Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/251/2024 du 22.04.2024 ( PC ) , ADMIS
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/3507/2023 ATAS/251/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 22 avril 2024 Chambre 6 |
En la cause
A______
| recourante |
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES | intimé |
A. a. Madame A______ (ci-après : l’intéressée ou la recourante), née le ______ 1949, a bénéficié d’une rente d’invalidité en raison de troubles psychiques depuis l’âge de 45 ans environ.
b. Le 12 novembre 2020, Monsieur B______, frère de l’intéressée, a adressé un signalement au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) concernant sa sœur.
Il a expliqué, en substance, qu’en 2017, il avait racheté à l’intéressée sa part d’un appartement dont ils avaient hérité conjointement, ce pour un montant de EUR 100'000.-. Sa sœur avait dilapidé cette somme en moins d’un an, aidant notamment une certaine C______ à éponger ses dettes, avant que cette dernière ne disparaisse.
En 2019, l’intéressée avait encore perçu un montant de l’ordre de EUR 400'000.- suite à la vente par son frère et elle-même d’un local commercial à Paris. Afin d’éviter une nouvelle dilapidation de fortune, B______ avait recommandé à sa sœur qu’ils placent tous deux leur capital respectif auprès d’un même gérant de fortune, la société D______ à Genève. Peu avant de procéder au signalement, il avait appris par l’un des gérants de D______ que l’intéressée avait prêté EUR 19'000.- à une certaine E______, domiciliée à Paris, qui serait par la suite décédée et EUR 21'500.- à un certain F______.
Au vu de ces éléments, Monsieur B______ s’émouvait de ce que sa sœur se soit à nouveau fait abuser par des tiers et s’inquiétait grandement quant au fait qu’elle risquait de se retrouver sous peu sans le sou.
c. Nommé curateur d’office de l’intéressée par le TPAE, Maître Thierry WUARIN a procédé à diverses investigations et établi un rapport le 4 janvier 2021. Outre les versements mentionnés dans le signalement de B______ qu’il confirmait, le curateur avait relevé divers transferts nominaux depuis les comptes de l’intéressée en faveur de E______, F______ et un certain Monsieur G______ pour un total de CHF 76'243.29 en 2020. En outre, durant cette même année, l’intéressée avait prélevé CHF 50'530.- qu’elle avait envoyés à ses « bénéficiaires‑prédateurs par l’intermédiaire d’officines spécialisées dans l’envoi d’argent à l’étranger ». Au total, Me WUARIN retenait qu’elle avait été dépossédée de CHF 126'773.29 en 2020. Elle poursuivait en outre ses démarches en vue de transférer d’importantes sommes à ceux qui la tenaient en leur pouvoir.
Selon le curateur d’office, l’intéressée était au final « victime d’un réseau qui sévit à l’étranger en prenant pour cible des personnes fragilisées et dépourvues de moyen psychologiques pour résister à leurs instances. La dépendance observée chez l’intéressée à l’égard de ses prédateurs est manifestement le résultat d’une faiblesse de caractère constitutive d’un trouble psychique qui la rend absolument incapable de résister ».
Le curateur d’office estimait ainsi indispensable que le TPAE prononce sans délai et sur mesures superprovisionnelles une curatelle de représentation avec gestion couvrant les aspects juridique, social, administratif et patrimonial, assortie de la privation d’accéder à ses comptes.
d. Par ordonnance sur mesures superprovisionnelles du 15 janvier 2021, le TPAE a prononcé la mise sous curatelle de représentation et de gestion de l’intéressée avec limitation des droits civils en matière contractuelle et de gestion du patrimoine. Maître Claudio REALINI était nommé curateur.
e. La mesure a été confirmée sur mesures provisionnelles le 22 mars 2021 et au fond le 11 janvier 2022.
f. L’intéressée a déposé une demande de prestations complémentaires par l’intermédiaire de son curateur le 15 février 2023 auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé).
