Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/934/2024 du 28.11.2024 ( AVS ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/3129/2023 ATAS/934/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 28 novembre 2024 Chambre 5 |
En la cause
A______ représenté par Me Leonardo CASTRO, avocat
| recourant |
contre
CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FÉDÉRATION DES ENTREPRISES ROMANDES FER CIAM 106.1
| intimée |
A. a. La société anonyme B______ (ci-après : la société) a été inscrite au registre du commerce le 8 décembre 2010. Elle avait pour but l’exploitation d’un atelier de menuiserie et d’ébénisterie.
Cette société a été créée par Monsieur C______ (ci-après : le président), qui en a été l’administrateur unique avec signature individuelle, puis dès le 14 mars 2018, l’administrateur président avec signature individuelle.
Le fils du président, Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé), a disposé de la signature collective à deux, dès le 8 décembre 2010. Dès le 14 mars 2018, l’intéressé est devenu administrateur de la société avec signature individuelle, jusqu’à la radiation de ses pouvoirs le 19 octobre 2018.
b. Le personnel de la société a été affilié auprès de la caisse interprofessionnelle AVS de la fédération des entreprises romandes FER CIAM 106.1 (ci-après : la caisse).
c. Le hangar qui abritait le dépôt et l’atelier de la société a brûlé le 31 mars 2017.
d. Dès le mois d’octobre 2017, la caisse a adressé des sommations à la société pour les intérêts moratoires dès mai 2017 et pour les cotisations paritaires dès octobre 2017. Elle a également engagé des poursuites à l’encontre de la société.
e. Selon une note de la caisse relative aux entretiens téléphoniques avec la société fiduciaire s’occupant de la société, cette dernière lui a indiqué, le 22 mars 2018, que les cotisations d’octobre 2017, lesquelles faisaient l’objet de poursuites, seraient réglées à l’office des poursuites à fin avril 2018. La société fiduciaire a précisé, le 12 avril suivant, que la société était en train de procéder à des licenciements.
f. Par courrier du 31 mai 2018, la société a indiqué à la caisse qu’elle faisait actuellement face à quelques difficultés financières et n’était plus en mesure de payer l’intégralité des cotisations. Elle a sollicité un échelonnement des paiements.
g. La société a versé à la caisse des montants de CHF 47'000.- le 19 novembre 2018 et de CHF 25'000.- le 6 décembre 2018.
h. Dans un avis au juge du 6 décembre 2018, la société, par le truchement de sa société fiduciaire, a annoncé son surendettement. Le bilan intermédiaire au 31 octobre 2018 révélait une perte de CHF 362'151.50.
i. Lors de l’audience du 31 janvier 2019 devant le Tribunal de première instance (ci-après : TPI), la société a déclaré des liquidités de CHF 49'000.- à fin octobre 2018. Les salaires avaient été payés dans l’intervalle, et il n’y avait plus d’argent sur le compte. Les charges sociales n’avaient pas été réglées. La société avait fermé ses locaux en novembre 2018.
j. Par jugement du 7 février 2019, le TPI a prononcé la faillite de la société. Il a relevé que le bilan non révisé, établi au 31 octobre 2018, mentionnait des actifs de CHF 209'920.57, les fonds étrangers s’élevant à CHF 820'884.32.
k. Selon le procès-verbal d’interrogatoire de faillite du 26 février 2019, la société, représentée par sa société fiduciaire, a indiqué que l’insolvabilité était liée à un manque de commandes, la perte de gros clients et une mauvaise gestion du président, qui n’avait pas adapté sa masse salariale. Le début du surendettement remontait à 2015. Les mesures d’assainissement prises consistaient en une postposition de dettes, des licenciements, des arrangements avec les fournisseurs et une réduction des délais de paiement des clients.
l. Le 25 juin 2019, la caisse a produit des créances de CHF 108'033.65 et CHF 80'828.30 dans la faillite de la société, lesquelles ont été respectivement colloquées en 2e et 3e classes.
m. Selon l’état de collocation du 20 septembre 2019, un dividende de 25.57% était prévu pour les créances de 1re classe.
n. Le 7 février 2020, la caisse s’est vu délivrer deux actes de défaut de biens pour les créances produites dans la faillite, pour des montants de respectivement CHF 27'603.55 et CHF 108'033.65.
