Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/916/2025 du 26.08.2025 sur JTAPI/323/2025 ( ICCIFD ) , ADMIS
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/572/2025-ICCIFD ATA/916/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 26 août 2025 4ème section |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Mattia DEBERTI, avocat
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 31 mars 2025 (JTAPI/323/2025)
A. a. Par jugement du 31 mars 2025, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a déclaré irrecevable le recours formé par A______ le 19 février 2025 contre les décisions sur réclamation rendues par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) concernant l’imposition de l’année 2019.
L’acte de recours n’étant pas signé, le TAPI avait, par courrier recommandé du 21 février 2025, invité A______ à lui transmettre un exemplaire de son mémoire de recours dûment signé, dans un délai de trois jours ouvrables à compter de la réception du pli, à défaut de quoi son recours serait déclaré irrecevable. Selon le suivi des envois postaux, le pli avait été distribué à A______ le 24 février 2025. Le 6 mars 2025, A______ avait transmis un acte de recours dûment signé par son administratrice. Dans la lettre d’accompagnement, cette dernière avait expliqué avoir été « absente en raison des congés du mois de février » et qu’il lui était donc « impossible de se conformer au délai imparti ».
L’acte de recours dûment signé n’ayant pas été produit dans le délai imparti ni aucune prolongation de ce délai sollicitée, le recours était irrecevable. L’empêchement allégué, à savoir l’absence de l’administratrice de A______ pour cause de vacances, ne constituait pas un motif justifiant la restitution du délai.
b. Par courrier du 13 mai 2025, la contribuable a demandé au TAPI d’instruire son recours du 6 mars 2025.
c. Le TAPI a, par jugement du 20 mai 2025, déclaré le recours du 13 mai 2025 irrecevable et l’a transmis à la chambre administrative de la Cour de justice comme objet de sa compétence.
d. Par courrier du 22 mai 2025, A______ a indiqué au TAPI que son courrier du 13 mai 2025 ne constituait pas un recours contre le jugement du 31 mars 2025, mais une demande que son recours du 6 mars 2025 soit traité.
e. Le TAPI a répondu à la justiciable le 10 juin 2025 qu’il avait pris en considération l’acte du 6 mars 2025 dans son jugement du 31 mars 2025. Il n’entrerait ainsi à l’avenir plus en matière sur toute autre demande formulée dans ce contexte.
f. La chambre administrative a rayé du rôle la cause que le TAPI lui avait transmise, l’intéressée ayant clairement exprimé son intention de ne pas recourir auprès d’elle contre le jugement du 31 mars 2025.
B. a. Par acte déposé le 8 juillet 2025, A______ a recouru auprès de la chambre administrative, reprochant au TAPI un déni de justice.
Elle ne contestait pas que son recours du 19 février 2025 était entaché d’un vice de forme, qui n’avait pas été réparé dans le délai imparti par le TAPI. En revanche, elle avait formé un nouveau recours le 6 mars 2025, dans le délai de recours échéant le 31 mars 2025, les décisions querellées ayant été notifiées le 14 février 2025.
b. Invitée à indiquer à quelle date les décisions querellées avaient été notifiées, l’AFC-GE a répondu que le courrier les contenant avait été expédié par pli simple. Elle ne pouvait ainsi établir la date de la notification des décisions du 9 janvier 2025. Il lui paraissait toutefois étonnant qu’elles ne soient parvenues à leur destinataire qu’un mois plus tard.
c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Est litigieuse la question de savoir si le TAPI a commis un déni de justice en ne traitant pas le courrier de la recourante du 6 mars 2025 comme un nouveau recours.
2.1 Aux termes de l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. Il y a déni de justice formel lorsqu'une autorité n'applique pas ou applique d'une façon incorrecte une règle de procédure, de sorte qu'elle ferme l'accès à la justice au particulier qui, normalement, y aurait droit. L'autorité qui se refuse à statuer, ou ne le fait que partiellement, viole l'art. 29 al. 1 Cst. (ATF 149 II 209 consid. 4.2 ; 144 II 184 consid. 3.1).
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 149 III 12 consid. 3.3.1 ; 149 IV 9 consid. 7.2 ; 145 I 201 consid. 4.2.1). L'interdiction du déni de justice ne s'oppose pas à des arrêts d'irrecevabilité lorsqu'une demande ou un recours ne satisfait pas aux conditions procédurales qui conditionnent leur traitement au fond (arrêts du Tribunal fédéral 2C_553/2024 du 7 mai 2025 consid. 4.1 ; 2C_307/2024 du 2 octobre 2024 consid. 6.1 ; 2C_608/2017 du 24 août 2018 consid. 5.2).
