Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/623/2024 du 19.08.2024 ( AI ) , ADMIS
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/2957/2021 ATAS/623/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 19 août Chambre 6 |
En la cause
A______ Représenté par Me Sarah BRAUNSCHMIDT SCHEIDEGGER, avocate
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recourant |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE |
intimé |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1962, originaire du Portugal, entré en Suisse en 2007, titulaire d’une autorisation d’établissement C, marié, a travaillé comme aide de cuisine, manœuvre et nettoyeur. Depuis le 1er juin 2015, il a exercé comme concierge à un taux de 100% pour la régie B______, pour un salaire mensuel en 2017 de CHF 5'500.- (x 13).
b. Dès le 19 décembre 2016, l’assuré a été en incapacité totale de travail.
B. a. Le 9 août 2017, l’assuré a déposé une demande de prestations d’invalidité.
b. Le 23 août 2017, la docteure C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a attesté d’une gonarthrose gauche ayant nécessité la pose d’une prothèse le 20 janvier 2017, avec des douleurs persistantes et un hématome. La capacité de travail était de 100% dans une activité adaptée.
c. Le 4 septembre 2017, le docteur D______, spécialiste FMH en médecine physique et réadaptation, a indiqué que l’évolution était lentement favorable, avec persistance de douleurs.
d. L’assuré a été opéré le 1er décembre 2017 par resurfaçage de la rotule gauche.
e. L’office de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI) a décidé de prendre en charge une mesure d’intervention précoce sous la forme d’un cours de formation d’agent de sécurité et surveillance en février 2018, que l’assuré n’a pas suivi.
f. Le 16 mars 2018, la Dre C______ a mentionné des douleurs importantes et une raideur du genou depuis l’opération du 20 janvier 2017.
g. Le 22 mai 2018, le docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a attesté d’une dysthymie non incapacitante.
h. Le 28 août 2018, le service médical régional de l’assurance-invalidité (ci‑après : SMR) a estimé que la capacité de travail de l’assuré était nulle comme concierge et de 100% dans une activité adaptée dès le 1er avril 2018 (4 mois après l’intervention du 1er décembre 2017).
i. Le 30 août 2018, l’assuré a été opéré du genou gauche (changement de prothèse).
j. Le 20 janvier 2019, le Dr E______ a indiqué qu’il n’y avait pas de limitations fonctionnelles psychiatriques, l’assuré était stabilisé sur le plan de l’humeur.
k. Les 16 avril, 6 juin et 18 octobre 2019, la consultation team genou des hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) a mentionné des gonalgies gauches persistantes et une incapacité de travail totale comme concierge.
l. L’assuré a bénéficié d’une orientation professionnelle.
m. Le 29 octobre 2019, la Fondation IPT a rendu un rapport, en indiquant que malgré la bonne volonté de l’assuré, les mesures avaient dû être interrompues ; sa santé, non stabilisée, ne lui permettait pas de se projeter vers un retour à l’emploi.
n. Le 13 novembre 2019, le docteur F______, spécialiste FMH en médecine interne générale, du centre médical de Vernier, a attesté d’une aggravation des douleurs depuis septembre 2019.
o. Le 24 novembre 2019, le Dr E______ a indiqué qu’un désespoir s’était installé avec l’absence d’amélioration somatique, avec une sensation de frustration et d’impuissance, parfois des idées suicidaires sur un fond d’auto dévalorisation.
p. Les 19 et 23 mars 2020, les docteurs G______, médecin adjoint, et H______, médecin chef de clinique au service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur des HUG, ont écarté une infection de prothèse et un descellement de celle-ci.
q. Du 30 septembre au 29 octobre 2020, l’assuré a séjourné, à la demande de son psychiatre traitant, à la clinique genevoise de Montana pour un diagnostic de trouble dépressif.
r. Le 12 novembre 2020, l’OAI a informé l’assuré qu’il ordonnait une expertise orthopédique et psychiatrique auprès des docteurs I______, spécialiste FHM en orthopédie, et J______, spécialiste FMH en psychiatrie.
s. Le 1er février 2021, le K______ (ci-après : K______) a rendu son rapport d’expertise après examen de l’assuré le 18 décembre 2020.
Du point de vue somatique, la situation était quasiment stabilisée, avec persistance de douleurs et de limitations fonctionnelles, avec une amyotrophie du membre inférieur gauche. Une activité de nettoyeur, concierge, manœuvre ou aide de cuisine n’était plus exigible mais, dans une activité adaptée, la capacité de travail était de 80% (activité en position demi-assise, sans déplacement trop fréquent, surtout sur des sols irréguliers, sans devoir monter ou descendre des escaliers ainsi que des échelles et sans port de charges supérieures à 10 kg).
