Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/778/2024 du 10.10.2024 ( AI ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/2687/2023 ATAS/778/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 10 octobre 2024 Chambre 5 |
En la cause
A______ représentée par Me Maëlle Kolly, avocate
| recourante |
contre
OFFICE DE L’ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE | intimé |
A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née en ______ 1964, célibataire, titulaire d’un CFC d’employée de bureau obtenu en 1986,
a exercé auprès de plusieurs employeurs successifs (d’abord dans le secteur des assurances puis des banques) une activité d’assistante/assistante de gestion entre 1986 et 2006 puis d’administratrice d’une base de données (entre 2008 et 2010). En 2012, l’assurée a encore effectué une brève reprise de travail auprès de la B______, qui s’est conclue par un licenciement deux mois et demi plus tard.
b. Elle a déposé, le 17 juin 2013, une première demande de prestations auprès
de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI).
B. a. À la demande de l’OAI, l’assurée s’est rendue, le 10 mars 2014, auprès du service médical régional (ci-après : le SMR) de l'OAI pour se soumettre à un examen rhumatologique et psychiatrique. Dans leur rapport du
9 avril 2014, les docteurs C______ et D______, respectivement spécialiste FMH en rhumatologie et spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont retenu les diagnostics suivants, sans répercussion sur la capacité de travail :
- status post-opération d’un tunnel carpien à droite, syndrome du tunnel carpien irritatif à gauche à l’électroneuromyographie ;
- obésité de classe I ;
- gonarthrose débutante du compartiment interne droit ;
- rachialgies non déficitaires, dans un contexte d’uncarthrose C4-C5 droite et de protrusion discale L5-S1 ;
- troubles dégénératifs débutants du gros orteil droit ;
- trouble dépressif récurrent, épisode actuel léger sans syndrome somatique F33.00 ;
- traits de personnalité dépendante (F60.7) ;
- trouble de l’alimentation, sans précision (F50.9) ;
- trouble somatoforme indifférencié (F45.1).
Selon ces médecins, il n’y avait pas de limitations fonctionnelles durables d’ordre ostéo-articulaire et, sur le plan psychique, pas de limitations fonctionnelles. Interrogé sur l’existence d’une incapacité de travail d’au moins 20 % et son évolution, le Dr C______ a indiqué qu’il n’y avait pas d’incapacité de travail durable de ce taux, d’ordre ostéoarticulaire. Pour sa part, le Dr D______ a mentionné qu’après une période d’incapacité de travail totale qui avait débuté le 28 mars 2013, coïncidant avec une période de dépression – qui, selon les indications de l’intéressée, s’était nettement améliorée lorsqu’elle avait adopté un chien en juillet 2013 –, l’assurée avait recouvré une capacité de travail entière en août 2013. Au total, les Drs C______ et D______ ont estimé que l’assurée présentait, depuis août 2013, une capacité de travail exigible de 100 % dans son activité habituelle d’employée de bureau, comme dans une activité adaptée.
b. Par avis du 7 mai 2014, le SMR a fait siennes les conclusions du rapport d’examen bi-disciplinaire du 9 avril 2014.
c. Par décision du 23 juin 2014, l’OAI a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité à l’assurée.
d. Le 11 janvier 2016, l’assurée a demandé la réouverture de son dossier. À l’appui de sa démarche, elle a produit un courrier du 5 janvier 2016 du docteur E______, spécialiste FMH en médecine interne, attestant que sa situation médicale, tant physique que psychologique, s’était considérablement aggravée au cours des 18 derniers mois.
e. Par avis des 2 février et 21 avril 2016, le SMR a estimé que l’assurée ne rendait pas plausible une aggravation de son état de santé depuis le rejet de sa première demande de prestations.
f. Par projet de décision du 1er juillet 2016, l’OAI a envisagé de ne pas entrer en matière sur la nouvelle demande, motif pris que l’assurée n’avait pas rendu plausible une modification de l’état de fait qui serait survenue depuis la décision du 23 juin 2014.
g. Le 20 juillet 2016, l’assurée a contesté ce projet de décision en soutenant que son état de santé s’était fortement dégradé au cours des deux dernières années.
h. Par décision du 9 novembre 2016, l’OAI a refusé d’entrer en matière sur la demande de l’assurée, formée le 11 janvier 2016, l’aggravation alléguée correspondant uniquement à une appréciation différente d’un même état de fait.
i. Le 6 décembre 2016, l’assurée a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre cette décision.
j. Par arrêt ATAS/5/2018 du 8 janvier 2018, la chambre de céans a considéré
que les documents médicaux produits par l’assurée n’étaient pas de nature à rendre plausible une aggravation de son état de santé. Aussi a-t-elle rejeté le recours. Non contesté, cet arrêt est entré en force.
k. Le 21 octobre 2021, l’assurée a déposé une troisième demande de prestations.
l. Dans un rapport du 15 novembre 2021, les docteures F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et G______ – alors médecin en cours de spécialisation en psychiatrie et psychothérapie –, ont indiqué que l’assurée était suivie au sein de leur cabinet (MD Consultation) depuis le 9 juillet 2021. Les diagnostics retenus étaient un trouble dépressif récurrent, actuellement en rémission (F33.4), un trouble hyperkinétique avec perturbation de l’activité et de l’attention (F90.0), une boulimie (F50.2), un syndrome de dépendance à l’alcool actuellement abstinent (F10.200), un état de stress post-traumatique (F43.1) actuellement stabilisé et une amnésie dissociative (F44.0).
Sur le plan professionnel, l’assurée avait obtenu un CFC d’employée de bureau en 1986. Elle avait enchainé ensuite avec différentes expériences dans le milieu bancaire. Chaque expérience professionnelle l’avait exposée à des difficultés relationnelles au travail et s’était soldée par un licenciement. Ses dépressions récurrentes étaient tout d’abord un élément très limitant sur le plan professionnel. Dans le cadre d’un épisode dépressif survenu à l’âge de 40 ans, ayant entrainé une incapacité de travail durant une année, son employeur de l’époque avait fini par la licencier. Durant cette période, le docteur H______, son psychiatre d’alors, l’avait traité avec de la Ritaline. Son trouble de l’attention avec hyperactivité
(ci-après : TDAH) semblait très invalidant. L’assurée décrivait des difficultés attentionnelles importantes, des oublis récurrents, des pertes d’objets, des difficultés à trouver ses mots, des idées sautant « du coq à l’âne », une tendance
à couper la parole, une impulsivité générant de la souffrance et un dysfonctionnement tant sur le plan professionnel que personnel. Il importait de spécifier que le TDAH avait certainement été péjoré par les maltraitances familiales et les multiples agressions sexuelles qui avaient induit un état de stress post-traumatique. Cette symptomatologie avait été un véritable handicap sur le plan professionnel. Ce TDAH engendrait une difficulté à gérer le stress professionnel (malaise à son lieu de travail à l’âge de 44 ans suite à un « reproche non justifié » de son supérieur hiérarchique devant tous ses collègues de l’open space) mais aussi le stress lié aux recherches d’emploi. Ainsi, au cours d’une période de recherches d’emploi vécue à l’âge de 48 ans, elle s’était « effondr[ée] pendant les cours du chômage ». En conclusion, l’assurée présentait des comorbidités particulièrement invalidantes sur le plan psychiatrique : un TDAH de type mixte, un état de stress post-traumatique avec des éléments dissociatifs générant une grande vulnérabilité au stress, qui à son tour « favoriserait » un trouble du comportement alimentaire et diverses addictions. L’ensemble de cette symptomatologie avait compliqué son parcours personnel et professionnel. Sur le plan professionnel, chacune de ses expériences s’était soldée « par un arrêt ou un licenciement », à chaque fois en lien avec ses difficultés psychiques. C’est pourquoi les Dres F______ et G______ soutenaient, dans leur rapport, l’assurée dans sa démarche de demande de prestations invailidité.
m. Le 23 novembre 2021, l’OAI a reçu un bilan diagnostique du 2 septembre 2021 du docteur I______et de Madame J______, respectivement chef de clinique auprès du service de psychiatrie gériatrique des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) et neuropsychologue auprès du service de gériatrie des HUG. Le bilan cognitif mettait en évidence un déficit cognitif minimal à léger MCI (Mild cognitive impairment) marqué par des difficultés exécutives/attentionnelles au premier plan. L’origine du déficit leur semblait multifactorielle (toxique, thymique, syndrome d’apnée du sommeil). L’assurée était consciente de sa dépendance à l’alcool et cherchait de l’aide. Elle était actuellement suivie par un centre spécialisé en alcoologie (MD Consultation), décrivait des périodes de forte anxiété et de solitude motivant les épisodes de consommation abusive d’alcool. Elle mettait en avant le fait d’être célibataire, sans enfant, avec des difficultés sociales et financières importantes. Il importait également de faire évaluer, par le psychiatre traitant, la probabilité que l’assurée « souffre de trouble bipolaire de type II (?) ». Dans ce cas, un traitement thymorégulateur serait plus approprié.
