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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/300/2023

ATAS/290/2024 du 29.04.2024 ( AI ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/300/2023 ATAS/290/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 29 avril 2024

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

représenté par Me Michael ANDERS, avocat

 

recourant

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1962, originaire du Kosovo, veuf, titulaire d’une autorisation de séjour C, a travaillé dès le 1er janvier 2015 en qualité de chauffeur-livreur à 100% pour le compte de B______.

b. Le 4 octobre 2017, l’assuré a glissé et est tombé sur la main gauche, alors qu'il déchargeait des bacs d'un fourgon.

c. Des examens radiologiques ont révélé une déchirure partielle non transfixiante au niveau du versant ulnaire du TFCC (pour triangular fibro cartilage complex [ligament triangulaire du carpe]), associée à une formation kystique de 5 mm de diamètre en regard et, le 25 juillet 2018, il a bénéficié d’une arthroscopie, d’une réparation du TFCC et d’une stabilisation et un renforcement du tendon de l'extenseur ulnaire du carpe. L'évolution a été marquée par l’installation d’une raideur généralisée du membre supérieur gauche. L’assuré a été en incapacité de travail totale.

B. a. Le 5 septembre 2018, l’assuré a déposé une demande de prestations d’invalidité.

b. Du 30 janvier au 5 mars 2019, l'assuré a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (ci-après : CRR). Dans leur rapport du 14 mars 2019, les médecins ont retenu, sur le plan orthopédique, le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe (ci-après : SDRC) du membre supérieur gauche (syndrome épaule-main), sur la base des critères de Budapest. Les plaintes et les restrictions s’expliquaient principalement par les lésions objectives constatées pendant le séjour. Aucune incohérence n’avait été relevée, hormis des autolimitations, l’assuré sous-estimant le niveau d’activité qu’il pouvait réaliser. Ont été retenus, à titre de limitations fonctionnelles provisoires, les mouvements répétitifs avec le membre supérieur gauche, les ports de charges répétés de plus de 10 kg et les préhensions en force avec la main gauche.

c. Le médecin-conseil de l’assureur-accidents a conclu, dans un rapport du 18 août 2020, que l'état devait être considéré comme stabilisé. Il existait des séquelles et l’ancienne activité de chauffeur-livreur n’était plus adaptée. Les limitations fonctionnelles retenues concernaient l’élévation et la préhension de tout objet supérieur à 1 kg avec le membre supérieur gauche, le port de charges, l'élévation du membre supérieur gauche vers l'horizontale et fréquente et pour des charges supérieures à 500 g, sans porte-à-faux. La mobilité du poignet était limitée, mais l'utilisation distale fine des doigts possible une fois le membre supérieur calé. En respectant ces restrictions, une activité adaptée à 100% était exigible, sans perte de rendement, les tâches étant par définition légères.

d. Par courrier du 17 novembre 2020, l’assureur-accidents a informé l'assuré qu’il mettrait fin au paiement des soins médicaux et de l'indemnité journalière au 31 décembre 2020, et examinerait le droit à d'autres prestations d'assurance et par décision du 24 décembre 2020, il a refusé tout droit à une rente d'invalidité et lui a reconnu le droit à une indemnité pour atteinte à l'intégrité de 30%. Cette décision a été confirmée sur opposition par décision du 5 mai 2021 et par arrêt de la chambre de céans du 19 septembre 2022 (ATAS/811/2022).

e. À la demande de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci‑après : OAI), l’assuré a indiqué, en mars 2021, qu’il était suivi par la docteure C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et Monsieur D______, psychologue FSP.

f. Le 10 mai 2021, la Dre C______ a rempli un rapport médical AI, en indiquant un suivi depuis le 21 janvier 2021 (auparavant par un autre psychiatre) et des diagnostics de trouble dépressif sévère et syndrome douloureux persistant, entrainant une incapacité de travail totale en raison d’irritabilité, de problèmes de mémoire et de concentration et de baisse de l’énergie et de la motivation.

g. À la demande de l’OAI, le E______ (ci‑après : E______) a réalisé une expertise bidisciplinaire orthopédique (docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur) et psychiatrique (docteur G______, spécialiste FMH en psychiatrie) et rendu un rapport le 18 mai 2022.

Du point de vue somatique, l’assuré présentait des séquelles d’entorse du poignet avec lésion du TFCC et probable SDRC, avec limitation de la mobilité de l’épaule gauche, entrainant une capacité de travail nulle dans l’activité habituelle et de 100% dans une activité adaptée.

