Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/988/2025 du 09.09.2025 ( LIPAD ) , ADMIS
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/875/2025-LIPAD ATA/988/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 9 septembre 2025 |
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dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Yacine Rezki, avocat
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée
A. a. A______ fait l’objet d’une procédure de contrôle fiscal.
b. Par courrier du 13 juin 2024 adressé à l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC-GE), il s’est interrogé sur l’existence de documents tels que les messages, rapports, procès-verbaux approuvés, correspondances, directives, prises de positions, préavis ou décisions faisant état de sa pratique quant aux situations justifiant l’intervention de la direction du contrôle dans un dossier traité initialement par des contrôleurs, et, dans le cas où ces documents existaient, si l’AFC-GE était en mesure de les lui communiquer. Dans la négative, il sollicitait un refus formel lui permettant de saisir le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : PPDT).
Cette demande faisait suite à divers échanges de courriers qui étaient précédemment intervenus entre le contribuable et la direction du contrôle de l’AFC-GE. Le contribuable sollicitait des explications sur le fait que certains des courriers lui ayant été adressés par l’AFC-GE dans le cadre de sa procédure avaient été signés par la direction du contrôle de l’AFC-GE et non par des collaborateurs de la direction.
c. Le 11 juillet 2024, l’AFC-GE a transmis à A______ un extrait des pages 4 et 5 de la directive interne n° 2 de la direction du contrôle, intitulée « mesures de contrôle interne », décrivant dans quels cas les dossiers étaient soumis à la direction du contrôle. Le montant à partir duquel les dossiers étaient soumis au directeur adjoint par les experts contrôleurs avait toutefois été caviardé. Il était précisé que, dans le cas du contribuable, les montants litigieux estimés relatifs à son dossier fiscal étaient supérieurs au seuil caviardé figurant au point b de la directive.
d. Le 29 juillet 2024, le contribuable a formé une demande auprès du PPDT en demandant que le « montant seuil » caviardé lui soit communiqué.
e. Une séance de médiation a eu lieu le 9 octobre 2024 en présence du PPDT, du mandataire du contribuable et des représentants du département.
La procédure de médiation n’ayant pas abouti à un accord, le PPDT a transmis le dossier, le 28 novembre 2024 à la préposée adjointe pour recommandation.
f. Le 15 janvier 2025, le PPDT, soit pour lui la préposée adjointe, a recommandé au département de transmettre à A______ les passages des pages 4 et 5 de la directive n° 2 de la direction du contrôle intitulée « mesures de contrôle interne » relatives aux situations justifiant l’intervention de la direction du contrôle dans un dossier traité initialement par des contrôleurs, non caviardée du montant seuil à partir duquel les dossiers sont soumis au directeur adjoint par les experts contrôleurs.
Seul le caviardage du montant seuil faisait l’objet d’un désaccord entre les parties. La question de savoir si la demande d’accès intervenait dans le but énoncé par la loi en lien avec son volet « transparence », à savoir favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique, ou en lien avec un intérêt privé de partie à une procédure pouvait rester ouverte. En effet, conformément à l’art. 24 al. 1 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08), toute personne, physique ou morale, avait accès aux documents en possession des institutions, de sorte que la demande ne saurait être écartée pour ce motif, ce d’autant qu’une requête n’avait pas à être motivée. Il restait donc à examiner si une exception à la transparence s’opposait à la communication du montant seuil.