n. Dans un rapport du 13 janvier 2022, la docteure K______, spécialiste FMH en rhumatologie, a indiqué que les diagnostics avec effet sur la capacité de travail consistaient en une fibromyalgie, un status post-prothèse en 2015 pour une rhizarthrose du pouce droit et un état anxio-dépressif chronique. Invitée à dire, sous l’angle de sa spécialité médicale, quelle était la capacité de travail de sa patiente dans une activité strictement adaptée à ses limitations fonctionnelles, la Dre K______ a indiqué que cette capacité de travail était nulle, ce qu’elle expliquait par le contexte pathologique global, tant psychique que somatique, l’âge et les faibles ressources mobilisables.
o. Dans un rapport du 7 février 2022, la docteure L______, médecin généraliste, a fait état d’une poly-pathologie avec hypertension artérielle (ci-après : HTA), d’une fibromyalgie, d’un syndrome des jambes sans repos et d’une dépendance à l’alcool en sevrage éthylique avec des limitations cognitives, mécaniques et mnésiques. Le potentiel de réadaptation et la capacité de travail étaient nuls.
p. Dans un rapport du 24 mars 2022, la Dre G______, a posé les diagnostics avec effet sur la capacité de travail suivants :
- trouble dépressif récurrent, sans précisions (F33.9) ;
- trouble hyperkinétique avec perturbation de l’activité et de l’attention (F90.0) ;
- état de stress post-traumatique (F43.1).
En revanche, l’hyperphagie associée à d’autres perturbations psychologiques (F50.4) et le syndrome de dépendance à l’alcool, actuellement contrôlé (F10.22), étaient sans effet sur la capacité de travail.
Invitée à mentionner les limitations fonctionnelles liées à l’atteinte/aux atteintes à la santé qu’elle retenait comme incapacitantes, la Dre G______ a indiqué que l’assurée :
- ne parvenait pas à travailler en open-space, perdait le fil, était trop activée par les stimuli ;
- se voyait reprocher le fait d’être trop lente car trop perfectionniste ;
- avait des difficultés à se mettre des limites et à dire non au travail, si bien qu’elle se surchargeait et s’épuisait en faisant de nombreuses heures supplémentaires qu’elle ne rattrapait pas ;
- en raison de son côté impulsif, soulignait les erreurs faites par ses collègues, qui se fâchaient ;
- par sa difficulté à communiquer, partait dans tous les sens, sans que ses collègues ne la comprennent, ce qui générait des tensions et des reproches ;
- avait de la difficulté à gérer les priorités et les urgences, se sentant complètement perdue quand il y avait trop de stress ;
- avait de la difficulté à rester assise et besoin de bouger ;
- était très vulnérable aux critiques, allant parfois au travail même lorsqu’elle était malade, par peur de s’exposer à des reproches ;
- avait des difficultés à s’affirmer (très inhibée), d’où des déceptions régulières et la sensation de ne pas être respectée.
Invitée à indiquer, d’un point de vue psychiatrique, quelle serait la capacité
de travail de l’assurée dans une activité strictement adaptée aux limitations fonctionnelles et, le cas échéant, depuis quand une telle activité aurait été possible, la Dre G______ a répondu qu’il était difficile de se prononcer à ce sujet, l’assurée demeurant très fragile au niveau psychologique. De plus, elle était éloignée du monde du travail depuis 2012, ce qui rendait plus difficile une réintégration dans le monde professionnel.
Invitée à se prononcer sur l’évolution de l’état de santé de l’assurée depuis qu’elle la prenait en charge, la Dre G______ a indiqué que le début de cette prise en charge remontait au 26 novembre 2019. Depuis lors, l’assurée avait connu une évolution à plusieurs niveaux :
- elle n’avait plus d’images intrusives en lien avec les agressions sexuelles subies ;
- elle avait entrepris un régime et perdu du poids ;
- elle gérait mieux ses émotions et son stress (même si, à ce jour, elle restait tout de même très vulnérable à ce niveau) ;
- elle s’affirmait mieux auprès de son entourage, parvenait plus facilement à faire des demandes, à dire non, à exprimer des critiques et à entretenir des relations plus saines avec son entourage.
q. Par avis du 4 mai 2022, le SMR a estimé que les rapports des Dres K______, L______ et G______ n’apportaient pas d’éléments cliniques objectifs en faveur d’une aggravation de l’état de santé et faisaient mention d’atteintes déjà connues et prises en compte dans le cadre des précédentes demandes AI déposées par l’assurée. Ainsi, les conclusions du SMR des 7 mai 2014 et 21 avril 2016 restaient valables.
r. Par projet de décision du 12 mai 2022, l’OAI a envisagé de ne pas octroyer de rente d’invalidité à l’assurée, au motif qu’il n’y avait pas d’aggravation manifeste de son état de santé et qu’elle ne présentait pas d’incapacité de travail durable justifiable d’un point de vue médical.
s. Par courrier du 10 juin 2022, l’assurée a manifesté son désaccord avec ce projet de décision et énuméré la liste de ses problèmes de santé. Elle a joint à son envoi, entre autres :
- un bilan socioprofessionnel établi le 5 juin 2019, sur mandat de l’Hospice général (ci-après : l'hospice), par les Établissements publics pour l’intégration (ci-après : EPI), consécutivement à un stage d’évaluation accompli du 8 avril au 5 juin 2019 par l’assurée. À l’issue de ce stage, dont le but était d’évaluer les capacités de réinsertion socioprofessionnelle de l’assurée, les EPI ont indiqué en conclusion que l’assurée était actuellement totalement incapable de se réinsérer dans le circuit économique en raison de ses très nombreux problèmes de santé. Seule(s) une ou plusieurs activité(s) occupationnelle(s) étaient possibles en plus du suivi médical important dont elle bénéficiait actuellement. Elle avait un assez long et laborieux chemin de reconstruction devant elle pour améliorer son état de santé. Après quoi, elle pourrait assumer petit à petit une activité à 50 % dans un cadre adapté. Son évolution resterait à suivre de près pour lui permettre de progresser, par palier, vers une réinsertion socioprofessionnelle plus conséquente ;
- un rapport du 30 mai 2022 de la Dre L______, témoignant du bouleversement ressenti par l’assurée à la réception du projet de décision du 12 mai 2022. Elle avait ainsi connu une déstabilisation anxieuse et dépressive, et repris sa consommation d’alcool. S’y ajoutaient des troubles du sommeil, un syndrome des jambes sans repos, des troubles cardio-vasculaires (insuffisance cardiaque) et pneumologiques (insuffisance respiratoire mixte), des dorso-lombalgies rebelles sur discopathies cervico-lombaires ainsi qu’une fibromyalgie ;
- un rapport du 3 juin 2022 du docteur M______, spécialiste FMH en psychothérapie, relatant un affaissement de l’humeur de l’assurée depuis le projet de décision du 12 mai 2022. Depuis le début de son suivi en 2019, elle avait fait des progrès qui l’avaient aidée à mieux gérer son quotidien, même si ses troubles, tant psychiques que somatiques, restaient incompatibles avec une activité professionnelle. Depuis qu’elle avait reçu ce projet de décision, elle présentait une humeur dépressive, une perte d’espoir, un sentiment d’impuissance, une perte d’intérêt et de motivation, une réduction de son énergie et des idées suicidaires. Elle souffrait d’insomnie et ne dormait qu’environ 4h par nuit. Elle était très agitée et présentait des signes accrus d’anxiété. L’échelle de Hamilton, passée le 30 mai 2022, donnait un score
de 30 (dépression sévère). Son TDAH était complètement exacerbé : elle n’arrivait plus du tout à se concentrer, ni à s’organiser. En outre, elle avait repris sa consommation d’alcool (jusqu’à une bouteille de vin par jour, pour apaiser ses émotions) et faisait quotidiennement des crises d’hyperphagie boulimique.
t. Par avis du 20 juin 2022, le SMR a estimé, à la lumière des rapports des 30 mai et 3 juin 2022 des Drs L______ et M______, qu’il n’était pas en mesure de suivre les conclusions de ces médecins traitants et que la réalisation d’une expertise pluridisciplinaire (rhumatologique, psychiatrique et de médecine interne via la plateforme Med@p) était nécessaire.
