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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1579/2024

ATAS/942/2024 du 29.11.2024 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1579/2024 ATAS/942/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 29 novembre 2024

Chambre 9

 

En la cause

 

A______, représentée par Me Pierre-Bernard PETITAT, avocat

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée), née en 1982, de nationalité suisse, esthéticienne indépendante, s'est trouvée en incapacité totale de travail depuis le mois de mars 2019 en raison de la découverte d'un cancer au sein gauche.

B. a. Le 23 septembre 2019, elle a déposé une demande de prestations auprès de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI), mentionnant être atteinte d'un carcinome canalaire invasif du sein gauche, d'un antélisthésis de grade 1 L4 sur L5 et du virus de l'immunodéficience humaine
(ci-après : VIH).

b. Le 28 octobre 2019, la docteure B______, spécialiste en oncologie médicale et exerçant au centre du sein des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), a indiqué que le carcinome canalaire invasif au sein gauche, triple négatif, avait une répercussion sur la capacité de travail de l'assurée, en raison d'une asthénie de grade 2, d'une majoration des douleurs rachidiennes connues et d'une neuropathie aux deux mains de grade 1. L'incapacité de travail était totale dans l'activité habituelle et devait être réévaluée selon l'évolution clinique dans une activité adaptée.

c. Une imagerie par résonnance magnétique (ci-après : IRM) de la colonne lombaire du 9 janvier 2020 a mis en évidence un antélisthésis L4-L5 de grade II sur lyse isthmique bilatérale associée à un bombement discal postérieur entraînant une sténose foraminale sévère à droite et discrète à gauche, associée à de discrets signes inflammatoires de l'articulation.

d. Le 13 janvier 2020, la docteure C______, également spécialiste au centre du sein des HUG, a relevé que l'assurée était à nouveau sous chimiothérapie adjuvante, de sorte qu'elle était toujours en incapacité de travail.

e. Dans un rapport de consultation du 26 février 2020, le docteur D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, a diagnostiqué un antélisthésis L4-L5 sur lyse isthmique bilatérale, une radiculopathie L5 et un malalignement spinio-pelvien. Une infiltration réalisée début janvier 2020 n'avait pas amené de soulagement conséquent, l'assurée cotait ses douleurs à 9 sur 10 et elle avait un index d'incapacité fonctionnelle Oswetry à 22%. Il envisageait donc d'effectuer une intervention chirurgicale.

f. Le 6 juillet 2020, le docteur E______, exerçant alors lui aussi au centre du sein des HUG, a indiqué que le traitement oncologique était terminé. Si l'imagerie qui devait être réalisée en octobre était bonne, l'assurée pourrait reprendre une activité adaptée à son état de santé, d'un point de vue oncologique. Elle avait par contre des problèmes orthopédiques et était suivie à ce titre.

g. Le 18 octobre 2020, le docteur F______, spécialiste FMH en gynécologie et obstétrique, a indiqué que l'assurée n'avait pas de restrictions évidentes des suites de son cancer.

h. Selon une note téléphonique du 16 novembre 2020, l'assurée avait demandé un second avis concernant son dos. Une nouvelle IRM avait montré qu'elle avait une hernie discale et le médecin lui avait proposé une infiltration, dans le but d'éviter une opération.

i. Dans un rapport du 15 avril 2021, le docteur G______, du centre de la douleur Riviera, spécialiste FMH en anesthésiologie, a diagnostiqué, sur le plan orthopédique, une hernie discale lombaire L4-L5 foraminale droite et un spondylolisthésis L4-L5 sur lyse isthmique bilatérale. Deux blocs facettaires avaient été effectués, les 13 novembre 2020 et 14 janvier 2021, et avaient amené une amélioration partielle. Il n'avait pas délivré de certificat d'arrêt de travail. Le port de charges devait être limité à moins de 5 kg, les positions assise continue et debout statique continue devaient être limitées à 1 heure consécutive, la marche et la montée d'escaliers étaient favorables, la descente moins, les changements de position devaient avoir lieu le plus souvent possible, le travail à l'ordinateur n'entraînait pas de restrictions, et les trajets en voiture, les mouvements en
porte-à-faux ainsi que les rotations dissociées épaules/bassin devaient être limités au maximum. Au surplus, les flexions/extensions répétées de la nuque n'avaient pas d'influence et le risque de chute était augmenté en raison de troubles proprioceptifs. Sous la rubrique « évaluation de la capacité de travail », le médecin a noté « indéterminée » et il a indiqué qu'une reconversion professionnelle ne lui semblait pas indispensable.

