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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1752/2023

ATAS/884/2023 du 15.11.2023 ( AF ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1752/2023 ATAS/884/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 novembre 2023

Chambre 4

 

En la cause

A______

 

recourante

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION

intimée

 


 

EN FAIT

 

A. a. Madame A______, épouse B______ (à teneur de sa carte d’identité) (ci-après : l'intéressée ou la recourante) est née le ______ 1971, mariée et mère de trois enfants nés les ______ 1992, ______ 1995 et ______ 2001, soit C______, D______ et E______.

b. L'intéressée a demandé le versement des allocations familiales pour salariés à la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimée) le 11 août 2021.

c. Par décision du 30 septembre 2021, le service des allocations familiales (ci-après : le SCAF) a octroyé les allocations familiales à l'intéressée pour la période du 1er août 2016 au 31 janvier 2021.

d. L'intéressée a formé opposition à la décision précitée le 5 octobre 2021.

e. Le 23 février 2022, le service juridique de la caisse a adressé à l'intéressée un courrier en mentionnant le nom de famille A______, la priant de lui faire parvenir plusieurs documents au plus tard le 22 mars 2022. Sans nouvelles de sa part dans le délai imparti, le SCAF se verrait contraint de se prononcer en l'état du dossier, même en sa défaveur (art. 43 al. 1 LPGA).

f. Le 8 mars 2022, le service juridique de la caisse a renvoyé à l'intéressée, par pli simple à la même adresse et sous le même nom de famille « sa décision sur opposition » du 23 février 2022, qui lui était revenue en retour avec la mention « inconnu à cette adresse ».

g. Par décision du 8 mars 2022 adressée en courrier A à l’intéressée, sous le nom A______, le SCAF lui a demandé le remboursement au 7 avril 2022 des allocations familiales à hauteur de CHF 39'400.- pour la période du 1er août 2016 au 31 janvier 2021.

h. Par courriel du 15 mars 2022 adressé au SCAF, l'intéressée a accusé réception du courrier du 8 mars 2022 et de sa demande de restitution des allocations familiales indûment perçues au 7 avril 2022. Elle lui transmettait en pièces jointes, copie de sa pièce d’identité et de sa carte AVS, qui mentionnaient le nom de B______.

i. Par courriel du 20 juillet 2022, le SCAF a transmis à l'intéressée son courrier du 25 juin 2022 qui lui avait été retourné par la Poste. Elle lui demandait de communiquer tout changement d'adresse.

j. Par courriel du 21 juillet 2022, l'intéressée a informé le SCAF qu'il n'y avait aucun changement d'adresse. Pour la énième fois, elle demandait que soit mentionné son nom de mariage (B______) dans la correspondance, sinon elle ne la recevait pas. Son dernier courrier était resté sans réponse. De ce fait, elle réitérait ses propos et ne remboursait pas les allocations qui lui étaient dues.

k. Par décision sur opposition du 28 février 2023 adressée à « A______ » à la rue F______, à Annemasse, en France, la caisse a déclaré l’opposition irrecevable pour défaut de collaboration, en vertu de l’art. 43 al. 3 LPGA. Elle a constaté que l'intéressée n'avait jamais requis de report de délai ni donné suite au courrier qui lui avait été adressé le 22 février 2022 et lui demandait de lui faire parvenir des documents jusqu’au 23 février 2023. En conséquence, elle déclarait l'opposition irrecevable. Une décision formelle annulant la décision du 30 septembre 2021 et une demande de restitution de la somme de CHF 39'400.- lui seraient notifiées séparément.

B. a. Par courrier le 23 mai 2023 signé par « B______ A______ », cette dernière a écrit à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), faisant valoir qu'une notification irrégulière, selon l'art. 47 de la loi sur la procédure pénale, ne pouvait entrainer une décision irrecevable. La caisse ne mentionnait pas son nom de famille dans sa correspondance, ce qui lui portait préjudice.

b. Le 6 juillet 2023, la chambre de céans a octroyé un délai au 31 juillet 2023 à l'intimée pour produire la preuve de la date de réception de la décision sur opposition du 28 février 2023 par la recourante.

c. Le 27 juillet 2023, la caisse a indiqué à la chambre de céans que sa décision sur opposition du 28 février 2023 lui avait été retournée au motif que la recourante était inconnue à l’adresse indiquée. Le recours de l'intéressée devait être déclaré irrecevable pour raison de tardiveté.

d. Le 28 août 2023, la recourante a indiqué à la chambre de céans rester dans l'incompréhension totale de la décision de la caisse. Après tant d'années de déplacements dans leurs bureaux, de documents envoyés et déposés, celle-ci lui réclamait le remboursement sans aucune explication. Elle n'avait jamais indûment perçu d'allocations familiales à ce jour.

e. Selon un extrait du registre de l’office cantonal de la population et des migrations (OCPM) du 25 mai 2023, l’intéressée est inscrite sous le nom de famille A______.

f. Les parties ont été entendues lors d’une audience du 1er novembre 2023.

