Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/776/2024 du 09.10.2024 ( LCA ) , ADMIS
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/4051/2022 ATAS/776/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 9 octobre 2024 Chambre 4 |
En la cause
A______ représenté par Maître Yvan JEANNERET, avocat
| demandeur |
contre
B______SA | défenderesse |
A. a. Monsieur A______ (ci-après le demandeur) a travaillé dès le 20 juillet 2015 pour la C______SA (ci-après l’employeuse).
Celle-ci a conclu une police prévoyant le versement d’indemnités journalières en cas de maladie avec B______SA (ci-après la défenderesse).
b. Le demandeur a été en incapacité de travail totale du 26 août 2020 au 14 avril 2021, puis à 50% du 15 avril au 15 octobre 2021, selon des certificats établis par les docteurs D______, généraliste, puis E______, spécialiste FMH en psychiatrie.
Le Dr D______ a diagnostiqué dans un rapport du 28 septembre 2020 un état anxiodépressif réactionnel à une surcharge de travail et un mobbing de la part du supérieur du demandeur, décrivant entre autres éléments un trouble anxieux, une irritabilité, des troubles du sommeil et des troubles neurovégétatifs.
c. La défenderesse a mandaté le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie, pour procéder à l’expertise du demandeur. Dans son rapport du 23 novembre 2020, ce médecin a mentionné un conflit entre celui-ci et son supérieur. L’examen clinique ne montrait aucune problématique particulière, et aucun des symptômes décrits le 28 septembre 2020 par le médecin traitant n’était constaté. Sur le plan psychiatrique, le tableau était asymptomatique. Partant, le diagnostic d'épisode dépressif était écarté. Le Dr F______ a diagnostiqué des difficultés liées à l’emploi et au chômage et un désaccord avec le supérieur et les collègues (Z 56.4), sans incidence sur la capacité de travail. Le psychiatre a souligné qu’il convenait de distinguer les notions juridiques ayant trait au harcèlement et les notions médicales portant sur la capacité de travail et les symptômes. Il a conclu à une capacité de travail entière, y compris dans l'activité habituelle. Il existait une incohérence entre l’incapacité totale de travail attestée par le médecin traitant et l'absence de limitations constatées dans tous les autres domaines de la vie, notamment au vu de la journée-type décrite.
d. Au vu du rapport du Dr F______, la défenderesse a informé le demandeur par courrier du 24 novembre 2020 qu’elle mettrait un terme au versement des indemnités journalières au 30 novembre 2020.
e. L’employeuse a convoqué le demandeur à un entretien le 1er décembre 2020. Celui-ci lui a annoncé qu’il restait incapable de travailler et ne pourrait s’y rendre.
L’employeuse a alors résilié le contrat de travail du demandeur par courrier du 8 décembre 2020, avec effet au 31 mars 2021.
f. Le demandeur a contesté la cessation du versement des indemnités journalières par correspondance du 21 décembre 2020 à la défenderesse, se référant à un courrier du Dr E______ du 30 novembre 2020.
g. Le demandeur s’est opposé à son licenciement par courrier du 20 janvier 2021.
h. Le 23 février 2022, le demandeur a saisi la juridiction des prud’hommes d’une demande en paiement à l’encontre de l’employeuse, invoquant le caractère abusif de son licenciement.
i. Les parties ont par la suite eu plusieurs échanges de correspondances, chacune campant sur sa position.
Dans ce cadre, le Dr F______ a déclaré s’en tenir à ses conclusions dans un courrier du 5 janvier 2021 à la défenderesse.
Le Dr E______ a quant à lui établi un nouveau rapport le 21 juillet 2021, faisant état chez le demandeur d'un trouble de l'humeur consécutif à une surcharge de travail et une mésentente avec son supérieur, et concluant que l'atteinte à la santé rendait l’exercice de son activité professionnelle impossible. Une reprise d’activité auprès de l’employeuse était exclue au vu du contexte.
La défenderesse a en outre sollicité l’avis de son médecin-conseil, le docteur G______, spécialiste FMH en psychiatrie, qui s’est rallié à la position du Dr F______ dans un rapport daté du 30 juillet 2021. Il a noté que l'anamnèse du Dr E______ était basée sur les explications du demandeur et incluait des facteurs non médicaux étrangers à l'évaluation de la capacité de travail. Le psychiatre traitant n'apportait aucun élément permettant de remettre en cause l'expertise détaillée du Dr F______. Le demandeur présentait des capacités fonctionnelles en dehors de son activité habituelle, contredisant ainsi le diagnostic d'épisode dépressif d'intensité sévère, qui n’était en outre étayé par aucun constat clinique. Le Dr E______ décrivait une amélioration de l'état de santé du demandeur, avec une reprise progressive du travail dès le mois de mai 2021, et totale dès le mois de septembre 2021, ce qui était également en contradiction avec le diagnostic de dépression sévère.
Le Dr E______ a établi un rapport complémentaire le 7 novembre 2022, affirmant que les facteurs non médicaux avaient une influence majeure sur la santé psychique, et que l’épisode dépressif sévère avait été objectivement constaté eu égard aux symptômes tels que l'humeur et le faciès tristes, une mimique pauvre, des pleurs et une gestuelle corporelle réduite chez un patient amorphe en proie à un abattement et à une apathie. Il s’étonnait que le Dr F______ n’ait pas fait état de ces éléments.
Le Dr G______ s’est prononcé une nouvelle fois dans un avis du 8 novembre 2022, déclarant derechef s’en remettre aux conclusions du Dr F______.
Le Dr G______ a ensuite rendu un nouveau rapport le 25 janvier 2023, notant que les symptômes décrits succinctement par le Dr E______ ne correspondaient pas aux critères diagnostiques de l'épisode dépressif sévère selon le manuel DSM-V, et certains symptômes, dont le sentiment d'injustice associé à l’auto-accusation, étaient potentiellement contradictoires.
B. a. Le 28 novembre 2022, le demandeur a saisi la chambre de céans d’une demande en paiement dirigée contre la défenderesse, concluant au versement de CHF 42'727.70 correspondant aux indemnités journalières en cas de maladie auxquelles il alléguait avoir droit pour la période du 1er décembre 2020 au 15 octobre 2021, avec intérêts à 5% l’an dès le 15 avril 2021.
b. Dans sa réponse du 27 février 2023, la défenderesse a conclu au rejet de cette demande, sous suite de dépens.
c. Lors de l’audience qui s’est tenue le 8 novembre 2023 devant la chambre de céans, le demandeur a requis la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique.
d. Par ordonnance de preuves du 19 décembre 2023, la chambre de céans a décidé la mise en œuvre d’une telle expertise et a renoncé à l’audition de témoins.
e. Le 21 décembre 2023, la chambre de céans a informé les parties qu’elle entendait désigner à titre d’expert le docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie, et leur a imparti un délai pour faire valoir d’éventuels motifs de récusation à son endroit et se déterminer sur les questions qu’elle entendait lui soumettre.
f. Par courriers respectifs du 19 janvier 2024, les parties ont toutes deux indiqué ne pas avoir de motif de récusation à l’encontre du Dr H______, ni d’observations sur la mission d’expertise, le demandeur se réservant le droit de poser des questions à l’expert à la suite de la reddition de son rapport.
g. Par ordonnance du 15 février 2024, la chambre de céans a confié l’expertise du demandeur au Dr H______.
h. Celui-ci a établi son rapport en date du 6 mai 2024. Il a conclu à une capacité de travail nulle du 26 août 2020 au 14 avril 2021, de 50% du 15 avril au 14 octobre 2021, et totale dès le lendemain.
i. Le demandeur s’est déterminé sur le rapport d’expertise le 17 juin 2024, déclarant ne pas avoir de remarque particulière mais se réserver le droit de poser des questions à l’expert, dont il sollicitait l’audition.
j. Dans une écriture du 17 juillet 2024, la défenderesse a persisté dans ses conclusions. Subsidiairement, elle a conclu à ce qu’une nouvelle expertise soit ordonnée, et plus subsidiairement à l’audition du Dr H______.