Du point de vous psychique, l’assuré présentait un épisode dépressif moyen, avec syndrome somatique, entrainant une capacité de travail limitée à un taux de 80% dans toute activité depuis décembre 2020.

h. Le 23 mai 2022, le service médical régional de l’assurance-invalidité (ci‑après : SMR) a conclu à une capacité de travail nulle dès le 4 octobre 2017 et, dans une activité adaptée, de 100% dès le 18 août 2020 et de 80% dès le 1er décembre 2020. Il a retenu les limitations fonctionnelles psychiques de fatigue, fatigabilité, pas de traitement d’informations simultanées, de travail en double tâche, de nécessité de prise de décision immédiate, privilégier un travail répétitif.

i. Le 24 mai 022, l’OAI a retenu un degré d’invalidité nul, sur la base d’une capacité de travail dans une activité adaptée de 100%, et de 11,35%, sur la base d’une capacité de travail dans une activité adaptée de 80%.

j. Par projet de décision du 30 mai 2022, l’OAI a alloué au recourant une rente entière d’invalidité du 1er mars 2019 au 31 octobre 2020.

k. Le 17 août 2022, la Dre C______ a pris position sur le rapport d’expertise du E______, en contestant le diagnostic de dépression moyenne, celle-ci étant sévère, et l’absence d’un diagnostic de douleurs somatoformes chroniques.

l. Le 31 août 2022, le SMR a estimé que la Dre C______ n’amenait aucun élément objectif nouveau.

m. Le recourant a requis le 18 octobre 2022 l’octroi d’une rente entière d’invalidité non limitée dans le temps.

n. Par décision du 13 décembre 2022, l’OAI a alloué au recourant une rente entière d’invalidité du 1er mars 2019 au 31 octobre 2020.

C. a. Le 30 janvier 2023, l’assuré, représenté par un avocat, a recouru à l’encontre de la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, en concluant à l’octroi d’une rente d’invalidité fondée sur un degré d’invalidité de 50%. Il a communiqué un rapport d’expertise privée du 27 janvier 2023, du docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, lequel retenait un trouble dépressif récurrent moyen avec syndrome somatique sans changement depuis décembre 2020 et des traits de la personnalité émotionnellement labile et anxieuse actuellement non décompensés. Il excluait le trouble dépressif sévère et le trouble douloureux somatoforme persistant retenu par le Dre C______. L’assuré était capable de travailler à 50% depuis décembre 2020, compte tenu d’un ralentissement psychomoteur modéré, de troubles de la concentration modérés et d’un isolement social partiel.

b. Le 28 février 2023, l’OAI a conclu au rejet du recours, en constatant que l’expertise du E______ était probante. Il a produit un avis du SMR du 27 février 2023, selon lequel l’examen clinique du Dr H______ rejoignait celui du Dr G______, celui-ci estimant cependant que le ralentissement psychomoteur et la fatigue étaient légers et non pas moyens comme relevé par le Dr H______. L’expertise de celui-ci n’apportait pas de nouvel élément médical objectif. Par ailleurs, l’assuré semblait avoir débuté un traitement antidépresseur qui n’était pas évalué.

c. Le 31 mars 2023, le recourant a répliqué et communiqué un rapport d’expertise complémentaire du Dr H______ du 17 mars 2023, selon lequel l’expertise du E______ n’avait pas clairement décrit l’état de fait, ne discutant pas des indices jurisprudentiels de gravité et des indicateurs standards. Le recourant était sous traitement antidépresseur lors de l’expertise du E______ et celui-ci n’avait pas été dosé. Le 24 janvier 2023, la Dre C______ avait effectué un dosage de Cymbalta, lequel était sous-dosé mais un changement de molécule était en cours. Les différences d’informations entre les deux expertises expliquaient la différence de capacité de travail de 30%.

d. Le 12 avril 2023, le SMR a estimé que les faits médicaux étaient appréciés de manière différente par le Dr H______, sans nouvel élément clinique objectif.

e. Le 24 avril 2023, l’OAI a conclu au rejet du recours.

f. Le 11 mai 2023, le recourant a maintenu ses conclusions et communiqué un avis du 9 mai 2023 du Dr H______, estimant que la mini ICF montrait un état de fait différent, avec un ralentissement modéré et non pas léger et reprenait les arguments qu’il avait déjà soulevés.

g. Le 22 mai 2023, le SMR a observé que le ralentissement psychomoteur avait été pris en compte dans les limitations fonctionnelles et que la mini ICF était une hétéro-évaluation, avec une grande part subjective, qui n’était pas suffisante à elle seule pour se prononcer sur la capacité de travail.

h. Le 22 mai 2023, l’OAI a persisté dans ses conclusions.

i. Le 22 avril 2024, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle. Le recourant a déclaré qu’il dormait mal, avec des cauchemars, qu’il n’assumait aucune tâche ménagère, étant aidé par ses enfants et qu’il contestait l’expertise du Dr H______ car il s’estimait totalement incapable de travailler. Depuis l’expertise du E______, son état s’était encore aggravé du point de vue psychiatrique. Du point de vue somatique, l’avocat du recourant a précisé qu’il avait l’intention d’annoncer une rechute à l’assureur-accidents car les problèmes à l’épaule gauche du recourant s’étaient aggravés.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.

