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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2905/2019

ATAS/349/2024 du 21.05.2024 ( ARBIT )

En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2905/2019 ATAS/349/2024

 

ORDONNANCE D'EXPERTISE

DU TRIBUNAL ARBITRAL

DES ASSURANCES

du 21 mai 2024

En la cause

CSS ASSURANCE-MALADIE SA

AQUILANA VERSICHERUNGEN AG

SUPRA-1846 SA

CONCORDIA, ASSURANCE SUISSE DE MALADIE ET ACCIDENTS SA

ATUPRI GESUNDHEITSVERSICHERUNG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

SWICA KRANKENVERSICHERUNG AG

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

AMB ASSURANCE SA

INTRAS ASSURANCE MALADIE SA

PHILOS ASSURANCE-MALADIE SA

 

ASSURA-BASIS SA

VISANA AG

SANA24 AG

ARCOSANA SA

VIVACARE SA

Soit pour elles TARIFSUISSE SA, représentée par Me Valentin SCHUMACHER

demanderesses

contre

 

A______
représenté par Me Emmanuel KILCHENMANN, avocat

 

 

 

défendeur

 


EN FAIT

 

A.      a Le Docteur A______ (ci-après : le défendeur), né le ______ 1964, spécialiste FMH en médecine interne et en cardiologie, exploite un cabinet dans le canton de Genève.

b Dix-sept assureurs-maladie ont constaté que la durée de consultation du défendeur dépassait la moyenne cantonale et la moyenne suisse des cardiologues, que celui-ci facturait la grande majorité de ses consultations selon un schéma tarifaire quasi forfaitaire (« chaînage ») sans utiliser les positions tarifaires adéquates existantes, que de 2014 à 2017 plus particulièrement, il avait facturé douze fois par consultation la position 00.0020 en combinaison aux positions 00.0010 et 00.0030, ce qui correspond à un temps de consultation de base de 70 minutes, exagérément long selon leur médecin-conseil, qu'en 2018, il avait introduit de nouvelles positions tarifaires, respectivement en avait remplacé certaines et qu'à compter de 2019, il avait à nouveau changé sa méthode de facturation.

Aussi ont-ils demandé au défendeur, à plusieurs reprises, la production des rapports médicaux relatifs à ses factures établies du 1er août 2014 au 30 juin 2019 afin d'être en mesure de contrôler sa façon de procéder.

B.     


a Le 9 août 2019, TARIFSUISSE SA, au nom et pour le compte de ces dix-sept assureurs-maladie, soit CSS ASSURANCE-MALADIE SA, AQUILANA VERSICHERUNGEN AG, SUPRA-1846 SA, CONCORDIA ASSURANCE SUISSE DE MALADIE ET ACCIDENTS SA, ATUPRI GESUNDHEITS-VERSICHERUNG, AVENIR ASSURANCE MALADIE SA, EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA, SWICA KRANKENVERSICHERUNG AG, MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA, AMB ASSURANCE SA, INTRAS ASSURANCE MALADIE SA, PHILOS ASSURANCE-M4LADIE SA, ASSURA-BASIS SA, VISANA AG, SANA24 AG, ARCOSANA SA et VIVACARE SA (ci‑après : les demanderesses), et elle-même représentée par Maîtres Valentin SCHUMACHER et Élodie SURCHAT, a saisi le Tribunal arbitral des assurances, visant, préalablement, la production de l'ensemble des rapports médicaux relatifs aux factures établies par le défendeur entre le 1er août 2014 et le 30 juin 2019 et, au fond, la condamnation de celui-ci au paiement d'un montant à préciser après l'administration des preuves, mais au moins de CHF 664'633.-, perçu en vertu d'une mauvaise application du système de facturation TARMED. Elle a également demandé à ce que le défendeur soit formellement averti qu'en cas de nouveau manquement à son obligation de collaborer avec les assureurs ou aux exigences relatives à la facturation, il serait définitivement exclu de toute activité à la charge de l'assurance obligatoire des soins.

TARIFSUISSE SA fait en effet valoir que « la facturation systématique de diverses positions et leur combinaison automatique lors des consultations du défendeur constituent manifestement un abus, dont l'intention, le but et la systématique contreviennent à TARMED, puisqu'elles sont contraires au principe de la facturation à la prestation ainsi qu'à celui de l'économie du traitement ».

Elle a souligné que les rapports médicaux étaient nécessaires pour la méthode d'échantillonnage aléatoire stratifié qui permet de déterminer forfaitairement le montant soumis à la rétrocession, lorsque les erreurs de facturation apparaissent de manière récurrente dans un échantillon représentatif de factures contrôlées.

