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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3397/2024

ATA/76/2025 du 17.01.2025 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3397/2024-EXPLOI ATA/76/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 janvier 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

DIRECTION DE LA POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimée

 



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1958, exploite à l’enseigne « B______ » un commerce sis place C______ _______.

b. Le 8 octobre 2021, la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) lui a délivré à l’autorisation de vente à emporter de boissons fermentées et distillées à l’enseigne « D_______ » sis rue E_______ ______ pour le compte de « F______ » sis rue E_______ ______.

c. Selon le rapport de la PCTN du 25 octobre 2023, lors d’un contrôle effectué au « B______ » le 20 octobre 2023 à 14h30, G______, employée, avait vendu une bière Kronenbourg 1664 à un mineur de moins de 16 ans dans le cadre d’un achat-test.

d. Le 12 juin 2024, la PCTN a transmis le rapport à A______ et l’a informé qu’elle envisageait de prononcer la suspension pour une durée de sept jours à six mois de son autorisation de vente à l’emporter de boissons fermentées et distillées.

e. Le 11 juillet 2024, A______ a indiqué que son employée lui avait caché le contrôle de peur d’être licenciée, qu’il l’avait rendue attentive à plusieurs reprises à la nécessité de respecter la loi et de ne jamais vendre d’alcool à des mineurs quand elle avait des doutes. Il avait lui-même renvoyé plusieurs fois des clients qui ne présentaient pas de pièce d’identité. La meilleure façon de lutter contre cette infraction était d’amender la personne qui avait vendu de l’alcool à des mineurs, ce qui la rendrait plus vigilante. Sanctionner le magasin risquait de mettre l’entreprise en grande difficulté. Il allait à nouveau briefer tous ses employés et leur indiquer qu’en cas d’infraction, ils seraient licenciés. Si nécessaire, il leur ferait signer une directive. G______ avait admis avoir commis l’infraction et acceptait de payer l’amende.

f. Par décision du 24 septembre 2024, la PCTN a ordonné la suspension pour une durée de 30 jours de l’autorisation d’A______ de vendre à l’emporter des boissons fermentées et distillées.

Il ne s’était pas déterminé. L’établissement avait commis une violation grave des prescriptions. Il s’agissait de la première et de la seule infraction commise par l’établissement.

Une mesure d’exécution fixant les dates de la suspension serait notifiée une fois la décision entrée en force. Les boissons fermentées et distillées devraient être retirées de l’établissement lors de l’exécution de la mesure.

B. a. Par acte expédié le 15 octobre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que l’employée qui avait commis l’infraction soit verbalisée, compte tenu du fait qu’elle avait accepté de payer l’amende.

Le fait de pénaliser l’entreprise lorsque ce n’était pas le détenteur de l’autorisation qui avait commis l’infraction lui semblait injuste. Un employé pouvait vouloir nuire à l’entreprise, vendre de l’alcool à un mineur et dénoncer les faits à la police. Verbaliser l’employé le rendrait attentif au respect de la loi. La suspension risquait de mettre l’entreprise en péril et mettre trois employés au chômage. Il s’était bien déterminé le 11 juillet 2024 et produisait une copie de son courrier.

b. Le 22 octobre 2024, la PCTN a conclu au rejet du recours.

A______ avait fait valoir ses observations le 11 juillet 2024, dont il avait été tenu compte pour le prononcé de la décision querellée. La loi prévoyait des mesures contre le titulaire de l’autorisation, qui avait la responsabilité de former son personnel et de veiller à ce qu’il respecte la loi. La durée de la suspension était conforme au principe de proportionnalité.

c. Le 21 novembre 2024, A______ conclu à la réduction à une semaine de la durée de la suspension, laquelle était proportionnée, compte tenu du risque encouru par l’entreprise et notamment de devoir prononcer au moins deux licenciements, l’activité économique ayant fortement baissé.

d. Le 25 novembre 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant ne conteste plus que la durée de la mesure de suspension.

2.1 La loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac du 17 janvier 2020 (LTGVEAT - I 2 25) a pour buts d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu’en raison de sa construction, de son aménagement et de son implantation. Elle vise également à protéger la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction (al. 1). Toute autorisation prévue par la présente loi ne peut être délivrée que si les buts énoncés à l’al. 1 sont susceptibles d’être atteints (al. 2).

À teneur de l'art. 6 al. 4 LTGVEAT, la remise à titre gratuit et la vente de produits du tabac et de produits assimilés au tabac aux mineurs est interdite.

La vente de produits du tabac et de produits assimilés au tabac, y compris l’exploitation d’appareils automatiques délivrant ces produits est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par la PCTN (art. 7 al. 1 let. b LTGVEAT).

Les titulaires d’une autorisation doivent en particulier veiller à ce que le personnel de vente contrôle l’âge des jeunes clients. À cette fin, une pièce d’identité peut être exigée (art. 10 al. 3 LTGVEAT).

L’art. 18 al. 3 LTGVEAT permet à la PCTN de prononcer, en cas de violation des prescriptions de cette loi ou de ses dispositions d’exécution, sans préjudice de l’amende prévue à l’art. 19 LTGVEAT, la suspension de l’autorisation pour une durée de sept jours à six mois (let. a) ou le retrait de l’autorisation (let. b).