u. Le 13 septembre 2022, l’OAI a informé l’assurée que l’expertise évoquée par
le SMR serait effectuée par le CEMEDEX SA (ci-après : CEMEDEX) et sa réalisation confiée aux docteurs N______, spécialiste FMH en médecine interne générale, O______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et P______, rhumatologue.
v. Les experts de CEMEDEX ont reçu l’assurée les 7 et 21 novembre 2022 et rendu leurs conclusions le 24 janvier 2023. Tout en retenant de nombreux diagnostics dits « pertinents » (fibromyalgie [M79.7] ; cervicalgies mécaniques sur atteinte dégénérative [M54.2] ; dorsalgies mécaniques sur atteinte dégénérative [M54.9] ; lombalgies mécaniques sur atteinte dégénérative [M54.5] ; rhizarthrose [M19.0], status post prothèse trapézo-métacarpienne gauche avec ablation du cerclage ; gonarthrose [M17.0] ; trouble dépressif récurrent, épisode actuel léger, avec syndrome somatique [F33.01] ; hyperphagie associée à d’autres perturbations psychologiques [F50.4] ; trouble hyperkinétique avec perturbation de l’activité et de l’attention [F90.0] pendant l’enfance ; troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de l’alcool, utilisation continue [F10.25] ; HTA traitée [l10] ; obésité classe 1 [E66.9] ; syndrome d’apnée obstructive du sommeil de degré sévère [G47.3] ; rhinite chronique [J31.0] ; asthme bien contrôlé [J45.9] ; troubles de la ménopause [N95] ; incontinence urinaire, type urgenturie, vraisemblablement dans le cadre de la ménopause [N39.4]), les experts ont estimé de manière consensuelle que c’étaient uniquement les limitations fonctionnelles d’ordre rhumatologique qui avaient un effet sur la capacité de travail. Depuis 2014, cette capacité de travail était de 70 % dans l’activité habituelle (en raison de la nécessité de pauses, de changements de position, de limiter les contraintes posturales et de la fatigue chronique), respectivement de 80 % (soit 100 % avec une diminution de rendement de 20 %) dans une activité adaptée aux aptitudes et aux limitations fonctionnelles, soit à prédominance sédentaire permettant l’alternance des positions assise et debout avec la réalisation de courtes pauses, n’impliquant ni contraintes posturales rachidiennes en rotation, ni antéflexions ou mouvements en porte-à-faux du buste, ni station à genoux ou accroupie, ni montées/descentes répétées des escaliers ou d’un escabeau, ni effort de soulèvement au-delà de 5 kg depuis le sol, ni mouvements répétitifs avec la pince du pouce au niveau de la main gauche, ni mouvements répétés en élévation du membre supérieur gauche au-delà de 90°. En outre, il convenait de veiller à une répartition harmonieuse des horaires de travail pour limiter la fatigue chronique. Enfin, les taux d’activités exigibles retenus depuis 2014 ne concernaient pas les périodes d’incapacité totale de travail postopératoires, de trois mois chacune, qu’il y avait lieu de reconnaître en lien avec les chirurgies itératives de la rhizarthrose gauche et du tunnel carpien gauche.
w. Par avis du 30 janvier 2023, le SMR a retenu à la lecture du rapport d’expertise du 24 janvier 2023 que les atteintes incapacitantes provenaient de la fibromyalgie (M79.7), des cervicalgies mécaniques sur atteinte dégénérative (M54.2), des dorsalgies mécaniques sur atteinte dégénérative (M54.9), des lombalgies mécaniques sur atteinte dégénérative (M54.5), de la rhizarthrose (M19) avec status post-prothèse trapézo-métacarpienne gauche et de la gonarthrose (M17.0). Il a estimé, comme les experts, que la capacité de travail était de 70 % dans l’activité d’employée de commerce et de 80 % dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles énumérées par l’experte rhumatologue. Il a toutefois retenu qu’en tant qu’ils reflétaient une aggravation de l’état de santé survenue depuis la décision de l’OAI du 9 novembre 2016, les taux d’activité exigibles précités n’étaient applicables qu’à compter de l’année 2016.
x. Par avis du 29 mars 2023, le service de réadaptation de l’OAI a pris note de la capacité de travail exigible retenue par le SMR à la suite de l’expertise. Il a cependant fait valoir, du point de vue de la réadaptation professionnelle, que l’assurée était apte à exercer un emploi dans son domaine d’activité depuis 2016
à 70 %. Des mesures de réadaptation professionnelle n’étaient par conséquent pas nécessaires pour lui permettre de trouver un poste adapté dans un service administratif. Par ailleurs, c’était dans son domaine habituel que l’assurée avait le plus de chances de mettre en valeur ses capacités, compétences et connaissances. Puisque l’assurée pouvait exploiter sa capacité de travail résiduelle à 70 % dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, la perte économique qu’elle subissait s’élevait à 30 %. Partant, le degré d’invalidité se confondait avec le taux d’incapacité de travail.
y. Par projet de décision du 15 mai 2023, l’OAI a envisagé de ne pas octroyer de rente d’invalidité à l’assurée. Dans la mesure où cette dernière avait la possibilité d’exploiter sa capacité de travail résiduelle de 70 % dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, son degré d’invalidité se confondait avec le taux d’incapacité de travail. Un degré d’invalidité inférieur à 40 % ne donnait pas droit à une rente d’invalidité. Des mesures professionnelles n’étaient pas indiquées car elles ne seraient pas de nature à améliorer sa capacité de gain.
C. a. Le 22 mai 2023, l’assurée a invité l’OAI à transmettre son dossier médical au Dr M______ et à la Dre L______.
b. Dans un rapport du 30 mai 2023, la Dre L______ a confirmé en synthèse que l’assurée était porteuse de polypathologies qui contre-indiquaient l’activité professionnelle habituelle et ce pour une durée probablement définitive. Sa capacité de travail, évaluée à 70 % par les experts, lui paraissait totalement infondée par rapport à l’état clinique que l’assurée présentait depuis ces deux dernières années.
c. Dans un rapport du 5 juin 2023, le Dr M______ a fait part de son désaccord avec les conclusions de l’expert Q______ et le projet de décision du 15 mai 2023 envisageant de ne pas mettre l’assurée au bénéfice d’une rente d’invalidité. Le Dr M______ a joint à son envoi un rapport établi le 17 novembre 2022 par les docteures R______ et S______, respectivement médecin adjointe agrégée et médecin cheffe de clinique auprès de l’Unité des troubles de l’humeur des HUG. Selon ce rapport, qui s’inscrivait dans le cadre de consultations prévues les 9, 22 et 30 novembre et 13 décembre 2022, l’assurée présentait un trouble dépressif récurrent, épisode actuel léger (F33.0), une perturbation de l’activité et l’attention (F90.0), une anxiété généralisée (F41.1), une hyperphagie boulimique (F50.81) et un trouble lié à la consommation d’alcool (F10.10).
d. Par courrier du 12 juin 2023, l’assurée a contesté le projet de décision de l’OAI du 15 mai 2023. Elle a allégué en substance que les souffrances qu’elle endurait depuis de nombreuses années, tant sur le plan physique que psychique, rendaient déjà très difficile la gestion de son quotidien et de sa santé et, à plus forte raison, l’exercice d’une activité professionnelle, ce d’autant que son état de santé s’était encore péjoré depuis le début de l’année 2023 : sur le plan psychique, elle avait de nouveau connu une dépression sévère qui avait duré de janvier à mars 2023. Son psychiatre, le Dr M______, avait alors augmenté progressivement l’antidépresseur prescrit (Duloxétine) à 120 mg. De plus, suite au rapport du 17 novembre 2022 des Dres R______ et S______, le Dr M______ avait introduit un traitement de Concerta 27 mg pour diminuer les symptômes du TDAH. Un mois plus tôt, soit en octobre 2022, ce même médecin lui avait prescrit une aide-ménagère – du fait des douleurs chroniques liées à la fibromyalgie et des douleurs du dos et des épaules – et des livraisons de repas à domicile. Celles-ci n’avaient pas pu se poursuivre au-delà d’un mois parce que les repas livrés ne comprenaient pas de plats sans gluten ni lactose, substances auxquelles elle était intolérante du fait de son côlon irritable. Sur le plan somatique, elle avait perdu complètement le goût et l’odorat durant les trois premiers mois de l’année 2023. Cela était probablement dû à un COVID long qui l’avait également extrêmement fatiguée. Depuis qu’elle avait contracté le COVID à deux reprises en 2022, elle était toujours exténuée et essoufflée. Elle faisait face à un manque d’énergie persistant qui l’empêchait de fonctionner normalement. De plus, ses douleurs aux épaules s’étaient péjorées et sa bursite s’était aggravée en capsulite. Pour corroborer ce dernier point, elle a renvoyé à un rapport – produit en annexe – du docteur T______, spécialiste FMH en radiologie, relatant une échographie de l’épaule gauche avec infiltration, effectuée le 17 avril 2023.