 

EN DROIT

1.              

1.1 La chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les allocations familiales, du 24 mars 2006 (LAFam - RS 836.2). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. e de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, sur les contestations prévues à l'art. 38A de la loi cantonale sur les allocations familiales du 1er mars 1996 (LAF - J 5 10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Il faut examiner en premier lieu la recevabilité du recours.

2.1 L'art. 61 LPGA prévoit que la procédure devant la chambre des assurances sociales est réglée par le droit cantonal, sous réserve de ce que celui-ci respecte les exigences minimales requises par la LPGA.

Les décisions sur opposition et celles contre lesquelles la voie de l’opposition n’est pas ouverte sont sujettes à recours dans les 30 jours suivant la notification de la décision sujette à recours (art. 56 et 60 LPGA; cf. également l’art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA - E 5 10).

L'art. 61 LPGA prévoit que la procédure devant la chambre des assurances sociales est réglée par le droit cantonal, sous réserve de ce que celui-ci respecte les exigences minimales requises par la LPGA.

Les décisions sur opposition et celles contre lesquelles la voie de l'opposition n'est pas ouverte sont sujettes à recours dans le délai de 30 jours suivant leur notification (art. 56 et 60 LPGA ; cf. également l’art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA; RS E 5 10).

Le délai commence à courir le lendemain de la communication (art. 38 al. 1 LPGA; art. 62 al. 3 LPA). Une communication qui n'est remise que contre la signature du destinataire ou d'un tiers habilité est réputée reçue au plus tard 7 jours après la première tentative infructueuse de distribution (art. 38 al. 2bis LPGA ; art. 62 al. 4 LPA). La règle de la fiction de la notification à l’échéance du délai de garde a été constamment confirmée par le Tribunal fédéral (ATF 137 III 208 consid. 3.1.3; 134 V 49 consid. 4 p. 51; arrêts du Tribunal fédéral 6B_679/2012 du 12 février 2013 consid. 2.2; 1C_549/2009 du 1er mars 2010).

Cette fiction légale n'est pas influencée par le délai de retrait fixé par la poste : que ce délai soit plus long ou ait été prolongé ne modifie pas l'échéance légale des 7 jours (Y. DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, commentaire, n. 1089 ad art. 44 et la référence sous note n° 2553). Les actes de procédure étant soumis à réception, il s’agit d’éviter qu’un justiciable repousse à son gré le début d’un délai de recours en prenant connaissance quand il lui plaît d’un acte de procédure (cf. R. JEANPRETRE, L’expédition et la réception des actes de procédure et des actes juridiques, in RSJ, 69/1973, p. 349 ss).

La règle de la fiction de la notification se veut ainsi d’être autonome de la durée du délai de retrait effective d’un envoi recommandé. En regard de la sécurité du droit et de l’égalité de traitement, on ne voit pas qu’il puisse en aller différemment lorsque la poste prolonge le délai de garde de son propre chef ou suite à une demande du justiciable (Arrêt du Tribunal fédéral I 108/07 du 4 juin 2007). Cela reviendrait en outre à laisser subsister un élément aléatoire dans la détermination de la date de notification, ce que la règle de la fiction de la notification a justement pour but de prévenir. Pour la computation des délais de recours, il y a lieu de s’en tenir dans tous les cas à la fiction de la notification à l’échéance du délai de garde tel qu’il est fixé dans les conditions générales de la poste (ATF U 216/00 du 31 mai 2001). Le jour de l'échec de la notification est pris en compte dans le calcul du délai de garde (Y. DONZALLAZ, op. cit., n. 1113 ad art. 44).

En procédure administrative, le requérant doit indiquer son adresse qui correspondra à celle de notification. Pour être régulière, la notification doit intervenir à l'adresse indiquée par la partie elle-même à l'autorité. L'expédition doit être opérée à l'adresse mentionnée, jusqu'à ce qu'un avis de changement ait été communiqué à l'autorité. Cette dernière peut ainsi se prévaloir de la perfection de la notification dès lors que l'acte a été expédié à cet endroit. Lorsque l'autorité a appris, par exemple à l'occasion d'une autre cause mettant en présence la même personne, que celle-ci a déménagé, cette connaissance doit lui être opposée, le fardeau de la preuve incombant alors à l'administré. Dans la mesure où le pli est retourné au greffe avec la mention « parti sans laisser d'adresse » ou une autre indication de même nature, il incombe au tribunal de procéder aux recherches nécessaires. Il ne peut en effet plus se prévaloir d'un manquement du destinataire pour fictivement admettre que le pli lui est parvenu.