B. a. Par décision du 23 mars 2022, la caisse a requis la réparation par l’intéressé du dommage subi, soit un montant de CHF 42'612.45 correspondant aux cotisations paritaires AVS/AI/APG/AC et aux cotisations du régime des allocations familiales pour les périodes de novembre 2017 à septembre 2018 et au solde de frais et intérêts sur les décomptes de mai, août, septembre et octobre 2017.
b. Le 23 mars 2022, la caisse a notifié une décision en réparation du dommage au président, portant sur un dommage de CHF 46'282.25, correspondant aux cotisations paritaires impayées pour la période allant de novembre 2017 à novembre 2018, et au solde de frais et intérêts sur les décomptes de mai, août, septembre et octobre 2017.
c. Le 28 mars 2022, l’intéressé s’est opposé à la décision de la caisse. Il a souligné que la part pénale correspondant à la part des cotisations des employés avait été intégralement versée. De plus, la société n’avait jamais versé de dividendes à ses actionnaires. Celle-ci n’avait aucune liquidité lors de la faillite, si bien que l’intéressé avait parfaitement respecté la loi. Il avait, en effet, à plusieurs reprises averti la caisse de l’incapacité de la société à s’acquitter des cotisations dues, de sorte qu’aucune faute ne lui était imputable.
d. À la même date, le président s’est également opposé à la décision de la caisse.
e. Par décision du 28 mars 2023, la caisse a écarté l’opposition de l’intéressé. Elle a retenu que la société avait eu de la peine à régler ses cotisations sociales dans les délais, justifiant, particulièrement depuis 2017, l’envoi de sommations et la perception de taxes et amendes. Le versement de la part pénale ne suffisait pas à exonérer l’intéressé de sa responsabilité, le dommage résultant également du non-paiement de la part des cotisations pour l’employeur, et l’absence de rémunération des actionnaires n’était pas pertinente. Les obligations de l’intéressé, en sa qualité d’administrateur, englobaient le paiement des cotisations sociales.
f. Par décision rendue à la même date, la caisse a également écarté l’opposition du président.
C. a. L’intéressé a interjeté recours contre la décision de la caisse par écriture du 27 septembre 2023 devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans). Il a requis la production des dossiers de l’office des faillites (ci-après : OF) et de l’intimée et a conclu à l’annulation de la décision de l’intimée, et subsidiairement, à la réduction du montant réclamé. Il a produit les bilans et comptes de pertes et profits de 2013 à 2018. Le recourant a soutenu n’avoir disposé que de la signature collective, et ne pas avoir pu exercer la moindre influence sur la marche des affaires, jusqu’au mois de mars 2018. Il n’avait, ainsi, pas été en mesure de causer un dommage pour la période de novembre 2017 à mars 2018. La société avait connu des difficultés à partir de 2017 et avait déjà des arriérés lorsqu’il était devenu administrateur, si bien qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre sa fonction et l’absence de paiement de 2017 à mars 2018. Il a soutenu que la société était dirigée par son père, qui en était le président, et que sa nomination en qualité d’organe en 2018 était une récompense « honorifique » pour son engagement, mais qu’il n’avait pas été véritablement intégré à la gestion de la société. Il a contesté une négligence grave. Il ne s’occupait pas des affaires et travaillait en qualité de menuisier. Le dommage était probablement déjà existant au moment de sa nomination. Il a indiqué que la situation financière de la société avait toujours été bonne à sa connaissance. Après l’incendie, il pensait que son travail acharné pour trouver des solutions permettrait de surmonter cette épreuve et de pérenniser la société.
b. Par écriture du 9 novembre 2023, l’intimée a conclu au rejet du recours.
c. À la demande du recourant, la chambre de céans a requis l’apport du dossier de l’OF en date du 7 février 2024, l’intimée ne s’étant pas opposée à cette mesure.
