsidiaires.

p. Par ordonnance OTBL/170/2021 du 11 novembre 2021, le Tribunal a ordonné la jonction des causes C/7329/2021 et C/7330/2021 sous le numéro C/7329/2021.

q. A______ SA a mandaté la société I______ le 29 avril 2022 dans le but de rechercher des appartements de remplacement pour C______ et D______.

Selon un rapport établi par I______ le 4 octobre 2022, C______ et D______ auraient visité, entre le 3 mai et le 27 juin 2022, divers biens dont les caractéristiques n’étaient pas identiques à celles des objets litigieux.

r. La cause a été gardée à juger à l’issue de l’audience de plaidoiries finales du 4 octobre 2022.

 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91 al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363 ; Spühler, Basler Kommentar, Schweizeriche Zivilprozessordnung, 3ème édition, 2017, n. 9 ad art. 308 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l’espèce, le loyer annuel, charges non comprises, de l’appartement loué à D______ s’élève à 11'580 fr. et celui des appartements de 3,5 pièces et 2 pièces loués à C______ s’élève à 7’200 fr.

En prenant en compte une période de protection de trois ans, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (11'580 fr. x 3 ans = 34'740 fr. / 7'200 fr. x 3 ans = 21'600 fr.).

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit ; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L’appelante a produit de nouvelles pièces et fait valoir de nouveaux faits dans son écriture de réplique du 5 mai 2023. Elle a allégué que le Département avait prolongé la validité de l’autorisation de construire DD 1______ jusqu’au 26 février 2024 et qu’après cette seconde et dernière prolongation, l’autorisation de construire concernée deviendrait caduque si les travaux n’étaient pas entrepris dans l’intervalle. Elle a produit, à l’appui de ses allégations, un avis du Département du 22 février 2023.

Les intimées ont conclu pour la première fois en appel à la condamnation de l’appelante à leur verser une indemnité de 1'347'760 fr. plus intérêts pour le cas où les congés seraient validés.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

Au terme de l’art. 317 al. 2 CPC, la demande ne peut être modifiée que si la prétention nouvelle ou modifiée présente un lien de connexité avec la dernière prétention ou que la partie adverse consent à la modification de la demande (let. a) et que la modification repose sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux
(let. b).

2.2 En l'espèce, les allégations et pièces nouvelles sont invoquées et produites par l’appelante sans retard et ne pouvaient l’être devant le Tribunal, même en faisant preuve de toute la diligence requise. Elles sont donc recevables.

En revanche, la nouvelle conclusion des intimées ne repose sur aucun fait ou moyens de preuve nouveaux. Elle sera donc déclarée irrecevable.

3. L’appelante fait grief aux premiers juges d’avoir violé le droit en retenant que le motif invoqué à l’appui des congés extraordinaires contestés n’était pas constitutif de justes motifs au sens de la loi, permettant une résiliation extraordinaire. Elle se prévaut de circonstances qui ne lui sont pas imputables et du caractère intolérable du maintien des contrats.

3.1 L'art. 266g al. 1 CO prévoit que si, pour de justes motifs, l'exécution du bail à loyer devient intolérable pour une partie, celle-ci peut résilier ce contrat à n'importe quel moment en observant le délai de congé légal.

Ne peuvent constituer de justes motifs au sens de l'art. 266g al. 1 CO que des circonstances d'une gravité exceptionnelle, qui n'étaient pas connues ni prévisibles lors de la conclusion du contrat et qui ne résultent pas d'une faute de la partie qui s'en prévaut (ATF 122 III 262 consid. 2a/aa, JdT 1997 I 13; arrêt du Tribunal fédéral 4A_142/2012 du 17 avril 2012 consid. 3.1).

Les circonstances invoquées doivent être si graves qu'elles rendent la poursuite du bail jusqu'à son terme objectivement insupportable; une intolérance ressentie de manière purement subjective ne suffit pas. La manière dont la situation est perçue par la partie qui donne le congé n'est toutefois pas dénuée de pertinence. Les circonstances constitutives d'un juste motif doivent rendre la continuation du bail jusqu'à son terme intolérable non seulement selon une appréciation objective, mais aussi subjectivement. Il n'y a pas de justes motifs s'il apparaît que le cocontractant s'accommode de faits objectivement graves et que ceux-ci ne lui rendent pas insupportable la poursuite de la relation contractuelle. Il a ainsi été admis, dans le cas des justes motifs au sens de l'art. 266g CO, que la partie doit résilier immédiatement le bail après la survenance du juste motif, faute de quoi elle montre par son attitude que celui-ci ne lui rend pas insupportable la continuation du contrat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_20/2015 du 13 juillet 2015 consid. 3.1; 4A_142/2012 du 17 avril 2012 consid. 3.1 et les arrêts cités).