Elle a établi un tableau des facturations pour chacune des trois périodes, de 2014 à 2017, pour 2018 et dès 2018, démontrant à quelle hauteur les prestations du défendeur devaient être réduites.

b. Une première convocation en vue d'une tentative de conciliation fixée au 1er octobre 2019, a été annulée sur demande des mandataires de TARIFSUISSE SA, et reportée finalement au 19 novembre 2019.

À cette date, le Tribunal arbitral a constaté l'échec de la tentative obligatoire de conciliation.


Par courrier du 31 janvier 2020 toutefois, le défendeur, indiquant que des pourparlers transactionnels avaient été engagés, a sollicité une suspension de la procédure. Le 2 mars 2020, TARIFSUISSE SA a acquiescé à la suspension.

Le Tribunal arbitral a dès lors suspendu l'instruction de la procédure en application de l'art. 78a LPA le 11 mars 2020.

Le 13 août 2020, TARIFSUISSE SA a informé le Tribunal arbitral que les pourparlers transactionnels n 'avaient abouti à aucun accord extrajudiciaire.

Le Tribunal arbitral a en conséquence repris l'instance le 19 août 2020.

Les parties ont désigné leurs arbitres : les demanderesses, Monsieur Georges PANCHAUD le 6 janvier 2020, et le défendeur, Monsieur Jacques-A1ain WITZIG, le 18 septembre 2020.

c. Par mémoire de réponse du 18 septembre 2020, le défendeur a conclu, sur le plan procédural, au rejet de la demande de production de l'ensemble des rapports médicaux, subsidiairement, au rejet de la demande de production des rapports médicaux pour les factures établies entre le 1er août 2014 et le 9 août 2018 vu la péremption des prétentions, et à ce qu'un délai de 60 jours lui soit accordé pour la production des rapports médicaux pour les factures entre le 10 août 2018 et 30 juin 2019, et, subsidiairement enfin, que les rapports médicaux pour les factures du 1er août 2014 au 30 juin 2019 soient produits dans un délai de 60 jours. Il conclut, au fond, à l'irrecevabilité de la demande en restitution en raison de la péremption des créances pour les factures établies entre le 1er août 2014 et le 9 août 2018 et au rejet de la demande pour les factures établies entre le 10 août 2018 et le 30 juin 2019.

Il précise d'emblée qu'il n'exerce pas en tant qu'indépendant, dès lors qu'il est salarié de la société B______ SA à Genève. C'est cette société qui facture ses prestations, bien que le numéro RCC 1______ soit bien le sien.

Il fait valoir que le délai de péremption commence à courir à la date de la préparation des données figurant sur la statistique factureurs (RSS) du centre de calcul de la base de données de SASIS, à savoir généralement à la mi-juillet de l'année qui suit l'année statistique analysée. Il considère ainsi que les prétentions en remboursement pour les factures du 1er août 2014 au 9 août 2018 sont périmées et donc irrecevables et doivent à tout le moins être rejetées.

S'agissant des factures portant sur la période du 10 août 2018 au 30 juin 2019, il affirme qu'il a appliqué de façon conforme le système de facturation TARMED, et répète qu'il n'y a pas eu de facturation « en bloc » ou en « chaînage », de sorte qu'aucun montant ne doit être rétrocédé à une quelconque assurance-maladie.

Il rappelle enfin qu'il n'est pas opposé à la transmission des rapports médicaux au médecin-conseil de TARIFSUISSE SA, mais qu'il souhaite que ce médecin ait la même spécialité et la même pratique que lui.

d. Dans sa réplique du 4 janvier 2021, les demanderesses ont déclaré maintenir leurs conclusions formulées dans leurs écritures du 9 août 2019. Elles acceptent toutefois que le délai de production des rapports médicaux soit de 60 jours, au lieu de 10 jours.

e. Dans sa duplique du 19 avril 2021, le défendeur, se référant entièrement à sa réponse du 18 septembre 2020, a déclaré maintenir sa position.

f. Ces écritures ont été transmises à TARIFSUISSE SA, puis les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur la question de la péremption.

 

C.      a. Par arrêt sur partie du 25 août 2021 (ATAS/863/2021), le Tribunal de céans a considéré que le point de départ du délai de péremption d'un an devait être fixé à la date à laquelle les statistiques avaient été portées à la connaissance des demanderesses. Constatant, d'une part, que celles-ci avaient reçu les statistiques au plus tôt le 15 juillet de l’année suivant l’année analysée, et, d'autre part, qu'elles avaient déposé leur demande le 9 août 2019, il en a conclu que le délai légal d'une année était dépassé s'agissant des prétentions en remboursement relatives aux factures établies entre le 1er août 2014 et le 9 août 2018.

Examinant ensuite si le délai de prescription plus long du droit pénal devait être appliqué, il a constaté que pour déterminer si la facturation établie par le défendeur correspondait ou non aux exigences du TARMED, il devait procéder à l'examen du dossier au fond, et que dans la mesure où aucun rapport médical relatif aux factures litigieuses n'avait encore été produit, il était prématuré de se prononcer sur cette question.

Aussi a-t-il ordonné l'apport des rapports médicaux relatifs à toutes les factures établies entre le 14 août 2014 et le 30 juin 2019.

b.   Invitées à désigner un nouvel arbitre au vu des nouvelles nominations du Conseil d'État du 22 septembre 2021, les demanderesses ont retenu Monsieur Luciano DE TORO le 12 octobre 2021.

c.    Le 25 novembre 2021, le défendeur, faisant suite à l'arrêt sur partie du 25 août 2021, a transmis les documents médicaux requis.

d.   TARIFSUISSE SA s'est déterminée le 22 février 2022 sur ces documents.

Les demanderesses ont modifié leur demande du 9 août 2019, en ce sens qu'elles concluent principalement à la rétrocession de la somme de CHF 921'837.-, ce au vu des pièces produites et du rapport établi par le docteur C______, médecin généraliste interniste et médecin conseil de TARIFSUISSE SA, le 11 janvier 2022. Dans ce rapport, le Dr C______ a indiqué qu'il avait constaté des anomalies de facturation, soit des durées de consultation longues et des facturations par bloc de prestations, de sorte qu'il avait soupçonné une surfacturation substantielle. Il a pris connaissance des documents médicaux relatifs au traitement de septante-deux patients entre 2014 et 2019. Il a commenté toutes les positions TARMED concernées. Il en a conclu que la facturation n'était pas conforme à TARMED, que la documentation révélait une surfacturation importante et systématique et par ailleurs que la date de facturation différait parfois, ce qui rendait impossible un contrôle par la caisse-maladie.

e.    Le défendeur a fait part de ses observations le 29 avril 2022. Il relève d'emblée que le rapport du médecin conseil a été établi par un médecin généraliste, et non par un cardiologue. Il persiste dans ses conclusions, faisant valoir que sa facturation n'est aucunement frauduleuse et que le délai de prescription du droit pénal ne doit pas être appliqué.

f.     Les docteurs D______, titulaire d'un FMH de cardiologie et de médecine interne et président des médecins cardiologues genevois, et C______, assisté d'un traducteur-interprète, ont été entendus le 2 novembre 2022 par le Tribunal de céans. L'audition du premier avait été sollicitée par le défendeur et celle du second par les demanderesses.

Le Dr D______ a déclaré que ses collègues lui demandaient souvent conseil pour savoir comment facturer correctement sur la base des tarifs TARMED. Il en a donné quelques exemples. Il n'a en revanche pas souhaité commenter l'appréciation du Dr C______, dont un extrait du rapport de janvier 2022 lui a été lu, considérant qu'il s'agissait d'une question d'interprétation.

Le Dr C______ a quant à lui apporté des précisions sur son rapport et commenté les anomalies de facturation qu'il avait constatées.

Le Tribunal de céans a accordé aux parties un délai au 12 décembre 2022 pour se déterminer.

D.      a. Après avoir comparé les explications apportées par les deux témoins s'agissant du test d'effort et de l'électrocardiogramme (ECG), de l'étude du dossier en l'absence du patient, de l'examen complet, du temps total de consultation, des rapports facturés et du consilium, TARIFSUISSE SA a relevé que selon le Dr C______, de nombreux actes n'étaient pas documentés, de sorte qu'il ne peut être démontré qu'ils ont été effectués, et, partant, été facturés. Elle reproche au défendeur d'avoir utilisé les positions de facturation TARMED sans respecter les principes applicables. Elle considère ainsi que la procédure de facturation systématique et dissimulée, l'absence de documentation, les méthodes de surfacturation abusives démontrent l'intention du défendeur d'obtenir, au moyen notamment de déclarations mensongères, des rémunérations auxquelles il n'avait pas droit selon le TARMED et l'art. 44 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10). Elle en conclut que les auditions des témoins n'ont fait que confirmer la violation par le défendeur de plusieurs infractions pénales.

b.   Le défendeur a contesté ce qui lui était reproché et affirmé que les prestations facturées étaient médicalement justifiées et que son coût par patient était dans la norme, ce que TARIFSUISSE SA ne remettait du reste pas en question.