Elle a en substance soutenu que le rapport du Dr H______ n’avait pas valeur probante, et qu’il existait de nombreuses différences entre les plaintes du demandeur lors de l'expertise du Dr F______ et lors de l'expertise judiciaire. Elle a produit un rapport du Dr G______ du 27 juin 2024 émettant plusieurs critiques sur le rapport du Dr H______.
k. La chambre de céans a transmis copie de cette écriture au demandeur le 18 juillet 2024.
l. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. Conformément à l'art. 7 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) et à l'art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale prévue par la LAMal, relevant de la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (LCA - RS 221.229.1).
Selon la police d’assurance, le contrat est régi par la LCA.
L'art. 46a LCA prescrit que le for se définit selon la loi du 24 mars 2000 sur les fors (LFors) qui a été abrogée au 1er janvier 2011 par l’entrée en vigueur du CPC, auquel il convient désormais de se référer. Sauf disposition contraire de la loi, pour les actions dirigées contre les personnes morales, le for est celui de leur siège (art. 10 al. 1 let. a/b CPC), étant précisé que l’art. 17 al. 1 CPC consacre la possibilité d’une élection de for écrite.
L’art. 20 des conditions complémentaires pour l’assurance maladie collective (CG) dans leur édition 2008 reconnaît le lieu de travail en Suisse comme for dans le cadre de litiges relevant de l’assurance collective d'indemnité journalière en cas de maladie souscrite par un employeur.
Le demandeur ayant travaillé à Genève pour son employeuse, la chambre de céans est compétente à raison de la matière et du lieu pour connaître de la présente demande.
2. Les litiges relatifs aux assurances complémentaires à l'assurance-maladie ne sont pas soumis à la procédure de conciliation préalable de l'art. 197 CPC lorsque les cantons ont prévu une instance cantonale unique selon l'art. 7 CPC (ATF 138 III 558 consid. 4.5 et 4.6), étant précisé que le législateur genevois a fait usage de cette possibilité (art. 134 al. 1 let. c LOJ).
La loi fédérale sur la surveillance des entreprises d’assurance du 17 décembre 2004 (LSA - RS 961.01) ne contient pas de règles spécifiques concernant les délais relatifs aux contestations de droit privé qui s’élèvent entre les entreprises d’assurance et les assurés.
La demande respectant en outre les exigences de forme prévues à l’art. 244 CPC, elle est recevable.
3. Le litige porte sur le droit du demandeur à des indemnités journalières correspondant à une incapacité de travail totale du 1er décembre 2020 au 14 avril 2021 et à une incapacité de travail de 50% pour la période du 15 avril au 15 octobre 2021.
4. En matière d'assurances complémentaires, les parties sont liées par l'accord qu'elles ont conclu dans les limites de la loi, les caisses-maladie pouvant en principe édicter librement les dispositions statutaires ou réglementaires dans les branches d'assurances complémentaires qui relèvent de la liberté contractuelle des parties, hormis quelques dispositions impératives en matière d’indemnités journalières (ATF 124 V 201 consid. 3d). Le droit aux prestations d'assurances se détermine sur la base des dispositions contractuelles liant l'assuré et l'assureur, en particulier des conditions générales ou spéciales d'assurance (arrêt du Tribunal fédéral 5C.253/2000 du 6 mars 2001 consid. 4a). Si les parties sont convenues de dispositions individuelles qui sont en contradiction avec les clauses générales, les premières priment sur les secondes (ATF 125 III 263 consid. 4b/bb ; 123 III 35 consid. 2c/bb).
4.1 Dans l'assurance privée selon la LCA, le droit aux prestations ne dépend pas d'une affiliation. Si le sinistre survient pendant la période de couverture, l'assureur doit verser les prestations convenues jusqu'à épuisement, aussi longtemps qu'elles sont justifiées selon les clauses conventionnelles ; la seule limite que connaisse la couverture réside non dans la fin des relations contractuelles, mais dans la durée des prestations convenues (Jean-Benoît MEUWLY, La durée de la couverture d'assurance privée, thèse Fribourg 1994, p. 185). Partant, en l'absence de clauses conventionnelles limitant ou supprimant le droit aux prestations au-delà de la période de couverture, l'assuré qui, après un événement ouvrant le droit aux prestations, sort d'une assurance collective parce qu'il cesse d'appartenir au cercle des assurés défini par le contrat, peut faire valoir son droit aux prestations également pour les suites de l'événement qui se produisent après l'extinction du rapport d'assurance (ATF 127 III 106 consid. 3).
4.2 En l’espèce, la police d’assurance prévoit le versement d’indemnités journalières couvrant 95% du salaire assuré durant 730 jours, sous déduction d’un délai d’attente de 30 jours.
Selon l’art. 1 des conditions complémentaires pour l’assurance de l’indemnité journalière de maladie (CC) dans leur édition 2008, sont assurées des indemnités journalières en cas d'incapacité de travail par suite d'une maladie ayant pour conséquence une perte de gain. L’art. 3 ch. 1 CG définit la maladie comme toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n'est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité de travail. L’art. 3 ch. 4 dispose qu’est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l'aptitude de l'assuré à accomplir tant dans sa profession actuelle que dans une autre profession ou domaine d'activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. Seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de travail. De plus, il n'y a incapacité de travail que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable.
L’art. 4 ch. 1 § 3 prévoit que le droit aux prestations s'éteint lorsque la durée maximale de l’indemnisation est atteinte pour cas de maladie. Aux termes de l’art. 8 CG, la couverture d'assurance de chaque assuré prend fin, pour toutes les prestations assurées pour lui notamment à la cessation des rapports de travail (ch. 1 let. c). Selon l’art. 9 ch. 2 let. a CG réglant le droit aux prestations après l’expiration de la couverture d’assurance, dans les cas relevant de l’art. 8 let. c, la défenderesse ne verse l'indemnité journalière que pour les maladies provoquant une incapacité de travail lors de l'expiration de la couverture d’assurance et pour autant qu’il n’existe pas d’autre motif d’expiration selon l’art. 8 let. b, d à g et i, non pertinents en l’espèce.
4.3 Il convient en premier lieu de souligner que la fin des rapports de travail ne met pas un terme à l’obligation de prester de la défenderesse en cas de persistance d’une incapacité de travail en cours, conformément à ce qui précède.
Il y a ainsi lieu de déterminer si l’incapacité de travail du demandeur s’est poursuivie après le 30 novembre 2020.
5. La procédure simplifiée s'applique aux litiges portant sur des assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale au sens de la LAMal (art. 243 al. 2 let. f CPC) et la chambre de céans établit les faits d'office (cf. art. 247 al. 2 let. a CPC).
5.1 Il s'agit d'un cas où une disposition spéciale instaure la maxime inquisitoire, en lieu et place de la maxime des débats (ATF 138 III 625 consid. 2.1). Ce principe n'est pas une maxime officielle absolue, mais une maxime inquisitoire sociale (arrêt du Tribunal fédéral 9C_541/2010 du 16 juillet 2010 consid. 1).
Cette maxime ne dispense pas les parties de collaborer à l’établissement des faits et de désigner les preuves à administrer. Le juge ne doit s’assurer du caractère complet des allégations et des moyens de preuve que s’il existe des doutes sérieux sur ce point (arrêt du Tribunal fédéral 4A_491/2014 du 30 mars 2015 consid. 2.6.1). Le juge ne doit pas instruire d'office le litige lorsqu'une partie renonce à expliquer sa position. En revanche, il doit interroger les parties et les informer de leur devoir de collaboration et de production des pièces. La maxime inquisitoire sociale ne permet pas d'étendre à bien plaire l'administration des preuves et de recueillir toutes les preuves possibles (ATF 125 III 231 consid. 4a). Lorsqu’une partie admet expressément un fait allégué par l’autre, le juge ne peut s’en écarter ou interpeller la partie désavantagée par cette admission que si l’inexactitude de l’allégué ressort clairement des pièces du dossier (arrêt du Tribunal fédéral 4A_360/2015 du 12 novembre 2015 consid. 4.2). En vertu de cette maxime, il n’est pas interdit au juge de fonder sa décision sur des faits qui n’ont pas été allégués mais qui sont parvenus à sa connaissance au cours de la procédure, qui ressortent par exemple des moyens de preuve offerts (arrêt du Tribunal fédéral 4A 388/2021 du 14 décembre 2021 consid. 5.1).
5.2 La maxime inquisitoire sociale ne modifie pas la répartition du fardeau de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 4C.185/2003 du 14 octobre 2003 consid. 2.1).