L’OF a produit le dossier relatif à la société le 26 février 2024.
d. Dans ses observations du 16 avril 2024, l’intimée a persisté dans sa position. Elle a affirmé que la société n’était pas en surendettement à la fin de l’année 2017, mais seulement à la fin de l’année 2018. Elle s’en remettait à justice sur le point de savoir si la société était déjà surendettée en mars 2018. Le dommage portait sur les cotisations des périodes de novembre 2017 à septembre 2018. Cependant, le recourant travaillait avec son père dans la société depuis de nombreuses années. On ne pouvait donc exclure une position d’organe de fait, qui aurait pour conséquence de rendre l’examen de la date du surendettement superflu. La société avait été en mesure de rembourser, partiellement, des cotisations dues par des versements importants en novembre et décembre 2018, si bien qu’elle avait encore d’importantes liquidités à fin 2018.
e. Le recourant s’est déterminé par écriture du 16 avril 2024, persistant dans ses conclusions. Il a répété ne pas avoir été impliqué véritablement dans la gestion de la société, dont le président était l’unique actionnaire, et la société fiduciaire était l’interlocutrice de l’intimée. Le recourant n’avait signé que peu de documents, à savoir les déclarations de salaire de novembre 2017 à janvier 2018. Il ne disposait pas des compétences pour représenter la société et n’avait pu causer un dommage ou l’empêcher, à défaut d’exercer une influence sur la marche des affaires. Partant, les prétentions de l’intimée relatives à la période de novembre 2017 à février 2018 devaient être écartées. Lors de sa prise de fonction, le recourant avait, malgré son inexpérience, rapidement identifié les difficultés de paiement de la société, et avait sollicité un plan de remboursement. On ne pouvait donc lui reprocher d’avoir été négligent. La dette de cotisations sociales ne s’était pas accrue durant son mandat, grâce à ses efforts. Il avait, en effet, procédé à des licenciements. La société avait remporté un important contrat par décision d’adjudication du 23 février 2017, portant sur plus de CHF 450'000.-, ce qui aurait permis de dégager le bénéfice nécessaire à la régularisation de la situation. Le recourant tablait sur ce contrat pour redresser la situation, ce qui rendait sa faute excusable entre mars et septembre 2018. La décision d’adjudication avait cependant été révoquée le 26 novembre 2018 en raison de la mise en faillite de la société. Il a produit les pièces l’attestant.
f. La chambre de céans a entendu les parties le 16 mai 2024.
Le recourant a exposé avoir appris son métier de menuisier sur le tas. Il avait travaillé dans l’entreprise de son père dès 2010. Il s’occupait dès 2013 de la surveillance des chantiers. Il n’était pas en charge de la facturation ou de l’encaissement, mais contactait les fournisseurs pour la livraison des matériaux. Après l’incendie du hangar, la société n’avait plus pu travailler dans son atelier et avait connu une période particulièrement difficile. Elle avait essayé de terminer les chantiers en cours, mais elle n’avait plus pu accepter de nouvelles commandes. Trois mois après ce sinistre, l’atelier était à nouveau opérationnel. À la fin de l’année, le recourant avait indiqué au président qu’il ne voulait plus continuer dans l’entreprise, dont il estimait la gestion très difficile. Il a indiqué que le carnet de commandes de la société avait toujours été bien rempli. Il a précisé ne pas avoir été libre d’engager du personnel, ne pas pouvoir faire un devis ou s’occuper de démarches administratives sans son père. Il avait été informé des problèmes de trésorerie par le président et la société fiduciaire au début de l’année 2018. Il avait alors proposé d’alléger les charges salariales en diminuant le personnel. La masse salariale avait pu être réduite presque de moitié entre le 31 décembre 2017 et le 31 octobre 2018. De 2013 à 2017, la charge salariale était très variable, car le personnel était engagé ou licencié en fonction du volume de commandes. Entre 2015 et 2016, les bénéfices avaient baissé, en raison de la perte d’un gros client.