Du point de vue psychique, l’assuré n’avait jamais été hospitalisé en milieu psychiatrique ; il présentait des diagnostics non incapacitants d’épisode dépressif moyen sur syndrome somatique, d’anxiété généralisée et de majoration des symptômes physiques pour des raisons psychologiques ; il avait une posture d’invalide et était démonstratif et histrionique.
t. Le 8 février 2021, le SMR a estimé que l’expertise était probante et que l’assuré présentait une capacité de travail nulle dans toute activité dès le 16 décembre 2016 et de 80% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles dès le 1er décembre 2020.
u. Le 3 mars 2021, l’assuré a été reçu dans le cadre d’un entretien de la réadaptation professionnelle. Il est mentionné qu’il était visiblement très déprimé (en pleurs durant l’entretien) et qu’une mesure professionnelle n’était pas indiquée.
v. Le 17 mars 2021, l’OAI a fixé le degré d’invalidité de l’assuré à 40% dès le 1er décembre 2020 sur la base d’un revenu sans invalidité de CHF 72'454.- et d’un revenu d’invalide de CHF 43'735.- (selon l’ESS 2018, TA1, homme, total, niveau 1, pour 41,7h de travail par semaine, à un taux de 80%, avec une déduction de 20%, indexé à l’année 2020).
w. Par projet de décision du 29 mars 2021, l’OAI a alloué à l’assuré une rente entière d’invalidité dès le 1er février 2018 et un quart de rente d’invalidité dès le 1er avril 2021.
x. Par décision du 8 juillet 2021, l’OAI a alloué à l’assuré les rentes précitées.
C. a. Par acte du 8 septembre 2021, complété le 22 novembre 2021, l’assuré, représenté par une avocate, a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice à l’encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité au-delà du 28 février 2021, en contestant la valeur probante de l’expertise du K______. Il a conclu à l’ordonnance d’une expertise judiciaire orthopédique, neurologique et psychiatrique et relevé que son droit d’être entendu avait été violé, son avocate n’ayant, à tort, pas été informée de l’expertise du K______.
b. Le 18 janvier 2022, l’OAI a conclu au rejet du recours, l’expertise du K______ étant probante.
c. Le 17 mars 2022, l’assuré a répliqué, en relevant qu’il avait subi une nouvelle opération du genou en décembre 2021. Il a aussi produit un rapport médical du docteur L______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, du 4 février 2022, mentionnant un suivi depuis novembre 2021 et un diagnostic d’épisode dépressif sévère sans symptôme psychotique, totalement incapacitant.
d. Le 31 mars 2022, le SMR a estimé que l’assuré avait présenté une possible aggravation de son état de santé psychique dès novembre 2021, postérieure à la décision litigieuse.
e. Le 13 avril 2022, l’OAI s’est rallié à l’avis du SMR.
f. Le 5 mai 2022, l’assuré a produit des pièces médicales :
· un rapport du département de chirurgie des HUG du 17 décembre 2021, mentionnant des douleurs antérieures du tibia gauche pouvant être en relation avec les vis fixant la TTA ;
· un compte rendu opératoire des HUG, attestant d’une ablation des vis d’ostéotomie de la TTA du genou gauche le 23 décembre 2021 ;
· deux rapports du département de chirurgie des HUG des 17 février et 17 mars 2022, mentionnant qu’il n’y avait aucune amélioration des douleurs et qu’une ponction du genou et un spect-CT étaient envisagés pour rechercher un éventuel descellement de prothèse et infection ;
· un rapport de Monsieur M______, physiothérapeute, du 9 mars 2022, attestant de douleurs chez l’assuré et de limitations fonctionnelles du genou ;
· un rapport du 31 mars 2022 du Dr G______, attestant d’une capacité de travail nulle de l’assuré.
g. Le 23 mai 2022, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle.
h. Le 7 juin 2022, l’assuré a produit :
· un rapport du 12 mai 2022 du Dr G______, selon lequel l’assuré présentait une capacité de travail nulle depuis le 20 août 2018, tant comme nettoyeur ou concierge que dans un travail adapté, en raison de douleurs persistantes, d’une difficulté à marcher, emprunter des escaliers, porter des charges et de l’utilisation de cannes anglaises pour tous les déplacements ;
· un rapport de polysomnographie du 19 avril 2022 du docteur N______, spécialiste FMH en pneumologie, attestant d’un syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAOS) sévère, pour lequel la mise en place d’un traitement (pression positive continue) était recommandé.