L’extrait de la directive n° 2 « mesures de contrôle interne » visait à préciser dans quelles situations la direction du contrôle intervenait dans un dossier traité initialement par des contrôleurs. S’il s’agissait bien d’une directive organisationnelle qui visait à aménager des mesures de contrôle en matière fiscale, la préposée adjointe voyait mal en quoi la connaissance du seuil à partir duquel le dossier était soumis à la direction du contrôle pourrait faciliter la soustraction fiscale ou empêcher la prévention d’infractions. Il en irait différemment de la situation où une directive fiscale préciserait à partir de quel seuil des justificatifs devraient être requis pour le contrôle de déductions fiscales. La connaissance de tels seuils par le contribuable serait de nature à entraver l’action de l’administration. Des éléments d’une telle directive devraient être couverts par le secret conformément à l’art. 7 al. 2 let. a du règlement d'application de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 21 décembre 2011 (RIPAD - A 2 08.01), au même titre que les directives organisationnelles relatives à la vidéosurveillance dans le domaine pénitentiaire ne sauraient être accessibles, car la sécurité publique serait directement mise en péril si lesdites directives étaient divulguées. Finalement, elle voyait mal en quoi l’accès au document requis et au montant seuil serait de nature à compromettre l’ouverture, le déroulement ou l’aboutissement d’enquêtes prévues par la loi ou à rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportent les lois régissant les procédures judiciaires et administratives. À l’instar de ce que le Tribunal fédéral avait retenu s’agissant de la directive du Procureur général relative à la politique pénale à l’égard des étrangers multirécidivistes en situation irrégulière, le document requis ne faisait pas partie du dossier de procédure fiscale lui-même, mais relevait de règles organisationnelles générales ayant trait au suivi des dossiers fiscaux. On ne voyait pas en quoi la communication du montant seuil serait de nature à différer le prononcé du jugement au fond concernant les procédures fiscales pendantes ou sur quelles bases la procédure fiscale pourrait être suspendue du fait de cette communication.
g. Par décision du 10 février 2025, l’AFC-GE a autorisé la consultation dans ses locaux de la page 4 de la directive n° 2 de la direction du contrôle non caviardée du montant du seuil (lettre b) justifiant une supervision du dossier par la direction du contrôle. Elle a en revanche refusé la reproduction du document consulté.
Le fait de rendre public le montant caviardé sans autre explication du contexte dans lequel cette directive de contrôle interne était appliquée, présenterait un risque dans le fait qu’« une telle communication pourrait à tort faire croire au public que les infractions portant sur des montants inférieurs au seuil indiqué pourraient être traitées par l’AFC-GE de façons différentes ou avec un contrôle interne moins fort que celles portant sur des montants plus élevés que ce seuil ». Or, tel n’était pas le cas, étant rappelé que tous les dossiers sensibles, indépendamment des montants en jeu, étaient supervisés par la direction du contrôle. Cela étant, même si l’appréciation sommaire faite par le PPDT dans sa recommandation lui paraissait discutable et était entachée d’une erreur de logique (c’était de commission d’infractions dont on parlait et non de prévention), l’AFC-GE entendait, par gain de paix et afin d’éviter la poursuite d’une procédure inutile, donner suite à la recommandation, en acceptant de communiquer au requérant le montant seuil mentionné dans la directive. Toutefois, afin d’éviter tout risque lié à une diffusion incontrôlée de ce seuil, au sens de l’art. 7 al. 2 RIPAD, l’accès serait exercé par le biais d’une consultation sur place du document dans les locaux de l’AFC-GE par le seul requérant. C’était d’ailleurs sous cette forme que la préposée adjointe avait pris connaissance du document non caviardé le 5 décembre 2024. Ce procédé répondait à l’exigence du principe de proportionnalité, dans la mesure où il permettait de satisfaire entièrement la demande du requérant et rendait ainsi sa contestation sans objet, tout en permettant d’éviter les risques quant à des interprétations potentiellement erronées de l’extrait de la directive interne, si le document venait à être diffusé plus largement.
B. a. Par acte expédié le 13 mars 2025, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision, concluant à la modification de celle-ci, en ce sens que les points b et c de la directive n° 2 soient accessibles sans que le montant seuil ne soit caviardé. Subsidiairement, il a conclu à son annulation et au renvoi de la cause à l’autorité intimée pour nouvelle décision.
L’objet du litige portait uniquement sur la question de savoir si l’autorité pouvait restreindre l’accès complet à l’une de ses directives au seul recourant et à son mandataire, ou si cet accès devait être octroyé à tout un chacun.
La décision entreprise violait les art. 26 LIPAD et 7 al. 2 RIPAD. La directive litigieuse était un document d’ordre général et abstrait et n’avait pas été rédigée dans le cadre de procédures fiscales pouvant le concerner. Elle ne faisait pas partie d’un quelconque dossier dans les procédures qui l’opposaient à l’administration. L’AFC-GE faisait valoir un risque théorique très diffus et fondé sur une information erronée. Affirmer que la divulgation du seuil à partir duquel la direction intervenait dans un contrôle inciterait à commettre des soustractions inférieures à ce seuil était aussi cavalier qu’affirmer que la divulgation de la directive du Ministère public indiquant les peines requises en fonction de la gravité de l’infraction inciterait les prévenus à commettre des infractions moins graves pour échapper à une répression plus dure.