1.3 Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

1.4 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est, en principe, celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

Selon les dispositions transitoires de la modification de la LAI du 19 juin 2020, pour les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de la présente modification et qui avaient au moins 55 ans à l’entrée en vigueur de cette modification, l’ancien droit reste applicable (let. c).

En l’occurrence, l’assuré était âgé de 59 ans au 1er janvier 2022 et son droit à la rente est né avant cette date, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

1.5 Le délai de recours est de 30 jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

2.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité au-delà du 31 octobre 2020, singulièrement sur l’évaluation de sa capacité de travail.

3.              

3.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

3.2 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

 

4.              

4.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

4.2 Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).

Le Tribunal fédéral a en revanche maintenu, voire renforcé la portée des motifs d'exclusion définis dans l'ATF 131 V 49, aux termes desquels il y a lieu de conclure à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit aux prestations d'assurance, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, et ce même si les caractéristiques d'un trouble au sens de la classification sont réalisées. Des indices d'une telle exagération apparaissent notamment en cas de discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psycho-social intact (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 et 2.2.2 ; ATF 132 V 65 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_16/2016 du 14 juin 2016 consid. 3.2).

4.3 L'organe chargé de l'application du droit doit, avant de procéder à l'examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'assurance-invalidité, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 5.2.2 et la référence).

4.4 Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).

-  Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3),

A.    Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3).

B.     Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles; consid. 4.3.2) 

C.     Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-          Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2).

4.5 Le Tribunal fédéral a récemment rappelé qu’en principe, seul un trouble psychique grave peut avoir un caractère invalidant. Un trouble dépressif de degré léger à moyen, sans interférence notable avec des comorbidités psychiatriques, ne peut généralement pas être défini comme une maladie mentale grave. S'il existe en outre un potentiel thérapeutique significatif, le caractère durable de l'atteinte à la santé est notamment remis en question. Dans ce cas, il doit exister des motifs importants pour que l'on puisse néanmoins conclure à une maladie invalidante. Si, dans une telle constellation, les spécialistes en psychiatrie attestent sans explication concluante (éventuellement ensuite d'une demande) une diminution considérable de la capacité de travail malgré l'absence de trouble psychique grave, l'assurance ou le tribunal sont fondés à nier la portée juridique de l'évaluation médico-psychiatrique de l'impact (ATF 148 V 49 consid. 6.2.2 et les références).

5.              

5.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

5.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

5.3 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; 125 V 351 consid. 3b/bb).

5.4 Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1). 

5.5 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

5.6 On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. A cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

6.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf.  130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

7.             En l’occurrence, l’intimé s’est fondé sur l’expertise bidisciplinaire orthopédique et psychiatrique du E______ du 18 mai 2022 pour retenir une capacité de travail du recourant nulle dès le 4 octobre 2017, de 100% dans une activité adaptée dès le 18 août 2020 et de 80% dans une activité adaptée dès le 1er décembre 2020.

Le volet somatique de cette expertise est admis par le recourant, étant précisé que la rechute qu’il entend annoncer à l’assureur-accidents est survenue postérieurement à la décision litigieuse et ne peut en conséquence être prise en compte. Le recourant conteste en revanche les conclusions de l’expertise psychiatrique, en faisant valoir un rapport d’expertise privée du Dr H______ du 27 janvier 2023, concluant à une capacité de travail de 50% dès le 1er décembre 2020.

7.1 Fondé sur toutes les pièces du dossier, comprenant une anamnèse, les plaintes du recourant, la description d’une journée-type, un status psychiatrique, un diagnostic clair et motivé, ainsi que des conclusions convaincantes quant à l’évaluation des limitations fonctionnelles et de la capacité de travail du recourant, le rapport d’expertise du Dr G______ remplit les critères jurisprudentiels précités pour qu’il lui soit reconnu une pleine valeur probante.

