Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/579/2024 du 24.07.2024 ( LAA )
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE | ||
A/4094/2022 ATAS/579/2024
COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales Ordonnance d’expertise du 24 juillet 2024 8ème Chambre |
En la cause
A______ représentée par Me Thierry STICHER, avocat
| recourante |
contre
SWICA ASSURANCES SA
| intimé |
A. a. Madame A______ (ci-après l’assurée ou la recourante) est née le
______ 1963. Elle travaille comme contrôleuse de stationnement pour B______ à Genève (ci-après l’employeuse) depuis le 1er janvier 2004.
b. En date du 30 mars 2021, elle a subi un accident alors qu’elle effectuait sa ronde, dans le cadre de son travail. Selon la déclaration d’accident du
17 septembre 2021, elle n’avait pas vu un butoir qui se trouvait sur son chemin et s’était tordu la cheville gauche. Le travail avait été interrompu à la suite de l’accident, depuis le 18 septembre 2021.
B. a. Dans un questionnaire soumis par l’assurance et complété le 28 septembre 2021, l’assurée a indiqué qu’en voulant scanner un véhicule, elle n’avait pas vu un butoir et s’était tordue la cheville gauche, ce qui l’avait fait tomber. Les douleurs étaient apparues en avril, mais elle s’était dit que ça irait. En mai et juin, le pied avait gonflé. En juillet et août, les douleurs s’étaient intensifiées et le pied était gonflé. Elle avait consulté un médecin pour la première fois le 2 septembre 2021. Un suivi était en cours et elle portait une attelle. Elle mentionnait avoir déjà tordu sa cheville et avoir eu un épanchement de sang en 2008.
b. Le 2 septembre 2021, l’assurée a été reçu en consultation par le
Docteur C______ au Centre Médical D______. Une radiographie a été réalisée le 3 septembre 2021, à la recherche d’une fracture de fatigue.
c. Selon le rapport d’IRM de la cheville gauche du 14 septembre 2021, il était mis en évidence une déchirure du ligament talo-fibulaire antérieur, une petite lésion chondrale focale du dôme du talus, avec œdème sous-chondral, millimétrique, un épanchement intra-articulaire modéré, une arthrose de Lisfranc et une aponévropathie du fascia plantaire superficiel, sans déchirure évolutive.
d. Le 17 septembre 2021, le Docteur E______, chirurgien orthopédique FMH, a posé le diagnostic d’entorse de cheville gauche avec déchirure LTFA et lésion chondrale du dôme talus. Il mentionnait aussi une fasciite plantaire gauche et de l’arthrose du médio-pied gauche. Une attelle de stabilisation avait été prescrite.
e. Dans un rapport complété à l’attention de l’assurance le 14 décembre 2021, le Dr E______ a confirmé le diagnostic d’entorse de la cheville gauche avec déchirure du LFTA et de lésion chondrale du dôme du talus. Il évoquait une arthrose du médio-pied gauche préalable mais asymptomatique, un hallux rigide gauche préalable et une fasciite plantaire. Il se prononçait en faveur d’un changement de poste avec moins de marche (sa patiente devant marcher 15km/jours dans le poste actuel).
f. L’assurée a été mise en arrêt de travail à 50% entre le 18 et le 21 septembre 2021, à 100% entre le 22 et le 30 septembre 2021, à 50% entre le 1er et le
31 octobre 2021, à 100% entre le 1er et le 30 novembre 2021, à 50% entre le
1er décembre 2021 et le 6 mars 2022, à 100% entre le 7 et le 13 mars 2022, à 50% entre le 14 et le 31 mars 2022, à 100% entre le 1er et le 10 avril 2022, à 50% entre le 11 et le 28 avril 2022, à 100% entre le 29 avril et le 8 mai 2022 et à 50% depuis le 9 mai 2022. Le 29 juin 2022, la recourante avait pu reprendre son activité à 80%. Au 1er août 2022, une activité avait pu être reprise à 100%.
g. Par décision du 3 mai 2022, l’assurance a indiqué que selon son médecin-conseil, le Docteur F______, spécialiste en chirurgie orthopédique, l’événement accidentel avait entrainé une aggravation temporaire d’une atteinte préexistante. Depuis le 2 mars 2022 au plus tard, les troubles de la cheville gauche étaient imputables non plus à l’événement accidentel, mais à une maladie. Par conséquent, les prestations d’assurance étaient suspendues depuis cette date ; il était renoncé au remboursement des prestations courues jusqu’au jour de la décision.
Dans son rapport du 3 mars 2022, le Dr F______ retenait que seule la déchirure du ligament talo-fibulaire antérieur était dû à l’événement en cause. Selon lui, habituellement, pour une entorse externe de la cheville, le statu quo sine pouvait être établi six mois après l’événement en cause. Dans le cas de l’assurée, le statu quo sine pouvait être établi à six mois après le début du traitement, soit à partir de début mars 2022.
h. Le 13 mai 2022, l’assurée a formé opposition à la décision précitée. Elle contestait que les troubles présentés à la suite de l’accident du 30 mars 2021 ne soient plus en lien de causalité avec celui-ci à compter du 2 mars 2022. Elle concluait à l’annulation de la décision du 3 mai 2022 et sollicitait un délai pour compléter son opposition.
i. Le 29 juin 2022, la recourante a complété son opposition. Elle a notamment remis en question la valeur probante de l’avis du Dr F______, compte tenu du fait qu’il s’était prononcé sans examen clinique et se référait uniquement à l’expérience générale et non à la situation concrète de l’assurée.
Était joint un questionnaire, complété par le Dr E______ à la demande d’Assista, précédent mandataire de l’assurée. Il confirmait notamment que la chute subie était de nature à provoquer une entorse de la cheville gauche avec déchirure du LTFA et lésion chondrale du talus. Il confirmait que les autres lésions mises en évidence à l’IRM n’étaient pas dues à l’accident, hormis la déchirure et la lésion chondrale du talus. Si ces autres lésions étaient de nature à influer sur l’incapacité de travail, elles n’avaient pas influé sur la longueur de la convalescence de l’assurée. En plus de la déchirure, il était relativement probable que la lésion chondrale du talus soit en lien avec l’accident, ce qui n’était pas le cas de l’arthrose de Lisfranc et de la fasciite plantaire. Ces deux dernières lésions étaient déjà traitées depuis deux ans par support plantaire, sans impact sur la capacité de travail. Cliniquement, les douleurs de sa patiente étaient situées au niveau de la cheville avec tuméfaction, et non au niveau du pied.
j. Par décision sur opposition du 4 novembre 2022, l’assurance a rejeté l’opposition formée à sa décision du 3 mai 2022. Le questionnaire complété par le Dr E______ avait été soumis au Dr F______ qui confirmait ses conclusions précédentes. Le dossier médical avait également été soumis au Docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, dont le rapport était joint pour la première fois à la décision sur opposition, dans sa version originale en allemand et traduit en français au moyen du système de traduction automatique Deepl.
Au terme de son rapport du 28 octobre 2022, le Dr G______ déclarait s’aligner sur l’argumentation du Dr F______, à l’exception de son appréciation du lien de causalité entre le traumatisme du 30 mars 2021 et la rupture du ligament talo-fibulaire antérieur, motifs pris du fait que l’examen radiologique réalisé six mois après l’événement accidentel ne mettait pas évidence de séquelles résiduelles telles que des traces d’œdèmes osseux partiellement résorbés, ou une modification cicatricielle dans l’appareil ligamentaire capsulaire. Selon lui, les dégénérescences présentées par la patiente étaient liées à l’âge, le développement d’une déchirure du LTFA pouvant être la conséquence d’une distorsion banale de la cheville. Dans tous les cas, l’état final d’une telle déchirure était établi après six mois.