Le destinataire a une obligation d'information à l'égard des autres intervenants de la procédure. Fondée sur la bonne foi, celle-ci dure pendant toute l'instance. En cas de changement d'adresse, il lui incombe d'en aviser le Tribunal. Il en va de même en cas de déplacement de longue durée, que ce soit à l'hôpital, au service militaire ou en vacances : le destinataire a la charge d'organiser l'acheminement de son courrier ou de désigner un mandataire ad hoc. On admet que si le défendeur a donné une adresse à laquelle doivent se faire les notifications postales, il a pris par la même occasion l'engagement - tacite - d'indiquer tous ses changements intervenus au sujet de cette adresse. L'obligation d'annonce prévaut en droit administratif, dès le dépôt de la requête ou la première information provenant de l'administration, dans tous les cas, jusqu'à l'entrée en force du jugement. Lorsque le destinataire n’avertit pas l'autorité de son changement d'adresse, il doit se laisser objecter la notification qui en résulte. Il n'en va différemment que dans la mesure où une grave négligence, respectivement un acte contraire à la bonne foi pourrait être mis à la charge de l'expéditeur (DONZALLAZ, La notification en droit interne suisse, Berne 2002, n° 901, 908, 910, 913, 915 à 917 et 921 à 923 et les références citées).

2.2 Le fardeau de la preuve de la notification d’un acte et de sa date incombe en principe à l’autorité qui entend en tirer une conséquence juridique (ATF 124 V 402 consid. 2a). En ce qui concerne plus particulièrement la notification d’une décision ou d’une communication de l’administration adressée par courrier ordinaire, elle doit au moins être établie au degré de la vraisemblance prépondérante requis en matière d’assurance sociale (ATF 124 V 402 consid. 2b). L’autorité supporte donc les conséquences de l’absence de preuve (ou de vraisemblance prépondérante) en ce sens que si la notification ou sa date sont contestées et qu’il existe effectivement un doute à ce sujet, il y a lieu de se fonder sur les déclarations du destinataire de l’envoi (ATF non publié du 5 mai 2008, 8C_621/2007, consid. 4.2).

2.3  

2.3.1 En l’occurrence, l’intimée a adressé la décision du 28 février 2023 à la recourante sous le nom de « A______ » à la rue F______ à Annemasse, par courrier recommandé, revenu avec la mention « destinataire inconnu à cette adresse ».

La recourante a fait valoir que cette notification était irrégulière, car l’intimée n’avait pas mentionné son nom de famille.

L’intimée a répondu qu’elle s’était référée aux registres officiels qui indiquaient A______ comme nom de famille de l’intéressée.

2.3.2 En application de la doctrine précitée, l’intimée aurait dû adresser sa décision sur opposition du 28 février 2023 selon les coordonnées qui lui avaient été données par la recourante, en particulier dans son courriel du 21 juillet 2022, dans lequel, elle lui demandait d’utiliser son nom de mariage dans sa correspondance, car sinon elle ne la recevait pas. L’intimée ne peut dès lors se prévaloir du nom de famille officiel de la recourante. Elle aurait dû vérifier l’adresse utilisée dans le pli adressé en courrier recommandé, lorsqu’elle l’a reçu en retour avec la mention « destinataire inconnu à cette adresse » pour s’assurer que la recourante reçoive la décision.

3.             Lors de l’audience devant la chambre de céans, l’intimée a accepté d’annuler la décision querellée et de reprendre l’instruction de la cause.

3.1 En vertu de l’art. 53 al. 3 LPGA, l’assureur peut reconsidérer une décision contre laquelle un recours est formé jusqu’à l’envoi de son préavis.

Selon la jurisprudence, la décision de reconsidération rendue pendente lite qui a valeur de simple proposition au tribunal qui ne le lient pas et ne peuvent pas avoir l’effet d’un acquiescement, ne rendent pas le recours sans objet : l’autorité judiciaire doit statuer sur les conclusions dont elle est saisie (Commentaire romand de la loi sur la partie générale des assurances sociales éd. par Anne-Sylvie DUPONT / Margit MOSER-SZELESS, 2018, n. 101, 104 et 108 ad art. 53).

3.2 En l’occurrence, faute de nouvelle décision formelle, l’engagement de l’intimée à annuler la décision querellée et de reprendre l’instruction de la cause doit être considéré comme une proposition au juge. La recourante ne s’est pas opposée à cette proposition et elle apparaît justifiée, dès lors que la recourante n’a pas reçu le courrier du 23 février 2022, qui ne lui a pas été notifié correctement, de sorte qu’elle n’a pas pu y donner suite de façon non fautive. En conséquence, il n’y a pas lieu de considérer qu’elle n’a pas collaboré. La décision querellée sera ainsi annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour reprise de l’instruction et nouvelle décision sur opposition.

4.             La procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA et 89H LPA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Admet le recours.

3.        Annule la décision rendue le 28 février 2023.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision sur opposition.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le