La gravité des circonstances doit s'inscrire dans la durée ; des événements passagers, fussent-ils graves, ne sauraient fonder une résiliation anticipée (Wessner, in Droit du bail à loyer - Commentaire pratique, Bohnet/Montini, éd. 2017, n. 23 ad art. 266g CO ; Lachat, Le droit du bail, 2019, n. 5.4 p. 913).

Les justes motifs peuvent notamment résider dans l’état de l’immeuble, par exemple en cas d’ordre officiel d’évacuation des lieux, en raison d’un danger pour les occupants (Lachat, op. cit., p. 914). L’occasion pour le bailleur de rénover son immeuble ou de le vendre à un prix favorable ne constitue en principe pas un juste motif et une autorisation de démolir l’immeuble n’est pas forcément suffisante (Lachat, op. cit., note 301, p. 914 et ses références).

Pour dire s'il existe de justes motifs, le juge doit appliquer les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). Il doit donc prendre en considération tous les éléments du cas particulier, sans perdre de vue le principe de la sécurité du droit et l'intérêt de l'autre partie au maintien du contrat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_142/2012 du 17 avril 2012 consid. 3.1 et les arrêts cités).

3.2 En l’espèce, en invoquant son projet de surélévation, l’appelante se prévaut de circonstances qui n’étaient pas connues lors de la conclusion du contrat et qui ne résultent pas d’une faute de sa part. En effet, les baux de durée déterminée, échéant aux décès des locataires, ont été conclus en 2005, soit avant la modification de 2006 de la LCI. En revanche, ces circonstances ne sont pas d’une gravité exceptionnelle et ne peuvent dès lors être considérées comme de justes motifs rendant la continuation du bail intolérable. Le projet de surélévation n’a en effet rien d’urgent. L’appelante ne l’allègue d’ailleurs pas, y compris dans le cadre de la procédure d’appel. Le fait que l’appelante n’ait résilié les contrats qu’en 2021, soit près de deux ans après la délivrance de l'autorisation de construire du ______ 2019, doit en outre être pris en considération puisque, ce faisant, l’appelante ne saurait être considérée comme ayant résilié les baux immédiatement après la survenance d’un juste motif et montre ainsi par son attitude que le juste motif invoqué ne lui a pas rendu insupportable la poursuite des contrats.

En ce qui concerne les travaux d’assainissement, la question de savoir s’ils étaient prévisibles lors de la conclusion des contrats ou lorsque l’appelante est devenue usufruitière peut rester indécise. En effet, ils ne nécessitent pas le départ des intimées et ne rendent ainsi pas la poursuite des baux objectivement insupportable. Le fait que l’appelante ait proposé des solutions de relogement aux intimées, avant et après la notification des congés, n’y change rien puisque cela ne rend pas graves les circonstances invoquées au point de rendre la poursuite du bail jusqu’à son terme objectivement insupportable.

En prenant également en considération l’intérêt des intimées au maintien des contrats, dont elles ont spécifiquement négocié la durée afin de pouvoir bénéficier jusqu’à leur décès de logements qui appartenaient auparavant à leur père, moyennant un prix de vente avantageux pour l’acheteur, le motif des congés ne saurait être considéré comme permettant une résiliation extraordinaire.

Le jugement entrepris sera donc confirmé.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *

 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 1er février 2023 par A______ SA contre le jugement JTBL/985/2022 rendu le 20 décembre 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/7329/2021.

Déclare irrecevable la conclusion subsidiaire de C______ et D______ tendant à la condamnation de A______ SA à leur verser une indemnité de 1'347'760 fr., plus intérêts à 5% l’an dès le 31 mars 2021.

Au fond :

Confirme le jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente ; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges ; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs ; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.