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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4001/2023

ATAS/324/2024 du 13.05.2024 ( CHOMAG ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4001/2023 ATAS/324/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 13 mai 2024

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

 

recourant

contre

 

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI

 

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), originaire de Turquie, titulaire d’une autorisation de séjour B valable jusqu’au 31 mars 2024, né le ______ 1988, s’est inscrit à l’office régional de placement le 17 août 2023 et a sollicité l’indemnité de chômage depuis le 1er septembre 2023.

b. Il a travaillé comme physicien (accelerator physicist) pour B______ SA du 1er avril 2022 au 31 août 2023.

B. a. Le 23 août 2023, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a indiqué à l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) que l’autorisation de séjour de l’assuré était limitée à la durée des fonctions auprès de l’ex-employeur et que si un nouvel employeur souhaitait l’engager, il devrait solliciter une autorisation auprès de l’OCPM, puis de l’office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT).

b. Par décision du 4 septembre 2023, l’OCE a nié l’aptitude au placement de l’assuré, dès le 1er septembre 2023, au motif qu’il n’était pas automatiquement autorisé à travailler si un nouvel employeur souhaitait l’employer.

c. Le 29 septembre 2023, l’assuré a fait opposition à la décision précitée, en faisant valoir qu’il était un travailleur étranger hautement qualifié, titulaire d’un doctorat effectué au CERN, de sorte qu’il pouvait s’attendre à recevoir un « permis d’établissement » dans le cas où il trouverait un emploi convenable ; en cotisant à l’assurance-chômage, il avait compris avoir droit à ses prestations.

d. Par décision du 2 novembre 2023, l’OCE a rejeté l’opposition de l’assuré, au motif que celui-ci n’était plus au bénéfice d’une autorisation de travailler depuis son licenciement et que l’octroi d’une autorisation de travail n’était pas automatique.

C. a. Le 28 novembre 2023, l’assuré a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice à l’encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation et à la reconnaissance de son aptitude au placement.

B______ SA avait effectué un licenciement collectif de ses employés. Il essayait de trouver un poste tant à l’étranger qu’en Suisse. Il avait payé des cotisations de chômage, de sorte qu’il avait droit à être indemnisé.

b. Le 22 décembre 2023, l’OCE a conclu au rejet du recours.

c. Le recourant n’a pas répliqué.

d. Le 11 mars 2024, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle.

Le recourant a déclaré qu’il avait travaillé comme physicien d’accélérateur pour le CERN et qu’il détenait un visa pour la France et pour la Grande-Bretagne qui était notamment donné aux scientifiques de haut niveau. Il requérait l’indemnité de chômage du 1er septembre 2023 au 31 mars 2024.

La représentante de l’intimé a déclaré que l’OCE interpellait l’OCPM pour les étrangers soumis à autorisation de travailler pour déterminer l’aptitude au placement et que, dans le cas du recourant, il devait, s’il trouvait un emploi, encore demander une autorisation de travailler, ce qui ne permettait pas de reconnaitre son aptitude au placement.

e. A la demande de la chambre de céans, l’OCIRT - Service de la main-d’œuvre étrangère a indiqué le 15 mars 2024 que le recourant n’avait, selon son permis B, pas de mobilité professionnelle et donc pas le droit de changer d’employeur sans faire une nouvelle demande de permis de travail et qu’il ne pouvait pas se déterminer sur la possibilité pour le recourant d’être mis au bénéfice d’une autre autorisation de travailler s’il avait trouvé un emploi comme physicien d’accélérateur.

f. Le 26 mars 2024, l’OCIRT a précisé qu’un changement d’employeur dépendait du préavis positif de la commission tripartite pour l’économie, qui tiendrait compte des circonstances particulières de la demande qui ne nécessitait pas une nouvelle prise d’une unité du contingent de permis B et les conditions ordinaires (intérêt économique, priorité, etc.) seraient examinées, sachant que l’intéressé possédait les qualifications requises au sens de la loi pour un poste qualifié. Certaines demandes de changement étaient acceptées mais pas systématiquement.

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l’intimé du 2 novembre 2023, déclarant le recourant inapte au placement dès le 1er septembre 2023, au motif qu’il n’a pas d’autorisation de travailler lui permettant de changer d’emploi, étant relevé que le recourant admet son inaptitude au placement dès le 1er avril 2024.

3.              

3.1 L'assuré a droit à l'indemnité de chômage, entre autres conditions, s'il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI [RS 837.0]). Selon l'art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d'intégration et qui est en mesure et en droit de le faire. L'aptitude au placement suppose, logiquement, que l'intéressé soit au bénéfice d'une autorisation de travail qui lui permette, le cas échéant, d'accepter l'offre d'un employeur potentiel. À défaut d'une telle autorisation, les organes de l'assurance-chômage ou, en cas de recours, le juge ont le pouvoir de trancher préjudiciellement le point de savoir si, au regard de la réglementation applicable, le ressortissant étranger serait en droit d'exercer une activité lucrative (ATF 120 V 378 consid. 3a). Il s'agit de déterminer - de manière prospective, sur la base des faits tels qu'ils se sont déroulés jusqu'au moment de la décision sur opposition (ATF 143 V 168 consid. 2 ; ATF 120 V 385 consid. 2) - si l'assuré, ressortissant étranger, pouvait ou non compter sur l'obtention d'une autorisation de travail (arrêt du Tribunal fédéral 8C_654/2019 du 14 avril 2020 consid. 2.1 et les références, in SVR 2020 ALV n° 17 p. 53 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_180/2022 du 28 octobre 2022 consid. 3.3.1).