Il souligne par ailleurs la partialité évidente du Dr C______, collaborateur de TARIFSUISSE SA.

c.    Les parties ont été entendues lors de l'audience de comparution personnelle du 21 avril 2023.

d.   Le 15 mai 2023, TARIFSUISSE SA a produit, sur demande du Tribunal de céans, les rapports relatifs au coût par malade du défendeur pour les années 2010 à 2021 (pièces 41 à 44). Se fondant sur les indices RSS coûts directs et sur les indices Anova sans médicaments, elle relève que le coût moyen par malade était au-dessus de la norme tolérée de 130 pour 2014, 2015, 2017 et 2018 et à la limite supérieure du tolérable pour 2016.

Pour cette dernière année, elle souligne que l'indice du défendeur reste quoi qu'il en soit plus de 30% plus élevé que la moyenne de ses confrères. Il est en effet de 913 pour le défendeur et de 704 pour le groupe de comparaison.

e.    Le défendeur s'est déterminé le 24 mai 2023. Il fait valoir que son indice RSS des coûts totaux n'était pas quant à lui pas hors norme du tout pour les années 2010 à 2019, puisqu'il était respectivement de 128 pour chacune des quatre premières années, de 119 pour 2015, de 115 pour 2016, de 114 pour 2017, de 117 pour 2018 et de 96 pour 2019.

Il affirme également qu'il a effectivement réalisé l'ensemble des prestations qu'il a facturées à charge de l'assurance obligatoire des soins.

Il rappelle qu'il a, à plusieurs reprises, proposé aux demanderesses qu'une expertise des factures produites soit mise en œuvre, ce qui lui a été refusé. Il conteste dès lors l'application du délai de prescription pénal de leurs prétentions.

f.     Le courrier du défendeur a été transmis à TARIFSUISSE SA.

g.    Le 11 mars 2024, le Tribunal de céans a informé les parties qu'il entendait ordonner une expertise analytique de la pratique du défendeur, qu'il confierait au Dr E______. Il leur a communiqué la mission d’expertise et leur a imparti un délai au 22 mars 2024, prolongé au 22 avril 2024 pour faire valoir un éventuel motif de récusation à l’encontre de l’expert et poser, le cas échéant, des questions complémentaires.

h.   Les demanderesses se sont déterminées le 16 avril 2024, le défendeur le 6 mai 2024. Les parties ont communiqué les questions complémentaires qu'elles souhaitaient voir poser à l'expert et n’ont soulevé aucun motif de récusation à l'encontre de celui-ci, le défendeur émettant toutefois la réserve d'un éventuel lien avec TARIFSUISSE SA.

i.      Le Dr E______ a confirmé le 16 mai 2024 que tel n'était pas le cas.

 

EN DROIT

 

1.             Le présent litige porte sur la conformité de la facturation du défendeur à la structure tarifaire TARMED.

2.             Il a d'ores et déjà fait l'objet d'un arrêt sur partie rendu le 25 août 2021 (ATAS/863/2021). La qualité de fournisseur de prestations du défendeur a été admise et il a été considéré que les demanderesses entraient dans la catégorie des assureurs au sens de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance‑maladie, du 29 mai 1997 - LaLAMal - RS J 3 05).

Il a également été constaté que la demande de TARIFSUISSE SA déposée le 9 août 2019 respectait les conditions de forme prescrites par les art. 64 al. 1 et 65 de la loi cantonale sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10)), de sorte qu'elle était recevable.

3.             À l'instar du contentieux relatif à l'obligation de restitution du médecin pour traitement non économique (ATF 130 V 377), un tel litige relève de la compétence du tribunal arbitral (K 174//2005).

La présidente du Tribunal de céans a pris acte, lors de l'audience du 19 août 2020, de l'échec de la tentative obligatoire de conciliation, et des juges-arbitres ont été désignés les 6 janvier et 18 septembre 2020 et le 12 octobre 2021. Le Tribunal a alors été constitué.

4.             Les dispositions légales et la jurisprudence relatives à l'obligation de restituer les sommes reçues à tort au sens de l’art. 56 al. 1 et 2 LAMal ont d'ores et déjà été exposées dans l'arrêt sur partie du 25 août 2021 (ATAS/863/2021). Il suffit en conséquence de rappeler que l'art. 56 al. 2 2ème phrase LAMal n'est pas applicable uniquement aux cas de restitution à raison d'un traitement non économique, mais également par analogie aux autres situations où des prestations ont été touchées de manière indue (arrêt du Tribunal fédéral 9C_571/2019 du 23 juillet 2020 consid. 2.2 (c/ATAS 638/2019) ; 9C_258/2010 du 30 novembre 2011, consid. 5.4) ; arrêt K 174/05 du 24 mai 2006 consid. 3.1).