En vertu de l'art. 8 du Code civil suisse (CC – RS 210), chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. En conséquence, la partie qui fait valoir un droit doit prouver les faits fondant ce dernier, tandis que le fardeau de la preuve relatif aux faits supprimant le droit, respectivement l’empêchant, incombe à la partie, qui affirme la perte du droit ou qui conteste son existence ou son étendue. Ces principes sont également applicables dans le domaine du contrat d'assurance (ATF 130 III 321 consid. 3.1). Si l'assurance fait valoir que la personne assurée est à nouveau capable de travailler, celle-ci doit prouver qu'elle est toujours en incapacité de travail et qu'elle a donc droit à des indemnités journalières. En cas d'absence de preuve, le fardeau de la preuve n'incombe donc pas à l'assurance, mais à la personne assurée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_473/2022 du 19 janvier 2023 consid. 4.3.2 portant sur un cas dans lequel l’assurance s’était fondée sur une expertise privée que l’assurée n’avait pas contestée de manière suffisamment précise, cf. également arrêt du Tribunal fédéral 4A_1/2020 du 16 avril 2020 consid. 3.1). C’est en effet à l’assuré d'établir l'existence et la persistance d'une incapacité de travail, et non à l’assurance de prouver un recouvrement total ou partiel de la capacité de travail. Dans le cadre de son droit à la contre-preuve, celle-ci doit tout au plus apporter des éléments propres à instiller des doutes et à ébranler la vraisemblance prépondérante que l'assuré s'efforce d'établir. Ce genre de doutes peut découler déjà d'allégations de partie, respectivement d'expertises privées (arrêt du Tribunal fédéral 4A_76/2020 du 9 juin 2020 consid. 3.2).
6. L’art. 168 al. 1 CPC dispose que les moyens de preuve sont le témoignage (let. a) ; les titres (let. b) ; l’inspection (let. c) ; l’expertise (let. d) ; les renseignements écrits (let. e) ; l’interrogatoire et la déposition de partie (let. f).
6.1 Cette énumération est exhaustive. La procédure civile prévoit ainsi un numerus clausus des moyens de preuve, sous réserve de l’art. 168 al. 2 CPC relatif au droit de la famille (arrêt du Tribunal fédéral 4A_85/2017 du 4 septembre 2017 consid. 2.1).
6.2 La jurisprudence en a déduit que seule une expertise judiciaire est un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 let. d CPC. Le juge civil peut se fonder sur une expertise réalisée dans une autre procédure (par exemple une expertise mise en œuvre par un assureur social) à titre d’expertise judiciaire (ATF 140 III 24 consid. 3.3.1.3), laquelle a valeur probante dans la mesure où le juge civil respecte le droit d'être entendu des parties (arrêt du Tribunal fédéral 4A_410/2021 du 13 décembre 2021 consid. 3.2). Une expertise privée n’est en revanche pas un moyen de preuve mais une simple allégation de partie (ATF 141 III 433 consid. 2.5.2 et 2.5.3). Lorsqu’une allégation de partie est contestée de manière circonstanciée par la partie adverse, une expertise privée ne suffit pas à prouver une telle allégation. En tant qu’allégation de partie, une expertise privée peut, combinée à des indices dont l’existence est démontrée par des moyens de preuve, amener une preuve. Toutefois, si elle n’est pas corroborée par des indices, elle ne peut être considérée comme prouvée en tant qu’allégation contestée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_626/2015 du 24 mai 2016 consid. 2.5).
On notera encore que l’assimilation par la jurisprudence d’une expertise privée à une simple allégation de partie a fait l’objet de critiques doctrinales, qui ont conduit le Conseil fédéral à proposer une modification du CPC prévoyant expressément à l’art. 177 CPC que les expertises privées relèvent de titres (Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code de procédure civile suisse, FF 2020 2659s). Cette modification a été adoptée par le Parlement le 17 mars 2023, et entrera en vigueur le 1er janvier 2025.
6.3 Le principe de la libre appréciation des preuves s'applique lorsqu'il s'agit de se prononcer sur des prestations en matière d'assurance sociale. Rien ne justifie de ne pas s'y référer également lorsqu’une prétention découlant d'une assurance complémentaire à l'assurance sociale est en jeu (arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2011 du 24 mars 2011 consid. 4.2). Le principe de la libre appréciation des preuves signifie que le juge apprécie librement les preuves, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Dès lors, le juge doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de statuer sur le droit litigieux (arrêt du Tribunal fédéral 4A_253/2007 du 13 novembre 2007 consid. 4.2). En présence de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. Ce qui compte à cet égard, c'est que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et, enfin, que les conclusions de l'expert soient bien motivées. En ce qui concerne les rapports établis par le médecin traitant de l'assuré, le juge doit avoir égard au fait que la relation de confiance unissant un patient à son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci ; cela ne justifie cependant pas en soi d'évincer tous les avis émanant des médecins traitants. Il faut effectuer une appréciation globale de la valeur probante du rapport du médecin traitant au regard des autres pièces médicales (arrêts du Tribunal fédéral 4A_218/2023 du 22 juin 2023 consid. 3.1.2 et 4A_424/2019 du 31 octobre 2019 consid. 3.1 et les références citées).
6.4 En ce qui concerne la survenance du cas d'assurance, la jurisprudence part du principe qu’il y a en règle générale un « état de nécessité en matière de preuve » (Beweisnot), notamment en matière d'assurance contre le vol, de sorte que l’allègement du degré de la preuve se justifie. Tel n’est en revanche pas le cas pour une incapacité de travail alléguée, qui peut être prouvée sans autre par un certificat correspondant. A cet égard, le degré de preuve ordinaire s'applique, soit celui de la certitude (ATF 148 III 105 consid. 3.3.1, arrêts du Tribunal fédéral 4A_516/2021 du 25 novembre 2021 consid. 3.2 et 4A_388/2021 du 14 décembre 2021 consid. 4).
7. Au sujet de la notion d’incapacité de travail, on rappellera ce qui suit.
7.1 Le droit à des indemnités journalières dans les domaines régis par la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) se fonde sur la notion d’incapacité de travail au sens de l’art. 6 LPGA, qui définit comme incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité.
Dans ce domaine, l’incapacité de travail s’analyse en lien avec la profession qu’exerce l’intéressé avant la survenance de cette incapacité. La question de savoir si une personne est incapable de travailler lorsqu’elle ne peut exercer son activité habituelle mais serait en mesure de travailler dans un autre poste, par exemple dans une autre entreprise, doit être résolue en fonction de la cause de l’incapacité de travail. Il est déterminant que la limitation soit causée par des problèmes de santé, ce qui suppose un diagnostic médical correspondant. Cet examen de la causalité doit être soigneusement entrepris, si l’incapacité ne porte que sur un poste déterminé. Si cette causalité est admise, il y a lieu de retenir une incapacité de travail, et la question qui se posera en conséquence sera celle de l’exigibilité d’un changement de poste de travail (Ueli KIESER, ATSG-Kommentar, 4ème éd. 2020, nn. 71, 82 et 84 ad art. 6 LPGA).
Ces principes sont applicables mutatis mutandis à la présente cause, la définition de l’incapacité de travail selon les CG étant largement similaire à celle figurant à l’art. 6 LPGA.
7.2 On précisera qu’en matière de droit du travail, le Tribunal fédéral considère que l’interdiction de la résiliation en temps inopportun du contrat de travail ancrée à l’art. 336c du Code des obligations suisse (CO – RS 220), en vertu de laquelle l’employeur ne peut résilier le contrat pendant une incapacité de travail totale ou partielle résultant d’une maladie ou d’un accident pendant une certaine durée, est inapplicable lorsque l'atteinte à la santé s'avère tellement insignifiante qu'elle ne peut en rien empêcher d'occuper un nouveau poste de travail, hypothèse que la jurisprudence considère réalisée en cas de maladie lorsque l'incapacité de travail est limitée au poste de travail (arrêt du Tribunal fédéral 1C_595/2023 du 26 mars 2024 consid. 5.1). Notre Haute Cour a en revanche admis qu’une incapacité de travail, même lorsqu’elle est liée à un poste précis (arbeitsplatzbezogen ou abreitsplatzbedingt), donne droit à des indemnités journalières lorsqu’une maladie et un traitement sont attestés, et qu’on peut ainsi en déduire sans arbitraire que l’incapacité de travail est imputable à une atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 4D_7/2021 du 12 avril 2021 consid. 4.4).