2.2 Dans le contexte d’un jugement déclarant irrecevable un recours pour défaut de paiement de l’avance de frais, le Tribunal fédéral a relevé que si, certes, la sanction de l'irrecevabilité du recours ne procédait pas d'un excès de formalisme ou d'un déni de justice, lorsque les parties avaient été averties de façon appropriée du montant à verser, du délai imparti pour le versement et des conséquences de l'inobservation de ce délai (ATF 133 V 402 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 2C_135/2024 du 7 mai 2024 consid. 3.2), il n'en demeurait pas moins que l'autorité de force jugée de ce jugement d'irrecevabilité était restreinte à la condition de recevabilité qui avait été discutée et jugée défaillante. Il n'avait pas autorité de force jugée sur le fond du litige (arrêts du Tribunal fédéral 4A_149/2024 du 17 juin 2024 consid. 5.1; 4A_30/2020 du 23 mars 2021 consid. 3.3.1). Par conséquent, un tel arrêt d'irrecevabilité ne pouvait empêcher, sur le plan juridique, la partie recourante de former un second recours dans le délai de recours, tant que celui-ci courait toujours et pour autant que les autres conditions de recevabilité soient réunies (arrêt du Tribunal fédéral 2C_553/2024 précité consid. 4.4 et les références citées).
2.3 L’art. 5 al. 3 Cst. oblige les organes de l’État et les particuliers à agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. L’art. 9 Cst. confère à toute personne le droit d’être traitée par les organes de l’État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; 137 II 182 consid. 3.6.2).
2.4 La présente espèce présente la particularité que la recourante a, dans son recours du 19 février 2025 au TAPI, indiqué que les décisions sur réclamation avaient été notifiées à son mandataire le 14 février 2025, contrairement à la date pré-imprimée de notification du 20 janvier 2025, figurant sur les décisions datées du 9 janvier 2025. Elle a expliqué dans son (premier) recours au TAPI qu’au vu de ladite indication pré-imprimée, elle avait, par mesure de prudence, préféré former recours le 19 février 2025, ce qui ne lui avait cependant laissé que cinq jours à disposition pour le rédiger, rendant excessivement difficile d’exposer de manière circonstanciée ses arguments et réunir les pièces probantes. Elle avait ensuite exposé brièvement ses griefs.
Les décisions querellées n’ont pas été expédiées par pli recommandé. L’AFC-GE les a datées du 9 janvier 2025 en faisant figurer la date du 20 janvier 2025 comme date de notification. Cette manière de procéder ne permet pas de déterminer la date à laquelle elles ont été reçues par la contribuable. Cette dernière a affirmé de manière constante les avoir reçues le 14 février 2025, date figurant d’ailleurs sur le tampon humide de réception apposé par elle sur les décisions. Malgré l’écart important entre les dates de décision et de notification figurant sur les décisions et l’absence de preuve de cette dernière, il ne peut être considéré que la date de réception alléguée par la recourante paraisse à ce point inhabituelle ou incongrue qu’elle ne pourrait être retenue. Au vu de ces circonstances, il convient de retenir que les décisions ont été notifiées le 14 février 2025, étant rappelé que l’autorité intimée, à qui incombait le fardeau de la preuve de la date de notification, a échoué à l’établir.
Il y a encore lieu d’examiner si l’écriture du 6 mars 2025, qui est identique au recours formé le 19 février 2025, sous réserve du fait qu’il était signé, devait être traitée comme un nouveau recours, comme le fait valoir la recourante.
Cette écriture a été expédiée avant l’échéance du délai de recours, d’une part. D’autre part, elle est intervenue après le délai imparti par le TAPI pour signer le recours. Dès lors qu’avant l’échéance du délai de recours, la justiciable demeurait libre de saisir le TAPI d’un recours, l’écriture du 6 mars 2025 aurait dû être traitée comme un recours, afin de ne pas consacrer une rigueur par trop formaliste.
Le TAPI, dans son jugement du 31 mars 2025, a retenu que l’écriture du 6 mars 2025, bien qu’elle fût signée, avait été expédiée après le délai imparti pour procéder à ladite signature, ce qui l’a conduit à prononcer l’irrecevabilité du recours. Reste ainsi à savoir si la recourante aurait dû contester ce jugement, avec les arguments présentement plaidés, ou pouvait, comme elle l’a fait, procéder par une mise en demeure du TAPI de traiter ladite écriture comme un nouveau recours. Cette écriture présentant la particularité de répondre à la fois à la forme exigée par le TAPI, à savoir de porter une signature, toutefois après le délai imparti par celui-ci, et de constituer, en soi, un nouveau recours qui ne présentait pas la défaillance de la signature, il sera retenu, dans ces circonstances singulières, que la recourante pouvait se limiter à requérir du TAPI de traiter ladite écriture comme un nouveau recours.
Partant, le recours sera admis et la cause renvoyée au TAPI afin qu’il traite l’écriture précitée comme un recours.
3. Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 13 mai 2025 par A______ pour déni de justice ;
au fond :
l’admet et renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance au sens des considérants ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève (AFC-GE) ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Mattia DEBERTI, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière-juriste :
S. HÜSLER ENZ
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| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
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| la greffière : |