Selon l'art. 18 LTGVEAT, pour fixer la durée de la mesure ou décider d’un retrait, outre les seuils précités, l’autorité tient compte notamment de la gravité de la faute, des antécédents et de leur gravité. Est notamment considérée comme grave la violation des prescriptions visées aux art. 6, 14 et 16 LTGVEAT (al. 6).

2.2 Selon l’art. 61 al. 1 let. a LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a). Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

2.3 Aux termes de l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), l’activité de l’État doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé. Le principe de la proportionnalité exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d’intérêt public escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, elle interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; 140 I 218 consid. 6.7.1).

2.4 La PCTN jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer la mesure administrative (ATA/911/2023 du 25 août 2023 consid. 2.3).

La chambre de céans a considéré que, compte tenu de la gravité de l’infraction commise, cette autorité n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation ni excédé celui-ci en prononçant pour une durée de 30 jours la suspension de l’autorisation d’un commerçant qui avait vendu une cigarette électronique jetable à un mineur, durée qui se situait dans la fourchette inférieure de l’art. 18 al. 3 let. a LTGVEAT (ATA/910/2023 du 25 août 2023 consid. 3.5).

Dans une autre affaire, elle a réduit la durée de la suspension d'un mois à quinze jours pour prendre en considération les circonstances, telles l’absence d’antécédent, les regrets exprimés, l’engagement de prendre les mesures pour éviter une récidive, la quantité d’alcool acheté limitée à une bouteille de 5 cl et les effets économiques de la mesure sur l’établissement, lequel ne vendait que de l’alcool (ATA/760/2024 du 25 juin 2024 consid. 3.5).

Dans l'ATA/761/2024 du 25 juin 2024 consid. 2.7, les recourants ont vu la durée de la suspension de l'autorisation de 60 jours pour deux infractions admises réduite à 30 jours pour les motifs qu'elle ne tenait pas suffisamment compte du fait que le recourant n’avait pas d’antécédent disciplinaire, avait exprimé des regrets, s’était engagé à prendre des mesures pour éviter une récidive, que la quantité d’alcool vendu était limitée à une bouteille de 275 ml, que la vente d’un produit assimilé au tabac était limitée à une cigarette électronique et des effets économiques de la mesure sur l’établissement.

Dans l’ATA/856/2024 du 19 juillet 2024 consid. 3.6.3, la durée de la suspension pour avoir vendu le 13 février 2023 une cigarette électronique à un mineur a été réduite de 30 à 20 jours malgré la gravité de l'infraction, en raison de l’absence d’antécédents et compte tenu des effets économiques de la mesure sur le commerce. Deux autres infractions à la LTGVEAT avaient été constatées les 14 janvier et 18 avril 2023, et le recourant s’était vu infliger un avertissement, mais en même temps que la mesure attaquée. Quant à la situation financière précaire du commerce, la comptabilité versée au dossier établissait une baisse du chiffre d’affaires. Toutefois, la suspension ne portait que sur les produits du tabac et assimilés, et le recourant ne soutenant pas qu’il ne vendait que ces produits.

Dans l’ATA/1234/2024 du 21 octobre 2024 consid. 2.5, la chambre de céans a réduit à 20 jours la durée de la suspension pour avoir vendu une bouteille d’alcool distillé « Smirnoff Ice Original » d’une quantité de 275 ml et d’un taux d’alcool de 4%, le recourant n’ayant aucun antécédent et ne démontrant pas que la mesure fragiliserait son entreprise, en produisant sa comptabilité, ni ne soutenant qu’il ne vendrait que des boissons alcoolisées.

2.5 En l’espèce, l’infraction reprochée est admise par le recourant et seule est contestée la durée de la suspension.

Le recourant a admis que son magasin avait vendu une bouteille de bière à un mineur. Il a exprimé des regrets et affirmé qu’il avait pris et prendrait des mesures. La gravité de l’infraction n’est pas contestée.

Le recourant n’a pas d’antécédent. Il ne soutient pas que son magasin ne vendrait que des boissons alcoolisées et il ne démontre pas l’effet attendu de la suspension sur son chiffre d’affaires.

Au vu de la jurisprudence précitée, la durée de la suspension apparaît en l’espèce excessive. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, une suspension de 20 jours apparaît adéquate pour atteindre le but de la LTGVEAT, soit le respect par le recourant des dispositions de cette loi, en particulier la protection de la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction.

Le recours sera admis et la durée de la suspension réduite à 20 jours.

3.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le recourant n’y ayant pas conclu et ne faisant pas valoir qu’il aurait subi des frais (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 octobre 2024 par A______ contre la décision de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du du 24 septembre 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 24 septembre 2024 en tant qu’elle fixe la durée de la suspension de l’autorisation délivrée à A______ pour la vente à emporter de boissons alcoolisées à l’enseigne « B______ » à 30 jours ;

réduit la durée de ladite suspension à 20 jours ;

confirme pour le surplus la décision précitée ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :