Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1394/2024

ATAS/641/2024 du 21.08.2024 ( CHOMAG ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1394/2024 ATAS/641/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 août 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

 

 

recourante

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE CHÔMAGE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée, l'intéressée ou la recourante), née le ______ 1988, s’est inscrite à l’office régional de l’emploi (ci-après : l'ORP) le 2 janvier 2023 et a requis dès cette date l’indemnité de chômage auprès de la caisse cantonale genevoise de chômage (ci‑après : la caisse ou l'intimée).

b. Dans sa demande d'indemnités, l'assurée a indiqué avoir travaillé depuis le 1er novembre 2021 pour l'entreprise B______ et avoir été licenciée le 24 novembre 2022, pour le 31 décembre 2022, pour des raisons économiques.

À l'appui de sa demande, elle produisait notamment son dernier contrat de travail dont il ressortait que l'entreprise B______ appartenait à Monsieur C______, conjoint de l'assurée.

B. a. Par décision du 25 janvier 2024, la caisse a refusé la demande d'indemnisation de l'assurée au motif que cette dernière avait été l'employée de son conjoint, lequel l'avait licenciée pour des raisons économiques. Il existait ainsi un risque que l'intéressée consacre une partie de son temps à l'entreprise familiale afin de la sauvegarder. Aussi, son temps de présence sur son lieu de travail et sa perte de travail étaient incontrôlables et ne pouvaient pas être déterminés.

b. Le 19 février 2024, l'assurée a formé opposition contre cette décision. Elle était officiellement séparée de son mari depuis le 13 mai 2017 – comme en attestait son jugement de séparation qu'elle joignait à son courrier d'opposition – et une requête de divorce serait prochainement déposée. Dans la mesure où ils ne formaient plus une famille, il n'existait aucun risque qu'elle consacre une partie de son temps à l'entreprise familiale. Elle sollicitait donc un réexamen de sa demande d'indemnités.

c. Par décision du 12 mars 2024, la caisse a rejeté l'opposition de l'assurée. Cette dernière demeurait au 2 janvier 2023 dans une position de conjointe de son ancien employeur et ne remplissait de facto pas les conditions du droit à l'indemnité.

C. a. Par acte du 25 avril 2024, l'assurée a recouru par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) contre cette décision, concluant à son annulation et à la reconnaissance de son droit à l'indemnité de chômage. Elle était séparée de son conjoint et n'exerçait aucune influence décisionnelle au sein de son entreprise.

b. Dans sa réponse du 23 mai 2024, l'intimée a conclu au rejet du recours. La recourante n'apportait aucun élément nouveau qui lui permettait de revoir sa position.

c. La recourante n'a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2  À teneur de l’art. 1 al. 1 LACI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-chômage obligatoire et à l’indemnité en cas d’insolvabilité, à moins que la LACI n’y déroge expressément.

1.3 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais du 7e jour avant Pâques au 7e jour après Pâques inclusivement (art. 38 al. 4 let. a LPGA et art. 89C let. a LPA), le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur la négation par l'intimée du droit à l'indemnité de chômage de la recourante, en raison de sa position d'employée de son conjoint lors de son dernier emploi.

3.             L'art. 8 LACI énumère les conditions d'octroi de l'indemnité de chômage. Conformément à l'alinéa 1 de cette disposition, l'assuré doit, pour bénéficier de cette prestation – prévue par l'art. 7 al. 2 let. a LACI –, être sans emploi ou partiellement sans emploi (let. a), avoir subi une perte de travail à prendre en considération (let. b), être domicilié en Suisse (let. c), avoir achevé sa scolarité obligatoire et n'avoir pas encore atteint l'âge donnant droit à une rente AVS et ne pas toucher de rente de vieillesse de l'AVS (let. d), remplir les conditions relatives à la période de cotisation ou en être libéré (let. e), être apte au placement (let. f) et satisfaire aux exigences de contrôle (let. g).

Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 215 consid. 2). Elles sont précisées par plusieurs dispositions de la LACI et de l'ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 31 août 1983 (OACI – RS 837.02), ainsi que – dans les limites d'admissibilité de telles directives administratives (ATF 144 V 202 ; 144 V 195 ; ATAS/1191/2014 du 18 novembre 2014 consid. 4 et doctrine et jurisprudence citées) – par les instructions édictées par le Secrétariat d'État à l'économie (ci-après : le SECO) en sa qualité d'autorité de surveillance de l'assurance-chômage chargée d'assurer une application uniforme du droit (art. 110 LACI), notamment par le biais du Bulletin relatif à l'indemnité de chômage (Bulletin LACI IC).

4.              

4.1 L'art. 31 al. 3 LACI prévoit que n'ont pas droit à l'indemnité : les travailleurs dont la réduction de l'horaire de travail ne peut être déterminée ou dont l'horaire de travail n'est pas suffisamment contrôlable (let. a) ; le conjoint de l'employeur, occupé dans l'entreprise de celui-ci (let. b) ; les personnes qui fixent les décisions que prend l'employeur - ou peuvent les influencer considérablement - en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigeant de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière à l'entreprise ; il en va de même des conjoints de ces personnes, qui sont occupés dans l'entreprise (let. c).

4.2 Cette disposition vise à éviter les abus sous forme d'établissement par l'assuré lui-même des attestations nécessaires pour l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail, d'attestations de complaisance, d'influence sur la décision de réduire l'horaire de travail alors qu'il est impossible de contrôler la perte de travail (ATF 122 V 270 consid. 3). Lorsque la caisse de chômage statue pour la première fois sur le droit à l'indemnité d'un chômeur, elle émet un pronostic quant à la réalisation des conditions prévues par l'art. 8 LACI. Aussi longtemps qu'une personne occupant une fonction dirigeante maintient des liens avec sa société, non seulement la perte de travail qu'elle subit est incontrôlable, mais la possibilité subsiste qu'elle décide d'en poursuivre le but social. Dans un tel cas de figure, il est donc impossible de déterminer si les conditions légales sont réunies, sauf à procéder à un examen a posteriori de l'ensemble de la situation de l'intéressé, ce qui est contraire au principe selon lequel cet examen a lieu au moment où la caisse de chômage statue sur les droits de l'assuré. Au demeurant, ce n'est pas l'abus avéré comme tel que la loi et la jurisprudence entendent sanctionner ici, mais le risque d'abus que représente le versement d'indemnités à un travailleur jouissant d'une situation comparable à celle d'un employeur (arrêt du Tribunal fédéral 8C_231/2012 du 16 août 2012 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral C 141/03 du 9 décembre 2003 consid. 4 et les références).

Bien que l'art. 31 al. 3 LACI vise l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail, l'exclusion du droit qu'elle prévoit s'applique également à l'indemnité de chômage. En effet, un travailleur qui jouit d'une situation professionnelle comparable à celle d'un employeur n'a pas droit à l'indemnité de chômage lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue de fixer les décisions de l'employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante (ATF 123 V 234 consid. 7b/bb).

4.3 Dans plusieurs arrêts, le Tribunal fédéral a rappelé que pour des raisons de conflits d'intérêts évidents, la loi exclut du cercle des bénéficiaires de l'indemnité en cas de réduction de travail les personnes qui occupent dans l'entreprise une position dirigeante leur permettant de déterminer eux-mêmes l'ampleur de la diminution de leur activité (cf. art. 31 al. 3 let. c LACI). Il en va de même des conjoints de ces personnes, qui travaillent dans l'entreprise. Dans l'ATF 123 V 234, notre Haute Cour a identifié un risque de contournement de cette clause d'exclusion lorsque dans un contexte économique difficile, ces mêmes personnes procèdent à leur propre licenciement et revendiquent l'indemnité de chômage tout en conservant leurs liens avec l'entreprise. Dans une telle configuration, en effet, il est toujours possible pour elles de se faire réengager dans l'entreprise ultérieurement et d'en reprendre les activités dans le cadre de son but social. La même chose vaut pour le conjoint de la personne qui se trouve dans une position assimilable à un employeur lorsque, bien que licencié par ladite entreprise, il conserve des liens avec celle-ci au travers de sa situation de conjoint d'un dirigeant d'entreprise. Cette possibilité d'un réengagement dans l'entreprise - même si elle est seulement hypothétique et qu'elle découle d'une pure situation de fait - justifie la négation du droit à l'indemnité de chômage. Ce droit peut toutefois être reconnu lorsque le dirigeant démontre qu'il a coupé tous les liens qu'il entretenait avec l'entreprise (en raison de la fermeture de celle-ci ou en cas de démission de la fonction dirigeante) ou, s'agissant du conjoint licencié, lorsque celui-ci a travaillé dans une autre entreprise que celle dans laquelle son mari ou sa femme occupe une position assimilable à un employeur. Bien que cette jurisprudence puisse paraître très sévère, il y a lieu de garder à l'esprit que l'assurance-chômage n'a pas pour vocation à indemniser la perte ou les fluctuations de gain liées à une activité indépendante mais uniquement la perte de travail, déterminable et contrôlable, du travailleur ayant un simple statut de salarié qui, à la différence de celui occupant une position décisionnelle, n'a pas le pouvoir d'influencer la perte de travail qu'il subit et pour laquelle il demande l'indemnité de chômage (arrêt du Tribunal fédéral 8C_574/2017 du 4 septembre 2018 consid. 5.1).  