C. a. L’assurée a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) le
30 novembre 2022, concluant à l’annulation de celle-ci et à ce que l’assurance soit condamnée à verser les prestations d’assurance en lien avec l’accident du 30 mars 2021 au-delà du 2 mars 2022 et jusqu’à atteinte du statu quo sine vel ante constaté médicalement, sous suite de frais et dépens.
Elle reprochait en premier lieu une violation de son droit d’être entendu, au motif que l’assurance avait fondé sa décision sur opposition sur une pièce nouvelle, soit le rapport du Dr G______, sans le lui avoir soumis au préalable.
Elle soutenait que les lésions constatées étaient en lien de causalité avec l’accident et que l’atteinte du statu quo sine vel ante n’avait pas été constatée médicalement, les avis des médecins conseils de l’assurance sur ce point étant contradictoire et insuffisamment motivés.
b. Par réponse du 16 décembre 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours, sur la base du rapport du Dr G______ selon qui l’assurée présentaient des lésions dégénératives importantes et, qu’au moment de la suspension des prestations d’assurance, l’état de la recourante était lié à un état antérieur important.
c. Le 9 janvier 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions.
d. Le 3 février 2023, l’intimée a dupliqué.
e. Le 10 mai 2023, la chambre de céans a donné l’occasion à la recourante de se déterminer formellement sur le contenu du rapport du Dr G______ du
28 octobre 2022.
f. Le 15 mai 2023, la recourante a persisté à solliciter que le rapport du
Dr G______ soit écarté de la procédure au motif qu’il n’avait pas été soumis à la recourante par l’intimée avant de rendre sa décision sur opposition et à soutenir qu’il ne lui était pas possible de se déterminer sur son contenu, dès lors qu’il était rédigé en allemand.
g. Par courrier du 19 juin 2024, la chambre de céans a informé les parties de son intention de mettre en œuvre une expertise orthopédique et leur a communiqué le nom de l’expert pressenti, ainsi que les questions qu’elle avait l’intention de lui soumettre, en leur impartissant un délai pour faire valoir une éventuelle cause de récusation et se déterminer sur les questions posées.
h. Le 20 juin 2024, la recourante a indiqué qu’elle n’avait pas de motifs de récusation à l’encontre de l’expert et a suggéré l’ajout d’une question complémentaire, ainsi que la reformulation de certaines questions.
i. Le 27 juin 2024, l’intimée a indiqué qu’elle estimait qu’une expertise n’était pas nécessaire, les explications du Dr G______ étant suffisamment claires. Elle s’opposait plus particulièrement à la désignation du Professeur H______, motif pris qu’il s’agissait d’un expert genevois et que son indépendance n’était ainsi pas garantie. Elle a en outre suggéré l’ajout de plusieurs questions complémentaires.
j. Par courrier du 18 juillet 2024, l’intimée s’est opposée aux modifications suggérées par la recourante.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al.1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985. [LPA – E 5 10]).
Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.
3. Le litige porte sur le droit de la recourante aux prestations de l’intimée du 3 mars au 31 juillet 2022 s’agissant de son atteinte à la cheville gauche.
4.
4.1 Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA; ATF 129 V 402 consid. 2.1, ATF 122 V 230 consid. 1 et les références).
La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 119 V 335 consid. 1; ATF 118 V 286 consid. 1b et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 125 V 456 consid. 5a et les références).
4.2 Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré suppose d'abord, entre l'événement dommageable de caractère accidentel et l'atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette condition est réalisée lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte à la santé : il suffit qu’associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte à la santé, c'est-à-dire qu'il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1).
Savoir si l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l'administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale. Ainsi, lorsque l'existence d'un rapport de cause à effet entre l'accident et le dommage paraît possible, mais qu'elle ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à des prestations fondées sur l'accident assuré doit être nié (ATF 129 V 177 consid. 3.1, ATF 119 V 335 consid. 1 et ATF 118 V 286 consid. 1b et les références).
Le fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu'après la survenance d'un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet accident (raisonnement «post hoc, ergo propter hoc»; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; RAMA 1999 n° U 341 p. 408, consid. 3b). Il convient en principe d'en rechercher l'étiologie et de vérifier, sur cette base, l'existence du rapport de causalité avec l'événement assuré.
4.3 Une fois que le lien de causalité naturelle a été établi au degré de la vraisemblance prépondérante, l’obligation de prester de l’assureur cesse lorsque l'accident ne constitue pas (plus) la cause naturelle et adéquate du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui serait survenu tôt ou tard même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (statu quo sine) (RAMA 1994 n° U 206 p. 328 consid. 3b ; RAMA 1992 n° U 142 p. 75 consid. 4b). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) selon le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 126 V 360 consid. 5b ; 125 V 195 consid. 2 ; RAMA 2000 n° U 363 p. 46).
4.4 En vertu de l'art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l'atteinte à la santé n'est que partiellement imputable à l'accident. Lorsqu'un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l'assurance-accidents d'allouer des prestations cesse si l'accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n'est pas rétabli, l'assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l'état maladif préexistant, dans la mesure où il s'est manifesté à l'occasion de l'accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les références). En principe, on examinera si l'atteinte à la santé est encore imputable à l'accident ou ne l'est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les références), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 précité consid. 5.1 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_606/2021 du 5 juillet 2022 consid. 3.2).
4.5 Le droit à des prestations de l'assurance-accidents suppose en outre l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'accident et l'atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et ATF 125 V 456 consid. 5a et les références). En présence d'une atteinte à la santé physique, le problème de la causalité adéquate ne se pose toutefois guère, car l'assureur-accidents répond aussi des complications les plus singulières et les plus graves qui ne se produisent habituellement pas selon l'expérience médicale (ATF 118 V 286 consid. 3a et ATF 117 V 359 consid. 5d/bb; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 351/04 du 14 février 2006 consid. 3.2).
4.6 L’assureur-accidents a la possibilité de mettre fin avec effet ex nunc et pro futuro à son obligation d'allouer des prestations, qu'il avait initialement reconnue en versant des indemnités journalières et en prenant en charge les frais de traitement, sans devoir se fonder sur un motif de révocation (reconsidération ou révision procédurale), sauf s’il réclame les prestations allouées (cf. ATF 133 V 57 consid. 6.8; arrêt du Tribunal fédéral 8C_3/2010 du 4 août 2010 consid. 4.1). Ainsi, il peut liquider le cas en invoquant le fait que selon une appréciation correcte de l'état de fait, un événement assuré n'est jamais survenu (ATF 130 V 380 consid. 2.3.1). Le Tribunal fédéral des assurances a précisé en outre que les frais de traitement et l'indemnité journalière ne constituent pas des prestations durables au sens de l'art. 17 al. 2 LPGA, de sorte que les règles présidant à la révision des prestations visées par cette disposition légale (cf. ATF 137 V 424 consid. 3.1 et la référence) ne sont pas applicables (ATF 133 V 57 consid. 6.7). En revanche, l’arrêt des rentes d’invalidité ou d’autres prestations versées pour une longue période est soumis aux conditions d’adaptation, reconsidération et révision procédurale (ATF 130 V 380 consid. 2.3.1). La jurisprudence réserve les cas dans lesquels le droit à la protection de la bonne foi s'oppose à une suppression immédiate des prestations par l'assureur-accidents (ATF 130 V 380 consid. 2.3.1).
4.7 Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références; ATF 142 V 58 consid. 5.1 et les références; ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).
4.8 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).