La décision entreprise était un cas d’école de la violation du principe « access to one ; access to all ». Dès lors que l’administration lui avait accordé l’octroi de la directive non caviardée, elle devait souffrir à la divulgation dudit montant au public.
b. Par réponse du 2 mai 2025, l’AFC-GE a conclu à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.
Le recourant n’avait aucun intérêt à recourir contre la décision attaquée, dès lors qu’elle avait suivi la recommandation du PPDT en lui donnant accès à l’information qu’il sollicitait sous forme d’une consultation sur place du document non caviardé du « montant-seuil ». Le recourant pouvait encore à tout moment avoir accès à l’information demandée, indépendamment de l’issue donnée au présent recours.
Si le recours devait être déclaré recevable, il devrait alors être considéré comme sans objet et en conséquence rejeté dès lors que l’intimée avait donné droit aux conclusions du recourant.
c. Le 30 juillet 2025, le recourant a relevé que le procédé utilisé par le fisc constituait un « dangereux précédent en matière de transparence ». Il permettait aux autorités de contourner le but des lois garantissant la transparence en limitant le droit de consulter des documents aux seules personnes qui en faisaient expressément la demande. Le fisc avait limité son accès au document, en lui interdisant de faire une copie. Il disposait donc d’un intérêt à agir.
d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 LPA ‑ E 5 10 ; art. 60 al. 1 LIPAD).
2. Se pose en premier lieu la question de savoir si le recourant dispose d’un intérêt digne de protection pour attaquer la décision entreprise, ce que conteste l’intimée.
2.1 À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée sont titulaires de la qualité pour recourir. La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/1454/2024 du 10 décembre 2024 consid. 3.1 ; ATA/1078/2024 du 10 septembre 2024 consid. 2.1 et l'arrêt cité ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 184 n. 698).
Selon la jurisprudence, le recourant doit être touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, et l’intérêt invoqué, qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération (ATF 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2019 du 19 août 2020 consid. 1.2). Il faut donc que le recourant ait un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 143 II 578 consid. 3.2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_536/2021 du 7 novembre 2022 consid. 1). Un intérêt purement théorique à la solution d'un problème est de même insuffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1).
2.2 En l’espèce, il n’est pas contesté que le recourant est le destinataire de la décision entreprise. Celle-ci l’autorise certes à consulter le document dont il a sollicité l’accès. Elle restreint toutefois son droit d’accès, en interdisant l’obtention de copies dudit document. Or, comme on le verra, la LIPAD consacre un droit à l’obtention de copies en cas de droit d’accès aux documents sollicités. Il s’ensuit que le recourant a un intérêt digne de protection à l’annulation de la décision, en tant qu’elle retient que la reproduction du document litigieux n’est pas autorisée.
Le recourant a partant qualité pour recourir.
3. Le litige ne porte que sur la conformité au droit de la décision de l’intimée de refuser la reproduction de la page 4 de la directive n° 2 de la direction du contrôle. Le principe de la consultation par le recourant dudit document, non caviardé, a été admis par l’autorité intimée dans la décision contestée, si bien qu’il n’est plus litigieux.
3.1 La LIPAD régit l'information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle comporte deux volets. Le premier concerne l'information du public et l'accès aux documents ; il est réglé dans le titre II (art. 5 ss LIPAD). Le second porte sur la protection des données personnelles, dont la réglementation est prévue au titre III (art. 35 ss LIPAD).
L'adoption de la LIPAD a renversé le principe du secret de l'administration pour faire primer celui de la publicité. Toutefois, l'application de la LIPAD n'est pas inconditionnelle. En effet, dans la mesure où elle est applicable, elle ne confère pas un droit d'accès absolu, mais prévoit des exceptions, aux fins notamment de garantir la sphère privée des administrés et de permettre le bon fonctionnement des institutions (ATA/427/2020 du 30 avril 2020 consid. 5 ; Mémorial du Grand Conseil [ci-après : MGC] 2000/VIII 7641 p. 7694 ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680 ss, 9697 et 9738). L'application des restrictions au droit d'accès implique une juste pesée des intérêts en présence lors de leur mise en œuvre (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680).
3.2 La LIPAD s'applique aux institutions, établissements et corporations de droit public cantonaux et communaux, ainsi que leurs administrations et les commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. c LIPAD).