Un cas de polypragmasie est ainsi également réalisé lorsque le fournisseur de prestations facture des montants qui excèdent ceux des traitements plus économiques qu'il aurait pu dispenser, ou que des positions tarifaires sont elles-mêmes cumulées de façon prohibée, car les prestations ne sont ainsi plus limitées à la mesure exigée par l'intérêt de l'assuré et le but du traitement (arrêts du Tribunal fédéral 9C_21/2016 du 17 novembre 2016 consid. 6.2 ; K 116/03 du 23 novembre 2004, consid. 4.2 avec réf. à Gebhard EUGSTER, Wirtschaftlichkeitskontrolle ambulanter ärztlicher Leistungen mit statistischen Methoden, 2003, p. 86 ch. 211).

5.              

5.1 Le défendeur fait valoir que son indice des coûts totaux par patient se situe dans les limites de tolérance admises.

TARIFSUISSE SA, se fondant quant à elle sur les indices des coûts directs par patient, souligne qu'ils sont au contraire trop élevés pour les années statistiques 2014 à 2018.

Force est de constater à ce stade que les conclusions des parties divergent nécessairement dès lors qu'elles ne se réfèrent pas aux mêmes indices.

5.2 Lors de l'examen de la question de l'économicité, l'indice de l'ensemble des coûts était en principe déterminant (ATF 133 V 37 consid. 5.3). Lorsque ces coûts se situaient dans la marge de tolérance de 30, le principe de l'économicité était respecté. Dans la négative, il convenait alors d'examiner si l'indice des coûts directs dépassait la marge de tolérance. Une violation de ce principe était alors présumée. Tel n'est plus le cas depuis un arrêt rendu par le Tribunal fédéral en décembre 2023 (9C_135/2022). Celui-ci a en effet considéré que selon la nouvelle méthode de régression applicable à compter de 2017, l'établissement de l'indice de régression constituait la première phase et avait uniquement pour but de détecter le fournisseur de prestations hors normes. Il ne permet pas de considérer que la pratique de celui-ci est non économique et n'instaure pas de présomption dans ce sens. Un résultat hors normes selon la méthode de régression ne constitue pas une preuve d'une pratique médicale non-économique (consid. 5.3).

5.3 En l'espèce, il y a lieu de constater quoi qu'il en soit que l'indice des coûts totaux par patient du défendeur reste dans l'indice de tolérance, le plus élevé se limitant à 128 pour l'année 2014, de sorte que le principe de l'économicité est considéré comme ayant été respecté.

5.4 Il importe toutefois de rappeler que le contrôle de l'économicité se distingue en principe du contrôle des factures, qui consiste à vérifier si les différentes positions de la note d'honoraires correspondent aux conventions tarifaires et aux conditions légales, auxquelles le remboursement de certains traitements est soumis (arrêt du Tribunal fédéral des assurances W. du 16 juin 2004, K 124/03, consid. 6.1.2 et K 108/1 et 118/1 du 15 juillet 2003 consid. 3b).

Dans le contrôle de l'économicité, il s'agit d'examiner si le fournisseur de prestations a dépassé la mesure exigée par l’intérêt de l’assuré et le but du traitement (art. 56 al. 1 LAMal). Toutefois, la facturation de positions tarifaires plus chères que celles à disposition d'un coût inférieur ou le cumul prohibé de positions tarifaires peut également être considérée comme un dépassement de la mesure de ce qui est nécessaire au sens de l'art. 56, al. 1 LAMal et ainsi constituer une polypragmasie (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 116/03 du 23 novembre 2004, consid. 4.2 avec réf. à Gebhard EUGSTER, Wirtschaftlichkeitskontrolle ambulanter ärztlicher Leistungen mit statistischen Methoden, 2003, p. 86 ch. 211).

Les deux types de contrôle, celui de l'économicité et celui des factures, sont différents, en ce sens que pour le premier, les statistiques servent de comparatif pour évaluer l'activité économique d'un fournisseur de prestations, sans pour autant instaurer de présomption dans ce sens (9C_135/2022), alors qu'elles sont inutiles pour le second, qui consiste avant tout à examiner la conformité des différentes positions des factures d'honoraires avec les conventions tarifaires et les prescriptions légales.