4.9 Dans le contexte de la suppression du droit à des prestations d'assurance sociales, le fardeau de la preuve incombe en principe à l'assureur-accidents ( ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les références). Cette règle selon laquelle le fardeau de la preuve appartient à la partie qui invoque la suppression du droit entre seulement en considération s'il n'est pas possible, dans le cadre du principe inquisitoire, d'établir sur la base d'une appréciation des preuves un état de fait qui au degré de vraisemblance prépondérante corresponde à la réalité (ATF 117 V 261 consid. 3b et les références). La preuve de la disparition du lien de causalité naturelle ne doit pas être apportée par la preuve de facteurs étrangers à l'accident. Il est encore moins question d'exiger de l'assureur-accidents la preuve négative, qu'aucune atteinte à la santé ne subsiste plus ou que la personne assurée est dorénavant en parfaite santé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_441/2017 du 6 juin 2018 consid. 3.3). Á cet égard, est seul décisif le point de savoir si, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 146 V 271 consid. 4.4), les causes accidentelles d'une atteinte à la santé ne jouent plus aucun rôle, ne serait-ce même que partiel (cf. ATF 142 V 435 consid. 1), et doivent ainsi être considérées comme ayant disparu (arrêt du Tribunal fédéral 8C_343/2022 du 11 octobre 2022 consid. 3.2 et les références).
4.10 Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).
5.
5.1 En l’espèce, la recourante reproche à l’intimée d’avoir nié à tort son droit aux prestations au-delà du 2 mars 2022, en niant tardivement le lien de causalité entre son atteinte à la santé et l’accident du 30 mars 2021 et en retenant à tort une atteinte du statu quo sine au 2 mars 2022 au plus tard, les avis des médecins-conseils de l’assurance sur ce point étant contradictoire et insuffisamment motivés.
5.2 Dans son rapport du 3 mars 2022, le Dr F______ retenait que seule la déchirure du ligament talo-fibulaire antérieur était dû à l’événement en cause. Selon lui, habituellement, pour une entorse externe de la cheville, le statu quo sine peut être établi 6 mois après l’événement en cause. Dans le cas de la recourante, le statu quo sine pouvait être établi à six mois après le début du traitement, soit à partir de début mars 2022.
Dans son rapport du 28 octobre 2022, le Dr G______ a déclaré s’aligner sur l’argumentation du Dr F______, à l’exception de son appréciation du lien de causalité entre le traumatisme du 30 mars 2021 et la rupture du ligament talo-fibulaire antérieur, motifs pris du fait que l’examen radiologique réalisé six mois après l’événement accidentel n’avait pas mis évidence de séquelles résiduelles telles que des traces d’œdèmes osseux partiellement résorbés, ou une modification cicatricielle dans l’appareil ligamentaire capsulaire. Selon lui, les dégénérescences présentées par la patiente étaient liées à l’âge, le développement d’une déchirure du LTFA pouvant être la conséquence d’une distorsion banale de la cheville. Dans tous les cas, l’état final d’une telle déchirure serait établi après six mois.
5.3 On relèvera que la position des deux médecin-conseils sollicités par l’intimée au sujet de l’appréciation du lien de causalité sont contradictoires, le Dr G______ mettant en doute le lien de causalité retenu par le Dr F______ (et par le Dr E______) entre l’événement accidentel du 30 mars 2021 et la déchirure du ligament talo-fibulaire antérieur.
Par ailleurs, l’avis des deux médecins-conseils de l’assurance divergent s’agissant du délai écoulé jusqu’à l’atteinte du statu quo sine, lequel est fixé six mois après l’événement accidentel par le Dr G______, alors que le Dr F______ a considéré l’atteinte du statu quo sine six mois après le début du traitement.
On relèvera qu’aucun des deux médecins-conseils ne s’est attardé sur la nature particulière de l’activité de la recourante vis-à-vis de l’expérience générale, laquelle implique une moyenne de 15 km de marche par jour. Les médecins-conseils de l’intimée n’ont pas non plus fait d’observations particulières sur les régulières tentatives de reprise de la recourante à 50%, restées infructueuses (jusqu’à celle du mois de juin 2022 à 80%, puis à 100% depuis le mois d’août 2022).