i. Le 30 juin 2022, l’assuré a produit un rapport des Drs G______ et O______, spécialiste FMH en médecine interne, du 11 mai 2022, mentionnant que l’intervention chirurgicale de décembre 2021 n’avait pas permis d’améliorer la symptomatologie douloureuse, qu’une composante infectieuse pouvait être exclue, tout comme un descellement de l’embase tibiale et qu’aucun geste chirurgical n’était retenu.
j. Le 14 juillet 2022, le SMR a estimé que la mobilité articulaire du genou gauche était diminuée postérieurement à l’expertise du K______ ; quant au rapport du Dr G______, il n’apportait aucun élément médical nouveau et le diagnostic de SAOS n’était pas incapacitant et survenu postérieurement à la décision litigieuse.
k. Le 25 juillet 2022, l’OAI s’est rallié à l’avis du SMR précité.
l. Par ordonnance du 16 novembre 2022, la chambre de céans a confié une expertise judiciaire bidisciplinaire aux docteurs P______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, et Q______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Elle a considéré ce qui suit :
S’agissant de l’aspect psychiatrique, le Dr J______ a posé, notamment, un diagnostic de majoration des symptômes physiques pour des raisons psychologiques et a estimé que le recourant, démonstratif, était histrionique, dans une posture d’invalide, et « érotise le morbide » ; le Dr J______ n’étaye cependant pas ses constatations, lesquelles ne sont pas convaincantes, en présence d’un recourant victime d’une atteinte somatique reconnue comme étant, à tout le moins partiellement, incapacitante et justifiant déjà l’octroi d’un quart de rente d’invalidité. Par ailleurs, le Dr J______ résume une journée-type du recourant, selon laquelle celui-ci ne fait plus rien, hormis deux promenades de 10 minutes par jour, de la lecture et, à une occasion en janvier 2020, une semaine de vacances au Portugal, de surcroit recommandée par son psychiatre traitant. Malgré cette description, que l’expert ne met pas en doute, il estime qu’il n’existe pas de réduction uniforme des activités du recourant dans tous les domaines de l’existence, ce qui n’est pas convaincant. Enfin, le Dr J______ pose les diagnostics d’épisode dépressif moyen sans syndrome somatique et d’anxiété généralisée, en niant toute limitation fonctionnelle en lien avec ces deux diagnostics, le recourant étant ainsi reconnu totalement capable de travailler dans toute activité, ce qui n’est pas non plus cohérent ni convaincant. Au vu des rapports médicaux des psychiatres traitants, lesquels ont considéré que le recourant présentait des moments de fort désespoir avec des idées suicidaires, sur fond de dévalorisation (rapport du Dr E______ du 24 novembre 2019) et un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques, totalement incapacitant (rapport du Dr L______ du 4 février 2022), une investigation psychiatrique complémentaire s’avère nécessaire, par le biais d’une expertise judiciaire psychiatrique, laquelle sera confiée au Dr Q______.
S’agissant de l’aspect somatique, le Dr G______ a contesté les conclusions du Dr I______, en considérant que les douleurs persistantes et les difficultés à se déplacer (le recourant étant tributaire de cannes anglaises) entrainaient une incapacité de travail totale, dans toute activités, depuis le début de son suivi en 2018. Le Dr I______ a retenu une diminution de la capacité de travail du recourant à 80%, dans une activité adaptée (semi-assise, sans déplacement trop fréquent, surtout sur des sols irréguliers, sans emprunter d’escaliers, d’échelles et sans port de charges supérieures à 10 kg), en raison de la nécessité par le recourant de reposer son genou. En particulier, l’impact des douleurs sur la capacité de travail du recourant n’a pas été analysée, alors même qu’elles sont retenues par le Dr I______ dans les diagnostics incapacitants (douleurs et limitation fonctionnelle perdurant sur probable récidive d’une arthrose-fibrose du genou gauche). Le rapport du Dr I______ ne saurait, dans ces conditions, se voir reconnaitre une pleine valeur probante, de sorte qu’une instruction médicale somatique complémentaire s’avère nécessaire.
m. Le 20 février 2024, le Dr P______ a rendu son rapport d’expertise, fondé sur des examens des 5 mai 2023 et 9 janvier 2024, concluant à des diagnostics de : gonarthrose post-traumatique unilatérale gauche (suite à la lésion du ligament croisé antérieur en 1973) depuis 2014, infection et réaction inflammatoire dues à une prothèse articulaire interne (douleurs, limitation fonctionnelle) depuis le 21 janvier 2017, complication d’une prothèse orthopédique sans précision (douleurs, limitation fonctionnelle) depuis le 21 janvier 2017, gonarthrose droite (douleurs et limitation fonctionnelle) symptomatique depuis fin 2022 - début 2023 et lombalgie basse (douleurs et limitation fonctionnelle) depuis début 2023.