j. Le 24 février 2022, le service médical régional (ci-après : SMR) de l'OAI a estimé qu'il n'était pas en mesure de se prononcer sur le cas et que l'instruction médicale devait être poursuivie.

k. Le 14 mars 2022, le docteur H______, spécialiste FMH en infectiologie et médecine interne générale, a mentionné que les plaintes actuelles de l'assurée tournaient toutes autour des dorsalgies et des lombalgies, malgré plusieurs infiltrations. Cliniquement, elle présentait une importante rigidité lombaire et des difficultés de déplacement irradiant sur le territoire L5 principalement. Elle ne pouvait pas rester assise longtemps, ni faire des efforts debout. Le problème lombaire était au premier plan et limitait une activité professionnelle, mais ce de manière transitoire, des moyens thérapeutiques existant. Ainsi, une fois ce problème résolu ou amélioré, l'assurée pourrait tout à fait envisager une formation professionnelle adaptée à sa situation. Sur le plan immunitaire, le VIH était bien contrôlé.

l. Dans un rapport du 1er avril 2022, la docteure I______, du centre du sein aux HUG, a indiqué que l'assurée présentait une polyneuropathie des extrémités de grade 1 séquellaire à la chimiothérapie, sous forme de décharges électriques des doigts, et qu'elle était surtout impactée par les lombo-sciatalgies sur hernie discale. Son état général était conservé et il n'y avait pas de signe de récidive à l'examen sénologique. Ses limitations fonctionnelles étaient les suivantes : fatigabilité, possible discrète diminution de la sensibilité et de la motricité fines des doigts et des mains, pas de port de charges lourdes et, surtout, limitations liées aux lombo-sciatalgies sur hernie discale. S'agissant de la capacité de travail dans l'activité habituelle, la médecin a noté « pas de limite, selon tolérance, fatigabilité et limitée surtout par douleurs lombaires et sciatiques ». La capacité de travail dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles était suivie des termes « selon tolérance ».

m. Le 6 mai 2022, le Dr G______ a rédigé un nouveau rapport au contenu identique à celui du 15 avril 2021.

n. Le 13 octobre 2022, le docteur J______, spécialiste FMH en oncologie médicale au sein des HUG, a confirmé que le cancer du sein gauche était en rémission, bien que des nodules sous-cutanés soient en cours d'investigations. Les limitations fonctionnelles de l'assurée consistaient en une asthénie de grade 2 résiduelle au traitement oncologique et en des paresthésies de grade 1 sur polyneuropathie secondaire à la chimiothérapie reçue. Sur le plan oncologique, l'assurée était en mesure de travailler, mais à temps partiel, en raison de la fatigue. La lombalgie limitait également l'activité professionnelle mais cette question ne relevait pas de son domaine de compétences. Tant dans l'activité habituelle que dans une activité adaptée, d'un point de vue strictement oncologique, un travail pouvait être repris à 50%, avec augmentation progressive selon la tolérance.

o. Dans un avis du 18 novembre 2022, le SMR a retenu que l'assurée était en incapacité totale de travail depuis le mois de mars 2019 et qu'elle disposait d'une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée dès le mois d'octobre 2022, en raison de lombalgies sur hernie discale L4-L5 (atteinte principale) et d'un cancer du sein stade 1 en rémission, d'une polyneuropathie sensitive iatrogène séquellaire ainsi que d'un status VIH actuellement sous trithérapie, avec virémie indétectable (autres atteintes). Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : port de charges de moins de 5 kg, position statique (assise/debout) pendant maximum 1 heure, éviter la position en porte-à-faux ainsi que les rotations dissociées épaules/bassin, organiser le temps de pause selon nécessité et éviter la manualité fine soutenue en raison d'un possible manque de dextérité avec lâchages.

p. Dans un certificat du 17 janvier 2023, le Dr E______ a indiqué que l'assurée était totalement incapable de travailler du 1er juillet au 31 décembre 2022. Un autre certificat, rédigé par un autre médecin, couvre tout le mois de janvier 2023.

q. Dans un rapport du 24 avril 2023, le Dr E______ a estimé que l'assurée ne pouvait reprendre son activité professionnelle, en raison de l'asthénie post chimiothérapie. Dans une activité adaptée, elle pouvait a priori travailler 4 heures par jour, mais cela devait être évalué par l'OAI. Elle se disait motivée à se former et à trouver sa voie.