5.4 Les conclusions des deux médecins-conseils sont en outre remises en cause par les rapports et les arrêts de travail établis par le Dr E______, selon qui la chute subie était de nature à provoquer une entorse de la cheville gauche avec déchirure du LTFA et lésion chondrale du talus. Selon lui, en plus de la déchirure, il était relativement probable que la lésion chondrale du talus soit en lien avec l’accident, ce qui n’était pas le cas de l’arthrose de Lisfranc et de la fasciite plantaire. Selon lui, si ces autres lésions étaient de nature à influer sur l’incapacité de travail, elle n’avait pas influé sur la longueur de la convalescence de la recourante. Cette appréciation, certes peu motivée, a un certain poids, car elle émane du chirurgien orthopédiste qui a suivi la recourante durant tout le traitement.
6.
6.1 Il résulte des considérations qui précèdent que les rapports du
Dr G______, et dans une certaine mesure celui du Dr F______, qui sont contradictoires, ne peuvent se voir reconnaître une pleine valeur probante, étant rappelé qu’il suffit d’un doute minime sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, pour qu’il se justifie de faire procéder à des investigations complémentaires. Par conséquent, il se justifie d’ordonner une expertise orthopédique.
6.2 Dans ses déterminations du 27 juin 2024, l’intimée s’oppose à la désignation du Professeur H______ comme expert dans la présente cause.
6.2.1 Selon la jurisprudence fédérale, l’assuré peut faire valoir à l’encontre de la désignation d’un expert des objections formelles, soit l’existence d’un motif de récusation, ou des objections matérielles, soit l’inaptitude d’un expert à répondre à la mission pour laquelle il est prévu qu’il soit sélectionné (ATF 132 V 93
consid. 6.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 du 7 octobre 2021
consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_180/2013 du 31 décembre 2013
consid. 2.3). En matière d’expertise judiciaire, les parties n’ont pas de droit de véto sur la désignation de l’expert lorsque celui-ci est impartial et qualifié au vu de la mission que le tribunal envisage de lui confier (en ce sens : ATF 139 V 349 consid. 5.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 du 7 octobre 2021
consid. 4.2). S’agissant des motifs de récusation de l’expert, il s’agit des mêmes que ceux applicables à un juge, en application de l’art. 58 alinéa 1 PCF par le truchement des articles 19 PA et 55 PLGA ; une apparence objective de partialité suffit (ATF 137 V 210 consid. 2.3.1 ; ATF 132 V 93 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 2.3.1, 2.3.2 et 2.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_62/2019 du 9 août 2019 consid. 5.2). Il existe une apparence de partialité lorsque les circonstances du cas d’espèce, et notamment son comportement ou ses liens avec autrui, laissent objectivement penser que la personne concernée pourrait ne pas être impartiale, même si tel n’est pas effectivement le cas (ATF 147 I 173 consid. 5.1 ; ATF 147 III 89 consid. 4.1 ; ATF 144 I 234 consid. 5.2 ; ATF 144 I 159 consid. 4.3).
6.2.2 En l’espèce, l’intimée ne prétend pas que le Prof. H______ ne serait pas qualifié pour mener l’expertise orthopédique nécessaire dans la présente procédure, mais elle fait valoir un grief formel, en ce sens que s’agissant d’un expert genevois, son indépendance et son impartialité ne seraient pas garanties.
L’intimée ne prétend toutefois pas que le Prof. H______ ait personnellement eu affaire au cas de la recourante, ni qu’il existe de lien particulier entre l’expert et la recourante ou même les médecins chargés de son suivi.
Le fait qu’un spécialiste renommé comme le Prof. H______ exerce comme expert dans le canton de Genève ne saurait à lui seul remettre en doute la capacité du médecin concerné à examiner impartialement une assurée domiciliée et suivie dans le même canton.
L’objection de l’intimée à l’égard de la désignation du Prof. H______ est ainsi dépourvue de fondement et doit être écartée.
6.3 Les questions supplémentaires posées par les parties seront partiellement intégrées à la mission d’expertise, dans la mesure de leur pertinence. Les questions fermées de l’intimée au sujet de l’état antérieur seront écartées, la mission d’expertise contenant déjà des questions ouvertes à ce sujet. La question de l’intimée sur l’IRM du 14 septembre 2021 sera reformulée et intégrée à la mission d’expertise.