Dans cette dernière éventualité, l’administration ou le juge ont le pouvoir de trancher préjudiciellement le point de savoir si, au regard de la réglementation applicable (droit des étrangers et de l’asile, traités internationaux conclus par la Suisse), le ressortissant étranger serait en droit d’exercer une activité lucrative. Lorsqu’ils ne disposent pas d’indices concrets suffisants, l’administration ou le juge doivent s’informer auprès des autorités de police des étrangers ou de marché du travail au sens de l’art. 40 de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr devenue LEI ; RS 142.20), pour savoir si la personne intéressée peut s’attendre à obtenir une autorisation de travail (ATF 120 V 385 ; 392 consid. 2c p. 396). Dans le domaine de l’asile, la collaboration entre autorités est d’ailleurs facilitée.

Pour qu’une indemnisation puisse avoir lieu, il faut que le droit de travailler existe, et ce pour chaque période concernée (DTA 1996/1997 p. 182 consid. 3a/aa p. 187). L’examen de l’aptitude au placement se fonde sur une appréciation prospective. Il convient donc de déterminer pour chaque période précise si l’assuré pouvait compter obtenir une autorisation de travailler (DTA 2002 p. 46 consid. 3a p. 48 ; p. 111 consid. 2a p. 112 ; arrêt du 11 juillet 2006 [C 168/05]). L’existence d’une telle autorisation à un moment donné ne permet ni à l’administration ni au juge d’admettre l’aptitude au placement pour une période antérieure durant laquelle cette autorisation n’aurait pas été délivrée (arrêt du 24 avril 2007 [C 248/06]). De même, le droit de prendre un emploi n’est pas immuable et peut disparaitre d’un jour à l’autre.

Les conditions de résidence habituelle en Suisse au sens de l’art. 12 LACI et de l’autorisation de travailler (art. 15 al. 1 LACI) sont intimement liées (DTA 1996/1997 p. 183 consid. 3b p. 187) et doivent être remplies cumulativement durant toute la période d’indemnisation. Le droit de séjourner et le droit de travailler sont du reste intégrés au même document administratif. Dès que l’une de ces deux conditions fait défaut, le droit à l’indemnité doit être nié (arrêt du 26 août 2010 [8C_128/2010]). On peut déroger à ce principe lorsque l’autorisation de police des étrangers est échue mais que l’étranger a présenté dans les délais une demande de prolongation non vouée à l’échec (ATF 126 V 376 consid. 1c p. 378 ; DTA 1996/1997 p. 183 ; Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, p. 169-170).

3.2 Selon le Bulletin LACI, l'assuré de nationalité étrangère qui n'est pas titulaire d'une autorisation de travail est inapte au placement. Pour les étrangers sans permis d'établissement, le droit de travailler est subordonné à la possession d'une autorisation de séjour de la police des étrangers les habilitant à exercer une activité lucrative ou au renouvellement présumé de ladite autorisation.

Les étrangers sans permis d'établissement doivent être titulaires d'une autorisation de travailler ou s'attendre à en recevoir une s'ils trouvent un emploi convenable. Les principes exposés à propos de l'exigence de domicile comme condition du droit à l'indemnité sont aussi applicables en l'occurrence - B137 ss (Bulletin LACI/IC, chiffre B230).

4.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

5.              

5.1 En l’occurrence, le recourant était titulaire, jusqu’au 31 mars 2024, d’une autorisation de séjour B liée à son ancien employeur B______ SA. Il ne bénéficiait pas d’une autorisation lui permettant de travailler pour un autre employeur. Il était soumis, en cas de nouvel engagement, à une nouvelle autorisation de travailler, comme l’ont confirmé l’OCPM et l’OCIRT.

5.2 Quant aux chances d’obtenir une telle autorisation, l’OCIRT, interpellé par la chambre de céans, relève que selon l’expérience certaines demandes de changement d’emploi sont acceptées mais pas systématiquement et souligne qu’un tel changement dépend du préavis positif de la commission tripartite pour l’économie. Or, les circonstances du cas d’espèce permettent de retenir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le recourant pouvait compter sur la délivrance d’une autorisation de travailler en cas d’engagement par un nouvel employeur. En effet, d’une part, l’OCIRT a précisé que la commission tripartite pour l’économie tiendrait compte du fait que la demande ne nécessite pas une nouvelle prise d’une unité du contingent de permis B, d’autre part, l’hyper spécialisation du recourant, soit physicien d’accélérateur ‑ permettant au recourant selon l’OCIRT de briguer un poste qualifié au sens de l’art. 23 LEI - permet de retenir qu’il pouvait, non pas de façon certaine comme l’a indiqué l’OCIRT mais à tout le moins au degré de la vraisemblance prépondérante, compter sur l’obtention d’un préavis positif de la commission tripartite et, finalement, sur la délivrance d’une autorisation de travailler.

5.3 Au vu de ce qui précède, le recourant doit être considéré comme apte au placement du 1er septembre 2023 au 31 mars 2024.

6.             Partant, la décision de l’intimé sera annulée et il sera dit que le recourant est apte au placement du 1er septembre 2023 au 31 mars 2024.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 2 novembre 2023.

4.        Dit que le recourant est apte au placement du 1er septembre 2023 au 31 mars 2024.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le