r. Par communication du 26 juin 2023, l'OAI a accordé à l'assurée une mesure d'orientation professionnelle devant durer trois mois à compter du 19 juin 2023. Le bilan de la mesure fait état de ce que l'assurée avait été présente au centre d'observation professionnelle à un taux de 50% jusqu'au 3 juillet 2023 et qu'elle avait ensuite été en arrêt maladie, de sorte que la mesure avait été interrompue le 14 juillet 2024. Les limitations fonctionnelles observées étaient des douleurs aigues au niveau du dos, une grande fragilité émotionnelle et une fatigabilité soutenue. Dans les activités manuelles, le rendement en temps avait été de 15% et celui en qualité de 61%. Dans des activités administratives, ces rendements avaient été de 18%, respectivement 52%.

s. Par projet de décision du 22 août 2023, l'OAI a informé l'assurée avoir l'intention de lui octroyer une rente entière d'invalidité dès le 1er mars 2020, et une rente d'invalidité de 51% dès le 1er janvier 2023, trois mois après l'amélioration de son état de santé au 1er octobre 2022.

t. Le 7 octobre 2023, l'assurée a indiqué s'opposer au projet de décision, son état de santé étant limité par ses problèmes majeurs au dos et rendant impossible toute activité, preuve en était l'essai infructueux de réadaptation et les certificats de ses médecins qu'elle transmettait, à savoir deux certificats d'arrêt de travail à 100% pour le mois de novembre 2023, l'un délivré par le Dr E______, l'autre par le docteur K______, médecin praticien.

u. Par courrier du 16 novembre 2023, l'OAI a mentionné que la contestation n'avait pas été déposée dans le délai de 30 jours et que les éléments apportés n'étaient pas suffisants pour modifier ses conclusions.

v. Par décision du 9 avril 2024, l'OAI a octroyé à l'assurée une pleine rente d'invalidité du 1er mars 2020 au 31 décembre 2022, une rente d'invalidité de 51% du 1er au 31 décembre 2023 et une rente de 53% dès le 1er janvier 2024.

C. a. Le 8 mai 2024, sous la plume de son avocat, l'assurée a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, sollicitant, préalablement, à pouvoir le compléter après réception de son dossier, et, principalement, à l'annulation de la décision entreprise et à l'octroi d'une rente entière d'invalidité, sous suite de frais et dépens. Elle a produit un rapport médical du Dr E______ du 1er mai 2024 aux termes duquel elle était encore très impactée par les longs mois de chimiothérapie, avec une asthénie de fond (grade 1-2), une fatigabilité cognitive en cas de nécessité de concentration, et une limitation dans tous les plans moteurs de son membre supérieur gauche au vu du status post chirurgie et de la radiothérapie. En raison de douleurs lombaires chroniques, elle était de plus très limitée dans toutes les activités de la vie quotidienne. Malgré une motivation présente, elle avait dû interrompre la réadaptation, à cause des douleurs et blocages fonctionnels. Sa capacité de travail était donc nulle. Les limitations fonctionnelles étaient notamment les positions assise et debout prolongées ainsi que le port de charges en raison de la lombalgie, une mobilisation restreinte dans tous les plans du membre supérieur gauche à la suite du traitement du cancer du sein et des difficultés de concentration et de mémorisation en raison d'un « chemo brain ». Le pronostic n'était pas bon, malgré les nombreux essais et adaptations des derniers mois et années.

b. Par mémoire de réponse du 18 juin 2024, l'intimé a conclu au rejet du recours. L'évaluation médicale menée, en particulier les rapports du service d'oncologie des HUG des 1er avril et 13 octobre 2022, avaient démontré que la recourante était capable de travailler dans une activité adaptée tenant compte de ses limitations fonctionnelles.

c. Par réplique du 18 juillet 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions, relevant que le SMR n'avait pas tenu compte de son asthénie et de sa fatigabilité, ni de ses difficultés de concentration et de mémorisation. Il n'avait ainsi pas correctement établi ses capacités fonctionnelles et sa capacité de travail, laquelle était nulle.

d. Ladite écriture a été communiquée à l'intimé.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

2.             Le litige porte sur la quotité de la rente d'invalidité octroyée à la recourante à partir du 1er janvier 2023, le droit à une pleine rente d'invalidité du 1er mars 2020 au 31 décembre 2022 n'étant pas contesté.

