Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/796/2025 du 22.07.2025 sur JTAPI/77/2025 ( LCI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2229/2023-LCI ATA/796/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 22 juillet 2025 3ème section |
| ||
dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Guillaume FRANCIOLI, avocat
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC intimé
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 23 janvier 2025 (JTAPI/77/2025)
A. a. A______ (ci-après : A______) est propriétaire des parcelles nos 5'996 et 5'997 de la commune de Vernier, sur lesquelles, au bénéfice de l'autorisation n° DD 1______, elle a fait construire un immeuble correspondant à l'îlot F du plan localisé de quartier n° 2______ (ci-après : le PLQ).
b. Postérieurement à l'autorisation de construire susmentionnée, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré trois autorisations complémentaires portant les nos DD 3______, DD 4______ et DD 5______.
c. Le 4e sous-sol de l'immeuble est utilisé par C______ en vertu d'un contrat de bail conclu avec A______ le 8 juillet 2022, prévoyant que les locaux sont destinés à des « services liés à du Valet parking/service de voituriers et stockage de véhicules, à l'exclusion de toute autre activité ». Le bail a une durée de 20 ans, arrivant à échéance le 31 août 2042.
B. a. À la suite d'une dénonciation, des discussions se sont engagées entre A______ et le département au sujet de la mise en exploitation du 4e sous-sol et de son utilisation par la locataire.
b. Par décision du 16 juin 2023, après avoir procédé aux vérifications d'usage et à la suite de la séance du conseil de direction de l'office des autorisations de construire du 27 avril 2023 (ci-après : OAC), le DT a confirmé que l'exploitation était soumise à l'obtention d'une autorisation conformément à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). L'utilisation du 4e sous-sol en parking de type « Park and fly » ne pouvait être considérée comme du dépôt.
Le DT a ordonné à A______ de requérir jusqu'au 31 juillet 2023 une autorisation de construire complémentaire à l'autorisation n° DD 1______, dans la mesure où l'exploitation du 4e sous-sol du bâtiment n'était pas conforme à cette dernière autorisation, ainsi qu'aux autorisations complémentaires.
Si A______ ne souhaitait pas tenter de régulariser la situation, il lui était loisible de mettre un terme à l'activité en question jusqu'au 31 juillet 2023, sans quoi elle s'exposerait à toutes autres mesures et/ou sanctions justifiées par la situation.
C. a. Par acte du 30 juin 2023, A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à son annulation.
La décision querellée devait notamment être qualifiée de décision finale en tant qu'elle tranchait définitivement la question de la conformité à l'autorisation de l'utilisation du 4e sous-sol. Faisant exception à la jurisprudence usuelle en la matière, la décision affirmait que l'exploitation n'était pas conforme à l'autorisation. L'utilisation du 4e sous-sol en parking de type « Park and fly » ne pouvait être considérée comme du dépôt.
Même si la décision litigieuse n'était pas considérée comme une décision finale, elle causait à A______ un préjudice irréparable en retenant faussement la nécessité d'une dérogation, avec les risques inhérents à la délivrance ou l'entrée en force d'une décision destinée à autoriser cette dérogation.
L'exploitation du 4e sous-sol à l'affectation de stockage était conforme, car prévue par le PLQ.
b. Par décision du 8 août 2023, le TAPI a prononcé la suspension de l'instruction de la cause d'entente entre les parties.
c. Au terme de cette suspension, A______ a requis, par écritures du 30 septembre 2024, que le TAPI procède à un transport sur place. Elle a également sollicité l'audition de D______, architecte qui avait suivi l'intégralité du projet, de l'autorisation de construire initiale et de ses complémentaires, de E______, ingénieur en transport qui avait participé à la rédaction des études d'impact, ainsi que de F______, qui était conseiller d'État en charge du département de l'aménagement, des constructions et de la mobilité lors de la délivrance de l'autorisation de construire initiale.
La société a produit le rapport « Fonctionnement du sous-sol -4 de l'îlot F », établi par la société de E______, ainsi qu'un historique du PLQ.