Selon les conclusions de ce dernier rapport, il existait un remodelage dégénératif gléno-huméral mais d’une façon très marquée acromio-claviculaire. L’épaule elle-même se distinguait par une perte de mobilité provoquée par la rigidité capsulaire correspondant à une capsulite évolutive, actuellement relativement rétractile de l’épaule gauche au détriment de l’omoplate et de sa musculature.
L’assurée a ajouté que l’infiltration dont elle avait bénéficié le 17 avril 2023 n’avait apporté aucune amélioration et que son bras gauche était de moins en moins mobile. En outre, malgré la perte de 15 kg (pour un poids total de 83 kg en mars 2022) grâce à un suivi auprès des HUG, elle avait repris du poids depuis
lors (92 kg actuellement) et, corrélativement, ses douleurs du dos et des jambes s’étaient beaucoup accentuées.
e. Par avis du 21 juin 2023, le SMR a estimé que ses précédentes conclusions restaient valables. Le rapport du 30 mai 2023 de la Dre L______ et celui du 5 juin 2023 du Dr M______ ne permettaient pas d’objectiver une aggravation de l’état de santé mais faisaient une évaluation différente d’une même situation clinique déjà évaluée par les experts de CEMEDEX.
f. Par décision du 23 juin 2023, l’OAI a informé l’assurée que les éléments qu’elle avait apportés dans le cadre de l’audition ne constituaient pas des éléments cliniques objectifs permettant d’acter une aggravation de l’état de santé. Sa capacité de travail résiduelle restait ainsi à 70 % dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles et son degré d’invalidité se confondait avec son taux d’incapacité de travail (30 %). En conséquence, elle n’avait pas droit à une rente. Des mesures professionnelles n’étaient pas non plus indiquées – car n’étant pas de nature à améliorer sa capacité de gain.
D. a. Le 28 août 2023, l’assurée, assistée d’une avocate, a saisi la chambre de céans d’un recours contre cette décision, concluant principalement à l’annulation de
la décision litigieuse et à l’octroi d’au moins un quart de rente d’invalidité et, subsidiairement, à la mise au bénéfice de mesures professionnelles. Elle a également sollicité, à titre préalable, l’octroi d’un délai supplémentaire pour compléter son écriture.
À l’appui de sa position, elle a reproché, en général, aux experts de CEMEDEX d’avoir minimisé « depuis toujours » les répercussions de son état de santé sur sa capacité de travail et, en particulier, l’évaluation de cette capacité d’un point de vue psychiatrique. Outre l’aspect purement médical, l’intimé ne semblait pas avoir tenu compte, ni même investigué plus avant les conclusions des EPI, posées au terme du stage qu’elle avait effectué en 2019 au sein de ces établissements à l’initiative de l’hospice. Selon les EPI en effet, la recourante n’avait pas la capacité de se réinsérer dans le circuit économique et ce ne serait qu’au terme d’un processus de « reconstruction » qu’il fallait s’attendre, le cas échéant, à une capacité de travail limitée à 50 % dans un cadre adapté. À ce stade, on pouvait donc aussi légitimement s’interroger sur l’absence complète d’instruction de l’intimé s’agissant du calcul de la perte de gain.
b. Par réponse du 26 septembre 2023, l’intimé a conclu au rejet du recours en soutenant que la recourante n’apportait aucun élément objectivement vérifiable, de nature clinique ou diagnostique, qui aurait été ignoré dans le cadre de l’expertise et qui serait suffisamment pertinent pour remettre en cause le bien-fondé des conclusions des experts ou l’exhaustivité de leur travail.
c. Le 18 décembre 2023, la recourante a répliqué – dans le délai prolongé à cet effet – et demandé, outre son audition, celle de ses médecins traitants, le cas échéant en confrontation avec les experts, en particulier avec l’expert psychiatre. Elle a également sollicité la mise en œuvre d’une nouvelle expertise pluridisciplinaire en médecine interne, rhumatologie et psychiatrie. À l’appui de sa position, elle a mis en avant l’écart important existant, selon elle, entre les conclusions motivées des médecins traitants et celles des experts. Enfin, la recourante a conclu, sur le fond, principalement, à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er avril 2022 et, subsidiairement, à la mise au bénéfice de mesures professionnelles.
À l’appui de cette écriture, la recourante a produit notamment :
- un questionnaire élaboré par son conseil à l’attention de la Dre L______. Dans ses réponses du 31 octobre 2023, cette dernière a fait état de son désaccord avec les experts de CEMEDEX en expliquant en synthèse que la recourante était particulièrement fragile, instable et très rapidement affectée par les événements ou le stress de la vie. Elle présentait, entre autres, un trouble dépressif sévère et des symptômes psychotiques sévères. Ses troubles du comportement social, du sommeil et de l’équilibre psychique (avec traits psychotiques incapacitants) ne lui permettaient pas d’exercer une activité professionnelle régulière, même à temps partiel ;
- les réponses du 1er novembre 2023 du Dr M______ à un questionnaire que lui avait soumis le conseil de la recourante. D’un point de vue exclusivement psychiatrique, les diagnostics qu’il retenait actuellement étaient :
o un trouble dépressif récurrent, actuellement en rémission (F33.4) ;
o un trouble hyperkinétique avec perturbation de l’activité et de l’attention ;
o des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool, syndrome de dépendance, actuellement abstinente (F10.2) ;
o une hyperphagie associée à d’autres perturbations psychologiques (F50.4) ;
o un état de stress post-traumatique (F43.1) ;
o un trouble de la personnalité, sans précision (F60.9).
Interrogé sur l’impact de ces diagnostics sur sa capacité de travail dans sa précédente activité d’employée de commerce, le Dr M______ a indiqué qu’il en résultait une incapacité de travail de 100 % probablement depuis son dernier emploi. Il suivait la recourante depuis l’été 2022. Invité à dire si du fait de ses atteintes psychiques, sa patiente avait des limitations fonctionnelles rendant plus difficile l’exercice d’une activité professionnelle, le Dr M______ a répondu que ces limitations consistaient en une labilité émotionnelle, une grande fragilité au niveau psychologique et un risque élevé de reprise de sa consommation d’alcool en lien avec sa faible résistance au stress.
d. Par avis du 8 janvier 2024, le SMR a estimé que le rapport du 1er novembre 2023 du Dr M______ n’amenait pas de nouvel élément objectif. Les diagnostics retenus par ce psychiatre avaient déjà été discutés par l’expert Q______. Le
Dr M______ retenait un trouble dépressif et une consommation d’alcool tous deux en rémission, alors que l’expert retenait un trouble dépressif léger et une utilisation d’alcool continue. Ainsi, les diagnostics retenus par le psychiatre traitant étaient de gravité plus légère que ceux retenus par l’expert. L’expert n’avait pas retenu le diagnostic d’état de stress post-traumatique faute de réalisation des critères diagnostiques de la CIM-10. Quant au trouble de la personnalité (F60.9), il n’avait été retenu ni par l’expert Q______, ni par l’examinateur D______ en 2014, ni par les psychiatres traitants antérieurs. Par ailleurs, l’analyse des indicateurs effectuée par l’expert Q______ ne relevait pas de critères de gravité chez une assurée totalement indépendante dans ses activités quotidiennes, pour les repas, le ménage, les déplacements, les tâches administratives et les loisirs. S’agissant enfin du rapport du 31 octobre 2023 de la Dre L______, le SMR a estimé qu’il ne pouvait pas le suivre, son auteur étant médecin généraliste et non pas psychiatre. En outre, les diagnostics retenus par la Dre L______ n’étaient pas en accord avec ceux du psychiatre traitant, le Dr M______ : le trouble dépressif était en rémission et non sévère. De plus, aucun élément psychotique n’avait jamais été décrit antérieurement par les psychiatres traitants. Au regard de ces éléments, le SMR maintenait sa précédente appréciation du cas.
e. Par duplique du 17 janvier 2024, l’intimé a renvoyé à l’avis du 8 janvier 2024 et persisté dans ses conclusions.
