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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1779/2023

ATAS/772/2024 du 08.10.2024 ( CHOMAG ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1779/2023 ATAS/772/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 octobre 2024

Chambre 15

 

En la cause

A______

représenté par Me Ninon PULVER, avocate

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE CHÔMAGE

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1965, a fondé la société B______ (ci-après : la société) en 2009. Il en était alors l’associé-gérant, avec pouvoir de signature individuelle. La société avait pour but l’organisation de pèlerinages.

b. Par contrat de travail du 1er novembre 2019, la société, alors représentée par Monsieur C______ en sa qualité de directeur général, a engagé l’assuré en tant que directeur commercial pour un salaire mensuel net de CHF 4'000.-.

c. Le 10 novembre 2020, l’inscription de l’assuré en tant qu’associé-gérant avec pouvoir de signature individuelle a été radiée du registre du commerce (ci-après : RC) au profit de C______, alors directeur général.

d. Par lettre du 30 juin 2022, le contrat de travail de l’assuré a été résilié par C______.

B. a. L’assuré s’est inscrit à l’Office cantonal de l’emploi, le 19 septembre 2022, en vue de retrouver un emploi à 100%, en précisant que son contrat de travail avait été résilié au mois de juin 2022 pour le 1er septembre 2022.

b. Le délai cadre d’indemnisation a été fixé du 19 septembre 2022 au 18 septembre 2024.

c. L’assuré a adressé à sa caisse de chômage, soit la caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après : CCGC) ses fiches de salaire pour les mois de septembre 2021 à août 2022 ainsi qu’un certificat de travail dans lequel il était indiqué qu’il avait été employé du 1er novembre 2020 au 20 juillet 2022.

d. Par décision du 14 février 2023, la CCGC a nié le droit au chômage de l’assuré au motif qu’il avait occupé une position dirigeante assimilable à celle d’un employeur au-delà de son licenciement et a sollicité la restitution de CHF 6'457.85 versés à titre d’indemnités pour la période du 19 septembre au 31 octobre 2022.

e. Sur opposition de l’assuré, la CCGC a maintenu sa décision le 19 avril 2023. La CCGC avait fait un contrôle interne et constaté que le numéro de portable privé et l’adresse email privée de l’assuré avaient figuré jusqu’en décembre 2022 sur le site internet de la société. Dans une demande en paiement dirigée contre la société, l’assuré apparaissait en tant que personne qui s’occupait de la gestion de la société en décembre 2022. C______ avait pour sa part une activité professionnelle à Fribourg sans lien avec l’activité de la société. Enfin, la contrepartie de la cession des parts de la société par l’assuré au reprenant n’avait pas été versée.

f. L’assuré a été réengagé au sein de la société par C______, le 2 avril 2023 pour un travail à mi-temps.

C. a. Par acte du 24 mai 2023, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre cette décision dont il demandait l’annulation.

b. Par lignes du 26 juin 2023, l’assuré a complété son recours en joignant une attestation de C______ à teneur de laquelle ce dernier a repris la société à la suite de sa vente par l’assuré. Il était le seul à l’avoir reprise, en était le seul administrateur, actionnaire et décisionnaire. L’assuré n’avait bénéficié que du statut d’employé et de responsable commercial. En raison du COVID et de la baisse drastique d’activité dans le secteur des pèlerinages, la société avait dû se séparer de l’assuré. Ce dernier n’avait dès lors plus exercé de participation ni apporté le moindre soutien à l’entreprise. À la suite de la reprise des activités et la réouverture des pèlerinages, la société avait pu réengager l’assuré à 50% dès le 2 avril 2023 compte tenu de son expertise et de sa connaissance du tourisme religieux.

c. Par acte du 18 juillet 2023, la CCGC a conclu au rejet du recours. Les relevés de comptes bancaires au moyen desquels l’assuré entendait démontrer la réalité de la vente de la société n’étaient d’aucune utilité puisque les crédits qui y étaient mentionnés ne provenaient pas de C______ et n’étaient pas destinés à l’assuré mais à la société. Les montants crédités portaient des mentions de ventes d’huiles et d’autres produits comestibles ou une « D______ » et ne correspondaient ainsi pas à la vente d’actions. Il existait des erreurs de date dans les documents établis par la société (date du début du contrat et date de résiliation). La position de l’assuré ressortait d’une demande en paiement d’un ex-employé de la société. Les coordonnées téléphoniques et de courriel privés de l’assuré figuraient sur les documents de la société qui avaient été remis à la CCGC et ce, même après la radiation de l’assuré du RC, radiation qui était intervenue alors que l’assuré s’était vu refuser des indemnités en cas de RHT à cause de sa position dirigeante. Il avait obtenu lesdites indemnités après sa radiation. Enfin, l’assuré avait été réengagé à mi-temps en avril 2023 ce qui démontrait que ses liens avec la société perduraient.