7.3 Le diagnostic se définit comme la partie de l'acte médical visant à déterminer la nature de la maladie observée. Il est indispensable à l'établissement du pronostic et du traitement. Ce procédé consiste à faire correspondre les symptômes et les signes observés chez un patient avec une entité pathologique ou un syndrome connu. Il est fondé sur le résultat des constatations du médecin, respectivement sur celui des analyses complémentaires. Il s'agit d'une décision, celle de nommer la maladie dans un contexte de plus ou moins grande incertitude, qui doit inciter à la plus grande prudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_53/2022 du 22 novembre 2022 consid. 10.2).
7.4 En matière d’invalidité, seule une incapacité de gain causée par une atteinte à la santé peut donner droit à des prestations, dont les facteurs socioculturels ne font pas partie. Pour qu'une invalidité soit reconnue, il est nécessaire dans chaque cas qu'un substrat médical pertinent, entravant la capacité de travail (et de gain) de manière importante, soit mis en évidence par le médecin spécialisé. Plus les facteurs psychosociaux et socioculturels apparaissent au premier plan et imprègnent l'anamnèse, plus il est essentiel que le diagnostic médical précise s'il y a atteinte à la santé psychique qui équivaut à une maladie. Ainsi, il ne suffit pas que le tableau clinique soit constitué d'atteintes qui relèvent de facteurs socioculturels. Il faut au contraire que le tableau clinique comporte d'autres éléments pertinents au plan psychiatrique tels, par exemple, une dépression durable au sens médical ou un état psychique assimilable, et non une simple humeur dépressive. Une telle atteinte psychique, qui doit être distinguée des facteurs socioculturels, et qui doit de manière autonome influencer la capacité de travail, est nécessaire en définitive pour que l'on puisse parler d'invalidité. En revanche, là où l'expert ne relève pour l'essentiel que des éléments qui trouvent leur explication et leur source dans le champ socioculturel ou psychosocial, il n'y a pas d'atteinte à la santé à caractère invalidant (ATF 127 V 294 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_144/2010 du 10 décembre 2010 consid. 4.1).
Le code Z des atteintes répertoriées dans la CIM-10 vise à la classification de circonstances qui influent sur l’état de santé d’une personne mais ne constituent pas une atteinte ou une maladie. Ce code concerne les facteurs supplémentaires qui doivent être pris en compte lorsqu’une personne est traitée pour un état pathologique. Ces facteurs ne correspondent pas en tant que tels à la définition de l’atteinte à la santé au sens juridique. Les facteurs psychosociaux et socioculturels ont toutefois des répercussions sur l’invalidité lorsqu’ils conduisent à une véritable altération de l’intégrité psychique, laquelle entrave la capacité de gain, lorsqu’ils entretiennent une atteinte à la santé distincte ou en aggravent les conséquences, qui elles-mêmes existent indépendamment des facteurs étrangers à l’invalidité (SVR 2008 IV N°15, consid. 2.2.2.2). Un état d’épuisement de type burn out ne constitue pas non plus une atteinte à la santé au sens de l’art. 3 al. 1 LPGA (arrêts du Tribunal fédéral 9C_298/2020 du 28 septembre 2020 consid. 3 et 9C_552/2018 du 21 décembre 2018 consid. 5.4.2).
8. Il convient d’examiner le contenu du rapport du Dr H______.
Celui-ci a résumé le dossier, relaté l’anamnèse et les plaintes du demandeur, et a décrit la journée-type et son évolution depuis 2020.
Le demandeur a exposé à l’expert que lorsque le conflit au travail était devenu aigu, il était devenu irritable et avait été au bord de la rupture. Après le licenciement, il y avait eu une période très pénible où il se sentait amorphe, très fatigué, n'avait plus envie de rien faire, cela jusqu'à ce qu'il reprenne peu à peu de l'énergie et du plaisir à vivre, à partir du printemps 2021. Dans les antécédents, le demandeur disait avoir souffert en 2014 d'une « petite dépression » en relation avec un conflit au travail dans un précédent emploi, épisode ayant nécessité un arrêt de travail « d'un ou deux mois ». Selon les renseignements communiqués à l’expert par le Dr E______, le traitement avait en réalité duré de 2013 à 2015, et ce psychiatre signalait une deuxième période de traitement en 2018 pour un second épisode dépressif, dont le demandeur ne se souvenait pas. Dans les mois avant l'arrêt de travail, le demandeur indiquait que l'angoisse face à son chef était envahissante et confinait par moments à la panique, avec une peur de perdre le contrôle et de l'agresser. Après le licenciement, d'autres symptômes étaient apparus : fatigue envahissante due notamment à une perte du sommeil, perte de l'appétit et du poids, perte importante du plaisir, du moral et de la motivation, également dans la vie non professionnelle, avec un sentiment de dévalorisation. Ces limitations avaient été importantes d'août à novembre 2020, massives de décembre 2020 à avril 2021, puis décroissantes à partir de mai 2021. Certains symptômes avaient toutefois persisté jusqu'à fin 2022 - début 2023. Le demandeur se considérait actuellement apte à travailler, et il avait cessé toute médication psychotrope un an auparavant. La mémoire et la concentration étaient désormais complètement revenues, l'appétit aussi, ainsi que l'humeur, l'énergie, le plaisir aux choses et la motivation. Le poids, passé de 68 à 57 kg entre 2020 et 2021, était remonté à 62 kg. Le sommeil était encore un peu perturbé avec une difficulté à s'endormir et des cauchemars occasionnels, et parfois de brefs flashbacks du conflit professionnel de 2020-201.
Dans les constatations objectives, le Dr H______ a notamment relaté une
émotion perceptible au moment de l'exposé du conflit au travail. Il a énuméré une liste de symptômes qu’il avait pu exclure lors de son examen, et a relaté les renseignements donnés par les Drs D______ et E______, qu’il avait contactés.
Dans son appréciation, le Dr H______ a souligné que l'appréciation des troubles psychiques en relation avec des conflits professionnels posait certains défis aux médecins, en cas de notions de mobbing, burn out ou harcèlement. La première difficulté consistait à distinguer le contexte du conflit et ses conséquences sur l'état de santé, car si le contexte professionnel pouvait conduire à des troubles cliniques, seuls ces derniers devaient être pris en compte pour évaluer une éventuelle incapacité de travail. Une autre difficulté était que les manifestations cliniques d'ordre psychique qui se produisaient lors de conflits professionnels étaient polymorphes et se manifestaient par des symptômes de plusieurs pathologies, sans forcément remplir tous les critères d'une ou de plusieurs entités cliniques. Par ailleurs, les troubles psychiques en relation avec des conflits professionnels pouvaient dans une certaine mesure ne pas se manifester en dehors du contexte professionnel. Partant, le critère de l’uniformité de l’atteinte dans tous les domaines de la vie n’était souvent pas applicable dans ce cadre, et il était même courant que le médecin traitant recommande à son patient de maintenir ses activités extra-professionnelles afin de préserver ces domaines de réussite et de motivation. L'observateur ne devait ainsi pas s'étonner qu'un sujet soit capable d'activités non professionnelles plaisantes ou exigeantes, alors qu'il se disait et était réellement démuni face au stress professionnel et était incapable d'y faire face. La préservation d'une zone de fonctionnement psychique intacte était importante pour la reconstruction et la récupération des capacités professionnelles. Enfin, une mise en question de la compétence professionnelle représentait une blessure narcissique majeure, le plus souvent lente à guérir, ce qui expliquait que l'incapacité fonctionnelle dans ces situations puisse parfois durer très longtemps, alors que l'atteinte clinique n’était en apparence pas d'une grande sévérité.