L’intimée a indiqué s’en remettre à justice, concernant la date du surendettement. Elle s’est dite en droit de réclamer au recourant le paiement des cotisations antérieures à mars 2018, si la société n’était pas surendettée en 2017 et en mars 2018.
g. Par duplique du 29 mai 2024, l’intimée a souligné que l’avis de surendettement de la société datait du 6 décembre 2018, et selon le bilan non révisé établi le 31 octobre 2018, les dettes sociales n’étaient alors pas couvertes par les actifs. Le surendettement était ainsi postérieur à l’entrée en fonction du recourant en qualité d’administrateur, et l’intimée était en droit de réclamer au recourant, non seulement le dommage dès sa prise de fonction d’administrateur, mais également celui qui résultait des cotisations sociales impayées avant sa nomination. Le seul fait d’avoir une dette considérable de cotisations sociales et un manque de liquidités n’équivalaient pas à un surendettement.
h. La chambre des céans a transmis copie de cette écriture au recourant le 30 mai 2024.
i. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi (art. 56ss LPGA), le recours est recevable.
2. Le litige porte sur la responsabilité du recourant pour le dommage subi par l'intimée en raison du défaut de paiement des cotisations sociales par la société, correspondant aux cotisations impayées pour les périodes de novembre 2017 à septembre 2018 et aux frais et intérêts sur les décomptes de mai, août, septembre et octobre 2017.
3. En préambule, il convient de rappeler que les tribunaux cantonaux des assurances sociales doivent appeler en cause les autres débiteurs solidaires recherchés par la caisse de compensation en réparation d’un dommage lié au non-versement de cotisations paritaires, que la procédure les concernant soit pendante ou que leur responsabilité ait fait l’objet d’une décision déjà entrée en force (SVR 2007 AVS n° 2 consid. 2.2).
En matière de reprise des salaires dans une procédure à l’encontre d’un employeur, la jurisprudence retient également qu’un appel en cause des salariés concernés doit avoir lieu. Elle admet toutefois une exception à ce principe pour des raisons pratiques, notamment lorsque le domicile des intéressés est à l’étranger (arrêt du Tribunal fédéral H 144/05 du 6 septembre 2006 consid. 3.1).
En l’espèce, le président de la société faillie devrait, en principe, être appelé en cause, au vu de la décision en réparation que l’intimée lui a notifiée. Cela étant, selon le registre des habitants tenu par l’office cantonal de la population et des migrations, il a quitté Genève pour le Portugal à fin octobre 2022.
Par analogie avec les principes dégagés par la jurisprudence dans les cas de reprise des salaires, applicables mutatis mutandis, la chambre de céans renoncera à l’appel en cause du président, au vu de son domicile à l’étranger.
4. L'art. 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 et suivants du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101), prescrit que l'employeur doit déduire, lors de chaque paie, la cotisation du salarié et verser celle-ci à la caisse de compensation en même temps que sa propre cotisation. Les employeurs doivent remettre périodiquement aux caisses les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs employés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de l'employeur de percevoir les cotisations et de régler les comptes est une tâche de droit public prescrite par la loi (ATF 118 V 193 consid. 2a et les références).
5. L'art. 52 LAVS régissant la responsabilité de l'employeur a été modifié le 1er janvier 2020.
En vertu de l'art. a52 LAVS dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2019, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à la caisse de compensation est tenu à réparation (al. 1). Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L'employeur peut renoncer à invoquer la prescription. Si le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est applicable (al. 3).
La modification de l’art. 52 LAVS – qui n’a porté que sur l’alinéa troisième de cette disposition – s’est inscrite dans la révision du droit de la prescription. Depuis le 1er janvier 2020, l’art. 52 al. 3 LAVS prévoit que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) sur les actes illicites. Aux termes de l’art. 60 al. 1 CO dans sa teneur dès le 1er janvier 2020, l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.
