Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/319/2024 du 07.05.2024 ( CHOMAG ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/2817/2023 ATAS/319/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 7 mai 2024 Chambre 15 |
En la cause
A______ | recourant |
contre
CAISSE DE CHÔMAGE UNIA
| intimée |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né le _______ 1973, a travaillé en tant que serveur pour B______ (ci-après : la première employeuse) du 1er novembre 2018 au 31 août 2021, puis pour C______ SA (ci-après : la dernière employeuse), du 7 septembre 2021 au 14 avril 2023, date de la résiliation immédiate de son contrat de travail par l’employeuse.
b. Le 15 avril 2023, l'assuré a déposé une demande d'indemnités de chômage auprès de la caisse de chômage UNIA (ci-après : la caisse).
c. Sur demande de la caisse, la première employeuse a communiqué la lettre de licenciement notifiée en mains propres à l’employé le 16 juillet 2021, contenant cinq reproches (refus de nettoyer la salle, usage du téléphone portable durant le service, tenue sale malgré la somme de CHF 50.- offerte chaque mois pour son entretien, avoir mangé une frite dans l’assiette d’un client et le fait qu’il disait toute la journée à ses collègues qu’il attendait sa lettre de licenciement pour s’inscrire au chômage). La dernière employeuse a, pour sa part, indiqué avoir résilié le contrat de travail de son employé avec effet immédiat pour faute professionnelle. Elle a fait parvenir trois courriers remis à l’employé en 2022 et 2023. À teneur d’un courrier du 2 mai 2022, il s’avérait que le directeur de l’établissement avait dû faire une première remarque à l’employé sur l’hygiène et la propreté attendue lors du service. L’employeuse avait ensuite signifié un avertissement écrit, le 3 mars 2023, à la suite de la plainte d’un client sur le service déplorable de son employé lors d’un repas. Enfin, elle lui avait signifié la résiliation immédiate de son contrat de travail, par courrier du 14 avril 2023, après avoir constaté sur les images de vidéosurveillance un « vol de marchandise, en l’occurrence de boissons, sans nous en avertir au préalable ». Dans un formulaire à l’attention de la caisse, la dernière employeuse se référait à ces trois courriers concernant le motif de la résiliation, laquelle avait ainsi été précédée d’avertissements en 2022 et 2023, et ajoutait que son employé ne respectait pas l’interdiction d’utiliser son téléphone portable durant le service.
d. Le 7 juillet 2023, la caisse a demandé à l’assuré de se prononcer sur le motif de la résiliation communiqué par la dernière employeuse en ces termes : « vol de marchandise, en l’occurrence de boissons, sans nous en avertir au préalable ». L’assuré était également invité à fournir tout document prouvant son intention de contester le licenciement immédiat ou alors de produire une renonciation à demander « l’indemnité de rupture conventionnelle ».
e. Par pli du 17 juillet 2023, l’assuré a expliqué que sur son lieu de travail, il avait droit de se servir de boissons lorsqu’il en avait besoin. Le soir du 13 avril 2023, l’un de ses collègues et lui-même s’étaient servi deux boissons, car ils travaillaient dur ce jour-là. Le lendemain, le patron était rentré dans le restaurant en hurlant et les accusant d’avoir volé des boissons. Plus tard dans la journée, il lui avait remis une lettre de licenciement. Il n’avait pas pu payer un avocat pour se défendre et agir en diffamation. Cela lui avait causé beaucoup de stress, de sorte qu’il avait dû voir son médecin.
B. a. Par décision du 21 juillet 2023, la caisse a suspendu le droit à l’indemnité de chômage de l’assuré pour 38 jours, au motif que ce dernier n’avait pas averti son employeur du fait qu’il avait pris des boissons sur son lieu de travail et qu’il n’avait pas contesté son licenciement. Cette décision pouvait faire l’objet d’une opposition, laquelle devait être accompagnée de la décision attaquée, d’une motivation et de conclusions.
b. Par courrier manuscrit non daté, l’assuré a indiqué « Bonjour Madame, Monsieur, je vous envoie la décision de la caisse, rue des Gares 12, 1201 Genève. Je suis marié avec 4 enfants, et j’ai vraiment du mal. Mon employeur m’a licencié et en plus m’a accusé des choses que je n’ai jamais fait de toute ma vie. Je vous demande de m’aider car je ne trouve pas de travail et je ne peux pas faire vivre ma famille financièrement. Merci de votre attention, cordialement. A______ ».
c. Par courrier du 31 juillet 2023, la caisse a accordé à l’assuré un délai au 14 août 2023 pour lui indiquer si son courrier non daté était une opposition à la décision du 21 juillet 2023 et, le cas échéant, indiquer ses conclusions et le signer.
d. L’assuré n’a pas répondu dans le délai.
e. Par décision du 21 août 2023, la caisse a refusé d’entrer en matière sur l’opposition de l’assuré considérée comme irrecevable au motif que l’assuré n’avait pas pris de conclusions dans le délai accordé à cet effet.