5.5 Aussi le fait que l'indice des coûts totaux par patient du défendeur soit en deçà de la limite de tolérance, et que celui des coûts directs dépasse en revanche – de peu – cette limite, n'importe-t-il pas à ce stade, puisqu'il s'agit en l'espèce d'examiner la conformité de la facturation à laquelle a procédé le défendeur à la structure tarifaire TARMED, et non l'économicité. Il est vrai toutefois que le contrôle des factures peut aussi comprendre des éléments de contrôle de l'économicité (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 124/03 du 16.6.04 consid. 6.2.1 ; ATAS 865/2015). Il y aura en conséquence lieu de se reposer la question de l'influence de ces indices, en tant qu'éléments de contrôle de l'économicité, lorsque la conformité des différentes positions des factures d'honoraires du défendeur avec les conventions tarifaires et les prescriptions légales aura été examinée.

6.              

6.1 TARIFSUISSE SA a soupçonné le défendeur d'avoir perçu en vertu d'une mauvaise application du système de facturation TARMED des montants auxquels il n'avait pas droit pour les années 2014 (dès le 1er août) à 2019 (jusqu'au 30 juin). Elle a à cet égard analysé les positions tarifaires utilisées par le défendeur pour déterminer si celui-ci agissait conformément à la structure tarifaire TARMED et considéré que tel n'était pas le cas. Aussi a-t-elle déposé le 9 août 2019 une demande auprès du Tribunal de céans visant à la condamnation du défendeur au paiement « d'un montant à préciser après l'administration des preuves ». Elle a parallèlement requis du Tribunal de céans qu'il ordonne la production de documents médicaux relatifs aux factures établies durant ces années.

Elle s'est déterminée le 22 février 2022, après avoir pris connaissance de ces documents – versés au dossier par le défendeur le 25 novembre 2021 conformément à l'arrêt sur partie du 25 août 2021 (ATAS/863/2021) –, ainsi que du rapport du Dr C______ daté du 11 janvier 2022, et affirme avoir vu ses soupçons confirmés.

6.2 Le défendeur conteste quant à lui avoir procédé à une facturation « en bloc » ou en « chaînage », comme le lui reproche TARIFSUISSE SA.

7.             Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le Tribunal arbitral procède à toute mesure probatoire utile (cf. art. 45, al. 3 LaLAMal.

Pour établir l’existence d’une polypragmasie, le Tribunal fédéral admettait le recours à trois méthodes : la méthode statistique, la méthode analytique ou une combinaison des deux méthodes (ATF 130 V 377, consid. 6.1 non publié, 119 V 453 consid. 4).

Contrairement à la méthode statistique qui s'appuie essentiellement sur la comparaison chiffrée des médecins, la méthode analytique entre dans le détail de la pratique du médecin soupçonné de polypragmasie (Valérie JUNOD, « Polypragmasie : analyse d'une procédure controversée ». In Cahiers genevois et romands de sécurité sociales, 2008, no 40, p. 129-174). Lorsque le tribunal arbitral décide d'appliquer cette méthode, il ordonne la sélection d'un nombre représentatif de dossiers du médecin concerné (RAMA 1987 p. 349s).

Le tribunal décide s'il examine lui-même ces dossiers ou s'il les confie à un ou plusieurs médecins mandatés à titre d'expert. L'expert examine en détail le contenu des dossiers afin de déterminer si chaque décision du médecin était correcte dans le cas particulier. Le médecin mis en cause doit généralement soutenir activement le travail de l'expert. Il a ainsi l'opportunité de discuter les cas considérés a priori douteux par l'expert et d'apporter ses justifications (ATFA non publiés K 130/06 du 16 juillet 2007, consid. 5 et K 124/03 du 16 juin 2004, consid. 6 et 7 ; ATAS/1065/2021 ; Valérie JUNOD, op. cit., p. 138).

Lorsque le tribunal décide d'appliquer la méthode analytique, il ordonne en principe la sélection d'un nombre représentatif de dossiers du médecin concerné. Quelques dizaines de dossiers de patients sont sélectionnés au hasard. Le médecin est tenu de coopérer en communiquant tous les documents faisant partie des dossiers sélectionnés ; il fournira notamment les informations relatives au diagnostic, au but du traitement, aux soins administrés ; de même, il peut devoir livrer la correspondance échangée avec ses patients. Le médecin ne peut pas faire valoir son secret professionnel pour refuser de fournir les pièces requises, quand bien même celles-ci portent sur des données sensibles de patients identifiés. L'expert examine en détail le contenu des dossiers afin de déterminer si chaque décision du médecin était correcte dans le cas particulier. Il se demande par exemple s'il était justifié de faire une radio des poumons de ce patient, s'il était raisonnable de prescrire tel médicament à ce patient, s'il fallait répéter tel ou tel examen pour ce patient. Le médecin mis en cause doit généralement soutenir activement le travail de l'expert. Il a ainsi l'opportunité de discuter les cas considérés a priori douteux par l'expert et d'apporter ses justifications (Valérie JUNOD, « Polypragmasie : analyse d’une procédure controversée », In : Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, 2008, n° 40, p. 129–174, § 2.3.1).