f. Par pli du 3 avril 2024, l’OAI a fait suivre à la chambre de céans une copie d’un rapport du 25 mars 2024 du Dr M______, par lequel ce médecin indiquait au SMR vouloir signaler un changement dans les diagnostics retenus. Comme il avait eu, depuis un certain temps, la forte suspicion que sa patiente présentait un trouble affectif bipolaire (F31) de type II, il avait fait effectuer un bilan à l’Unité des troubles de l’humeur des HUG, qui n’avait pas retenu ce diagnostic dans son rapport du 17 novembre 2022. Le Dr M______ se disait néanmoins convaincu de la présence d’un tel trouble. En effet, sa patiente présentait depuis plusieurs semaines une symptomatologie clairement hypomane (distractibilité, irritabilité, « grandiosité », augmentation des activités axées sur un objectif, besoin accru de parler, besoin de sommeil en régression). Selon un test effectué fin février 2024, au moyen de l’échelle HCL, elle obtenait 14 points significatifs. Pour cette raison, le Dr M______ avait demandé à l’Unité des troubles de l’humeur des HUG de procéder à une réévaluation, qui était actuellement en cours.
g. Par avis du 15 avril 2024, le SMR a estimé que la symptomatologie que le
Dr M______ décrivait dans son rapport du 25 mars 2024 pouvait effectivement être de type hypomane mais qu’en tout état, celle-ci était postérieure à la décision litigieuse.
h. Par courrier du 6 mai 2024, la recourante a transmis à la chambre de céans un compte-rendu de consultation établi le 17 avril 2024 par l’Unité des troubles de l’humeur, soit pour elle la Dre S______, faisant suite à une consultation ayant eu lieu la veille. La recourante avait rempli les agendas hebdomadaires de l’humeur et ces derniers indiquaient une réduction du sommeil, une anxiété quasi quotidienne avec des fluctuations émotionnelles, une hypomanie cotée entre 7 et 8 depuis six semaines. À l’entretien, elle décrivait en plus une accélération de la pensée avec une créativité augmentée et des achats compulsifs occasionnant des frictions avec sa mère. Le débit du discours était augmenté mais les propos cohérents. Au total, l’évolution clinique était en faveur d’un trouble bipolaire de type II, compte tenu de la persistance d’un épisode hypomaniaque depuis plus de six semaines (avec un score à l’échelle YMRS = 7-8) et d’antécédents de fluctuation de l’humeur rapportés dans le rapport du mois de décembre 2022 suite à l’évaluation clinique initiale réalisée au sein de l’Unité des troubles de l’humeur en 2022 (rapport du 17 novembre 2022).
Tirant argument de ce compte-rendu de consultation du 17 avril 2024, la recourante a soutenu en substance que même si le trouble affectif bipolaire de type II avait été diagnostiqué après la décision litigieuse, il s’inscrivait dans une dégradation globale de son état de santé qui affectait durablement et considérablement sa capacité de travail sur le marché premier de l’emploi, et ce depuis des années.
i. Par pli du 24 mai 2024, la recourante a transmis un rapport du 21 mai 2024 du Dr M______, adressé à S______ Maître Maëlle KOLLY. Dans ce document, le Dr M______ soulignait que l’Unité des troubles de l’humeur avait confirmé le diagnostic de trouble bipolaire de type II le 17 avril 2024. Renvoyant à ses propres observations, le Dr M______ a précisé que ce trouble était présent depuis qu’il était chargé du suivi de la recourante (2019) et qu’il était donc apparu avant le dépôt de la troisième demande de prestations invalidité, en octobre 2021.
j. Par envoi du 27 mai 2024, l’intimé a fait suivre, pour information, une copie d’un rapport du 21 mai 2024 du Dr M______, adressé au SMR, réitérant les informations que ce médecin avait communiquées le même jour au conseil de la recourante dans son (premier) rapport du 21 mai 2024.
k. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
l. Les autres faits seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.
1.
1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI – RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pour la période du 15 juillet au 15 août inclusivement
(art. 38 al. 4 let. b LPGA et art. 89C let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]), le recours est recevable.
2. Le litige porte sur le droit de la recourante à des prestations invalidité, singulièrement sur l’existence d’une aggravation de son état de santé entre le 23 juin 2014 – date de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente – et la date de la décision litigieuse.
3.
Par renvoi de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.
3.1 Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705), y compris les ordonnances correspondantes, sont entrées en vigueur. Dans le cadre de cette révision, l’art. 17 LPGA a notamment été adapté.
En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).
Dans les cas de révision selon l’art. 17 LPGA, conformément aux principes généraux du droit intertemporel (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), il convient d’évaluer, selon la situation juridique en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si une modification déterminante est intervenue jusqu’à cette date. Si tel est le cas, les dispositions de la LAI et celles du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201) dans leur version valable jusqu’au 31 décembre 2021 sont applicables. Si la modification déterminante est intervenue après cette date, les dispositions de la LAI et du RAI dans leur version en vigueur à partir du 1er janvier 2022 sont applicables. La date pertinente de la modification est déterminée par l’art. 88a RAI (arrêts du Tribunal fédéral 8C_55/2023 du 11 juillet 2023 consid. 2.2 ; 8C_644/2022 du 8 février 2023 consid. 2.2.3).
3.2 En l’occurrence, la décision litigieuse a certes été rendue après le 1er janvier 2022. Toutefois, il n’est pas contesté par les parties au litige qu’une modification des circonstances est survenue avant cette date, conformément à l’art. 88a RAI. Par conséquent, les dispositions applicables seront citées dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021.
3.3 En application de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI, lorsque la rente a été refusée parce que le degré d’invalidité était insuffisant, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l’assuré rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits.
Cette exigence doit permettre à l’administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force, d’écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l’assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 130 V 64 consid. 5.2.3 ; 125 V 412 consid. 2b ; 117 V 198 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_137/2018 du 3 septembre 2018 consid. 2.2).
Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande de prestations, elle doit examiner la cause au plan matériel – soit en instruire tous
les aspects médicaux et juridiques – et s’assurer que la modification du degré d’invalidité rendue vraisemblable par l’assuré est effectivement survenue (arrêt du Tribunal fédéral 9C_142/2012 du 9 juillet 2012 consid. 4). Selon la jurisprudence, elle doit procéder de la même manière que dans les cas de révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA et comparer les circonstances prévalant lors de la nouvelle décision avec celles existant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (cf. ATF 133 V 108) pour déterminer si une modification notable du taux d’invalidité justifiant la révision du droit en question est intervenue (arrêt du Tribunal fédéral 9C_412/2010 du 22 février 2011 consid. 3)
3.4 Selon l’art. 17 al. 1 LPGA, si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée.
Tout changement important des circonstances, propre à influencer le degré d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l’art. 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 134 V 131 consid. 3 ; 130 V 343 consid. 3.5). Tel est le cas lorsque la capacité de travail s’améliore grâce à une accoutumance ou à une adaptation au handicap (ATF 141 V 9 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_622/2015 consid. 4.1). Il n’y a pas matière à révision lorsque les circonstances sont demeurées inchangées et que le motif de la suppression ou de la diminution de la rente réside uniquement dans une nouvelle appréciation du cas (ATF 141 V 9 consid. 2.3 ; 112 V 371 consid. 2b ; 112 V 387 consid. 1b). Un motif de révision au sens de l’art. 17 LPGA doit clairement ressortir du dossier. La réglementation sur la révision ne saurait en effet constituer un fondement juridique à un réexamen sans condition du droit à la rente (arrêt du Tribunal fédéral I 111/07 du 17 décembre 2007 consid. 3 et les références).
Le point de savoir si un changement notable des circonstances s’est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu’ils se présentaient au moment de la dernière révision de la rente entrée en force et les circonstances qui régnaient à l’époque de la décision litigieuse. En effet, la base de comparaison déterminante dans le temps pour l’examen d’une modification du degré d’invalidité lors d’une révision de la rente est constituée par la dernière décision entrée en force qui repose sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit (ATF 147 V 167 consid. 4.1 et la référence).
Lorsque les faits déterminants pour le droit à la rente se sont modifiés au point de faire apparaître un changement important de l’état de santé motivant une révision, le degré d’invalidité doit être fixé à nouveau sur la base d’un état de fait établi de manière correcte et complète, sans référence à des évaluations antérieures de l’invalidité (ATF 141 V 9).
3.5 Aux termes des art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI, est réputée invalidité, l’incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d’une infirmité congénitale, d’une maladie ou d’un accident. Selon
l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d’une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain.
De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).
L’art. 28 al. 2 LAI prévoit que l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70 % au moins, à un trois quarts de rente s’il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50 % au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40 % au moins.
À teneur des art. 16 LPGA et 28a al. 1 LAI, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré.
Conformément aux art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail
(art. 6 LPGA) d’au moins 40 % en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40 % au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à
l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.