C. a. Par acte du 5 septembre 2023, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre de céans) d’un recours contre cette décision en indiquant travailler en Suisse depuis 2013 dans la restauration pour donner un avenir meilleur à sa famille, laquelle vivait à Aoste où il se rendait lui-même chaque week-end. Il avait toujours travaillé avec abnégation et respect pour toutes les personnes avec lesquelles il avait travaillé. Son dernier patron le faisait travailler plus que nécessaire. Il était fatigué et avait demandé à plusieurs reprises à ce dernier de le licencier pour pouvoir rechercher un travail plus humain et se rapprocher de sa famille. Son patron avait toujours refusé. Pour cette raison, ce jour-là (soit le 13 avril 2023), son collègue et lui-même, tous deux très fatigués, avaient pris la liberté de boire un peu. Bien sûr c’était une erreur, mais il n’avait pas eu l’intention de voler son patron ou de se soûler. Il demandait de revoir la décision, car cet argent était important pour lui qui avait trois enfants à charge. Il a joint à son recours, la décision de la caisse du 21 août 2023.
b. Par acte du 27 septembre 2023, la caisse a persisté dans sa décision, le recourant n’ayant pas signé son courrier non daté ni pris de conclusions.
c. L’assuré n’a pas répliqué.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Le recours doit être déposé en la forme et dans le délai de 30 jours prévus par la loi (art. 56 ss LPGA, art. 62 ss et 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).
Dans son courrier adressé à la chambre de céans le 5 septembre 2023, le recourant demande de « revoir » la décision de l’intimée, « cet argent est important pour moi ».
La décision du 21 août 2023 étant une décision par laquelle l’intimée a refusé d’entrer en matière sur l’opposition du recourant contre une décision de sanction, la chambre de céans ne peut se prononcer que sur le bien-fondé de la décision de non-entrée en matière et sur la recevabilité de l’opposition du recourant. En revanche, elle ne peut pas revoir le bien-fondé de la décision de sanction prononcée le 21 juillet 2023.
La chambre de céans constate que le recours est recevable, bien que les motifs du recourant portent principalement sur le bien-fondé de la décision de sanction et que le recours ne contienne pas de conclusion explicite en annulation de la décision de non entrée en matière. En effet, ayant été formé par le recourant en personne, cet acte vise premièrement la décision de non entrée en matière du 21 août 2023, qui a été jointe à l’envoi par le recourant. De plus, la volonté de ce dernier d’attaquer le refus d’entrer en matière découle de sa volonté clairement exprimée de contester en fin de compte la décision de sanction, au fond.
Le recours, déposé par ailleurs dans le délai précité, est recevable.
2. Le litige porte sur la recevabilité de l'opposition formée par le recourant à la décision du 21 juillet 2023.
2.1 Les décisions des assureurs sociaux peuvent être attaquées dans les 30 jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues (art. 52 al. 1 LPGA). Selon l’art. 10 de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11), l’opposition doit contenir des conclusions et être motivée (al. 1). Elle doit être formée par écrit, s’agissant d’une décision qui a pour objet une prestation (al. 2 let. a). Si l’opposition ne satisfait pas aux exigences de l’art. 10 al. 1 OPGA ou si elle n’est pas signée, l’assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l’avertissement qu’à défaut, l’opposition ne sera pas recevable (al. 5).
2.2 Les exigences posées à la forme et au contenu d'une opposition ne sont pas élevées. Il suffit que la volonté du destinataire d'une décision de ne pas accepter celle-ci ressorte clairement de son écriture ou de ses déclarations (ATF 115 V 422 consid. 3a p. 426 ; cf. également SVR 2004 AHV no 10 p. 31, H 155/03 consid. 4.2 et les références ; Ueli Kieser, ATSG-Kommentar : Kommentar zum Bundesgesetz über den Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts vom 6. Oktober 2000, Zurich 2003, n. 13 ad art. 52).
2.3 L'opposition est ainsi un moyen de droit permettant au destinataire d'une décision d'en obtenir le réexamen par l'autorité, avant qu'un juge ne soit éventuellement saisi. Il appartient à l'assuré de déterminer l'objet et les limites de sa contestation, l'assureur devant alors examiner l'opposition dans la mesure où sa décision est contestée (ATF 123 V 128 consid. 3a ; ATF 119 V 347 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 259/00 du 18 mars 2001 in SJ 2001 II 212).