Elle a détaillé le fonctionnement de l'activité du service « Park and fly » assurée par sa locataire. Il en résultait l'impossibilité de faire usage du 4e sous-sol en tant que places de stationnement publiques, de sorte que des comptages réalisés en août 2023 avaient permis de conclure que la génération moyenne de trafic, sur les sept jours de la semaine, était bien inférieure aux estimations du rapport d'impact de 2015. L'activité litigieuse consistait bien davantage à entreposer des véhicules plusieurs jours dans un espace sécurisé, plutôt qu'à faire office de parking.
d. Estimant que la cause pouvait être gardée à juger au regard de la jurisprudence constante relative aux ordres de déposer une autorisation de construire, le département n'a pas sollicité de nouveaux actes d'instruction.
e. Par jugement du 23 janvier 2025, le TAPI a déclaré le recours irrecevable.
Une décision ordonnant le dépôt d'une autorisation pour un changement d'affectation restait une décision incidente, quand bien même le justiciable contestait l'existence d'un changement d'affectation.
D. a. Par acte remis à la poste le 26 février 2025, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant principalement à son annulation, respectivement à l'annulation de la décision du département du 16 juin 2023. Subsidiairement, elle a conclu à l'annulation du jugement attaqué et à ce que la cause soit renvoyée au TAPI pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants. Préalablement, un transport sur place ainsi que l'audition de D______, E______ et F______ était sollicitée.
Elle reprenait les arguments développés devant le TAPI. La décision entreprise était finale dans la mesure où elle confirmait que l'exploitation actuelle n'était pas conforme à l'autorisation de construire n° DD 1______.
Ainsi, la décision querellée avait pour effet d'annuler des droits en niant définitivement son droit d'exploiter le 4e sous-sol de l'îlot F, de créer une obligation pour elle de requérir une autorisation de construire complémentaire et de constater l'inexistence, pour elle, du droit d'exploiter la surface litigieuse.
Si la chambre administrative ne retenait pas la qualification de décision finale, il fallait à tout le moins constater que la décision querellée était de nature incidente, propre à lui causer un préjudice irréparable.
b. Le DT a conclu au rejet du recours.
Comme l'avait constaté le TAPI, la décision du 16 juin 2023 n'avait pas d'autre effet juridique que d'ordonner à la recourante de déposer une requête en autorisation de construire.
Il s'agissait d'une décision incidente, dans la mesure où elle ouvrait une procédure administrative qui prendrait fin par une décision portant sur la conformité de l'exploitation aux autorisations de construire en force et, le cas échéant, aux dispositions légales applicables. Si le département avait déjà procédé à l'analyse au fond de la régularité de cette exploitation, il n'aurait pas invité la recourante à déposer une requête en autorisation de construire, mais aurait, en lieu et place, d'emblée prononcé une mesure et/ou une sanction administrative.
Ainsi, les explications de la recourante ne permettaient pas de remettre en cause la jurisprudence constante sur le sujet, d'ailleurs récemment confirmée par le Tribunal fédéral.
En tout état, le TAPI avait constaté à juste titre que la décision attaquée n'était pas de nature à causer un préjudice irréparable.
c. La recourante n'a pas répliqué dans le délai imparti par la chambre de céans.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le présent litige porte sur la nature, finale ou incidente, de la décision rendue par l'intimé le 16 juin 2023.
2.1 Le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e et 57 LPA.
Selon l'art. 57 LPA, sont susceptibles de recours, notamment, les décisions finales (let. a) et les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. c).
Constitue une décision finale au sens de l'art. 57 let. a LPA celle qui met un point final à la procédure, qu'il s'agisse d'une décision sur le fond ou d'une décision qui clôt l'affaire en raison d'un motif tiré des règles de la procédure (ATA/487/2023 du 9 mai 2023 consid. 2a et les références citées). Est en revanche une décision incidente (art. 4 al. 2 LPA) celle qui est prise pendant le cours de la procédure et ne représente qu'une étape vers la décision finale (ATA/487/2023 du 9 mai 2023 consid. 2a) ; elle peut avoir pour objet une question formelle ou matérielle, jugée préalablement à la décision finale (ATF 139 V 42 consid. 2.3 ; ATA/115/2023 du 7 février 2023 consid. 1b).