3.6 Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d’invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l’incapacité fonctionnelle qu’il importe d’évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).
3.7 L’évaluation de l’invalidité s’effectue à l’aune d’un marché équilibré du travail. Cette notion, théorique et abstraite, sert de critère de distinction entre les cas relevant de l’assurance-chômage ou de l’assurance-invalidité. Elle présuppose un équilibre entre l’offre et la demande de main d’œuvre d’une part et un marché du travail structuré (permettant d’offrir un éventail d’emplois diversifiés, tant au regard des sollicitations intellectuelles que physiques) d’autre part (ATF 110 V 273 consid. 4b). Le caractère irréaliste des possibilités de travail doit alors découler de l’atteinte à la santé – puisqu’une telle atteinte est indispensable à la reconnaissance de l’invalidité (art. 7 et 8 LPGA) – et non de facteurs psychosociaux ou socioculturels qui sont étrangers à la définition juridique de l’invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 6.1 et la référence).
4.
4.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l’art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l’art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d’un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l’assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l’assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).
La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; 130 V 396 consid. 5.3 et 6).
4.2 Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d’évaluation de la capacité de travail, respectivement de l’incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d’évaluation au moyen d’un catalogue d’indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d’évaluation aux autres affections psychiques
(ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d’atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d’un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l’art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).
Le Tribunal fédéral a en revanche maintenu, voire renforcé la portée des motifs d’exclusion définis dans l’ATF 131 V 49, aux termes desquels il y a lieu de conclure à l’absence d’une atteinte à la santé ouvrant le droit aux prestations d’assurance, si les limitations liées à l’exercice d’une activité résultent d’une exagération des symptômes ou d’une constellation semblable, et ce même si les caractéristiques d’un trouble au sens de la classification sont réalisées. Des indices d’une telle exagération apparaissent notamment en cas de discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l’allégation d’intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l’absence de demande de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l’anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l’expert, ainsi que l’allégation de lourds handicaps malgré un environnement psycho-social intact (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 et 2.2.2 ; 132 V 65 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_16/2016 du 14 juin 2016 consid. 3.2).
4.3 L’organe chargé de l’application du droit doit, avant de procéder à l’examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d’une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l’assurance-invalidité, c’est-à-dire qui résiste aux motifs dits d’exclusion tels qu’une exagération ou d’autres manifestations d’un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 5.2.2 et la référence).
4.4 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).
4.5 Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d’une procédure d’établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d’évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d’une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d’autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L’accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d’exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence).
Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).
Ces indicateurs sont classés comme suit :
I. Catégorie « degré de gravité fonctionnelle »
Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l’instrument de base de l’analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).
A. Axe « atteinte à la santé »
1. Caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour le diagnostic
Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1).
L’influence d’une atteinte à la santé sur la capacité de travail est davantage déterminante que sa qualification en matière d’assurance-invalidité
(ATF 142 V 106 consid. 4.4). Diagnostiquer une atteinte à la santé, soit identifier une maladie d’après ses symptômes, équivaut à l’appréciation d’une situation médicale déterminée qui, selon les médecins consultés, peut aboutir à des résultats différents en raison précisément de la marge d’appréciation inhérente à la science médicale (ATF 145 V 361 consid. 4.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_212/2020 du 4 septembre 2020 consid. 4.2 et 9C_762/2019 du 16 juin 2020 consid. 5.2).
2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers
Le déroulement et l’issue d’un traitement médical sont en règle générale aussi d’importants indicateurs concernant le degré de gravité du trouble psychique évalué. Il en va de même du déroulement et de l’issue d’une mesure de réadaptation professionnelle. Ainsi, l’échec définitif d’une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l’art de même que l’échec d’une mesure de réadaptation - malgré une coopération optimale de l’assuré - sont en principe considérés comme des indices sérieux d’une atteinte invalidante à la santé. À l’inverse, le défaut de coopération optimale conduit plutôt à nier le caractère invalidant du trouble en question. Le résultat de l’appréciation dépend toutefois de l’ensemble des circonstances individuelles du cas d’espèce (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2.1.3 et la référence).
3. Comorbidités
La présence de comorbidités ou troubles concomitants est un indicateur à prendre en considération en relation avec le degré de gravité fonctionnel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_650/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.3 et la référence). On ne saurait toutefois inférer la réalisation concrète de l’indicateur « comorbidité » et, partant, un indice suggérant la gravité et le caractère invalidant de l’atteinte à la santé, de la seule existence de maladies psychiatriques et somatiques concomitantes. Encore faut-il examiner si l’interaction de ces troubles ayant valeur de maladie prive l’assuré de certaines ressources (arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du
17 avril 2019 consid. 5.2.3 et la référence). Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Une atteinte qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidante en tant que telle (cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2, in : RSAS 2011 IV n° 17,
p. 44) n’est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du
6 juin 2011 consid. 3.4.2.1, in : RSAS 2012 IV n° 1, p. 1) mais doit à la rigueur être prise en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité
(ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d’affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l’approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).
Même si un trouble psychique, pris séparément, n’est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l’appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n’est pas invalidante, mais peut l’être lorsqu’elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).
B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)
Le « complexe personnalité » englobe, à côté des formes classiques du diagnostic de la personnalité qui vise à saisir la structure et les troubles de la personnalité, le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du moi » qui désignent des capacités inhérentes à la personnalité, permettant des déductions sur la gravité de l’atteinte à la santé et de la capacité de travail (par exemple : auto-perception et perception d’autrui, contrôle de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation ; cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Étant donné que l’évaluation de la personnalité est davantage dépendante de la perception du médecin examinateur que l’analyse d’autres indicateurs, les exigences de motivation sont plus élevées (ATF 141 V 281
consid. 4.3.2).
Le Tribunal fédéral a estimé qu’un assuré présentait des ressources personnelles et adaptatives suffisantes, au vu notamment de la description positive qu’il avait donnée de sa personnalité, sans diminution de l’estime ou de la confiance en soi et sans peur de l’avenir (arrêt du Tribunal fédéral 8C_584/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2).
C. Axe « contexte social »
Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.3).
Lors de l’examen des ressources que peut procurer le contexte social et familial pour surmonter l’atteinte à la santé ou ses effets, il y a lieu de tenir compte notamment de l’existence d’une structure quotidienne et d’un cercle de proches […]. Le contexte familial est susceptible de fournir des ressources à la personne assurée pour surmonter son atteinte à la santé ou les effets de cette dernière sur sa capacité de travail, nonobstant le fait que son attitude peut rendre plus difficile les relations interfamiliales (arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2019 du 30 septembre 2020 consid. 6.2.5.3). Toutefois, des ressources préservées ne sauraient être inférées de relations maintenues avec certains membres de la famille dont la personne assurée est dépendante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2020 du
22 octobre 2020 consid. 5.2).
II. Catégorie « cohérence »
Il convient ensuite d’examiner si les conséquences qui sont tirées de l’analyse des indicateurs de la catégorie « degré de gravité fonctionnel » résistent à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence ». Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l’assuré (ATF 141 V 281 consid. 4.4). À ce titre, il convient notamment d’examiner si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans la vie professionnelle et dans la vie privée, de comparer les niveaux d’activité sociale avant et après l’atteinte à la santé ou d’analyser la mesure dans laquelle les traitements et les mesures de réadaptation sont mis à profit ou négligés. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d’autres raisons qu’une atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020
consid. 8.3).
A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie
Il s’agit ici de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu’ici doit désormais être interprété de telle sorte qu’il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé (ATF 141 V 281 consid. 4.4.1).
B. Poids de la souffrance révélé par l’anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation
L’interruption de toute thérapie médicalement indiquée sur le plan psychique et le refus de participer à des mesures de réadaptation d’ordre professionnel sont des indices importants que l’assuré ne présente pas une évolution consolidée de la douleur et que les limitations invoquées sont dues à d’autres motifs qu’à son atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_569/2017 du 18 juillet 2018 consid. 5.5.2).
La prise en compte d’options thérapeutiques, autrement dit la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, permet d’évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l’assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons qu’à l’atteinte à la santé assurée (ATF 141 V 281 consid. 4.4.2).
5.
5.1 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d’autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer
la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).
5.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).
5.3 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d’apprécier certains types d’expertises ou de rapports médicaux.
5.3.1 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d’observations approfondies et d’investigations complètes, ainsi qu’en pleine connaissance du dossier, et que l’expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu’aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).