2.4 Aux termes de l'art. 61 let. b LPGA, l'acte de recours doit contenir un exposé succinct des faits et des motifs invoqués, ainsi que les conclusions; si l'acte n'est pas conforme à ces règles, le tribunal impartit un délai convenable au recourant pour combler les lacunes, en l'avertissant qu'en cas d'inobservation le recours sera écarté. La règle de l'art. 61 let. b LPGA découle du principe de l'interdiction du formalisme excessif et constitue l'expression du principe de la simplicité de la procédure qui gouverne le droit des assurances sociales (arrêt du Tribunal fédéral 8C_748/2021 du 23 mars 2022 consid. 3.2 et les références). C'est pourquoi le juge saisi d'un recours dans ce domaine ne doit pas se montrer trop strict lorsqu'il s'agit d'apprécier la forme et le contenu de l'acte de recours. Il s'agit là d'une prescription formelle, qui oblige le juge de première instance - excepté dans les cas d'abus de droit manifeste - à fixer un délai pour corriger les imperfections du mémoire de recours (arrêt du Tribunal fédéral 8C_245/2022 du 7 septembre 2022 consid. 3.2 et les références ; ATF 143 V 249 consid. 6.2 ; ATF 134 V 162 consid. 2).
2.5 En raison de l'identité grammaticale des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, les principes exposés ci-dessus valent aussi en procédure administrative, l'idée à la base de cette réflexion étant de ne pas prévoir des exigences plus sévères en procédure d'opposition que lors de la procédure de recours subséquente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_245/2022 du 7 septembre 2022 consid. 3.2 ; ATF 142 V 152 consid. 2.3 et les références).
2.6 Selon la jurisprudence, les art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, qui prévoient l'octroi d'un délai supplémentaire pour régulariser un acte de recours respectivement une opposition, visent avant tout à protéger l'assuré sans connaissances juridiques qui, dans l'ignorance des exigences formelles de recevabilité, dépose une écriture dont la motivation est inexistante ou insuffisante peu avant l'échéance du délai de recours ou de l'opposition, pour autant qu'il en ressorte clairement que son auteur entend obtenir la modification ou l'annulation d'une décision le concernant et sous réserve de situations relevant de l'abus de droit. L'existence d'un éventuel abus de droit peut être admise plus facilement lorsque l'assuré est représenté par un mandataire professionnel, dès lors que celui-ci est censé connaître les exigences formelles d'un acte de recours ou d'une opposition et qu'il lui est également connu qu'un délai légal n'est pas prolongeable (arrêt du Tribunal fédéral 8C_245/2022 du 7 septembre 2022 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 4 et les références).
2.7 En l'espèce, le recourant a adressé à l’intimée un courrier non daté, mais parvenu à cette dernière le 28 juillet 2023, soit dans le délai d’opposition.
Ce document était rédigé à la main par l’assuré. Il y indiquait renvoyer à la caisse sa décision et ajoutait que son employeur l’avait accusé de choses qu’il n’avait jamais faites. Il demandait à la caisse de l’aider, car il ne trouvait pas de travail et ne pouvait pas faire vivre sa famille financièrement.
La volonté du recourant de ne pas accepter la décision de sanction du 21 juillet 2023 ressort ainsi clairement de son écriture, reçue le 28 juillet 2023 par la caisse intimée, d’une part, car il a suivi la procédure d’opposition mentionnée sur la décision du 21 juillet 2023 en renvoyant la décision contestée et, d’autre part, puisque le recourant y exprime son désaccord sur la motivation de la décision. En effet, le recourant - se référant à la décision de sanction - conteste les accusations de son ancien patron l’ayant accusé de vol de boissons durant son service.
En outre, compte tenu de la nature même de la décision, soit une sanction portant sur le droit aux indemnités de chômage dues à l’assuré pour une durée de 38 jours, il ne devait faire aucun doute pour la caisse que l’assuré entendait contester cette sanction le privant de ses droits, le recourant précisant encore ne pas parvenir à faire vivre sa famille financièrement.
Étant donné que le recourant a adressé à l’intimé un courrier écrit de sa main qu’il a clos par « Cordialement. A______ », l’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir signé son opposition.
Aussi est-ce à tort que l’intimée a considéré que l’opposition n’était pas conforme à l’art. 10 OPGA.
Par conséquent, la décision attaquée doit être annulée et la cause renvoyée à l'intimée pour qu'elle rende une décision sur le fond.
3. Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet.
3. Annule la décision de non entrée en matière du 21 août 2023.
4. Renvoie la cause à l’intimée pour qu'elle rende une décision sur le fond.
5. Dit que la procédure est gratuite.
6. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Nathalie KOMAISKI |
| La présidente
Marine WYSSENBACH |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le