L’art. 24 LIPAD prévoit que toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par la LIPAD (al. 1). L’accès comprend la consultation sur place des documents et l’obtention de copies des documents (al. 2).
La procédure d’accès aux documents est gratuite. Le Conseil d’État peut prévoir la perception d’émoluments pour la remise de copie papier, ainsi que lorsque la demande d’accès nécessite un surcroît important de travail. Le Conseil d’État règle les modalités et fixe le tarif des émoluments en fonction des frais effectifs et en tenant compte des besoins particuliers. L’autorité informe le requérant au préalable si elle envisage de prélever un émolument et lui en communique le montant (art. 28 al. 7 LIPAD). Les émoluments en cas de remise de copie papier de documents sont précisés à l’art. 24 RIPAD.
Le droit d’accès aux documents est cependant restreint aux conditions de l’art. 26 LIPAD. L’application desdites restrictions implique une juste pesée des intérêts en présence lors de leur mise en œuvre (MGC 2000 45/VIII 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9680). Sont soustraits au droit d'accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s'oppose (art. 26 al. 1 LIPAD ; art. 7 al. 1 RIPAD). Tel est notamment le cas de directives organisationnelles qui visent à aménager des mesures de surveillance ou de contrôle dans les domaines de la sécurité de l'État, de la sécurité publique, des relations internationales de la Suisse et de la fiscalité notamment, et qui ont pour but de prévenir la commission d'infractions à des lois ou des règlements (art. 7 al. 2 let. a RIPAD).
La décision de donner un accès total, partiel ou différé à un document peut être assortie de charges lorsque cela permet de sauvegarder suffisamment les intérêts que l’art. 26 LIPAD commande de protéger (art. 27 al. 4 LIPAD).
3.3 Selon les travaux parlementaires relatifs à la LIPAD, dès lors qu’un document doit être considéré comme accessible à une personne en vertu de ce principe de transparence (et non en vertu des dispositions sur la protection des données personnelles ou des droits inhérents à la qualité de partie à une procédure), il n’y a pas de raison d’en refuser l’accès à d’autres personnes, conformément à l’axiome couramment exprimé en anglais par les mots « access to one - access to all » (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7691).
Le droit d'accès est défini comme un droit de consultation sur place ainsi qu'un droit à l'obtention de copies (à l'instar de l'avant-projet de loi fédérale sur la transparence de l'administration), à l'exclusion d'un droit à l'obtention d'explications orales sur les documents (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7692).
L’art. 27 al. 4 LIPAD répond à une préoccupation de proportionnalité en même temps qu’il doit servir de base légale à des charges susceptibles d’assortir la communication de documents en lieu et place d’un simple refus d’accès ou d’un accès différé à un document (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7700). Cet instrument peut servir utilement d’alternative à un simple refus d’accès (MGC 2000 49/X9678, p. 9698)
3.4 Au plan fédéral, non concerné ici, la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration du 17 décembre 2004 (LTrans - RS 152.3) vise à promouvoir la transparence quant à la mission, l’organisation et l’activité de l’administration fédérale, en garantissant notamment l’accès aux documents officiels (art. 1 LTrans), et renverse ainsi le principe du secret des activités administratives au profit de celui de la transparence (ATF 136 II 399 consid. 2.1 ; 133 II 209 consid. 2.3.1 ; FF 2003 1807, p. 1819). Selon l’art. 6 LTrans, toute personne a le droit de consulter des documents officiels et d’obtenir des renseignements sur leur contenu de la part des autorités (al. 1). Elle peut consulter les documents officiels sur place ou en demander une copie. La législation sur le droit d’auteur est réservée (al. 2). Le droit d’accès est limité, différé ou refusé, dans les situations prévues à l’art. 7 al. 1 LTrans.