5.3.2 Le but des expertises multidisciplinaires est de recenser toutes les atteintes à la santé pertinentes et d’intégrer dans un résultat global les restrictions de la capacité de travail qui en découlent. L’évaluation globale et définitive de l’état de santé et de la capacité de travail revêt donc une grande importance lorsqu’elle se fonde sur une discussion consensuelle entre les médecins spécialistes participant à l’expertise. La question de savoir si, et dans quelle mesure, les différents taux liés aux limitations résultant de plusieurs atteintes à la santé s’additionnent, relève d’une appréciation spécifiquement médicale, dont le juge ne s’écarte pas, en principe (cf. ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.3 ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_162/2023 du 9 octobre 2023 consid. 2.3 et les références).
5.3.3 Un rapport du SMR a pour fonction d’opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu’il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d’une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d’un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l’office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve ; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).
5.3.4 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l’expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S’il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l’objectivité ou l’impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l’éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l’existence d’éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).
5.3.5 Les constatations médicales peuvent être complétées par des renseignements d’ordre professionnel, par exemple au terme d’un stage dans un centre d’observation professionnel de l’assurance-invalidité, en vue d’établir concrètement dans quelle mesure l’assuré est à même de mettre en valeur une capacité de travail et de gain sur le marché du travail. Il appartient alors au médecin de décrire les activités que l’on peut encore raisonnablement attendre de l’assuré compte tenu de ses atteintes à la santé (influence de ces atteintes sur sa capacité à travailler en position debout et à se déplacer ; nécessité d’aménager des pauses ou de réduire le temps de travail en raison d’une moindre résistance à la fatigue, par exemple), en exposant les motifs qui le conduisent à retenir telle ou telle limitation de la capacité de travail. En revanche, il revient au conseiller
en réadaptation, non au médecin, d’indiquer quelles sont les activités professionnelles concrètes entrant en considération sur la base des renseignements médicaux et compte tenu des aptitudes résiduelles de l’assuré. Dans ce contexte, l’expert médical et le conseiller en matière professionnelle sont tenus d’exercer leurs tâches de manière complémentaire, en collaboration étroite et réciproque
(ATF 107 V 17 consid. 2b ; SVR 2006 IV n° 10 p. 39).
En cas d’appréciation divergente entre les organes d’observation professionnelle et les données médicales, l’avis dûment motivé d’un médecin prime pour déterminer la capacité de travail raisonnablement exigible de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral 9C_486/2022 du 17 août 2023 consid. 6.5 et la référence). En effet, les données médicales permettent généralement une appréciation plus objective du cas et l’emportent, en principe, sur les constatations y compris d’ordre médical qui peuvent être faites à l’occasion d’un stage d’observation professionnelle, qui sont susceptibles d’être influencées par des éléments subjectifs liés au comportement de l’assuré pendant le stage (arrêt du Tribunal fédéral 9C_87/2022 du 8 juillet 2022 consid. 6.2.1 et les références). Au regard de la collaboration, étroite, réciproque et complémentaire selon la jurisprudence, entre les médecins et les organes d’observation professionnelle (cf. ATF 107 V 17 consid. 2b), on ne saurait toutefois dénier toute valeur aux renseignements d’ordre professionnel recueillis à l’occasion d’un stage pratique pour apprécier la capacité résiduelle de travail de l’assuré en cause. Au contraire, dans les cas où l’appréciation d’observation professionnelle diverge sensiblement de l’appréciation médicale, il incombe à l’administration, respectivement au juge – conformément au principe de la libre appréciation des preuves – de confronter les deux évaluations et, au besoin de requérir un complément d’instruction (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1035/2009 du 22 juin 2010 consid. 4.1, in SVR 2011 IV n° 6 p. 17 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_833/2007 du 4 juillet 2008, in Plädoyer 2009/1 p. 70 ; arrêt du Tribunal fédéral I 35/03 du 24 octobre 2003
consid. 4.3 et les références, in Plädoyer 2004/3 p. 64 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_512/2013 du 16 janvier 2014 consid. 5.2.1).
6.
6.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).
6.2 Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu’il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu’ils n’auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu’il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu’une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu’il considère que l’état de fait médical doit être élucidé par une expertise
ou que l’expertise administrative n’a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu’ici, lorsqu’il s’agit de préciser un point de l’expertise ordonnée par l’administration ou de demander un complément à l’expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).
7. En application de la jurisprudence précitée (ATF 147 V 167 consid. 4.1 ; cf. aussi 133 V 108 consid. 5.4), il convient, en l’espèce, de comparer la situation telle qu’elle se présentait lors de la décision du 23 juin 2014 (et non pas lors de
la décision de non-entrée en matière du 9 novembre 2016) avec celle existant au moment de la décision litigieuse, du 23 juin 2023, pour apprécier le bien-fondé d’une éventuelle révision opérée en application de l’art. 17 LPGA.
7.1 Dans le cadre de la première demande de prestations, déposée le 17 juin 2013, les Drs C______ et D______, médecins examinateurs du SMR, avaient conclu, d’un point de vue rhumatologique et psychiatrique, que les diagnostics retenus (status post-opération d’un tunnel carpien à droite ; syndrome du tunnel carpien irritatif à gauche à l’électroneuromyographie ; obésité de classe I ; gonarthrose débutante du compartiment interne droit ; rachialgies non déficitaires, dans un contexte d’uncarthrose C4-C5 droite et de protrusion discale L5-S1 ; troubles dégénératifs débutants du gros orteil droit ; trouble dépressif récurrent, épisode actuel léger sans syndrome somatique [F33.00] ; traits de la personnalité dépendante [F60.7] ; trouble de l’alimentation, sans précisions [F50.9] ; trouble somatoforme indifférencié [F45.1]) étaient sans répercussion sur la capacité de travail.
Après la troisième demande AI déposée le 21 octobre 2021, plus précisément le projet de décision du 12 mai 2022, proposant de n’octroyer aucune rente à l’intéressée, l’intimé a reçu notamment un bilan socioprofessionnel des EPI, daté du 5 juin 2019, concluant au caractère prématuré de tout projet professionnel en l’état actuel de santé de l’intéressée, la seule possibilité consistant pour l’heure à exercer une activité occupationnelle, le temps d’améliorer son état de santé, ce qui pourrait lui permettre d’assumer petit à petit une activité à 50 % dans un cadre adapté (dossier AI, doc. 87, p. 453).
La chambre de céans constate que ce bilan socioprofessionnel du 5 juin 2019, versé au dossier le 14 juin 2022, soit avant l’attribution du mandat d’expertise à CEMEDEX, n’a fait l’objet d’aucune mention, ni discussion de la part des experts dans leur rapport du 24 janvier 2023 (cf. dossier AI, doc. 103, p. 579 a contrario). Or, sachant que ce rapport d’expertise – dont les conclusions ont été suivies par le SMR, puis par l’intimé – aboutit à la conclusion que l’aggravation de l’état de santé de la recourante se reflète, dès 2014, dans la diminution de sa capacité de travail (70 %) pour des motifs exclusivement rhumatologiques, il existe une divergence d’appréciation par rapport aux EPI, dont le bilan socioprofessionnel du 5 juin 2019 conclut au caractère inexploitable de la capacité de travail de la recourante sur le premier marché du travail.
Au titre des éléments qui rendent difficiles, selon le bilan précité, la réinsertion professionnelle de la recourante, il est fait mention de « problèmes de santé physique multiple[s] (fibromyalgie, etc.) et psychique (moral bas parfois, moments dépressifs) », mais aussi des facteurs étrangers à l’invalidité, tels que l’âge, les problèmes psychosociaux (familiaux), les problèmes financiers, la nécessité d’une remise à niveau dans l’utilisation des logiciels bureautiques courants (cf. dossier AI, doc. 87, p. 447 ss). Cela étant, la rubrique « synthèse des capacités professionnelles » du même bilan socioprofessionnel précise aussi qu’il existe des limitations physiques : « l’assise n’est pas tenue sur la longueur [a] besoin d’utiliser un repose-pied. Doit se lever et s’étirer. Ressent beaucoup d’inconfort et des douleurs cervicales si elle reste trop longtemps dans cette position […] Globalement, le côté physique est bien amoindri. Les positions sont difficilement tenues sans que des douleurs apparaissent, soit sur le moment, soit plus tard, douleurs qu’elle contrôle à coup de médicaments ». Par ailleurs, une relecture des limitations fonctionnelles que la Dre G______ attribue aux troubles psychiatriques (cf. partie « en fait », point B. let. p) amène également à s’interroger sur l’éventuelle portée psychiatrique et/ou neurocognitive des observations suivantes des EPI : « Supporte difficilement le bruit environnant, aussi à travers une paroi […]. Globalement sort vite de sa concentration et de sa continuité à l’approche d’un tiers […]. Désorganisée temporellement avec ses souvenirs. Rapporte avoir besoin de nombreux pense-bêtes […]. Dans l’atelier, elle peut se montrer rapide dans l’exécution des exercices mais au final, elle dépasse les temps impartis. Cela est dû à sa mise en place, ses déplacements, ses bavardages, ses multiples plaintes et variations d’humeur sur quelques heures […]. Mauvaise écoute […]. Manque de confiance aux autres […]. Ne supporte pas qu’on regarde par-dessus son épaule, en perd ses moyens […] A de telles difficultés de santé physique et psychologique qu’elle ne peut pas se projeter dans un avenir professionnel […] ».