2.2 De jurisprudence constante, une décision ordonnant le dépôt d'une autorisation de construire doit être qualifiée de décision incidente, ce que la chambre administrative a rappelé dans un arrêt récent (ATA/952/2024 du 20 août 2024 consid 2.2.4).
Dans cet arrêt, la question s'était posée de savoir si d'éventuels travaux d'entretien réalisés dans un appartement étaient susceptibles d'être assujettis à la LCI ou à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et, partant, si la décision ordonnant au recourant de déposer une requête en autorisation de construire, afin de permettre à l'autorité de statuer valablement à ce sujet, devait être considérée comme une décision incidente.
Dans son argumentaire, la chambre administrative avait notamment relevé que les termes employés par le département au moment du prononcé de la décision querellée étaient suffisamment nuancés pour qu'il ne soit pas possible de déterminer si la soumission des travaux à la LCI ou à la LDTR était définitivement acquise. Ainsi, la décision, ordonnant au recourant de déposer une requête en vue de régulariser sa situation devait en effet être qualifiée d'incidente (ATA/952/2024 précité consid. 2.3).
Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral a confirmé l'arrêt précité et, à cette occasion, réaffirmé la jurisprudence constante en la matière, selon laquelle « un ordre de dépôt d'une demande d'autorisation de construire revêt un caractère incident qui ne met pas fin à la procédure administrative. En exigeant du recourant le dépôt d'un dossier complet relatif aux travaux effectués sans autorisation préalable, le département ouvre une procédure administrative qui prendra fin par une décision de l'autorité compétente qui soit constatera, sur la base de ce dossier, que les travaux réalisés ou à exécuter ne sont pas assujettis à une autorisation, soit dira que ces travaux sont soumis à autorisation et accordera celle-ci ou, au contraire, la refusera » (arrêt du Tribunal fédéral 1C_571/2024 du 15 janvier 2025 consid. 2.3).
2.3 En l'espèce, et au vu de ce qui précède, il est vrai qu'une décision ordonnant le dépôt d'une autorisation de construire est, de jurisprudence constante, qualifiée d'incidente.
Toutefois, la décision querellée rendue le 16 juin 2023 a ceci de différent que le département a confirmé sans ambiguïté qu'il découlait des vérifications d'usage et du conseil de direction de l'OAC que l'utilisation du 4e sous-sol en parking de type « Park and fly » ne pouvait être considérée comme du dépôt, et que, partant, l'exploitation actuelle du 4e sous-sol n'était « pas conforme » à l'autorisation n° DD 1______ ainsi qu'aux autorisations complémentaires. Ce faisant, le département a tranché de manière définitive dans un sens que la recourante conteste. Le caractère définitif est confirmé par le délai fixé par le département pour que la recourante cesse son activité, sous peine de sanction. Ainsi, en raison de l'intitulé et du contenu de la décision du 16 juin 2023, il y a lieu de retenir que celle-ci revêt les caractéristiques d'une décision finale, en ce sens qu'elle tranche définitivement la question sur le fond en ce qui concerne l'exploitation du 4e sous-sol de l'îlot F du PLQ.
Par voie de conséquence, le recours sera partiellement admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée au TAPI pour instruction sur la conformité de l'exploitation aux autorisations déjà délivrées et nouvelle décision.
La question de savoir si la décision querellée est propre à causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 57 let. c LPA est dès lors sans pertinence.
3. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 26 février 2025 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 23 janvier 2025 ;
au fond :
l'admet partiellement ;
annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 23 janvier 2025 ;
renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance au sens des considérants ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;
alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______, à la charge de l'État de Genève ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de le recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de le recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Guillaume FRANCIOLI, avocat de la recourante, au département du territoire - OAC ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
S. HÜSLER-ENZ
|
| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière :
|