Selon le message relatif à LTrans, en garantissant l’accès à « toute personne » (art. 6 al. 1), c’est-à-dire au « public » (voir art. 1), le principe de transparence garantit une information collective : lorsque l’accès à un document officiel est accordé à une personne, il doit l’être à toutes (« access to one ; access to all »). Une restriction de l’accès à certaines personnes ou à certains groupes de personnes est, par principe, exclu (FF 2003 1807, p. 1843). Si une restriction du cercle des destinataires était possible, on risquerait, par ce biais, de voir réintroduite l’exigence de la justification d’un intérêt pour accéder à certains types de documents. L’autorité peut assortir sa décision d’une charge, même si l’art. 7 al. 1 LTrans, ne le précise pas expressément. En vertu du principe de proportionnalité et compte tenu de l’intérêt public à la transparence, l’autorité peut avoir recours à cet instrument à chaque fois qu’elle serait concrètement en droit de refuser l’accès à l’information. Il n’est donc pas exclu, suivant les circonstances, de n’accorder dans un cas concret qu’un accès individuel en application du principe de proportionnalité. Ainsi, par exemple, les proches d’un Suisse victime d’un enlèvement à l’étranger auront la possibilité de consulter le dossier afin de pouvoir se faire une idée des mesures prises par les autorités pour le sauver. Si cette consultation devait automatiquement conduire à rendre ces documents accessibles à l’ensemble du public, il serait logiquement nécessaire d’en refuser l’accès à la famille, puisque cette publicité risquerait de mettre en péril l’opération. Tel n’est pourtant pas le sens et le but du principe de transparence. Le mécanisme proposé par le projet est dual : ou bien un document est public (il est accessible), ou bien il n’est pas accessible selon la loi sur la transparence. Ceci ne signifie pas cependant qu’il est interdit à l’administration de définir de manière plus précise le domaine des documents officiels non accessibles (FF 2003 1807, p. 1847).
3.5 Dans un arrêt 1C_604/2015, le Tribunal fédéral a admis le recours formé par une association contre le refus d’accès, confirmé par la chambre administrative, à une directive du Ministère public « précisant la politique pénale à l'égard des étrangers multirécidivistes en situation irrégulière ». Il a notamment retenu que la directive n’avait pas d’effet contraignant à l’égard des magistrats du Ministère public. Le simple fait de rendre accessible cette directive n’avait pas d'incidence sur la capacité de prendre une décision particulière dans une situation précise. Dans la mesure où la directive a pour but d'assurer une certaine uniformité dans l'application de la loi pénale, l'autorité pouvait être amenée à motiver davantage ses décisions dans les cas où elle entendrait s'écarter de la pratique généralement suivie. Cette obligation de motiver ne saurait toutefois constituer une entrave au processus décisionnel au sens de l'art. 26 al. 2 let. c LIPAD. Dans la mesure où la directive tend à unifier la pratique dans le domaine de la poursuite pénale et des peines applicables à certaines infractions, il existe un intérêt à ce que celle-ci soit rendue accessible (arrêt du Tribunal fédéral 1C_604/2015 du 13 juin 2016 consid. 5).
3.6 En l’espèce, comme indiqué, l’objet du litige est limité à la décision de l’intimée de refuser la reproduction du document auquel le recourant a sollicité l’accès. Le principe de l’accès à ce document par le recourant n’est plus litigieux. En effet, suivant la recommandation du PPDT, l’intimée a autorisé la consultation par le recourant du document non caviardé dans les locaux de l’AFC-GE.
Il ressort de la décision entreprise que le refus d’autoriser la reproduction du document litigieux est motivé par le risque lié à une diffusion incontrôlée du seuil mentionné dans la directive au sens de l’art. 7 al. 2 let. a RIPAD. Selon l’autorité, le fait de rendre public le seuil mentionné dans le document litigieux, sans autre explication du contexte dans lequel cette directive de contrôle interne est appliquée, présente un risque dans le fait qu’une telle communication pourrait à tort faire croire au public que les infractions portant sur des montants inférieurs au seuil indiqué pourraient être traitées par l’AFC-GE de façon différente ou avec un contrôle interne moins fort que celles portant sur des montants plus élevés que ce seuil. Or, tel n’est pas le cas. L’intimée rappelle au demeurant que tous les dossiers sensibles, indépendamment du montant en jeu, sont supervisés par la direction du contrôle.