L’art. 49 du Titre final du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) a également été modifié dans le cadre de cette révision. Il prévoit désormais à son alinéa premier que lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (cf. également Message relatif à la modification du code des obligations [Droit de la prescription] du 29 novembre 2013 [FF 2014 254]). Ainsi, lorsque la prescription n’est pas acquise lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, le nouveau délai s'applique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_463/2023 du 22 mai 2024 consid. 3.1). La prescription ayant couru sous l'ancien droit doit être décomptée de la prescription déterminée en vertu du nouveau droit (arrêt du Tribunal fédéral 9C_429/2022 du 3 novembre 2022 consid. 5.1.2).
6. Le dépôt de l'état de collocation ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d'actifs sont les moments qui correspondent en règle générale à celui de la connaissance du dommage au sens de l'art. 52 al. 3 LAVS (ATF 129 V 193 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_246/2017 du 18 décembre 2017 consid. 4.2). La partie lésée peut toutefois, en raison de circonstances spéciales, acquérir la connaissance nécessaire avant le dépôt de l'état de collocation. Ainsi, on peut exiger d'une caisse qu'elle se fasse représenter à la première assemblée des créanciers, dès lors que son devoir de diligence lui commande de suivre l'évolution de la procédure de faillite. S'il apparaît à ce moment-là déjà qu'elle subira un dommage, le délai de prescription relatif commencera à courir (arrêt du Tribunal fédéral 9C_258/2022 du 14 novembre 2022 consid. 4.1.2).
7. Si l'employeur est une personne morale, la responsabilité de l’art. 52 LAVS peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom. Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5a).
Dans le cas d'une société anonyme, la notion d'organe responsable selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui ressort de l'art. 754 al. 1 CO. Selon cette disposition, les membres du conseil d’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à l’égard de la société, de même qu’envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu’ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. La responsabilité incombe donc non seulement aux membres du conseil d'administration, mais aussi aux organes de fait, c'est-à-dire à toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d'une manière déterminante. Dans cette dernière éventualité, il faut cependant que la personne en question ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l'empêcher, en d'autres termes qu'elle ait exercé effectivement une influence sur la marche des affaires de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_246/2017 du 18 décembre 2017 consid. 2).
8. Pour que l'organe, formel ou de fait, soit tenu de réparer le dommage causé à la caisse de compensation en raison du non-paiement des cotisations sociales, les conditions de l'art. 52 al. 1 LAVS doivent être réalisées, ce qui suppose que l'organe ait violé intentionnellement ou par une négligence grave les devoirs lui incombant et qu'il existe un lien de causalité adéquate entre le manquement qui lui est imputable et le préjudice subi (ATF 132 III 523 consid. 4.6)
8.1 La négligence grave mentionnée à l’art. 52 al. 1er LAVS est admise très largement par la jurisprudence. Se rend coupable d’une négligence grave l’employeur qui ne respecte pas la diligence que l’on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d’un employeur de la même catégorie. Dans le cas d’une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l’attention que la société doit accorder, en tant qu’employeur, au respect des prescriptions de droit public sur le paiement des cotisations d’assurances sociales. Les mêmes exigences s’imposent également lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur (arrêt du Tribunal fédéral 4C_31/2006 du 4 mai 2006 consid. 4.6).
8.2 Selon la jurisprudence, celui qui entre dans le conseil d'administration d'une société a le devoir de veiller tant au versement des cotisations courantes qu'à l'acquittement des cotisations arriérées, pour une période pendant laquelle il n'était pas encore administrateur. En règle générale, il y a dans les deux cas un lien de causalité entre l'inaction de l'organe et le non-paiement des cotisations, de sorte que l'administrateur répond solidairement de tout le dommage subi par la caisse de compensation en cas de faillite de la société (arrêt du Tribunal fédéral H 96/03 du 30 novembre 2004 consid. 7.3.1). Il en va de même lorsque, en raison de la répartition interne des fonctions administratives, il incombe en premier lieu à certains administrateurs de veiller au paiement des cotisations (arrêts du Tribunal fédéral 9C_961/2012 du 18 mars 2013 consid. 4.2, 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.3 et les références et H 40/05 du 29 novembre 2005 consid. 4). Les autres administrateurs n'en sont pas moins tenus de s'enquérir de la situation et de prendre les mesures nécessaires en cas de retard dans le paiement des cotisations (arrêt du Tribunal fédéral H 262/03 du 14 octobre 2004 consid. 4.2). Le fait que les organes n'aient pas eux-mêmes la compétence de procéder aux versements n'est pas déterminant (arrêt du Tribunal fédéral H 77/03 du 18 janvier 2005 consid. 6.4). Un organe ne saurait se retrancher derrière le fait qu'il ne disposait d'aucun pouvoir décisionnel, dès lors qu’il doit démissionner s’il est dans l’incapacité de remplir son mandat et de prendre les mesures qui s'imposent en raison de l’attitude d’un autre organe (arrêt du Tribunal fédéral 9C_716/2013 du 30 mai 2014 consid. 4.2.3). Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur tout en sachant qu'elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l'angle de l'art. 52 LAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Tel est le cas d'un homme de paille (arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2015 du 31 mai 2016 consid. 3.3). La jurisprudence s'est également montrée constante lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité d'administrateurs qui allèguent avoir été exclus de la gestion d'une société et qui s'en sont accommodés sans autre forme de procès, ce qui relève d’une négligence grave (arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2015 du 31 mai 2016 consid. 3.3).
8.3 Il y a négligence grave d’un organe lorsqu’une société continue de verser des salaires sur lesquels ses ressources financières ne permettent pas de prélever les cotisations paritaires, et fait supporter le risque inhérent au financement d'une entreprise par l'assurance sociale (arrêt du Tribunal fédéral 9C_701/2018 du 27 novembre 2018 consid. 6.2). Si les ressources financières d’une entreprise ne lui permettent pas de payer les cotisations paritaires dans leur intégralité, ses organes ne doivent verser que les salaires pour lesquels les créances de cotisations peuvent être couvertes (arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.2). Les administrateurs d'une société qui se trouve dans une situation financière désastreuse et qui parent au plus pressé, en réglant les dettes les plus urgentes à l'exception des cotisations sociales, dont l'existence et l'importance leur sont connues, sans qu'ils ne puissent guère espérer, au regard de la gravité de la situation, que la société puisse s'acquitter des cotisations en souffrance dans un délai raisonnable, commettent une négligence grave au sens de l'art. 52 LAVS (ATF 132 III 523 consid. 4.6).
9. En ce qui concerne l'étendue dans le temps de la responsabilité, un organe doit en principe également être tenu du dommage découlant du non-paiement des cotisations échues avant son entrée en fonction (arrêt du Tribunal fédéral 9C_716/2013 du 30 mai 2014 consid. 4.3). On ne saurait cependant tenir un organe pour responsable du dommage préexistant à son arrivée au sein du conseil d'administration, qu’il n’a pas contribué à causer. Ce cas doit être distingué de ceux de membres du conseil d'administration d'une entreprise, qui répondent solidairement non seulement des cotisations d'assurances sociales courantes, mais également des dettes de cotisations échues à leur entrée au conseil d'administration. En effet, la question du lien de causalité entre l'inaction d'un administrateur et le non-paiement de cotisations arriérées ne se pose pas lorsqu’un dommage au sens de l'art. 52 LAVS préexiste, parce que la société était déjà insolvable avant l'entrée du nouveau membre au conseil d'administration (ATF 119 V 401 consid. 4c ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_538/2019 du 19 juin 2020 consid. 3). Dans un tel cas, l’administrateur ne répond que de l’accroissement du dommage résultant de la poursuite des activités de la société jusqu’au prononcé de la faillite, les tentatives de redressement ayant échoué (arrêt du Tribunal fédéral H 76/06 du 11 juillet 2007 consid. 7.2). En d’autres termes, la responsabilité du nouvel administrateur pour le dommage causé avant son entrée en fonction n’est pas engagée s’il ne pouvait rien faire pour réparer ce dommage, car la société était déjà insolvable, respectivement surendettée au point que les cotisations sociales ne pouvaient être versées (arrêts du Tribunal fédéral 9C_454/2021 du 11 février 2022 consid. 5.2.1 et 9C_841/2010 du 22 septembre 2011 consid. 4.3).
Il convient de distinguer l’insolvabilité du surendettement. La condition du dommage préexistant en tant que motif d’exclusion du lien de causalité a été liée à l’insolvabilité de la société dans l’arrêt de principe 119 V 401, ainsi que dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, malgré une référence dans certains arrêts au surendettement de la société plutôt qu’à son insolvabilité. Le surendettement est toutefois un indice de l’insolvabilité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_538/2019 du 19 juin 2020 consid. 4.1 et 4.2, cf. pour un cas d’application arrêt du Tribunal fédéral H 277/01 du 29 août 2002 consid. 4.1 et 4.2, dans lequel l’insolvabilité de l’entreprise n’a pas été retenue au motif que celle-ci n’était pas surendettée).
Il y a insolvabilité lorsqu’un débiteur ne peut durablement pas faire face à ses obligations financières, cas dans lequel un créancier ne peut plus espérer être payé (ATF 137 II 353 consid. 5.2.1). On retient une insolvabilité lorsqu'il existe des actes de défaut de biens, lorsque la faillite est ouverte ou en cas de concordat par abandon d'actifs. Elle est également reconnue lorsque d'autres éléments probants attestent de l'incapacité durable d’une société à faire face à ses obligations financières. Un manque de ressources financières à court terme ne suffit pas à admettre l’insolvabilité, il doit s’agir d’une situation durable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_709/2008 du 2 avril 2009 consid. 4.2).
Il y a en revanche surendettement au sens de l’art. 725 al. 2 2e phr. CO dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2022 si un bilan intermédiaire soumis à un réviseur agréé révèle que les dettes sociales ne sont couvertes, ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d’exploitation, ni lorsqu’ils le sont à leur valeur de liquidation. Le surendettement au sens de cette disposition survient lorsque la totalité des fonds propres imposés par la loi est consommée par des pertes. Les fonds propres imposés par la loi se décomposent en capital social, soit pour une société anonyme du capital-actions, et le cas échéant du capital-participation et des réserves légales (Henry PETER / Francesca CAVADINI in Commentaire romand, Code des obligations II, 2e éd., 2017, n. 2, 9 et 12 ad art. 725 CO).
10. En l’espèce, la chambre de céans relève, s’agissant de la responsabilité du recourant avant sa nomination formelle en qualité d’administrateur en mars 2018, que contrairement à ce que semble suggérer l’intimée, on ne saurait lui reconnaître la qualité d’organe de fait. En effet, rien ne démontre qu’il aurait assumé des responsabilités dans la gestion administrative de la société, et son audition – dont il n’existe pas de motif de mettre en doute la véracité – révèle que ses activités relevaient avant tout du suivi des chantiers, voire de contacts avec les fournisseurs. C’est à juste titre que le recourant entend rapprocher sa situation de celle tranchée dans l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_68/2020 du 29 décembre 2020, portant sur la responsabilité d’un directeur de société disposant de la signature collective à deux. Dans ce cas, notre Haute Cour a confirmé que ce dernier n’était pas organe de fait, les différents éléments n’ayant pas démontré une participation déterminante dans la marche des affaires, et la gestion quotidienne étant assumée quasi exclusivement par l’administrateur de la société. Dès lors qu’il n’existe aucun indice d’une activité du recourant en tant qu’organe de fait ayant participé à la gestion de la société avant mars 2018, la même conclusion s’impose dans le cas d’espèce.
S’agissant d’un lien de causalité entre le comportement du recourant dans ses fonctions d’administrateur dès mars 2018 et le dommage subi par la caisse, l’analyse des comptes figurant dans le dossier relatif à la faillite de la société révèle une perte de CHF 113'800.19 durant l’exercice 2016. Au 31 décembre 2017, le bilan affichait des actifs de CHF 337'325.29 et des passifs comprenant des fonds étrangers de CHF 586'137.54, et les fonds propres – constitués uniquement du capital-actions –, s’élevaient à CHF 100'000.-. L’exercice 2017 s’est conclu par une perte de CHF 235'012.06, et par une perte totale de CHF 348'812.25 compte tenu du cumul avec la perte reportée de 2016. Il convient toutefois de noter que le compte courant du président, qui figurait dans les actifs à hauteur de CHF 119'559.20 dans le bilan de 2016 produit par le recourant à l’appui de son recours, est compté dans les passifs de la société dans les bilans de 2017 et 2018, à concurrence de respectivement CHF 99'792.35 et CHF 90'856.10.
Ces chiffres révèlent que la situation financière de la société était gravement obérée à fin 2017 déjà, et relevait d’un surendettement au sens de la loi, la perte de CHF 348'812.25 étant supérieure au capital propre, qui s’élèverait au plus à CHF 199'792.35 même si l’on intégrait aux actifs le compte courant du président. Bien que la société ait été en mesure de procéder à d’importants paiements de quelque CHF 72'000.- au total, en 2018, afin de régler partiellement les cotisations en souffrance, il apparaît ainsi qu’elle ne disposait pas, ni à fin 2017, ni en mars 2018, des fonds nécessaires pour faire face à l’intégralité de sa dette à l’encontre de l’intimée. Selon l’extrait de compte de l’intimée portant sur la période du 1er janvier 2017 au 4 octobre 2023, le solde des cotisations paritaires, intérêts et frais compris, s’élevait à CHF 110'685.60 au 21 février 2018 et à CHF 135'748.30 au 8 mars 2018, compte tenu d’un décompte de cotisations de CHF 25'062.70 pour février 2018. De tels arriérés de cotisations sont extrêmement importants au regard de la taille de la société – qui comptait une dizaine de salariés selon la déclaration de salaires de décembre 2017 –, de ses résultats et de son assise financière. Par ailleurs, le fait que la société ait espéré un assainissement de sa situation financière grâce à un contrat portant sur des travaux publics de quelque CHF 450'000.- ne permet pas de considérer que l’insolvabilité révélée par le surendettement à fin 2017 n’était que transitoire, dès lors que cette expectative ne s’est pas réalisée.
Ainsi, force est de retenir que la société était insolvable, au vu de son surendettement lors de la prise de fonction du recourant. Partant, le dommage était déjà survenu – à tout le moins partiellement – à cette époque et n’a ainsi pas été causé par celui-ci.
Par conséquent, conformément à la jurisprudence, le recourant ne doit répondre que de l’accroissement du dommage résultant de la poursuite des activités de la société pendant la durée de sa fonction d’administrateur, soit du 14 mars 2018 au 19 octobre 2018.
La cause doit ainsi être renvoyée à l’intimée afin qu’elle détermine la quotité dudit dommage.
11.
11.1 Le recours est partiellement admis.
11.2 Assisté par un avocat et obtenant partiellement gain de cause, le recourant a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 1'500.- (art. 61 let. g LPGA).
11.3 Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision de l’intimée du 28 mars 2023 et lui renvoie la cause pour nouvelle décision au sens des considérants.
4. Condamne l’intimée à verser au recourant une indemnité de dépens de CHF 1'500.-.
5. Dit que la procédure est gratuite.
6. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Véronique SERAIN |
| Le président
Philippe KNUPFER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le