La capacité de travail était nulle comme concierge depuis janvier 2017 et nulle dans une activité adaptée depuis début 2022.
Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : la position debout même de courte durée, la marche qui n’est pas seulement limitée en terrain accidenté mais également en terrain plat à quelques centaines de mètres, toutes montées ou descentes que ce soit de pentes ou d’escaliers et même la position assise prolongée que l’assuré n’arrivait plus à tolérer plus que 5 à 10 minutes en position immobile, après quoi il doit changer de position.
n. Le 29 février 2024, le Dr Q______ a rendu son rapport d’expertise fondé sur un examen de janvier/février et mars 2023, concluant à la présence d’un épisode dépressif majeur avec syndrome somatique, actuellement de gravité moyenne à sévère, et des traits de personnalité accentuée de type anancastiques. Contrairement au Dr J______, il a exclu une majoration des symptômes physiques pour des raisons psychiatriques.
La capacité de travail était limitée à 50% depuis novembre 2019.
De façon consensuelle, les experts ont reconnu une incapacité de travail totale dans toute activité depuis février 2017.
o. Le 8 avril 2024, le recourant a estimé que les conclusions des experts judiciaires étaient probantes et qu’il était totalement incapable de travailler depuis janvier 2017.
p. Le 8 avril 2024, le SMR a estimé que sur le plan somatique, l’état de santé du recourant s’était nettement aggravé depuis le 23 décembre 2021 et l’incapacité de travail était totale depuis lors. L’expertise psychiatrique était probante, de sorte que la capacité de travail était de 50% dans une activité adaptée dès le 1er décembre 2020 (et non de 80%) et nulle dès le 23 décembre 2021.
q. Le 8 avril 2024, l’OAI s’est rallié à l’appréciation précitée du SMR.
r. Le 23 mai 2024, l’OAI, à la demande de la chambre de céans, s’est prononcé sur le droit du recourant à une rente d’invalidité. Le degré d’invalidité était de 58%, ce qui ouvrait le droit à une demi-rente d’invalidité dès le 1er mars 2021.
s. Le 19 juin 2024, le recourant a observé que les experts avaient conclu à une incapacité de travail totale depuis février 2017, de sorte qu’il avait droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er février 2018.
t. Le 19 juillet 2024, l’OAI a indiqué que l’appréciation consensuelle des experts ne pouvait être suivie car c’était à tort que l’expert orthopédique estimait qu’il n’existait pas d’activité adaptée. Il a maintenu ses conclusions.
u. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connait, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705). En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).
En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.
1.3 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).
Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.
2. Le litige porte sur le droit du recourant à une rente entière d’invalidité, au-delà du 28 février 2021, étant relevé que l’intimé a admis, en cours de procédure, un droit du recourant à une demi-rente d’invalidité en lieu et place d’un quart de rente d’invalidité dès le 1er mars 2021.
3.
3.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).
En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.
Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).
3.2 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entrainer une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).
La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; 130 V 396 consid. 5.3 et 6).
Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).
Le Tribunal fédéral a en revanche maintenu, voire renforcé la portée des motifs d'exclusion définis dans l'ATF 131 V 49, aux termes desquels il y a lieu de conclure à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit aux prestations d'assurance, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, et ce même si les caractéristiques d'un trouble au sens de la classification sont réalisées. Des indices d'une telle exagération apparaissent notamment en cas de discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psycho-social intact (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 et 2.2.2 ; 132 V 65 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_16/2016 du 14 juin 2016 consid. 3.2).
3.3
3.3.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).
3.3.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).
Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.
3.3.3 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).
3.3.4 Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).
3.4 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).
4. En l’occurrence, dans la décision attaquée, l’intimé a retenu une capacité de travail du recourant nulle dans toute activité dès le 16 décembre 2016 et de 80% dans une activité adaptée à son état de santé dès le 1er décembre 2020 ; le degré d’invalidité était de 100% dès le 1er décembre 2017 et de 40% dès le 1er décembre 2020, de sorte que le recourant avait droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er février 2018 (sa demande étant tardive) et à un quart de rente d’invalidité dès le 1er mars 2021.