B. a. Par décision du 30 mai 2023, le SPC a rejeté la demande de prestations de l’intéressée du fait que sa fortune excédait le seuil légal de CHF 100'000.- pour une personne seule. En effet, en retenant un dessaisissement de fortune non expliqué entre 2019 et 2022, à hauteur de CHF 207'122.44, la fortune totale s’élevait à CHF 374'100.26.
b. L’intéressée s’est opposée à cette décision le 20 juin 2023 par l’intermédiaire de son curateur. Elle prenait note de ce que le seuil de CHF 100'000.- était dépassé du fait de ses CHF 166'977.82, mais contestait qu’un dessaisissement de fortune puisse être retenu au vu de la situation telle qu’elle ressortait notamment de la procédure ayant donné lieu au prononcé de la mesure de curatelle. Elle n’avait pas procédé à un dessaisissement, mais avait été victime de diverses arnaques menées par des personnes peu scrupuleuses et mal intentionnées qui avaient exploité sa faiblesse et sa confiance aveugle.
c. L’intéressée a complété son opposition le 13 septembre 2023, indiquant, relevés bancaires à l’appui, que sa fortune nette était désormais inférieure à CHF 100'000.-, de sorte qu’elle pouvait bénéficier de prestations complémentaires.
d. Par décision du 25 septembre 2023, le SPC a rejeté l’opposition. Malgré la diminution de la fortune mobilière effective de l’intéressée à CHF 90'172.- au 13 septembre 2023, la fortune dépassait encore largement le seuil de CHF 100'000.- une fois pris en compte les CHF 120'059.40 de fortune dessaisie.
C. a. Le 26 octobre 2023, l’intéressée a recouru contre cette décision, concluant à son annulation, à ce qu’il soit constaté qu’elle n’avait procédé à aucun dessaisissement de fortune et à ce que la cause soit renvoyée au SPC pour nouveau calcul et nouvelle décision.
Comme attesté par la Docteure H______, spécialiste en gériatrie et médecin traitante de l’intéressée, celle-ci était incapable de discernement lorsqu’elle avait cédé ses éléments de fortune à des individus qui avaient profité de sa situation pour lui soutirer son argent. Dans ces circonstances, il ne pouvait pas être retenu qu’elle avait volontairement renoncé à ses ressources. Le TPAE était en outre arrivé à la même conclusion, vu le contenu des ordonnances qu’il avait été amené à rendre tant sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles qu’au fond.
b. L’intimé a répondu au recours le 22 novembre 2023, concluant à son rejet et à la confirmation de la décision entreprise. La capacité de discernement de la recourante était présumée et cette présomption ne pouvait être remise en cause du seul fait des largesses de celle-ci en faveur de tiers qui devaient être considérées comme des donations librement consenties. De plus, il apparaissait qu’au moment des faits et jusqu’au prononcé des mesures du TPAE limitant l’exercice de ses droits, la recourante réglait régulièrement ses factures et s’acquittait de ses dépenses courantes. Quant au rapport de la Dre H______, il n’était pas pertinent dans la mesure où il était postérieur aux dessaisissements et n’établissait pas l’incapacité de discernement au moment de ceux-ci.
c. La recourante a répliqué le 10 janvier 2024, persistant dans les termes et conclusions de son recours. C’était précisément en raison des escroqueries subies que le TPAE avait estimé que des mesures étaient nécessaires, retenant notamment que « en l’espèce, il est démontré par pièces et par le rapport du curateur d’office des prélèvements totalement insolites, bien peu en adéquation avec les besoins de la personne concernée, laissant apparaître selon toute vraisemblance un abus de faiblesse et de confiance de la part de personnes malintentionnées. Des mesures superprovisionnelles s’imposent à l’évidence pour protéger le patrimoine de la personne concernée et gérer ses affaires, l’exercice de ses droits civils sur le plan contractuel et la gestion du patrimoine devant être limité » (cf. ordonnance du TPAE du 15 janvier 2021).
Il était évident, au vu des éléments au dossier, que la recourante n’était pas en mesure de comprendre les tenants et aboutissants de ses actes et de se déterminer en conséquence au moment des dessaisissements allégués, ce qui l’avait amenée à se trouver victime de diverses escroqueries.
Enfin, elle précisait que bien qu’étant convaincue d’avoir été victime d’escroqueries, il n’était pas opportun, tant selon son curateur que selon le TPAE, de déposer une plainte pénale pour ces faits en raison des chances quasiment inexistantes d’aboutir à une condamnation des auteurs et des frais disproportionnés qu’engendrerait une telle procédure.
d. L’intimé a persisté par duplique du 6 février 2024, soulignant qu’aucun déficit cognitif majeur n’avait été décelé par la Dre H______ et que, si la recourante avait été incapable de discernement, elle aurait accumulé des dettes.
e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).
Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).
3. Dans le cadre de la réforme de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, de nombreuses dispositions ont été modifiées (FF 2016 7249 ; RO 2020 585).
Dans la mesure où le recours porte sur le droit aux prestations complémentaires à partir du mois de février 2023, soit une période postérieure au 1er janvier 2021, le présent litige est soumis au nouveau droit. Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur dès le 1er janvier 2021.
4. Le recours est recevable, quant à la forme et au délai (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA ; art. 9 de la loi cantonale sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 14 octobre 1965 [LPFC - J 4 20] ; art. 43 LPCC).
5. Le litige porte sur le droit de la recourante à des prestations complémentaires, singulièrement sur la question de savoir si sa fortune nette est supérieure au seuil prévu par la loi.
6.
6.1 Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 LPC, ainsi que les conditions relatives à la fortune nette prévues à l’art. 9a LPC, ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires notamment les personnes qui perçoivent une rente de vieillesse de l'assurance‑vieillesse et survivants, conformément à l'art. 4 al. 1 let. a LPC.
Ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes dont le revenu annuel déterminant n’atteint pas le revenu minimum cantonal d’aide sociale applicable (art. 4 LPCC).
Aux termes de l’art. 9a al. 1 let. a LPC ont droit à des PC les personnes seules dont la fortune nette est inférieure à CHF 100’000.-. L’al. 3 précise que les parts de fortune visées à l’art. 11a al. 2 à 4 LPC font partie de la fortune nette au sens de l’al. 1.
6.2 Selon l’art. 11a al. 2 LPC, les autres revenus, parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé.
Selon l’art. 17b let. a de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC ‑ AVS/AI ‑ RS 831.301), il y a dessaisissement de fortune, notamment, lorsqu’une personne aliène des parts de fortune sans obligation légale et que la contre-prestation n’atteint pas au moins 90% de la valeur de la prestation.
En cas d’aliénation de parts de fortune, le montant du dessaisissement correspond à la différence entre la valeur de la prestation et la valeur de la contre-prestation (art. 17c OPC-AVS/AI).
Pour qu'un dessaisissement de fortune puisse être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires, la jurisprudence soumet cet acte à la condition qu'il ait été fait « sans obligation juridique », respectivement « sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente ». Les deux conditions précitées ne sont pas cumulatives, mais alternatives (ATF 131 V 329 consid. 4.4).
Le moment déterminant pour établir la valeur des parts de fortune dessaisies et de la contre-prestation éventuelle est celui du dessaisissement (office fédéral des assurances sociales, Directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI [ci-après : DPC], état au 1er janvier 2022, ch. 3532.04 ; ATF 120 V 182 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_67/2011 du 29 août 2011 consid. 5.1).
L'art. 11a al. 2 LPC contient une définition claire de la notion de dessaisissement qui faisait défaut dans le cadre de l'art. 11 al. 1 let. g aLPC, sans qu'il ne modifie toutefois la pratique actuelle en matière de renonciation à des ressources ou de dessaisissement de fortune. En particulier, une contre-prestation est considérée comme adéquate si elle atteint au moins 90% de la valeur de la prestation. Pour les biens de consommation ou les services, la contre-prestation obtenue est considérée comme adéquate si la preuve d’achat est apportée par la personne demandant les prestations complémentaires. Les jeux de hasard, les jeux de loterie et les jeux de casino n’offrent au contraire aucune contre-prestation adéquate et la fortune perdue de cette manière constitue un dessaisissement de fortune au même titre qu’une donation. Il en va de même lorsque la fortune a fait l’objet d’un investissement imprudent qu’une personne raisonnable n’aurait, au vu des circonstances, pas effectué (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC] du 16 septembre 2016, FF 2016 7249 pp. 7322 et 7323).
Lorsque la fortune diminue de façon substantielle sans que le bénéficiaire des prestations complémentaires puisse prouver l’utilisation qu’il en a faite, on suppose aussi, en principe, qu’il y a dessaisissement (DPC, ch. 3532.09).
En outre, seules sont considérées comme involontaires les pertes de fortune qui ne sont pas imputables à une action intentionnelle ou à une négligence grave du bénéficiaire de PC, par exemple des pertes imprévisibles sur les marchés boursiers ou imputables à des défauts de paiement de prêts. Le bénéficiaire de PC doit apporter la preuve de ces pertes (DPC, ch. 3533.25).