On pouvait en l’espèce distinguer plusieurs phases de l’atteinte de 2020 à 2023. Avant août 2020, le demandeur était fragilisé par le grave accident dont son père avait été victime en décembre 2019, et ces mois avaient vu une montée de l'anxiété. Le diagnostic de trouble panique n’était pas approprié malgré plusieurs véritables attaques de panique, car ce diagnostic était réservé aux situations où les attaques de panique étaient spontanées et non déclenchées par un stimulus identifiable. Le diagnostic d'anxiété généralisée n’était pas non plus justifié, car les ruminations mentales anxieuses étaient centrées sur un stimulus précis, soit le conflit professionnel, et n’étaient pas déclenchées par des soucis communs. Le diagnostic de stress post-traumatique venait également à l’esprit. Faute de mieux dans le catalogue de la CIM-10, le diagnostic retenu en définitive était celui de trouble de l'adaptation, avec réaction mixte anxieuse et dépressive, surtout anxieuse (F 43.22). Ce trouble était passé de moyen à sévère, avec des symptômes dépressifs restant au second plan. Dès le 26 août 2020, l'anxiété ayant atteint un seuil intolérable, le demandeur avait consulté le Dr D______. Celui-ci avait confirmé lors d’un entretien téléphonique un syndrome anxieux sévère justifiant un arrêt de travail entre fin août 2020 et début décembre 2020, ses première et dernière consultations ayant respectivement eu lieu le 26 août et le 3 décembre 2020. Après la reprise imposée en décembre, le moral avait sévèrement chuté et les symptômes dépressifs, jusque-là modérés, s’étaient aggravés. Les données portant sur cette période provenaient du Dr E______ et des symptômes rapportés par le demandeur. Les rapports du psychiatre traitant attestaient un syndrome dépressif sévère, sans chronologie permettant de suivre l'évolution clinique. Celui-ci avait indiqué à l’expert que le traitement avait débuté le 20 octobre 2020 et qu'il avait dès cette date conclu à une incapacité de travail totale. Il y avait eu une nette aggravation de la dépression après le licenciement, qui avait mis plusieurs mois à s'estomper. L'ensemble de ces données rendait plausible le diagnostic d’épisode dépressif sévère posé par le Dr E______. Eu égard aux deux épisodes dépressifs en 2013 puis 2018 attestés par le Dr E______, le diagnostic de trouble dépressif récurrent devait être retenu. Le diagnostic précis était donc celui trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère (F 33.2). La perte d'énergie et d'investissement caractérisant la dépression sévère faisait passer l'anxiété au second plan. A partir du premier trimestre 2021, une lente amélioration s’était produite et avait permis une reprise à 50% dès le 15 avril 2021. De cette date au 14 octobre 2021, l'amélioration s’était poursuivie, et le tableau clinique correspondait selon toute vraisemblance au diagnostic d'épisode dépressif moyen (F 33.2). A partir du 15 octobre 2021, l'épisode dépressif était en rémission pour l'essentiel. Au jour de l’expertise, quelques éléments anxieux persistaient (trouble du sommeil, ruminations négatives sur la période de crise passée, flashbacks), trop modérés pour justifier un diagnostic clinique.
Le Dr H______ s’est dit d’accord avec le Dr F______ sur le fait que les critères diagnostiques de l'épisode dépressif selon la CIM-10 n’étaient pas présents lors de son examen. A cette date, les quelques éléments de baisse de l'humeur étaient insuffisants pour un tel diagnostic. L’expert judiciaire s’écartait en revanche de l'avis du Dr F______ en tant qu’il rejetait le diagnostic de trouble de l'adaptation avancé par le Dr D______ dans son rapport du 26 septembre 2020 sous le terme d’état anxio-dépressif réactionnel. Pour l’expert, la description par le demandeur de la période précédant l'arrêt de travail du 26 août 2020 correspondait tout à fait aux critères de ce diagnostic selon la CIM-10, qu’il a détaillés. Il n’était pas d’accord avec le Dr F______ qui considérait que le demandeur avait une « réaction normale » au conflit avec son chef. Il n’était en effet pas normal qu’un subordonné réagisse à un conflit avec son chef en ne dormant plus, en perdant l'appétit, en devenant irritable à la maison, et encore moins de ne plus supporter de voir son chef au point de devoir s'enfermer aux toilettes pour l’éviter, pris d'angoisse, et de redouter de perdre le contrôle et de l'agresser. Le Dr H______ n’avait pas de raison de mettre en doute la sincérité du récit du demandeur, qui avait paru authentique et était manifestement ému lorsqu’il était interrogé sur ce chapitre de l'anamnèse. Les termes cliniques utilisés par le Dr D______ dans son rapport du 26 septembre 2020 concordaient parfaitement avec ce que le demandeur disait avoir ressenti pendant les derniers mois de son emploi, si bien que l’expert validait le diagnostic du médecin traitant, quand bien même il n’était pas libellé dans les termes exacts de la CIM-10. Le Dr H______ contestait en outre l'appréciation du Dr F______ excluant toute forme d'anxiété chez le demandeur au moment de son examen, dès lors que ce médecin n'indiquait pas sur quoi il fondait cette affirmation et notamment pas en quoi consistaient « l'anxiété, le stress et la colère » rapportés alors par le demandeur à l’encontre de son chef. Il s’agissait là de manifestations anxieuses, et le Dr F______ mentionnait en outre des manifestations neuro-végétatives de nature clairement anxieuse, soit des nausées, une sensation de boule au ventre, de l'irritabilité et des troubles du sommeil, sévères puisque le demandeur disait se coucher à 23 heures et ne pas s’endormir avant 2 heures du matin. Il exposait en outre se consacrer aux tâches ménagères pour éviter de « penser à ses problèmes et au conflit avec son chef », ce qui signifiait qu'il avait des ruminations mentales anxieuses dans la journée concernant le conflit au travail. Le Dr F______ avait nié les troubles du sommeil, au motif qu’ils ne pouvaient être appréciés lors d’un examen clinique, ainsi que l'irritabilité, car il ne l'avait pas constatée lui-même pendant son examen. Le Dr H______ a admis que l’insomnie était une donnée subjective, mais il n'y avait pas de raison d'écarter a priori les données subjectives d'un expertisé, sauf à avoir des raisons de mettre en doute la sincérité de ses propos, ce qui n’était pas le cas puisque le Dr F______ avait indiqué que le demandeur était collaborant et répondait à toutes ses questions. Quant à l'irritabilité, elle avait sa source dans la relation conflictuelle du demandeur avec son chef, et on pouvait ainsi s’attendre à ce qu'elle ne surgisse pas face à un interlocuteur présumé neutre, qui plus est médecin. Trois facteurs avaient sans doute contribué à ce que le trouble anxieux ne soit pas apprécié à sa juste valeur par le Dr F______. L’un tenait à la nature des manifestations de l'anxiété, le deuxième au demandeur, et le dernier au Dr E______. Contrairement à d'autres pathologies psychiatriques, les manifestations cliniques des troubles anxieux (rougeur, tremblements, hypersudation, tachypnée, etc.) n’étaient que rarement directement observables par le médecin traitant ou l’expert. En effet, l'anxiété était rarement constante, du moins à un degré élevé. Les épisodes aigus lors desquels l'anxiété pouvait parfois être observable étaient déclenchés par des stimuli spécifiques, dont l’entretien médical ne faisait pas partie. Pour analyser cet aspect, le médecin devait procéder à une anamnèse empathique mais méthodique de la palette des manifestations cliniques de l'anxiété. Il devait donc fonder son appréciation principalement sur les données rapportées par le patient en jugeant de leur crédibilité sur la base de leur cohérence clinique. Une appréciation se basant uniquement sur les constatations objectives pouvait donc passer à côté d'une pathologie anxieuse, même sévère. Par ailleurs, l'expérience clinique montrait que les patients souffrant de troubles anxieux, et plus particulièrement les sujets de sexe masculin, avaient tendance à minimiser, voire cacher ces symptômes, par crainte de passer pour faibles ou fous. En l'occurrence, le Dr F______ ne disait pas s'il avait procédé à une investigation méthodique des symptômes anxieux. Le demandeur avait probablement lui-même minimisé le degré de ses symptômes anxieux face au Dr F______. Il indiquait en effet être resté sur la réserve devant le Dr F______, même s’il avait mentionné avoir pleuré plusieurs fois durant l’entretien – ce qui n’apparaissait pas dans le rapport d'expertise. Face à l’expert judiciaire, le demandeur avait minimisé ses antécédents psychiatriques, oubliant l'épisode dépressif de 2018 et banalisant celui de 2013-2015, le présentant comme une petite dépression, alors qu'il avait nécessité un traitement conséquent. Enfin, s’agissant du Dr E______, on pouvait regretter qu'il n'ait pas rédigé rapidement un rapport circonstancié et chronologique, donnant des indications cliniques sur les motifs justifiant la poursuite de l'incapacité de travail et les raisons médicales pour lesquelles le demandeur n’était pas en mesure de se présenter chez son employeur le 1er décembre 2020. L’expert judiciaire estimait que l'ensemble des données, incluant le rapport du Dr F______, établissait une composante anxieuse en relation avec le conflit professionnel, sévère au vu de ses répercussions. Le Dr F______ n’avait pas contacté le Dr E______, alors qu’il était d’usage et de bonne pratique pour un expert de recueillir l’avis du médecin traitant, et cette démarche était utile pour rassembler le maximum d'informations sur une situation à propos de laquelle il devait se forger une opinion sur la base d'une seule évaluation. En s’abstenant de contacter le Dr E______, le Dr F______ avait ignoré l’importance des antécédents psychiatriques concourant à la gravité de la réaction du demandeur au conflit professionnel.