3.              

3.1 Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.

Conformément aux principes généraux en matière de droit intertemporel, les règles de droit déterminantes en cas de modification du droit sont celles qui étaient en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement et qui a des conséquences juridiques (ATF 149 II 320 consid. 3 ; 148 V 174 consid. 4.1 et les références). En application de ce principe général du droit intertemporel, lorsque, comme en l'espèce, un état de fait durable s’est produit en partie avant et en partie après l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, le droit à une rente d’invalidité doit être examiné pour la première période selon les dispositions de l’ancien droit et pour la deuxième période selon les nouvelles règles. Les réglementations transitoires particulières sont réservées (arrêt du Tribunal fédéral 8C_435/2023 du 27 mai 2024 consid. 4.2 et les références, destiné à la publication).

En l'occurrence, dans la mesure où la recourante a été reconnue totalement invalide jusqu'au 31 décembre 2022 et où seul est litigieux le droit à la rente dès le 1er janvier 2023, les dispositions légales seront citées dans leur nouvelle teneur.

3.2 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

A droit à une rente d’invalidité, l’assuré dont la capacité de gain ou la capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, qui a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qui, au terme de cette année, est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (art. 28 al. 1 LAI).

Selon la jurisprudence, une décision par laquelle l'assurance-invalidité accorde une rente d'invalidité avec effet rétroactif et, en même temps, prévoit l'augmentation, la réduction ou la suppression de cette rente, correspond à une décision de révision au sens de l’art. 17 LPGA (ATF 130 V 343 consid. 3.5.2 ; 125 V 413 consid. 2d et les références ; VSI 2001 p. 157 consid. 2). Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d'invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l'article 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l'état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 130 V 343 consid. 3.5 ; 113 V 273 consid. 1a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_1006/2010 du 22 mars 2011 consid 2.2).

Aux termes de l'art. 88a al. 1 RAI, si la capacité de gain ou la capacité d’accomplir les travaux habituels de l’assuré s’améliore ou que son impotence ou encore le besoin de soins ou le besoin d’aide découlant de son invalidité s’atténue, ce changement n’est déterminant pour la suppression de tout ou partie du droit aux prestations qu’à partir du moment où on peut s’attendre à ce que l’amélioration constatée se maintienne durant une assez longue période. Il en va de même lorsqu’un tel changement déterminant a duré trois mois déjà, sans interruption notable et sans qu’une complication prochaine soit à craindre.

3.3 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2 et les références ; 125 V 256 consid. 4 et les références). En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

Selon l’art. 54a LAI, les services médicaux régionaux établissent les capacités fonctionnelles de l’assuré qui sont déterminantes pour l’assurance-invalidité en vertu de l’art. 6 LPGA, pour l’exercice d’une activité lucrative raisonnablement exigible ou pour l’accomplissement des travaux habituels (al. 3).

Lors de la détermination des capacités fonctionnelles, la capacité de travail attestée médicalement pour l’activité exercée jusque-là et pour les activités adaptées est évaluée et justifiée en tenant compte, qualitativement et quantitativement, de toutes les ressources et limitations physiques, mentales et psychiques (art. 49 al. 1bis RAI).

Les limitations dues à l’atteinte à la santé au sens étroit, à savoir les restrictions à l’exercice d’une activité lucrative au sens de l’art. 8 LPGA de nature quantitative et qualitative, dues à l’invalidité et médicalement établies, doivent systématiquement être prises en compte pour l’appréciation de la capacité fonctionnelle. Il s’agit là de l’estimation du temps de présence médicalement justifié d’une part (capacités fonctionnelles quantitatives, par ex. en nombre d’heures par jour) et des capacités fonctionnelles qualitatives durant ce temps de présence d’autre part (limitation de la charge de travail, limitations qualitatives, travail plus lent par rapport à une personne en bonne santé, etc.). En règle générale, ces deux composantes sont ensuite combinées pour obtenir une appréciation globale en pourcentage de la capacité de travail, autrement dit des capacités fonctionnelles. Ainsi, par exemple, une productivité réduite pendant le temps de présence exigible ou un besoin de pauses plus fréquentes doivent être systématiquement déduits lors de l’indication de la capacité fonctionnelle résiduelle. Cela permet également de tenir compte de la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle la capacité de travail attestée par un médecin donne des indications sur l’effort pouvant être effectivement exigé, mais pas sur la présence éventuelle sur le lieu de travail. Dans certaines circonstances, il peut être nécessaire de demander des renseignements auprès du médecin traitant afin que le SMR puisse établir une évaluation globale et compréhensible de la capacité fonctionnelle résiduelle, qui tienne compte de tous les facteurs médicaux influents [Office fédéral des assurances sociales, Dispositions d’exécution relatives à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (Développement continu de l’AI), rapport explicatif (après la procédure de consultation) du 3 novembre 2021, ad art. 49 al. 1bis, p. 60].

Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4).

Il appartient avant tout aux médecins, et non aux spécialistes de l'orientation professionnelle, de se prononcer sur la capacité de travail d'un assuré souffrant d'une atteinte à la santé et sur les éventuelles limitations résultant de celle-ci. Cependant, les organes d'observation professionnelle ont pour fonction de compléter les données médicales en examinant concrètement dans quelle mesure l'assuré est à même de mettre en valeur une capacité de travail et de gain sur le marché du travail. Au regard de la collaboration, étroite, réciproque et complémentaire entre les médecins et les organes d'observation professionnelle, on ne saurait toutefois dénier toute valeur aux renseignements d'ordre professionnel recueillis à l'occasion d'un stage pratique pour apprécier la capacité résiduelle de travail de l'assuré. En effet, dans les cas où ces appréciations (d'observation professionnelle et médicale) divergent sensiblement, il incombe à l'administration, respectivement au tribunal – conformément au principe de la libre appréciation des preuves – de confronter les deux évaluations et, au besoin, de requérir un complément d'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 8C_43/2024 du 9 août 2024 consid. 5.2 et les références).

Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151 consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3). Il appartient en premier lieu à l'assureur de procéder à des instructions complémentaires pour établir d'office l'ensemble des faits déterminants, et, le cas échéant, d'administrer les preuves nécessaires avant de rendre sa décision (art. 43 al. 1 LPGA ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_43/2024 du 9 août 2024 consid. 5.5 et les références).

3.4 En l'espèce, l'intimé a fondé sa décision sur le rapport rendu par le SMR le 18 novembre 2022, aux termes duquel la recourante est totalement incapable de travailler dans son activité habituelle depuis mars 2019, mais peut exercer une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès octobre 2022, à un taux de 50%.

Cet avis, au moment où il a été établi, concordait avec les prises de position des médecins traitants de la recourante, en particulier avec le rapport du Dr J______ du 13 octobre 2022, qui jugeait qu'elle était apte à travailler à 50% dans toute profession, au vu des suites de son cancer (asthénie et paresthésies). Le SMR a alors aussi tenu compte des limitations fonctionnelles mentionnées par le Dr G______ en raison de l'atteinte au rachis lombaire, étant relevé que ce dernier n'a pas attesté d'une incapacité de travail de la recourante à ce titre, ni délivré de certificats d'arrêt de travail. Sous l'angle immunologique, le Dr H______ a en outre indiqué que le VIH était bien contrôlé et n'a fait état d'aucune limitation fonctionnelle en découlant.

Cela étant, au moment où il a rendu la décision litigieuse, l'intimé ne pouvait plus faire reposer son appréciation sur le seul rapport du SMR du 18 novembre 2022, rendu plus d'une année auparavant. En effet, dans l'intervalle, la recourante avait débuté une mesure d'orientation professionnelle à 50%, qui avait rapidement dû être arrêtée au vu des difficultés rencontrées. Le bilan de la mesure relève des douleurs aiguës au niveau du dos, une grande fragilité émotionnelle et une fatigabilité soutenue, malgré un poste de travail adapté aux limitations fonctionnelles (tables et chaises réglables selon la hauteur de préférence), les changements de position et les étirements mis en place. Le rendement en temps de la recourante était par ailleurs peu élevé, tant dans les activités manuelles qu'administratives (moins de 20%) et les douleurs, la fatigue intense ainsi que la crainte de bien faire l'amenaient à commettre des erreurs d'inattention et affectaient sa concentration. La recourante avait de plus besoin d'un soutien et d'un renforcement constant pour commencer et mener à bien ses tâches.

Face à l'échec de la mesure d'orientation et aux éléments présentés dans le bilan, l'intimé ne pouvait statuer sans compléter l'instruction médicale. Il a pourtant rapidement clôturé le mandat de mesures d'ordre professionnel et rendu un projet de décision, en reprenant l'exigibilité médicale attestée préalablement par le SMR.