7.
7.1 Le dessaisissement suppose que l’assuré ait la capacité de discernement s’agissant de la diminution de sa fortune (arrêt du Tribunal fédéral 9C_934/2009 du 28 avril 2010 consid. 5.1). Selon l’art. 16 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC ‑ RS 210), toute personne qui n'est pas privée de la faculté d'agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d'ivresse ou d'autres causes semblables est capable de discernement au sens de la présente loi. Cette disposition comporte deux éléments, un élément intellectuel, la capacité d'apprécier le sens, l'opportunité et les effets d'un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté (ATF 134 II 235 consid. 4.3.2). La capacité de discernement est relative : elle ne doit pas être appréciée dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l'acte (arrêt du Tribunal fédéral 9C_209/2012 du 26 juin 2012 consid. 3.2). Une personne n'est privée de discernement au sens de la loi que si sa faculté d'agir raisonnablement est altérée, en partie du moins, par l'une des causes énumérées à l'art. 16 CC, dont la maladie mentale, la faiblesse d'esprit ou une autre altération de la pensée semblable, à savoir des états anormaux suffisamment graves pour avoir effectivement altéré la faculté d'agir raisonnablement dans le cas particulier et le secteur d'activité considérés. Par maladie mentale, il faut entendre des troubles psychiques durables et caractérisés qui ont sur le comportement extérieur de la personne atteinte des conséquences évidentes, qualitativement et profondément déconcertantes pour un profane averti (arrêt du Tribunal fédéral 4A_194/2009 du 16 juillet 2009 consid. 5.1.1). La faiblesse d'esprit décrirait un développement insuffisant de l'intelligence et de la force de jugement, dont résulteraient un manque de compréhension important – en particulier par rapport à de nouvelles tâches et des situations de vie inhabituelles – ainsi qu'une propension élevée à être influencé (Franz WERRO/ Irène SCHMIDLIN in Commentaire romand, Code civil I, 2010, n. 39 ad art. 16). La capacité de discernement est la règle ; elle est présumée d'après l'expérience générale de la vie. Partant, il incombe à celui qui prétend qu'elle fait défaut de le prouver. Une très grande vraisemblance excluant tout doute sérieux suffit, en particulier quand il s'agit d'une personne décédée, car la situation rend alors impossible une preuve absolue (ATF 117 II 231 consid. 2b). Lorsqu'une personne est atteinte de faiblesse d'esprit, en particulier due à l'âge, ou de maladie mentale, l'expérience générale de la vie amène à présumer le contraire, à savoir l'absence de discernement (arrêt du Tribunal fédéral des assurances 5A_384/2012 du 13 septembre 2012 consid. 6.1.2).
7.2 La preuve de la capacité de discernement pouvant se révéler difficile à apporter, la pratique considère que celle-ci doit en principe être présumée, sur la base de l’expérience générale de la vie. Cette présomption n’existe toutefois que s’il n’y a pas de raison générale de mettre en doute la capacité de discernement de la personne concernée, ce qui est le cas des adultes qui ne sont pas atteints de maladie mentale ou de faiblesse d’esprit. Pour ces derniers, la présomption est inversée et va dans le sens d’une incapacité de discernement (ATF 134 II 235 consid. 4.3.3 p. 240). Toute atteinte à la santé mentale ne permet pas de présumer l’incapacité de discernement. Il faut que cette atteinte crée une dégradation durable et importante des facultés de l’esprit (arrêt du Tribunal fédéral 5A_859/2014 du 17 mars 2015 consid. 4.1.2 et la référence). Ainsi, en présence d’un diagnostic de « démence sénile » posé par plusieurs médecins, il y a lieu, selon l’expérience générale de la vie, de présumer l’incapacité de discernement. En revanche, cette incapacité de discernement n’est pas présumée et doit être établie, selon la vraisemblance prépondérante, lorsque la personne concernée, dans un âge avancé, est impotente, atteinte dans sa santé physique et temporairement confuse ou souffre uniquement d’absences à la suite d’une attaque cérébrale ou encore est confrontée à des trous de mémoire liés à l’âge (arrêt du Tribunal fédéral 9C_5/2016 du 12 février 2016 consid. 4.2).
8. Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Il n'existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a et la référence).
9. Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). En particulier, dans le régime des prestations complémentaires, l'assuré qui n'est pas en mesure de prouver que ses dépenses ont été effectuées moyennant contre-prestation adéquate ne peut pas se prévaloir d'une diminution correspondante de sa fortune, mais doit accepter que l'on s'enquière des motifs de cette diminution et, en l'absence de la preuve requise, que l'on tienne compte d'une fortune hypothétique (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 65/04 du 29 août 2005 consid. 5.3.2 ; VSI 1994 p. 227 consid. 4b). Mais avant de statuer en l'état du dossier, l'administration devra avertir la partie défaillante des conséquences de son attitude et lui impartir un délai raisonnable pour la modifier ; de même devra-t-elle compléter elle-même l'instruction de la cause s'il lui est possible d'élucider les faits sans complications spéciales, malgré l'absence de collaboration d'une partie (cf. ATF 117 V 261 consid. 3b ; ATF 108 V 229 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 59/02 du 28 août 2003 consid. 3.3 et les références).
10.
10.1 En l’occurrence, la recourante ne conteste pas avoir renoncé à des parts de fortune sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate. Elle considère cependant qu’elle ne disposait pas de la capacité de discernement nécessaire au moment où sa fortune a diminué.
10.1.1 La chambre de céans relève que le seul élément médical au dossier, soit l’évaluation psycho gériatrique de la Dre H______, a été établi en avril 2021, soit après les dessaisissements litigieux, intervenus entre 2018 et 2020. Il en va de même de la procédure par-devant le TPAE qui a commencé après le signalement du 12 novembre 2020 du frère de la recourante.
Il n’en demeure pas moins que la recourante est au bénéfice d’une rente d’invalidité en raison de troubles psychiques, (non déterminés) depuis le début des années 1990 et qu’en outre, la mise sous curatelle (en urgence à titre superprovisionnel, puis confirmée sur mesures provisionnelles et enfin au fond) est motivée quasi-exclusivement par les dessaisissements de fortune auxquels l’intéressée a procédé en faveur de personnes sévissant à l’étranger et « prenant pour cible des personnes fragilisées et dépourvues de moyens psychologiques pour résister à leurs instances. La dépendance observée chez l’intéressée à l’égard de ses prédateurs est manifestement le résultat d’une faiblesse de caractère constitutive d’un trouble psychique qui la rend absolument incapable de résister » (pièce 2 rec.). Le TPAE a considéré d’emblée, soit au stade des mesures superprovisionnelles déjà, qu’il « est démontré par pièces et par le rapport du curateur d’office des prélèvements totalement insolites, bien peu en adéquation avec les besoins de la personne concernée, laissant apparaître selon toute vraisemblance un abus de faiblesse et de confiance de la part de personnes malintentionnées. Des mesures superprovisionnelles s’imposent à l’évidence pour protéger le patrimoine de la personne concernée et gérer ses affaires, l’exercice de ses droits civils sur le plan contractuel et la gestion du patrimoine devant être limité » (pièce 1quater rec.).
Très concrètement, il sied de relever qu’entre 2018 et 2020, la recourante a, au final, cédé l’essentiel de sa fortune à des personnes qu’elle n’avait jamais rencontrées et qui ont vraisemblablement profité de sa faiblesse d’esprit. Force est d’admettre que, dans la même situation et les mêmes circonstances, aucune personne raisonnable n'aurait agi de la même manière.
En outre, l’évaluation de la Dre H______, même si elle a été établie a posteriori, tend à confirmer que la faiblesse d’esprit de la recourante résulte bien d’une maladie mentale présente depuis de nombreuses années. La gériatre indique en effet que, même si l’intéressée ne présente pas, au demeurant, un déficit cognitif majeur, le tableau clinique évoque une pathologie psychiatrique ancienne (ayant conduit à l’obtention de la rente AI), « par exemple un trouble de la personnalité de type schyzotypique, voire une forme de schizophrénie de type ébéphrénique ou autre qui expliquerait la désocialisation, l’isolement, la marginalisation, l’incurie personnelle et de son lieu de vie et la rupture avec la réalité avec incursion d’idées délirantes avec un aspect interprétatif. Par sa fragilité, voire sa vulnérabilité mentale, Mme A______ pourrait faire l’objet d’abus ou être sous influence, victime d’un tiers ayant de mauvaises intentions » (pièce 7 rec.).