d. Le 22 août 2023, l’assuré a rétorqué que le prix de la vente des actions n’avait pas pu lui être entièrement payé par la société, en difficulté financière, et s’était en partie éteint par compensation. Lors du dépôt de la demande en paiement d’un employé, l’assuré était encore directeur commercial, raison pour laquelle il représentait la société. Le site internet n’avait pas été corrigé et mentionnait les coordonnées de l’assuré au-delà de son contrat, faute de personnel pour faire la correction. C______ avait certes une autre profession à Fribourg mais avait investi dans la société et occupait une position dirigeante. L’assuré avait été engagé comme directeur commercial pour cette même raison.

e. Les 12 septembre, 27 octobre, 12 décembre 2023 et 5 février 2024, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

f. Lors d’une audience d’enquêtes et de comparution personnelle des parties le 9 avril 2024, C______ a été entendu en tant que témoin. Il a exposé « qu’administrativement » il n’avait pas fondé B______ avec son ami A______, mais tous deux avaient eu ensemble l’idée de faire des voyages de ce type. Il lui était arrivé de donner des coups de main et de partir en voyage, comme des amis, avec A______. En 2020, il avait proposé à son ami de reprendre les actions de la société, parce que ce dernier voulait faire autre chose. Il avait suivi l’évolution de la société et savait que le secteur était porteur. Son ami avait accepté de lui céder ses parts d’une valeur de CHF 100'000.-. Il avait pris la société avec ses dettes (environ CHF 30'000.-) et souhaitait compenser une partie des parts acquises avec les dettes. Le témoin a ajouté avoir apporté CHF 10'000.- à la société en 2021. Par la suite, la société allait très mal et il avait convenu avec A______ de tout effacer. Il n’avait dès lors plus de dettes envers A______. Le témoin a indiqué qu’il travaillait toujours pour la société en assurant le suivi et en tentant de la « dégager de sa situation » en proposant des voyages. La situation avait beaucoup changé depuis le COVID et les relations avec les Saoudiens également. Les voyages étaient principalement proposés en Arabie Saoudite et désormais, il ne parvenait plus à vendre de voyages, car les Saoudiens avaient changé le système. Tout le monde pouvait se rendre en Arabie pour un pèlerinage sans passer par une agence. Le témoin a ajouté être seul aux commandes de la société et n’avoir aucun employé. S’agissant des versements faits par ses soins pour la société, il a expliqué avoir versé CHF 6'000.- le 6 janvier 2022 pour diversifier la société et s’être lancé dans l’importation d’oranges et de dattes ; CHF 5'000.- le 14 janvier 2022 et CHF 6'000.- le 10 mars 2021 avaient été versés pour le même motif. Il en allait de même des CHF 10'000.- du 18 février 2021. Il avait en outre injecté CHF 10'000.- le 4 mars 2021 et CHF 10'000.- le 16 février 2021 depuis Genève, dans le même objectif : l’importation de produits. Il avait décidé de le réengager en avril 2023 une fois que l’activité principale bloquée pouvait reprendre. Il avait besoin de son expérience. Il n’y avait cependant pas eu de réelle reprise et il avait dû résilier à nouveau le contrat au bout de deux-trois mois. Quant à la procédure initiée par un ex-employé devant le tribunal des prud’hommes genevois en 2022, il ne s’était pas rendu à l’audience de conciliation le 19 septembre 2022, A______ avait représenté la société, sans qu’il n’ait donné à celui-ci de procuration. À sa connaissance, il n’y avait pas eu d’accord et la procédure était en cours.

g. Par actes du 11 juin 2024, les parties se sont prononcées par écrit sur le résultat des enquêtes.

h. La cause a été gardée à juger le 26 juin 2024.


 

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision par laquelle l’intimée a nié le droit aux indemnités de chômage au recourant et a sollicité la restitution des prestations déjà versées, singulièrement sur la question de savoir si le recourant occupait une position assimilable à celle d’un employeur malgré son licenciement formel.

3.              