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Préparatoirement :
I. Ordonne une expertise médicale de la recourante ;
II. La confie au Professeur H______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologique de l’appareil locomoteur.
III. Dit que la mission d’expertise sera la suivante :
A. Prendre connaissance du dossier de la cause.
B. Si nécessaire prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité l’expertisée.
C. Examiner l’expertisée et, si nécessaire, ordonner d’autres examens.
D. Etablir un rapport comprenant les éléments et les réponses aux questions suivants :
1. Anamnèse détaillée
2. Plaintes de l’expertisée
3. Status et constatations objectives
4. Diagnostics en lien avec l’atteinte et les plaintes de l’expertisée
4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail
4.1.1 Dates d’apparition
4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail
4.2.2 Dates d’apparition
4.3 L’état de santé de l’expertisée est-il stabilisé ?
4.3.1 Si oui, depuis quelle date ?
4.4 Les atteintes et les plaintes de l’expertisée relatives à sa cheville gauche correspondent-elles à un substrat organique objectivable ?
4.5 Au vu des diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail retenus, comment a évolué la capacité de travail de l’expertisée, compte tenu de ses atteintes à la cheville gauche, depuis le 19 septembre 2021 ?
Merci de préciser le taux de capacité de travail en temps et en rendement, ainsi que son évolution dans le temps
4.6 L’un des diagnostics retenus correspond-il à une fracture, un déboitement d’articulation, une déchirure du ménisque, une déchirure de muscle, une élongation de muscle, une déchirure de tendon, une lésion de ligament ou une lésion de tympan ?
5. Causalité
5.1. Les atteintes à la cheville gauche de l’expertisée sont-elles dans un rapport de causalité avec l’accident ? Plus précisément, ce lien de causalité est-il seulement possible (probabilité de moins de 50%), probable (probabilité de plus de 50% ou certain (probabilité de 100%) ?
Veuillez motiver votre réponse pour chaque diagnostic posé
5.2. Le statu quo ante a-t-il été atteint s’agissant de la cheville gauche de l’expertisée (moment où l’état de santé de la personne expertisée est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident) ? Si oui, à quelle date ?
Veuillez indiquer la date du statu quo ante pour chaque diagnostic posé
5.3 L’accident a-t-il décompensé un état maladif préexistant à la cheville de l’expertisée ?
Si oui, à partir de quel moment le statu quo sine a-t-il été atteint s’agissant de la cheville gauche de l’expertisée (moment où l’état de santé de la personne expertisée est similaire à celui qui serait survenu tôt ou tard, même sans l’accident, par suite d’un développement ordinaire) ?
6. Appréciation d’avis médicaux du dossier
6.1 Etes-vous d’accord avec l’avis du Dr F______ (rapport du 3 mars 2022) ? Pour quels motifs ?
6.2 Etes-vous d’accord avec l’avis du Dr G______ (rapport du 28 octobre 2022) ? Pour quels motifs ?
6.2.1 L’IRM du 14 septembre 2021 met-il en évidence des séquelles résiduelles telles que des traces d’œdème osseux ou une modification cicatricielle dans l’appareil ligamentaire capsulaire ? Sinon, ce résultat suffit-il à écarter avec certitude la survenance d’un traumatisme plusieurs mois auparavant ? Pour quels motifs ?
6.3 Etes-vous d’accord avec l’avis du Dr E______ (rapports des 14 décembre 2021 et 26 mai 2022) ? Pour quels motifs ?
7. Faire toutes autres observations ou suggestions utiles
IV. Invite l’expert à déposer son rapport en trois exemplaires dans les trois mois dès réception de la mission d’expertise, auprès de la chambre de céans.
V. Réserve le fond ainsi le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente suppléante
Maëlle KOLLY |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le