S’agissant du rapport du Dr G______, le Dr H______ considérait que la critique sur le caractère insuffisamment étayé du diagnostic d’épisode dépressif sévère posé par le Dr E______ était fondée. Quant au fait que l'incapacité de travail aurait pour origine des facteurs non médicaux, cette remarque paraissait injustifiée, dans la mesure où le Dr E______ indiquait clairement que le trouble sévère de l'humeur, soit une cause médicale, motivait l'incapacité de travail. Le grief du Dr G______ quant au fait que les critères diagnostiques d’un état dépressif sévère étaient insuffisamment décrits dans le rapport du 7 novembre 2022 du Dr E______ paraissait infondé, au vu par exemple de la gestuelle corporelle réduite, de l’abattement et de l’apathie mentionnés, correspondant au critère de ralentissement typique de l'épisode dépressif. Le Dr G______ soulignait aussi que l'état clinique décrit par le Dr E______ ne correspondait pas à celui relaté par le Dr F______. Cette remarque était juste, mais la différence provenait de la nette aggravation de l'état clinique au début décembre 2020, après l'expertise du Dr F______.
Il n’y avait plus de limitations fonctionnelles en mai 2024. Du 26 août 2020 au licenciement, les limitations fonctionnelles étaient dues à l'état anxieux sévère, notamment les ruminations envahissantes centrées sur le conflit professionnel. Ces ruminations occupaient l'essentiel de la vie mentale du demandeur et entretenaient un niveau d'anxiété élevé tel que les médecins traitants avaient à juste titre estimé qu’il était raisonnable de le soustraire momentanément à l'exposition à ce facteur de stress. Le Dr H______ concluait ainsi que l'arrêt de travail prescrit du 26 août au 8 décembre 2020 par les médecins traitants était justifié. Avec le licenciement, l’anxiété s’était atténuée, et les symptômes dépressifs, présents a minima auparavant s’étaient nettement aggravés avec l’installation d’un véritable syndrome dépressif et sa triade symptomatique (baisse du plaisir et de la motivation, de l'énergie disponible et de l'humeur), constituant autant de limitations fonctionnelles. Sur la base de l'anamnèse et des données du Dr E______, cette situation avait duré jusqu'au printemps 2021, et l’incapacité de travail était restée totale. Avec l'amélioration progressive de l'humeur et des autres fonctions altérées par la dépression, le Dr E______ avait prescrit une reprise partielle à 50%, dès le 15 avril 2021 puis totale dès le 15 octobre 2021.
Le Dr H______ n’avait pas d'argument pour ne pas retenir cette appréciation. Il concluait ainsi à une capacité de travail nulle du 26 août 2020 au 14 avril 2021, de 50% du 15 avril au 14 octobre 2021, et totale dès le lendemain.
L’expert a encore analysé les critères jurisprudentiels pour déterminer le caractère invalidant des atteintes psychiques. Il a noté que le traitement avait permis d’amender les troubles, mais que cela avait pris du temps en raison de l’intensité du conflit et de la sévérité des troubles. S’agissant des comorbidités, il existait quelques traits anankastiques de la personnalité (méticulosité, souci marqué de bien faire) qui n'atteignaient pas le degré pathologique. Au plan social, le demandeur avait pu compter sur l'appui de sa famille pendant la période de crise, mais son état psychique avait altéré pendant quelque temps sa capacité à interagir harmonieusement avec ses proches et notamment sa compagne, ce qui avait abouti à une séparation temporaire. Du point de vue de la cohérence, les symptômes et manifestations allégués par le demandeur et décrits par les médecins traitants paraissaient cohérents avec ce qu'on connaissait des répercussions psychiques pouvant survenir en cas de conflit professionnel sévère. L’atteinte avait été grave d'août 2020 à avril 2021 et d'intensité moyenne d'avril 2021 à octobre 2021. A partir d'octobre 2021, elle n’avait vraisemblablement plus atteint le seuil clinique. Le demandeur disposait de ressources au vu de son intelligence, de ses compétences et de son envie de travailler, mais ses relations s’étaient distendues durant la crise en raison de ses troubles psychiques.
Le Dr H______ a précisé que les diagnostics étaient retenus au degré de la vraisemblance prépondérante et non de la certitude, compte tenu de l’absence d’examen au moment des faits. Ils reposaient sur les constatations objectives et les plaintes.
9. L’expertise du Dr H______ reprend l’historique médical du demandeur, se fonde sur l’étude du dossier, relate les plaintes du demandeur et consigne les éléments objectifs tirés du dossier et les constatations lors de l’examen. Cet expert s’est également entretenu avec les médecins traitants du demandeur. Ses diagnostics sont soigneusement discutés, notamment s’agissant des divergences avec le Dr F______, et ses conclusions sont claires. Cet expert s’est parfaitement conformé à la mission d’expertise qui lui a été confiée, et son rapport contient tous les éléments formels nécessaires selon la jurisprudence. Sur le fond, les explications de l’expert sont convaincantes et exemptes de contradictions.
Son rapport doit ainsi se voir reconnaître valeur probante.
9.1 Les critiques émises par le Dr G______ dans son avis du 27 juin 2024 ne permettent pas une autre appréciation. Celui-ci a soutenu que l’expert aurait considéré qu’un diagnostic n’était pas nécessaire lors de l’évaluation de la capacité de travail dans le cadre de conflits au travail, et qu’il aurait confondu les symptômes avec la maladie. Cette remarque est toutefois injustifiée, puisque le Dr H______ a bien exposé les distinctions qui s’imposaient dans un tel cas, et a retenu des diagnostics précis et décrit les limitations professionnelles qui en découlaient. S’agissant du caractère non uniforme des limitations dans les domaines de la vie, le Dr G______ a soutenu que les discordances de cet ordre étaient pertinentes, contrairement aux dires de l’expert, et qu’une maladie sans retentissement ne saurait justifier une incapacité de travail. Sur ce point, les explications données par le Dr H______ emportent également la conviction au vu du contexte spécifique, et celui-ci a bien décrit des limitations dans la sphère professionnelle, contrairement à ce que le Dr G______ semble sous-entendre. Les difficultés relationnelles du demandeur pendant la période litigieuse révèlent en outre que les troubles ont bien eu un impact sur sa vie privée. Par ailleurs, le Dr H______ n’a pas simplement ignoré l’anamnèse relatée par le Dr F______, mais il l’a complétée, ce qui ne prête pas le flanc à la critique. En effet, au vu du cadre temporel sur lequel portait son examen, une telle démarche était indispensable, notamment pour la période postérieure à l’examen du Dr F______. Quant au fait que le Dr H______ n’aurait pas analysé l'état du demandeur par rapport à son cahier des charges, il n’était pas nécessaire de détailler les différentes tâches, dans la mesure où une incapacité de travail était admise eu égard aux limitations découlant des troubles psychiques. En tant que le Dr G______ affirme que les constatations des Drs H______ et F______ sur l’état clinique seraient similaires et qu’on ne pourrait ainsi retenir de diagnostics différents, il convient de rappeler d’une part que ces états ne sont pas identiques, puisque le second a écarté des symptômes anxieux, et d’autre part que les diagnostics et leurs répercussions cliniques sont différenciés en fonction des différentes périodes, le Dr H______ – à l’instar du psychiatre traitant – retenant une aggravation de l’état de santé après l’examen du Dr F______. L’expert judiciaire s’est en outre parfaitement expliqué sur les raisons qui l’amenaient à réfuter l’absence de symptômes d’anxiété, notamment au vu des manifestations de cet ordre que le Dr F______ a rapportées, sans toutefois en analyser l’incidence sur la capacité de travail. Contrairement à ce que retient le médecin-conseil de la défenderesse, le Dr H______ ne s’est pas uniquement fondé sur les propos du demandeur, mais également sur les observations en temps réel des médecins traitants, qui les corroborent. On comprend en outre mal ce que le Dr G______ entend tirer du fait que le ralentissement retenu ne pourrait invalider les conclusions du Dr F______, car il serait apparu postérieurement. En effet, c’est l’existence d’une incapacité de travail résultant d’une atteinte à la santé – et partant le droit aux indemnités journalières – dès le 1er décembre 2020 que le Dr H______ devait analyser, étant souligné que la défenderesse ne réclame pas la restitution des indemnités journalières versées jusqu’à cette date. En toute hypothèse, on ne voit pas comment l’examen du Dr F______ permettrait d’exclure une aggravation postérieure, a fortiori dès lors que celle-ci résulte d’une modification de l’état de santé du demandeur, et partant du diagnostic. Enfin, selon le Dr G______, la mention par l’expert que le demandeur aurait pu garder son emploi s'il avait été réorienté vers un autre service revient à retenir le caractère complètement réversible des troubles, ce qui irait à l’encontre d’un trouble panique et mettrait sérieusement en doute la persistance d'un trouble de l'adaptation au moment de l’examen du Dr F______. A ce sujet, la chambre de céans relève que cette considération rétrospective est présentée comme une hypothèse par le Dr H______, qui précise à ce sujet que « cela n’est pas sûr ». Quoi qu’il en soit, on distingue mal la pertinence de cette remarque, puisque le Dr H______ n’a précisément pas retenu de trouble panique d’une part, et que la reconnaissance d’une incapacité de travail n’est pas subordonnée au caractère permanent des troubles à son origine d’autre part.