3.1 Dans un récent arrêt 8C_102/2024 du 9 juillet 2024, le Tribunal fédéral a rappelé que d’après la jurisprudence, un travailleur qui jouit d'une situation professionnelle comparable à celle d'un employeur n'a pas droit à l'indemnité de chômage lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue de fixer les décisions de l'employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante. Dans le cas contraire, en effet, on détournerait par le biais d'une disposition sur l'indemnité de chômage la réglementation en matière d'indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail, en particulier l'art. 31 al. 3 let. c LACI. Selon cette disposition, n'ont pas droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail, notamment, les personnes qui fixent les décisions que prend l'employeur - ou peuvent les influencer considérablement - en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigeant de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière à l'entreprise; il en va de même des conjoints de ces personnes, qui sont occupés dans l'entreprise. Le Tribunal fédéral a identifié un risque de contournement de la clause d'exclusion de l'art. 31 al. 3 let. c LACI lorsque, dans un contexte économique difficile, ces personnes procèdent à leur propre licenciement et revendiquent l'indemnité de chômage tout en conservant leurs liens avec l'entreprise. Dans une telle configuration, en effet, il est toujours possible pour elles de se faire réengager dans l'entreprise ultérieurement et d'en reprendre les activités dans le cadre de son but social. Ce n'est pas l'abus avéré comme tel que la loi et la jurisprudence entendent sanctionner, mais le risque d'abus que représente le versement d'indemnités à un travailleur jouissant d'une situation comparable à celle d'un employeur; il suffit qu'une continuité des activités soit possible pour que le droit doive être nié en raison d'un risque de contournement de la loi (ATF 123 V 234 consid. 7b/bb; arrêts du Tribunal fédéral 8C_108/2021 du 9 juillet 2021 consid. 3; 8C_384/2020 du 22 décembre 2020 consid. 3.1).

Selon la même jurisprudence, la situation est en revanche différente quand le salarié qui se trouve dans une position assimilable à celle de l'employeur quitte définitivement l'entreprise en raison de la fermeture de celle-ci. Il en va de même lorsque l'entreprise continue d'exister mais que le salarié, par suite de la résiliation de son contrat, rompt définitivement tout lien avec la société. Dans un cas comme dans l'autre, l'intéressé peut en principe prétendre à une indemnité de chômage. Cette jurisprudence est toutefois stricte. Elle exclut de considérer qu'un assuré a définitivement quitté son ancienne entreprise en raison de la fermeture de celle-ci tant que ladite entreprise n'est pas entrée en liquidation voire, selon les circonstances, pendant la durée de la procédure de liquidation (arrêt 8C_811/2019 du 12 novembre 2020 consid. 3.1.2 et l'arrêt cité).  

Lorsqu'il s'agit de déterminer quelle est la possibilité effective d'un dirigeant d'influencer le processus de décision de l'entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant dans l'entreprise, étant précisé que c'est la notion matérielle de l'organe dirigeant qui est déterminante, car c'est la seule façon de garantir que l'art. 31 al. 3 let. c LACI, qui vise à combattre les abus, remplisse son objectif. Le critère déterminant est celui de la capacité de l'assuré à influencer concrètement et de manière importante les décisions de la société. Il n'est en revanche pas nécessaire d'examiner les circonstances concrètes du cas d'espèce lorsque le pouvoir décisionnel du dirigeant ressort de la loi. Tel est le cas des membres du conseil d'administration d'une SA et des associés d'une Sàrl
(cf. art. 716 à 716b de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220] et art. 804 ss CO), pour qui le droit aux prestations peut dès lors être exclu sans qu'il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu'ils exercent au sein de la société (ATF 145 V 200 consid. 4.2; 122 V 270 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 8C_748/2022 du 21 août 2023 consid. 4.3; 8C_384/2020 précité consid. 3.1 in fine).  

4.             En l’espèce, le recourant a fondé la société qui l’employait jusqu’à son licenciement et sa demande d’indemnités de chômage. Il en a été l’associé-gérant, avec pouvoir de signature individuelle entre sa fondation en 2009 et le 10 novembre 2020, date de sa radiation du RC. Lorsqu’il a signé un contrat de travail en tant que directeur commercial daté du 1er novembre 2019, il était encore l’associé-gérant de sa propre société, bien que celle-ci avait alors été représentée par C______ en sa qualité de directeur général. Ce dernier a exposé être un ami du recourant et avoir proposé de reprendre les activités de la société en 2020 parce que son ami souhaitait faire autre chose. La société avait eu des difficultés financières en raison de l’arrêt des pèlerinages durant la pandémie et la reprise de cette activité n’avait pas été couronnée de succès, les pèlerins pouvant désormais se rendre en Arabie saoudite sans passer par des agences de voyage. Le témoin a expliqué être allé rechercher son ami en 2023, alors qu’il pensait que les affaires reprenaient, pour l’engager et pouvoir ainsi bénéficier de son expérience dans le domaine d’activité de la société et l’avoir à nouveau licencié faute de reprise. Le dossier démontre également que le recourant représentait la société au-delà de la radiation de son inscription au RC en particulier vis-à-vis d’un employé licencié et dans le cadre d’une procédure devant les prud’hommes. Les liens que le recourant a maintenu avec la société qu’il a fondée et avec l’ami auquel il a accepté de céder ladite société sans même obtenir le paiement de ses parts sociales, ainsi que son réengagement en avril 2023 sont suffisants pour considérer que le recourant a toujours conservé une position assimilable à un employeur.

La décision entreprise est ainsi conforme à la jurisprudence et doit être confirmée.

5.             Pour ces motifs, le recours est rejeté.

6.             Pour le surplus, la procédure est gratuite.

 

******


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le