Dans l'ATF 142 V 263, le Tribunal fédéral a jugé que les prestations de l'assurance-chômage n'étaient pas dues jusqu'au prononcé du divorce, indépendamment du point de savoir si et depuis combien de temps les conjoints vivaient séparés de fait ou de droit ou si des mesures de protection de l'union conjugale avaient été ordonnées, car il existait un risque d'abus (eu égard aux intérêts économiques des conjoints). Dans les considérants de cet arrêt publié (cf. en particulier consid. 4.1 et 5.2), le Tribunal fédéral a souligné qu'il n'était pas justifié de traiter différemment les personnes assimilées à un employeur et leurs conjoints, selon qu'ils réclamaient une indemnité de chômage, une indemnité en cas de réduction de travail ou en cas d'insolvabilité - le risque d'abus étant le même pour les trois types de prestations - et que l'exclusion devait être comprise de manière absolue. Il ne se justifiait donc pas d'accorder des prestations aux personnes concernées sous certaines conditions dans des cas individuels. En outre, l'exclusion du droit aux prestations de chômage n'était pas fondée sur des abus réels et prouvés, mais sur le risque d'abus inhérent à la position des personnes employées dans l'entreprise de leur conjoint (ATF 142 V 263 consid. 5.3).  

5.             On relèvera encore que selon les directives du SECO, la personne travaillant dans une entreprise dans laquelle son conjoint occupe une position assimilable à celle d'un employeur n’a pas droit à l’indemnité de chômage (Bulletin LACI B21). La personne qui, durant son délai-cadre d'indemnisation, prend une activité dans l'entreprise de son conjoint, a droit à l’indemnité de chômage dans ce délai-cadre aussitôt qu'elle cesse cette activité. En revanche, dans un délai-cadre consécutif, elle n'a droit à l’indemnité de chômage que si elle a exercé une activité salariée durant au moins six mois après avoir quitté l'entreprise de son conjoint ou qu'elle a acquis une période de cotisation minimale de douze mois hors de l'entreprise du conjoint (Bulletin LACI B22). Il n’existe de droit à l’indemnité de chômage qu’à partir de la date à laquelle le divorce ou la dissolution du partenariat enregistré sont prononcés. La volonté n’est définitive et les parties ne sont définitivement séparées financièrement qu’à partir du jugement de divorce (Bulletin LACI B23).

Un assuré occupant une position assimilable à celle d’un employeur n’a pas droit non plus à l’indemnité de chômage s’il n’a travaillé que brièvement comme salarié dans une tierce entreprise. Si l’assuré continue à occuper une position assimilable à celle d’un employeur dans l’entreprise A et demande l’indemnité pour la perte d’une activité salariée dans l’entreprise B, il n’a droit à l’indemnité de chômage que si cette dernière activité était soumise à cotisation et qu’il l’a exercée au moins pendant six mois et qu'il justifie de la période de cotisation minimale de 12 mois (Bulletin LACI B30). La personne qui a quitté l’entreprise que sa ou son conjoint continue à diriger n’a droit à l’indemnité de chômage que si elle a exercé une activité soumise à cotisation pendant six mois au moins après son départ de l’entreprise conjugale ou acquis une période minimale de cotisation de douze mois hors de celle-ci (Bulletin LACI B31).

6.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération
(ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b ; 125 V 195 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

7.             En l'espèce, la recourante ne conteste pas avoir travaillé en dernier lieu pour l'entreprise de son conjoint. Elle fait valoir en revanche qu'elle était séparée de celui-ci depuis plusieurs années et n'exerçait aucune influence décisionnelle au sein de son entreprise.

Ces griefs doivent être écartés.

La simple séparation de son conjoint – quand bien même elle était au bénéfice d'un jugement de mesure protectrice de l'union conjugale – n'a aucune influence sur son droit aux prestations. En effet, dès lors qu'au moment de l'examen du droit à l'indemnité de chômage par l'intimée, le divorce n'avait pas été prononcé, il convient de retenir – conformément à la jurisprudence fédérale précitée – qu'un risque d'abus subsistait.

Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que lors de l'examen du droit par l'intimée, le conjoint de la recourante avait cessé son activité. Au demeurant, la recourante ne le soutient pas non plus. Dès lors que le mari de la recourante continuait ses activités au sein de son entreprise, celui-ci disposait d'un pouvoir décisionnel déterminant et conservait ainsi la faculté de la réengager. Or, dans la mesure où le lien marital n'avait pas été rompu par le divorce, la chambre de céans doit admettre que la recourante, en sa qualité de conjointe de son dernier employeur, tombe sous le coup de la jurisprudence du Tribunal fédéral sur les causes d'exclusion du droit à l'indemnité de chômage.

En conséquence, c'est à bon droit que l'intimée a nié le droit à l'indemnité de chômage de la recourante dans la décision litigieuse.

8.             Le recours sera donc rejeté.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le