L’ensemble de ces éléments analysés à l’aune de l’expérience générale de la vie conduit à présumer l’absence de capacité de discernement de la recourante relativement aux différents dessaisissements de fortune auxquels elle a procédé, de longue date et donc vraisemblablement depuis avant 2018.
L’intimé n’apporte pas d’élément permettant de renverser cette présomption, se contentant d’indiquer, en substance, d’une part que la Dre H______ n’avait fait état d’aucun déficit cognitif majeur, d’autre part que si la recourante avait été incapable de discernement, elle aurait accumulé des dettes.
Or, concernant le premier argument et comme déjà rappelé, si la Dre H______ exclut effectivement un déficit cognitif majeur, elle retient une pathologie psychiatrique ancienne (type trouble de la personnalité) qui explique bon nombre de ses difficultés, dont une « rupture avec la réalité avec incursion d’idées délirantes ».
Pour ce qui est du second argument, l’intimé semble omettre que la capacité de discernement est relative et doit être appréciée concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance. Ainsi, si l’absence de dettes conduit à admettre que la recourante était a fortiori en mesure de payer ses factures, cela ne permet pas d’en déduire quoi que ce soit quant à sa capacité à ne pas se faire délester de sa fortune par des individus mal intentionnés.
10.1.2 La capacité de discernement de la recourante doit ainsi être niée pour les différents montants transférés à des tiers ou prélevés en faveur de tiers en 2020. Selon les pièces bancaires recueillies par Me WUARIN et produites dans le cadre de la procédure par-devant le TPAE (cf. pièces 1 à 6 rec.), le total de ces sommes s’élève à CHF 126'773.29 pour 2020, chiffre qu’il convient de déduire du montant pris en compte au titre de fortune dans le cadre de l’examen du droit à des prestations complémentaires.
Pour ce qui est des dessaisissements relatifs à 2018, la recourante et son frère allèguent que la quasi-intégralité du montant reçu par l’intéressée dans le cadre de la vente d’une part de copropriété (CHF 91'917.-) a servi à éponger les dettes d’une certaine « C______ » disparue depuis lors. Leurs dires ne sont à cet égard confirmés par aucune pièce bancaire ou comptable. Cela étant, au vu des éléments ayant conduit à présumer la recourante incapable de discernement, vraisemblablement de longue date, pour ce qui est de la gestion de son patrimoine et de ses affaires (cf. 11.1.1), il y a de toute manière lieu de constater que la perte de fortune massive de 2018 (CHF 86'930.-) ne pouvait qu’être involontaire, faute pour l’intéressée d’être en mesure d’actions intentionnelles ou de négligences graves à cet égard (cf. DPC 2533.25), au vu de son état. Cette diminution de fortune ne saurait dès lors pas non plus être prise en compte en tant que dessaisissement. En conséquence, il appert que le montant de la fortune déterminante est inférieur au seuil de CHF 100'000.-, ce depuis une date antérieure à la décision sur opposition, de sorte qu’il se justifie de renvoyer le dossier à l’intimé pour qu’il procède au calcul du droit aux prestations complémentaires.
10.2 Au vu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner le second grief soulevé par la recourante, à savoir que la diminution de son patrimoine résulterait d’une escroquerie. En outre et indépendamment de la qualification pénale (ou non) des faits, la chambre de céans ne peut à cet égard que rejoindre la recourante sur le fait qu’au vu des circonstances (versements à l’étranger au bénéfice de plusieurs personnes différentes dont les identités sont inconnues, etc.), il n’y aurait quasiment aucune chance d’aboutir à une condamnation des auteurs et encore moins à un remboursement quel qu’il soit.
11. Le recours est donc admis et la cause renvoyée à l’intimé pour qu’il rende une nouvelle décision relative aux droits de la recourante à des prestations complémentaires, ce en excluant de la fortune les montants relatifs aux dessaisissements de 2018 et 2020.
12. La recourante obtenant gain de cause sur le principe, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet.
3. Annule la décision du 25 septembre 2023.
4. Renvoie la cause à l’intimé pour nouvelle décision au sens des considérants.
5. Alloue à la recourante, à la charge de l’intimé, une indemnité de CHF 2'000.- à titre de participation à ses frais et dépens.
6. Dit que la procédure est gratuite.
7. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF ‑ RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le