8.             Il importe en l'espèce de constater d'emblée qu'en contrôlant la conformité de la facturation du défendeur avec la structure tarifaire TARMED, TARIFSUISSE SA a d'ores et déjà procédé à une analyse des positions tarifaires facturées et, partant, à un examen analytique, et non statistique.

9.             Le Tribunal de céans pourrait certes envisager d'analyser la conformité de la facturation du défendeur à la structure tarifaire TARMED sur la base des dossiers produits et des conclusions du rapport du Dr C______. Force est toutefois de rappeler que ce dernier travaille au service de TARIFSUISSE SA à hauteur de 40% en qualité de médecin-conseil. Il est vrai qu'aux termes de l'art. 57 al. 5 LAMal.

« Le médecin-conseil évalue les cas en toute indépendance. Ni l’assureur ni le fournisseur de prestations ni leurs fédérations ne peuvent lui donner de directives ».

Il n'en reste pas moins que le Dr C______ est salarié de TARIFSUISSE SA. Son rapport ne saurait de ce fait revêtir une valeur probante suffisante, semblable à celle d'une expertise ordonnée par un tribunal.

Il s'avère quoi qu'il en soit que le Dr C______ n'est de surcroît pas titulaire de la même spécialité FMH que le défendeur (ATAS 718/2023). Or, l'examen des allégués de ce dernier, répondant aux reproches qui lui sont adressés, montre que ses arguments sont étroitement liés à sa spécialité de cardiologue.

Le Tribunal de céans considère en conséquence qu'afin de déterminer si la pratique du défendeur relève ou non de la polypragmasie, il se justifie d’ordonner une expertise analytique des documents médicaux – produits par celui-ci, expertise qui sera confiée à un spécialiste en cardiologie.

10.         Aucun motif de récusation de l'expert proposé par le Tribunal de céans n'a été soulevé par les parties. Le libellé des questions a par ailleurs été complété, pour tenir compte de leurs observations, dans la mesure de leur pertinence.

 


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES :

Statuant préparatoirement

 

 

I.                   Ordonne une expertise judiciaire analytique de la pratique médicale du défendeur du 1er août 2014 au 30 juin 2019 ;

II.                   La confie au Dr E______, spécialiste FMH en cardiologie, dans le canton de Fribourg ;

III.                   Délie le défendeur du secret médical à l’égard de l’expert ;

IV.                   Dit que la mission de l'expert sera la suivante :

-           Prendre connaissance du dossier et des pièces de la procédure dans la cause A/2905/2019, plus particulièrement du rapport du Dr C______ du 11 janvier 2022 et des procès-verbaux établis lors des audiences des 2 novembre 2022 et 21 avril 2023 ;

-           Examiner les documents médicaux relatifs au traitement des septante-deux patients et retenus par le Dr C______ entre 2014 et 2019, et en sélectionner d'autres de façon aléatoire au besoin, étant précisé que le choix final des dossiers nécessaires à l'exécution de la mission d'expertise, ainsi que leur nombre, sera laissé à l'appréciation de l'expert, lequel devra toutefois expliquer les critères de sélection des dossiers retenus et étant également précisé que le défendeur devra remettre à l'expert les dossiers sélectionnés à bref délai, ainsi que toute autre pièce que l'expert jugera nécessaire pour l'exécution de sa mission ;

-           Prendre tout renseignement utile auprès du défendeur et de TARIFSUISSE SA, ainsi que de tout autre tiers ;

-           S'adjoindre au besoin des spécialistes au titre de consultants ;

V Établir un rapport répondant aux questions suivantes :

1.    La facturation des prestations par le défendeur est-elle conforme avec TARMED ? La durée de consultation du défendeur dépasse-t-elle la moyenne cantonale et la moyenne suisse des cardiologues ? le défendeur facture-t-il ses consultations selon un schéma tarifaire quasi forfaitaire (« chaînage ») sans utiliser les positions tarifaires adéquates existantes ? A-t-il introduit en 2018 de nouvelles positions tarifaires, et/ou remplacé certaines ?

2.    Le Dr C______ dit avoir constaté que de nombreux actes n'étaient pas documentés, de sorte qu'il ne pouvait être démontré qu'ils avaient été effectués, et, partant, être facturés. Peut-on le confirmer, respectivement l'infirmer ?

La présence d'anomalies de facturation conduisant à une surfacturation importante et systématique, ainsi que l'a indiqué le Dr C______, peut-elle être confirmée, respectivement infirmée ?