Par ailleurs, après le projet de décision, la recourante a transmis deux certificats d'arrêt de travail à 100% couvrant le mois de novembre 2023. Bien que ceux-ci aient été produits après l'échéance de 30 jours pour faire valoir des observations à la suite du préavis (cf. art. 57a al. 3 LAI), ils devaient néanmoins être pris en considération par l'intimé en tant qu'ils pouvaient influer sur la décision à rendre (cf. ch. 6021 de la circulaire sur la procédure dans l'assurance-invalidité, état au 1er février 2023).

Au vu des informations contenues au dossier avant le 9 avril 2024, singulièrement des constatations tirées de l'observation professionnelle – lesquelles divergeaient sensiblement de l'appréciation médicale et faisaient apparaître des limitations plus étendues que celles retenues par le SMR ainsi qu'un rendement très bas – l'intimé devait compléter l'instruction, à tout le moins confronter ces deux évaluations.

Un complément d'instruction paraît en l'occurrence d'autant plus nécessaire que le Dr E______, dans son dernier rapport du 1er mai 2024, réaffirme non seulement que la recourante est affectée d'une asthénie de fond, mais fait aussi état de limitations découlant du cancer du sein qui n'étaient pas relevées dans ses précédentes évaluations. Il mentionne en effet une fatigabilité cognitive de la recourante en raison du phénomène de chemo brain, ainsi qu'une limitation dans tous les plans moteurs de son membre supérieur gauche au vu du status post chirurgie et de la radiothérapie. Or, des difficultés de concentration semblaient déjà s'être manifestées lors de la mesure d'orientation professionnelle et, de manière plus générale, la fatigue découlant d'un cancer (Cancer-related Fatigue) est admise par la littérature médicale et la jurisprudence (ATF 139 V 346 consid. 3). Bien que postérieur à la date de la décision entreprise, son rapport médical, qui conclut à une incapacité totale de travail de la recourante, doit ainsi être pris en considération, puisqu'il se prononce sur une situation médicale antérieure, découlant directement des suites du traitement du cancer (ATF 99 V 98 consid. 4 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_269/2018 du 25 juillet 2018 consid. 4.2).

Dans le cas d'espèce, le SMR ne s'est pas prononcé sur le résultat de la mesure d'orientation professionnelle. Il ne s’est pas davantage déterminé sur le rapport médical du Dr E______ du 1er mai 2024 produit devant la chambre de céans. Or, l’absence de prise en compte par l’OAI du résultat de la mesure d’orientation professionnelle constitue une violation de la maxime inquisitoire au sens de l'art. 43 LPGA et contrevient aux art. 54a LAI et 49 al. 1bis RAI, qui prescrivent que le SMR doit évaluer les capacités fonctionnelles de la personne assurée en tenant compte, tant quantitativement que qualitativement, de toutes ses ressources et limitations physiques, mentales et psychiques. Au vu des quelques jours d'orientation professionnelle réalisés, un doute raisonnable existe quant à l'étendue des limitations fonctionnelles de la recourante et au rendement qu'elle peut atteindre dans une activité adaptée, pour autant qu'elle dispose encore d'une capacité de travail exploitable.

La cause doit ainsi être renvoyée à l'intimé afin qu'il sollicite une prise de position du SMR quant au bilan professionnel et au rapport médical du Dr E______ du 1er mai 2024. Dans l'hypothèse où le SMR ne partagerait pas les conclusions de l'oncologue traitant concernant l'incapacité totale de travail de la recourante, l'intimé devrait mettre en œuvre une expertise médicale afin de clarifier la situation, tant sous l'angle des suites du cancer que sous l'angle des limitations liées à l'atteinte au rachis, en vue de déterminer précisément les limitations fonctionnelles et la capacité de travail de la recourante ainsi qu'une éventuelle diminution de rendement.

4.             Au vu de ce qui précède, le recours est partiellement admis et la décision du 9 avril 2024 est annulée en ce qu'elle concerne la rente d'invalidité dès le 1er janvier 2023. La cause est renvoyée à l'intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision sur le droit aux prestations dès cette date.

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 

 

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision de l'intimé du 9 avril 2024 en tant qu'elle réduit la rente entière d'invalidité allouée à la recourante dès le 1er janvier 2023.

4.        La confirme pour le surplus.

5.        Renvoie la cause à l'intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision sur le droit aux prestations dès le 1er janvier 2023.

6.        Condamne l'intimé à verser à la recourante une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.

7.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le