9.2 Les moyens articulés par la défenderesse dans son écriture du 17 juillet 2024 ne suffisent pas non plus à mettre en doute les conclusions du Dr H______. En premier lieu, en tant qu’elle soutient que l’expertise du Dr F______ n'a pas nécessairement une valeur probante moindre que l’expertise judiciaire, elle perd de vue les principes rappelés ci-dessus en procédure civile sur la nature d’expertises privées. Elle allègue en outre que la déclaration du demandeur au Dr F______, selon laquelle il était prêt à reprendre le travail moyennant des ajustements, serait incompatible avec l'incapacité totale retenue par l'expert judiciaire. Cependant, il n’appartient pas à un assuré d’évaluer sa propre capacité de travail, de sorte que cette indication n’est pas décisive. La défenderesse semble en outre mettre en doute la véracité des propos du demandeur, relevant que celui-ci a indiqué au Dr H______ avoir pleuré durant l’entretien avec le Dr F______, alors que ce dernier ne retenait pas de tristesse. Cependant, rien ne permet de considérer qu’il s’agirait là d’une déclaration erronée, a fortiori lorsqu’on considère que le Dr H______ a à plusieurs reprises souligné l’émotion encore perceptible du demandeur à l’évocation du conflit lors de son évaluation, réalisée près de trois ans et demi plus tard. Le fait de pleurer n’est quoi qu’il en soit pas un élément décisif. Enfin, au sujet de l’absence de contacts entre le Dr F______ et les médecins traitants, la défenderesse argue qu’il n’y aurait pas lieu de consacrer un « temps disproportionné pour chercher des informations que les médecins n'auraient pas données la première fois », et qu’en cas de rapport complémentaire, il est important de relever les contradictions avec le rapport initial. Ce faisant, elle semble implicitement admettre que le Dr F______ s’est fondé sur des données incomplètes, ce qui suscite également des doutes sur la validité de son rapport. Par ailleurs, le fait de prendre langue avec les médecins traitants ne relève pas d’une démarche particulièrement chronophage, lorsque comme en l’espèce l’anamnèse récente est en cause. Cette étape s’avère en outre d’autant plus indispensable que les rapports établis par les médecins traitants sont sommaires. Les informations que ceux-ci peuvent livrer à un expert ne sont en outre pas contradictoires au seul motif qu’elles n’ont pas été expressément mentionnées dans leurs précédents rapports. Elles ne doivent ainsi pas être écartées pour cette raison, à défaut d’être contraires aux rapports initiaux, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. S’agissant enfin du degré de la preuve applicable, comme on l’a vu, la jurisprudence a certes retenu que la survenance et la persistance d’une incapacité de travail devaient être démontrées au degré de la certitude, et non de la vraisemblance prépondérante. Cela étant, notre Haute Cour a également précisé qu’un certificat médical était à cet égard suffisant, et de tels certificats ont bien été établis pendant la durée de l’incapacité de travail à laquelle l’expert a conclu.
Compte tenu de ce qui précède, la chambre de céans se ralliera aux conclusions du Dr H______, selon lesquelles le demandeur présentait une incapacité de travail totale du 26 août 2020 au 14 avril 2021, puis de 50% du 15 avril au 14 octobre 2021.
Les parties ont sollicité l’audition du Dr H______. La procédure civile n’impose toutefois pas que l’expert qui dépose un rapport par écrit soit systématiquement entendu (cf. art. 187 al. 1 CPC). Toutefois, dans la mesure où les parties ont eu l’occasion de se déterminer sur son rapport, et que la défenderesse a produit un avis détaillé de son médecin-conseil qui n’a pas articulé de questions particulières à l’expert, la chambre de céans ne procèdera pas à cette audition, par appréciation anticipée des preuves (ATF 130 II 425 consid. 2.1).
10. Compte tenu de ce qui précède, le demandeur a droit à des indemnités journalières complètes du 1er décembre au 14 avril 2021, puis de 50% du 15 avril au 14 octobre 2021. Il a allégué que les premières s’élevaient à CHF 189.48 et les secondes à ce montant divisé par deux, soit CHF 94.74. La défenderesse ayant effectivement versé des indemnités journalières complètes de CHF 189.48, il n’y a pas lieu de s’écarter de ces chiffres qu’elle ne conteste du reste pas.
Le montant de indemnités journalières restant dues s’élève à CHF 42'917.22, soit 135 indemnités journalières à CHF 189.48 du 1er décembre 2020 au 14 avril 2021 et 183 indemnités journalières du 15 avril au 14 octobre 2021.
Toutefois, le demandeur a conclu au versement de CHF 42'727.70. C’est au paiement de cette somme que la défenderesse sera condamnée, conformément au principe de disposition ancré à l’art. 58 al. 1 CPC, interdisant au juge de statuer ultra petita.
11. Le demandeur exige le versement d’intérêts à 5% l’an dès le 15 avril 2021, sans indiquer comment cette date, qui ne correspond pas à la date moyenne, a été déterminée.
11.1 En l'espèce, ni les CG ni les CC ne stipulent de terme pour l'exigibilité des indemnités journalières.
L'art. 41 al. 1 LCA dispose que la créance qui résulte du contrat est échue quatre semaines après le moment où l'assureur a reçu les renseignements de nature à lui permettre de se convaincre du bien-fondé de la prétention.
11.1.1 Les renseignements au sens de cette disposition visent des questions de fait, qui doivent permettre à l'assureur de se convaincre du bien-fondé de la prétention de l'assuré (arrêt du Tribunal fédéral 4A_489/2017 du 26 mars 2018 consid. 4.3).
Dans des cas où les assurances s’étaient fondées sur des expertises mises en œuvre par leur soin, dont les conclusions étaient contredites par les médecins traitants des assurés, le Tribunal fédéral a retenu que ce n’était pas à la date de réception du rapport d’expertise judiciaire seulement que ces assurances pouvaient se convaincre du droit aux prestations de leurs assurés respectifs, et en a conclu que les prestations étaient immédiatement exigibles (arrêts du Tribunal fédéral 4A_58/2019 du 13 janvier 2020 consid. 4.3 et 4A_307/2008 du 27 novembre 2008 consid. 6.3.2).