Compte tenu des principes jurisprudentiels mentionnés plus haut (cf. ci-dessus : consid. 5.3.5), il eût incombé à l’intimé de soumettre le bilan socioprofessionnel des EPI aux trois experts (par ex. sous forme d’un complément d’expertise) pour que ceux-ci prennent position sur les divergences entre les EPI (pas de capacité de travail exploitable sur le premier marché du travail) et leurs propres conclusions, de manière à déterminer si le bilan socioprofessionnel des EPI a apporté un ou plusieurs éléments médicaux supplémentaires à ceux déjà mis en évidence dans le rapport d’expertise du 24 janvier 2023.
7.2 Dans la mesure où un complément d’instruction s’avère ainsi de toute manière nécessaire, il incombera aussi à l’intimé de veiller à ce que les experts intègrent à leurs travaux les autres rapports, non examinés par eux à ce jour, antérieurs à la décision litigieuse (cf. en particulier le rapport du Dr T______ du 17 avril 2023, évoquant une capsulite évolutive à l’épaule gauche ; dossier AI, doc. 118,
p. 646) ou concernant des troubles qui auraient déjà existé au moment de cette décision selon le Dr M______, à savoir notamment les rapports concernant le trouble bipolaire de type II, versés au dossier après le dépôt du recours, étant relevé que le trouble en question était déjà suspecté dans le bilan diagnostique établi le 2 septembre 2021, par le département de réadaptation et gériatrie des HUG (cf. dossier AI, doc. 68, p. 342-345), mais qu’il n’a fait l’objet d’aucune discussion de la part de l’expert Q______.
7.3 Sans préjudice de ce qui précède, la chambre de céans considère à la lumière
de la grille d’analyse jurisprudentielle (cf. ci-dessus : consid. 4.5) que le volet psychiatrique de l’expertise de CEMEDEX appelle d’ores et déjà les critiques suivantes, en l’état.
Concernant tout d’abord le critère dit du « succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers », on rappellera que dans la mesure où le déroulement et l’issue d’un traitement médical constituent d’importants indicateurs concernant le degré de gravité du/des troubles psychiques évalués, le fait que le Dr Q______ affirme que la recourante « ne prend aucun médicament psychotrope » (cf. rapport d’expertise, p. 15) constitue un élément d’appréciation de poids. Or, l’absence de médication psychotrope alléguée repose sur des bases qui ne sont pas étayées et par ailleurs contredites, non seulement par l’experte interniste N______ – qui mentionne la Duloxétine 60 mg parmi les nombreux médicaments mentionnés sous « médication actuelle » (cf. rapport d’expertise,
p. 17) – mais aussi par les Drs M______ (cf. dossier AI, doc. 116, p. 624), R______ et S______ (cf. dossier AI, doc. 116, p. 629).
Concernant ensuite le critère des comorbidités, qui constitue également un indicateur devant être pris en considération avec le degré de gravité fonctionnel de/des (l’)atteinte(s), la chambre de céans constate que l’expert Q______ se borne à énumérer les diagnostics psychiatriques qu’il retient, sans pour autant évoquer l’éventuelle interaction de ces diagnostics entre eux ainsi qu’avec les atteintes somatiques concomitantes – objectivées notamment par l’experte rhumatologue P______ – ces dernières étant reléguées au rang de simple « douleur alléguée » par l’expert Q______ (cf. rapport d’expertise, p. 14 in fine). Il s’ensuit que l’analyse des ressources apparaît tronquée en l’état.
De plus, le point 7.2 de l’expertise psychiatrique (« appréciation des capacités, des ressources et des difficultés ») souffre d’autant plus de son absence de motivation que le tableau que le Dr Q______ y dresse est favorable : « Elle peut s’affirmer, tenir une conversation […], établir le contact avec des tiers. Elle est apte à vivre en groupe, à lier d’étroites relations. Elle peut prendre soin d’elle-même et subvenir à ses besoins. Elle dispose de mobilité et peut se déplacer ». Or, cette appréciation apparaît en net décalage avec les éléments recueillis par l’experte rhumatologue P______, à savoir : l’absence de vie associative et de cercle amical depuis une dizaine d’années, très peu de liens avec sa mère et sa sœur, avec qui les relations sont conflictuelles ; le fait d’avoir une activité physique se résumant à sa séance hebdomadaire de physiothérapie et de sortir de son domicile uniquement pour se rendre à des rendez-vous ; le fait que ses troubles cognitifs et de la concentration ne lui permettent pas de lire (« puisqu’elle oublie au fur et à mesure et ne comprend pas le sens global de ses lectures ») et lui valent des difficultés croissantes à gérer ses démarches administratives (banque, Poste, assurances, suivi médical, services officiels), ce qui provoque beaucoup de stress ; le fait de bénéficier d’une aide de l’institution genevoise de maintien à domicile (IMAD) comprenant une aide à l’organisation des repas (livrés à domicile) et une aide-ménagère ; le fait de se faire préparer un pilulier par la pharmacie et d’éprouver des difficultés croissantes pour l’ensemble de la gestion des tâches quotidiennes (cf. rapport d’expertise, p. 29). Compte tenu de ces éléments ressortant de l’entretien approfondi de l’experte P______ avec l’expertisée, qui ne se reflètent guère dans les capacités et ressources que le Dr Q______ lui reconnaît, il manque manifestement, en l’état du dossier, des explications relatives notamment à l’évaluation de la personnalité de l’intéressée, qui permettraient de comprendre les déductions que cet expert psychiatre tire sur le plan des capacités et des ressources disponibles de la recourante. On rappellera à cet égard que dans la mesure où l’évaluation de la personnalité est davantage dépendante de la perception du médecin examinateur que l’analyse d’autres indicateurs, les exigences de motivation sont plus élevées (cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.2 précité ; cf. aussi ci-dessus : consid. 6.5). Ne satisfaisant pas à ces réquisits, le volet psychiatrique de l’expertise de CEMEDEX, qui repose par ailleurs sur une analyse tronquée des indicateurs jurisprudentiels, n’emporte par la conviction en l’état.
7.4 Il résulte en synthèse de ce qui précède qu’en comparant la situation qui prévalait le 23 juin 2014 – date de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente – à celle existant au moment de la décision litigieuse, il n’est pas établi, en l’état et au degré de la vraisemblance prépondérante requise, que l’aggravation de l’état de santé et ses répercussions sur la capacité de travail de la recourante s’expliquerait pour des raisons purement rhumatologiques. Au regard de l’instruction lacunaire du dossier (cf. ci-dessus : consid. 7.1), il est prématuré de conclure, en l’état, à un degré d’invalidité se confondant avec une capacité de travail réduite de 30 %.
Il convient donc d’admettre partiellement le recours, d’annuler la décision du 23 juin 2023 et de renvoyer la cause à l’intimé pour qu’il en complète l’instruction au sens des considérants.
Compte tenu du renvoi de la cause à l’intimé et de la teneur des certificats médicaux des médecins traitants, la chambre de céans ne donnera pas suite à la demande d’audition des Drs M______ et L______, par appréciation anticipée des preuves (ATF 122 II 464 consid. 4a ; 122 III 219 consid. 3c).
8.
8.1 Partant, le recours sera partiellement admis, la décision litigieuse annulée
et la cause renvoyée à l’intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.
8.2 Le recourant, assisté d’une avocate, obtient partiellement gain de cause ; dès lors, une indemnité de CHF 1’500.- lui sera accordée, à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l’intimé (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA ;
art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).
8.3 La procédure en matière d’assurance-invalidité n’étant pas gratuite (cf. art. 69 al. 1bis LAI), un émolument de CHF 200.- sera mis à charge de l’intimé.
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision du 23 juin 2023.
4. Renvoie la cause à l’intimé, pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.
5. Condamne l’intimé à verser à la recourante une indemnité de CHF 1’500.- à titre de dépens.
6. Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.
7. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.
La greffière
Véronique SERAIN |
| Le président
Philippe KNUPFER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le