7.2 L’évaluation différente de la capacité de travail du recourant effectuée par le Dr H______ n’est pas à même de mettre en doute les conclusions du Dr G______, lequel estime que dès le 1er décembre 2020, le recourant présente une capacité de travail de 80% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (soit sans traitement d’informations simultanées, de prise de décision immédiate et de travail répétitif), en raison de la présence de fatigue et de fatigabilité.

7.2.1 Le Dr H______ retient des limitations fonctionnelles de ralentissement psychomoteur modéré et de troubles de la concentration modérés. On constate à cet égard qu’il estime que le recourant est capable de travailler dans toute activité (du point de vue psychique) à un taux réduit de 50%. Or, il n’explique en particulier pas en quoi la capacité de travail de 80% dans une activité respectant strictement les limitations fonctionnelles retenues par le Dr G______, ne serait pas exigible, étant relevé que, contrairement à l’avis du Dr H______, le Dr G______ a retenu une diminution de rendement de 20% en raison de la fatigue et fatigabilité, en sus des limitations fonctionnelles retenues qui doivent être respectées dans une activité exercée à un taux de 80%.

7.2.2 Ensuite, contrairement à l’avis du Dr H______, il ressort de l’appréciation consensuelle de l’expertise du E______ que les indicateurs jurisprudentiels pertinents ont été analysés par l’expert psychiatre. Celui-ci a retenu des ressources (soutien des enfants) et des facteurs de surcharge (décès de l’épouse, culpabilité, procès pour menace de mort), ainsi que l’absence d’incohérences clinique manifeste et de trouble de la personnalité.

7.2.3 S’agissant du diagnostic, le Dr H______ estime qu’il s’agit d’un trouble dépressif récurrent, au motif qu’un événement a été très mal vécu en mai 2017 par le recourant (décès de l’épouse), ce qui fonde la présence d’un premier épisode dépressif.

À cet égard, en l’absence de tout diagnostic et suivi psychiatrique du recourant établi à cette époque (mai 2017), l’appréciation du Dr G______, qui considère la présence d’un épisode dépressif depuis décembre 2020 seulement, n’est pas critiquable.

7.2.4 S’agissant du traitement, le Dr H______ relève que le recourant bénéficie de Duloxétine et Lyrica et recommande l’instauration d’un traitement antidépresseur. Il affirme que le recourant prenait un antidépresseur lors de l’expertise du E______ et qu’en cas de doute sur la compliance, le psychiatre traitant aurait dû être sollicité par le Dr G______ et un dosage sanguin effectué.

À cet égard, le Dr G______ a relevé que le recourant avait bénéficié d’un traitement par Cymbalta qu’il avait stoppé, estimant qu’il prenait trop de traitement et était réticent à l’idée de prendre des traitements psychiatriques. Dans ces conditions, on peine à comprendre comment le Dr H______ affirme que le recourant était sous traitement lors de l’examen du E______. Quoi qu’il en soit, tant le Dr G______ que le Dr H______ ont estimé que le traitement médicamenteux devait être adapté, de sorte que la question de savoir si et dans quelle mesure le recourant bénéficiait d’un traitement de Cymbalta (Duloxétine) lors des examens cliniques des deux experts psychiatres, n’est pas pertinent.

7.2.5 Enfin, comme relevé par l’intimé, la mini ICF dont se prévaut le Dr H______ ne saurait à elle seule fonder la motivation de la capacité de travail, celle-ci relevant de l’analyse des indicateurs jurisprudentiels pertinents.

7.3 Au demeurant, les conclusions de l’expertise du E______ peuvent être suivies.

7.4 En revanche, il semble que postérieurement à la décision litigieuse, l’état de santé tant physique que psychique du recourant se soit aggravé. Le recourant allègue en effet une rechute au niveau d’une déchirure à l’épaule gauche, avec un examen à venir pour déterminer une éventuelle indication opératoire. Il allègue aussi une aggravation de son état de santé psychique, ce qui ressort aussi de la description d’une journée-type qu’il a faite lors de l’audience du 22 avril 2024, laquelle témoigne d’un isolement social et d’un niveau d’activité très faible du recourant, alors que lors de l’examen au E______, le recourant sortait et se rendait souvent chez son fils, sortait et discutait avec des amis (expertise du E______ p. 25). Dans ces conditions, l’état de santé du recourant pourrait avoir subi une notable aggravation, motivant le dépôt d’une nouvelle demande de prestations, ce qu’il est loisible d’effectuer.

8.             S’agissant du calcul du degré d’invalidité, le recourant n’émet aucune critique, de sorte qu’il sera confirmé.

9.             Partant, le recours ne peut qu’être rejeté.

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner le recourant au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1 bis LAI).

 

 

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge du recourant.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le