Sur quels points le rapport du Dr C______ peut-il être suivi et sur quels autres ne peut-il pas l'être ? Expliquer quelles en sont les raisons.

3.    L'examen des dossiers sélectionnés par le Dr C______ et l'examen de ceux qu'aura choisis l'expert de manière aléatoire (leur nombre étant laissé à l'appréciation de l'expert) révèle-t-il, respectivement infirme-t-il, une pratique non économique du défendeur constitutive d'une polypragmasie/surfacturation ?

Dans l’affirmative, expliquer quelles en sont les raisons et en quoi elle consiste.

Invite le défendeur à remettre à l'expert les dossiers retenus à bref délai, ainsi que toute autre pièce que l'expert jugera nécessaire pour l'exécution de sa mission.

4.      Le défendeur affirme quant à lui qu'il a appliqué de façon conforme le système de facturation TARMED, ne procédant ni « en bloc » ni en « chaînage ». Est-il vraisemblable qu'il ait pu croire, de bonne foi, qu'il respectait les exigences de TARMED, considérant que le coût de ses prestations n'était pas plus élevé que celui de ses confrères ;

5.      En cas d'irrégularités de facturation constatées, évaluer à combien s'élève approximativement le surcoût de facturation sur l'ensemble des positions/prestations d'août 2014 à juin 2019, au degré de la vraisemblance prépondérante ;

6.      Les demanderesses ont demandé à ce que l'expert réponde également aux questions suivantes :

6.1         La position TARMED du test d’effort (ou ergométrie ; position 17.0090) englobe‑t‑elle celle de l’ECG (position 17.0010) dès lors que les électrodes sont déjà placées sur le corps du/de la patient-e, raison pour laquelle ces positions ne peuvent pas être facturées ensemble ? Est-il pertinent d’effectuer ces deux examens à la même personne, lors de deux consultations différentes et rapprochées, plutôt que lors de la même consultation ?

6.2         Quelle est l’utilité ainsi que l’utilisation admises de la position 17.0120 relative à l’ECG partiel ?

6.3         Est-ce correct, de manière générale, de procéder à un contrôle partiel du rythme (position 17.0120) en plus du test d’effort (ou ergométrie ; position 17.0090) ? Si oui, dans quels cas ? Était-ce indiqué dans les cas analysés ? L’enregistrement supplémentaire du contrôle du rythme (position 17.0120) a-t-il été correctement documenté ?

6.4         La position 00.050 relative à l’entretien d’information avant une intervention peut-elle être utilisée en lien avec un test d’effort ou un ECG et facturée à charge de l’AOS ? Cette position a-t-elle été correctement documentée ?

6.5         En se référant à la décision de la CPI du 1er décembre 2020 (n° 16007 – Gestion du dossier médical du patient), figurant en annexe du courrier des demanderesses du 16 avril 2024, l’étude du dossier du/de la patient‑e durant la consultation entre-t-elle dans la/les position(s) tarifaire(s) relative(s) à la consultation de base (positions 00.0010/20/30) ?

6.6         Est-il régulier qu’un-e patient-e vienne consulter un-e cardiologue directement, sans y être adressé-e par son/sa médecin traitant-e ?

6.7         Lorsque le/la patient-e a été adressé-e à un-e cardiologue par son/sa médecin traitant-e est-ce que le/la spécialiste doit également procéder aux mêmes actes médicaux qu’un-e spécialiste de premier recours (not. examen complet ; position 00.0420) ?

6.8         Est-ce que le processus décrit par le défendeur au bas de la page 2 du procès‑verbal de son audition du 21 avril 2023 correspond à un examen complet (position 00.0420 utilisée avant 2018), voire à un petit examen par le spécialiste (position 00.0415) ?

6.9         En se fondant sur l’interprétation d’ordre général TARMED 14 Documentation et rapport, est-ce que chaque prestation médicale doit être documentée ?

6.10     Quelle est la durée moyenne d’une consultation auprès d’un-e cardiologue en cabinet ?

7.      Le défendeur a quant à lui souhaité ajouter la question suivante :

Dans l’hypothèse où le défendeur n’a pas appliqué de façon conforme le système de facturation TARMED, est-ce que sa manière de facturer a eu pour conséquence une polypragmasie / surfacturation en comparaison de la norme du coût moyen par patient ?

 

VI Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

 

VII Invite l’expert à déposer un rapport en trois exemplaires au Tribunal arbitral dans un délai de six mois à compter de l'entrée en force de la présente ordonnance.

 

VIII Réserve le fond, ainsi que le sort des frais, jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

 

La greffière

 

 

 

Christine RAVIER

 

 

La présidente suppléante

 

 

 

Doris GALEAZZI

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le