Avec ce raisonnement, l’intimée perd toutefois de vue que la pesée des intérêts en présence a déjà été effectuée dans l’examen du droit à la transparence et qu’au terme de celui-ci, le recourant s’est vu reconnaître un droit d’accès au document sollicité, non caviardé du montant du seuil justifiant une supervision du dossier par la direction du contrôle. Quand bien même l’intimée ait qualifié cette recommandation de « discutable et entachée d’une erreur de logique », elle ne l’a pas moins suivie. Or, comme indiqué ci-avant, lorsque l’accès à un document officiel est accordé à une personne, il doit l’être à toutes (« access to one : access to all »). Sur la base de ce principe, l’art. 24 al. 2 LIPAD prévoit que l’accès comprend la consultation sur place des documents et l’obtention de copies. La LIPAD consacre ainsi un véritable droit à l’obtention de copies en cas de droit d’accès aux documents sollicités, ce qui ressort d’ailleurs explicitement des travaux préparatoires. C’est également le régime prévu par le droit fédéral (art. 6 al. 2 LTrans) duquel s’est inspiré le législateur cantonal dans l’élaboration de la loi (arrêt du Tribunal fédéral 1C_678/2023 du 9 décembre 2024 consid. 3.1.3 et les références citées, en particulier l’arrêt du Tribunal fédéral 1P.601/2003 du 26 novembre 2003 consid. 2.4 ; ATA/786/2025 du 22 juillet 2025 consid. 2).
Certes, il n’est pas exclu que l’autorité puisse, dans des circonstances particulières, assortir sa décision d’une charge, en prévoyant que celle-ci ne s’adresse qu’à une personne déterminée. Il ressort toutefois du système prévu par le législateur que l’autorité ne peut avoir recours à cet instrument que dans l’hypothèse où elle serait concrètement en droit de refuser l’accès à l’information. Or, tel n’est pas le cas en l’occurrence.
Les parties s’accordent en effet à dire que la directive litigieuse est une directive organisationnelle qui vise à aménager les mesures de contrôle en matière fiscale. Elle est partant en principe soumise au droit d’accès. Contrairement à ce que semble soutenir l’intimée, l’exception de l’art. 7 al. 2 let. a RIPAD est inapplicable in casu. Dans sa recommandation, la préposée adjointe a relevé qu’elle ne voyait pas en quoi la connaissance du seuil à partir duquel le dossier était soumis à la direction de contrôle aurait pour effet de faciliter la soustraction fiscale ou de prévenir la commission d’infractions. Il convient de la suivre sur ce point. Comme l’indique la préposée adjointe, la situation serait différente si la directive mentionnait des seuils à partir desquels des justificatifs pourraient être requis pour contrôler la légalité des déductions opérées. Or, dans le cas présent, la directive se limite à mentionner un seuil indicatif justifiant une supervision du dossier par la direction du contrôle. L’intimée a d’ailleurs précisé, dans la décision litigieuse, que tous les dossiers sensibles, indépendamment du montant en jeu, étaient supervisés par la direction du contrôle. Partant, le simple fait de rendre accessible cette directive n’aura pas d’incidence sur la possibilité de soumettre des dossiers à la supervision de la direction du contrôle, même lorsque le seuil litigieux n’est pas atteint. On ne voit dès lors pas en quoi la connaissance de tels seuils serait de nature à entraver directement l’action de l’administration. Enfin, aucune autre exception au droit d’accès n’apparait réalisée. Il existe, au demeurant, et bien que cela ne soit pas déterminant dès lors que la demande d'accès n'a pas à faire état d'un intérêt particulier, un intérêt public à ce qu'un accès soit donné à la directive litigieuse, dans la mesure où celle-ci tend à unifier la pratique dans le domaine du contrôle fiscal.
C’est partant à tort que l’intimée n’a pas autorisé la reproduction du document consulté.
Le recours sera ainsi admis et la décision entreprise annulée en tant qu’elle retient que la reproduction du document consulté n’est pas autorisée. Le recourant a droit à la remise d’une copie du document sollicité, étant rappelé qu’un émolument peut être perçu par l’intimée conformément aux art. 28 al. 7 LIPAD et 24 RIPAD.
4. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, à la charge de l'intimée (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 13 mars 2025 par A______ contre la décision de l’administration fiscale cantonale du 10 février 2025 ;
au fond :
l’admet ;
annule la décision en tant qu’elle limite l’accès à la page 4 de la directive n° 2 de la direction du contrôle non caviardée du montant du seuil (lettre b) justifiant une supervision du dossier par la direction du contrôle à la seule consultation sur place et refuse la reproduction du document consulté ;
ordonne, en tant que de besoin, la remise d’une copie du document précité ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
alloue à A______ une indemnité de CHF 1'000.- à la charge de l’État de Genève ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Yacine REZKI, avocat du recourant, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu’au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence, pour information.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Jean‑Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière-juriste :
D. WERFFELI BASTIANELLI
|
| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
|
| la greffière :
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