Après avoir pris connaissance du rapport d’expertise judiciaire bidisciplinaire, l’intimé a modifié son appréciation et retenu une capacité de travail du recourant dès le 1er décembre 2020, de 50% dans une activité adaptée et nulle dès le 23 décembre 2021. Le degré d’invalidité était, dès le 1er décembre 2020, de 58%, de sorte que le recourant avait droit à une demi-rente d’invalidité dès le 1er mars 2021.
Quant au recourant, il estime avoir droit, dès le 1er février 2018, à une rente entière d’invalidité, dès lors que l’expertise judiciaire a conclu à une capacité de travail nulle dès janvier 2017.
4.1 Le rapport d’expertise judiciaire bidisciplinaire, y compris l’appréciation consensuelle des experts, fondé sur les pièces du dossier, comprenant une anamnèse complète, la description des plaintes du recourant, des diagnostics et limitations fonctionnelles clairs et une motivation convaincante, répond aux réquisits jurisprudentiels précités pour qu’il lui soit reconnu une pleine valeur probante.
Il est admis par les parties que le recourant présente une capacité de travail nulle dans toute activité depuis le 16 décembre 2016 jusqu’au 30 novembre 2020 et dès le 23 décembre 2021. Reste litigieuse la période du 1er décembre 2020 au 22 décembre 2021, singulièrement celle - pertinente dans le cadre de la présente procédure - du 1er décembre 2020 au jour de la décision litigieuse, le 8 juillet 2021.
4.1.1 L’expert psychiatre conclut à une capacité de travail du recourant réduite à un taux de 50% depuis novembre 2019. L’intimé, en se ralliant à l’avis du SMR du 8 avril 2014, a considéré que les conclusions de l’expert étaient convaincantes, ce qui peut être confirmé.
4.1.2 L’expert orthopédique a conclu à une activité du recourant adaptée aux limitations fonctionnelles possible en théorie mais pas en pratique, car l’activité adaptée devait être exercée en position couchée, le recourant n’étant pas à même de travailler en position assise plus de 5 à 10 minutes, devant ensuite changer de position. Il retient que l’état de santé du recourant s’est détérioré entre l’expertise du 1er février 2021 et son propre examen du 5 mai 2023 et que la capacité de travail de celui-ci était probablement nulle depuis janvier 2022.
Cette appréciation a été confirmée par le SMR, lequel retient une aggravation de l’état de santé du recourant depuis l’intervention chirurgicale du 23 décembre 2021 entrainant une incapacité de travail totale depuis cette date. Cette appréciation peut également être confirmée.
4.1.3 Dans leur appréciation consensuelle, les experts rappellent que, du point de vue orthopédique, la capacité de travail est nulle dans toute activité depuis janvier 2022 et de 50% du point de vue psychiatrique depuis novembre 2019. Ils considèrent cependant qu’au vu du cumul de l’atteinte psychique et de l’atteinte physique, laquelle allait en se péjorant, l’incapacité de travail était probablement totale depuis novembre 2019. Cette conclusion, motivée par l’interaction entre les diagnostics somatiques et psychiques et résultant d’un échange consensuel entre les experts, est convaincante.
Le SMR ne s’est d’ailleurs pas prononcé sur cette appréciation consensuelle. L’intimé a cependant considéré (dans sa dernière écriture du 19 juillet 2024) qu’elle ne se fondait pas sur des éléments somatiques concrets objectivables. Cette critique ne permet toutefois pas de mettre en cause l’appréciation consensuelle des experts, dès lors que l’intimé ne se prononce pas sur l’interaction des diagnostics existant depuis novembre 2019, lesquels justifient, selon les experts, l’absence d’exigibilité de toute activité. Ainsi, contrairement à la position de l’intimé, lequel retient que le recourant présentait, au 1er décembre 2020, une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée, l’incapacité de travail totale perdure à cette date.
4.2 Au demeurant, les conclusions de l’expertise judiciaire bidisciplinaire peuvent être suivies et le recourant doit être considéré comme incapable de travailler dans toute activité depuis le 16 décembre 2016.
Partant, il a droit à une rente entière d’invalidité depuis le 1er février 2018.
5. Le recours sera admis et la décision litigieuse réformée dans le sens précité.
Pour le surplus, le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 4'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).
Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet.
3. Réforme la décision de l’intimé du 8 juillet 2021 dans le sens que le recourant a droit à une rente entière d’invalidité depuis le 16 décembre 2016.
4. Alloue une indemnité au recourant de CHF 4'000.- à charge de l’intimé.
5. Met un émolument de CHF 200.- à charge de l’intimé.
6. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Adriana MALANGA |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le