Si ce n’est qu’en cours de procédure, par exemple lors de l’audition d’un médecin, que l’assureur a reçu les renseignements lui permettant de se convaincre du bien-fondé d’une prétention, celle-ci devient exigible quatre semaines après l’audience, et les intérêts moratoires courent dès le jour suivant. En revanche, si une expertise judiciaire ne fait que corroborer les atteintes à la santé alléguées par le lésé, ce n’est pas le jour de la notification de l’expertise qui fait courir les intérêts moratoires, mais la première interpellation de l’assureur pour les prestations liées auxdites atteintes (Emilie CONTI MOREL in Commentaire romand, Loi sur le contrat d'assurance, 2022, nn. 39 et 40 ad art. 41 LCA).
11.1.2 L'écoulement du délai de quatre semaines prévu à l'art. 41 LCA ne suffit pas à considérer que le jour d'exécution est expiré, en l’absence de convention des parties, si bien qu’une interpellation est nécessaire (Marcel SÜSSKIND in Basler Kommentar, Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag [VVG], 2ème éd. 2023, nn. 31 et 32 ad art. 41 LCA). L’art. 102 al. 1 CO, qui prévoit que le débiteur d’une obligation exigible est mis en demeure par l’interpellation du créancier, est applicable par renvoi de l'art. 100 al. 1 LCA.
L’interpellation est la déclaration adressée par le créancier au débiteur par laquelle le premier fait comprendre au second qu’il réclame l’exécution sans retard de la prestation due. Le débiteur doit pouvoir comprendre que le retard sera désormais considéré comme une violation de son obligation, mais il n’est pas nécessaire que le créancier attire l’attention du débiteur sur les conséquences de la demeure, ni même qu’il les veuille. L’interpellation doit être claire et univoque, ce que le juge détermine par interprétation, le cas échéant selon le principe de la confiance. Le créancier doit en principe désigner l’obligation dont il réclame l’exécution. Lorsque l’obligation porte sur une somme d’argent, le créancier doit indiquer le montant qu’il réclame, ce qu’il peut faire par renvoi à une facture. L’interpellation n’est soumise à aucune forme, sous réserve des art. 16 CO et 20 LCA, non applicables en l’espèce. Elle peut être déclarée par écrit, oralement ou par acte concluant. Un débiteur peut valablement être interpellé avant même l’exigibilité de la créance. La demeure ne déploie toutefois ses effets qu’avec l’exigibilité (Luc THÉVENOZ in Commentaire romand, Code des obligations I, 3ème éd. 2021, nn. 17 et 19 ad art. 102 CO). Il n’est en revanche pas nécessaire que l’interpellation précise le montant exact requis, dès lors que ce montant est facilement déterminable, notamment sur la base de la police d’assurance et des conditions générales (Emilie CONTI MOREL, op. cit., n. 32 ad art. 41 LCA).
Il y a interpellation en cas de demande de paiement formulée par exemple en ces termes « je vous somme de […] » ou « j’exige […] », de même qu’en cas de demande sans équivoque telle que « jusqu’à quand devrons-nous attendre que vous fournissiez votre presation ». L’expression « il me serait agréable que […] » dans sa version allemande («es wäre mir angenehm wenn […] ») ne suffit en revanche pas. Une simple facture, sans mention d’un paiement immédiat exigé ou des conséquences d’un défaut de paiement, ne vaut pas interpellation, pas plus que la seule référence à l’exigibilité de la créance ou le fait d’invoquer une prétention par voie d’exception ou de compensation (Rolf WEBER / Susan EMMENEGGER, Berner Kommentar, 2ème éd. 2020, n. 68 ad art. 102 CO).
11.1.3 L'intérêt moratoire de 5% l'an (art. 104 al. 1 CO) est dû à partir du jour suivant celui où le débiteur a reçu l'interpellation, ou, en cas d'ouverture d'une action en justice, dès le lendemain du jour où la demande en justice a été notifiée au débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 5C.177/2005 du 25 février 2006 consid 6.1). Toutefois, lorsque l'assureur refuse définitivement, à tort, d'allouer des prestations, on admet, par analogie avec l'art. 108 ch. 1 CO, qu'une interpellation n'est pas nécessaire ; l'exigibilité et la demeure sont alors immédiatement réalisées (arrêt du Tribunal fédéral 4A_16/2017 du 8 mai 2017 consid. 3.1).
11.2 Au vu des similarités du cas d’espèce avec les situations tranchées par la jurisprudence et analysées par la doctrine citée, il y a lieu d’admettre que la défenderesse disposait des renseignements nécessaires pour le service des indemnités journalières dès le 1er décembre 2020.
Cela étant, il convient de déterminer si une interpellation a eu lieu pour déterminer le dies a quo des intérêts moratoires.
Par courrier à la défenderesse du 20 janvier 2021, le demandeur, par son mandataire, a contesté l’avis du Dr F______ et l’arrêt du versement des indemnités journalières, au vu de son incapacité de travail attestée par le Dr E______, et a requis que celle-ci rende une décision (sic). Dans un nouveau courrier à la défenderesse du 10 juin 2021, le demandeur lui a derechef communiqué qu’il maintenait « la contestation de [sa] décision ».
Si on peut inférer de ces courriers que le demandeur n’était pas d’accord avec la position de la défenderesse et considérait que les indemnités journalières restaient dues, force est de constater que ces correspondances ne valent pas interpellation ou mise en demeure, dès lors qu’elles n’exigent pas la reprise du versement des indemnités journalières.
Partant, à défaut d’interpellation, les intérêts commencent à courir le lendemain de la notification à la défenderesse de la demande en paiement, qui a eu lieu par courrier recommandé par la chambre de céans le lundi 28 novembre 2022, de sorte qu’on peut admettre qu’elle a été notifiée le lendemain, soit le 29 novembre 2022.
C’est ainsi dès le 30 novembre 2022 que les intérêts commencent à courir.
12. La demande est admise dans son intégralité s’agissant de l’objet principal, soit le versement des indemnités journalières.
12.1 L'art. 95 al. 3 let. b CPC prévoit que les dépens – inclus dans les frais selon l’alinéa premier de cette disposition – comprennent le défraiement d'un représentant professionnel. Le droit à une indemnité pour frais d'avocat découle ainsi du droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 4C_1/2011 du 3 mai 2011 consid. 6.2). Les cantons sont compétents pour fixer le tarif des frais comprenant les dépens (cf. art. 96 CPC).
12.2 À Genève, le règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC - E 1 05.10) détermine notamment le tarif des dépens, applicable aux affaires civiles contentieuses (art. 1 RTFMC). Son art. 84 dispose que le défraiement d'un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse. Sans effet sur les rapports contractuels entre l'avocat et son client, il est fixé d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé. L’art. 85 RTFMC dispose que pour les affaires pécuniaires, le défraiement prend pour base le tarif ci-dessous. Sans préjudice de l’art. 23 de la loi d’application du code civil [LaCC - E 1 05], il peut s'en écarter de plus ou moins 10% pour tenir compte des éléments rappelés à l’art. 84. Pour une valeur litigieuse entre CHF 40'000.- et CHF 80'000.-, le défraiement est de CHF 6'100.- plus 9% de la valeur litigieuse dépassant CHF 40'000.-.
Compte tenu de la valeur litigieuse de CHF 42'727.70, le montant des dépens est ainsi de CHF 6'345.50.
Cela étant, la cause ne présente pas de difficultés particulières. Le demandeur, après le dépôt de sa demande, n’a produit que de simples déterminations sur les allégués de la réponse de la défenderesse, et de très succinctes écritures relatives à la désignation de l’expert et au rapport de celui-ci. Une seule audience s’est tenue, relativement brève puisqu’aucun témoin n’a été entendu. Compte tenu de ces éléments, la chambre de céans fera usage de sa faculté de réduire les dépens réglementairement prévus de 10%, ce qui les abaisse à un montant arrondi de CHF 5'710.-
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 114 let. e CPC).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare la demande recevable.
Au fond :
2. L’admet.
3. Condamne la défenderesse à verser au demandeur la somme de CHF 42'727.70, avec intérêts à 5% dès le 30 novembre 2022.
4. Condamne la défenderesse à verser au demandeur une indemnité de dépens de CHF 5'710.-
5. Dit que la procédure est gratuite.
6. Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (Tribunal fédéral suisse, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14), sans égard à sa valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoqués comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Julia BARRY |
| La présidente
Catherine TAPPONNIER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) par le greffe le