Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1267/2024 du 29.10.2024 sur JTAPI/1356/2023 ( ICCIFD ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/157/2023-ICCIFD ATA/1267/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 29 octobre 2024 4e section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 décembre 2023 (JTAPI/1356/2023)
A. a. A______ est l’associé gérant de B______Sàrl (ci-après : Sàrl), inscrite au registre du commerce (ci‑après : RC) en 2008, qui a pour but : « étude, planification et direction de constructions, en Suisse et à l'étranger » et dont il détient l’intégralité des parts.
Il est également l’unique administrateur de C______SA (ci-après : la SA), inscrite au RC en 2020, qui poursuit un but identique à la Sàrl.
b. Séparé de son épouse en mai 2006 et divorcé de celle-ci en avril 2008, l'intéressé est père d’un enfant né en 2015.
B. a. Par lettre recommandée du 22 août 2019, l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC-GE) a informé A______ de l’ouverture de procédures de rappel et de soustraction de l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) et de l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) pour les années 2014 à 2016. Il avait perçu des prestations appréciables en argent sous forme d’un prêt simulé octroyé par la Sàrl.
b. Le 12 octobre 2021, l’AFC-GE lui a notifié des bordereaux de rappel d’impôt, ainsi que des bordereaux d’amendes pour des montants totalisant CHF 519'436.-, y compris les intérêts. Cette somme se détaillait comme suit (en CHF) :
Année | Supplément d'impôt ICC | Supplément d'impôt IFD | Total supplément ICC/IFD | Amende | Amende | Intérêts | Total |
2013 | 166.- | 0 | 166.- | 124.- | 0 | 17.- | 307.- |
2014 | 89'340.- | 35'913.- | 125'253.- | 67'004.- | 26'934.- | 20'029.- | 239'220.- |
2015 | 2'782.- | 761.- | 3'543.- | 2'086.- | 570.- | 178.- | 6'377.- |
2016 | 106'235.- | 41'570.- | 147'805.- | 79'675.- | 31'177.- | 14'876.- | 273'532.- |
Total | 198'523.- | 78'244.- | 276'767.- | 148'889.- | 58'681.- | 35'100.- | 519'436.- |
c. Le 17 février 2022, l'AFC-GE a rejeté la réclamation élevée contre ces bordereaux. Les prêts que la Sàrl avait octroyés au contribuable étaient fictifs et devaient être requalifiés en distributions dissimulées de bénéfice imposables.
d. Par jugement du 5 mai 2022, entré en force, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a déclaré irrecevable pour cause de tardiveté le recours interjeté par le contribuable contre la décision sur réclamation.
C. a. Par courrier du 16 juin 2022, A______ a adressé à l’AFC-GE une demande de remise d’impôt et sollicité la suspension de la procédure de recouvrement.
b. L’AFC-GE ayant rejeté la requête de remise par décisions du 6 octobre 2022, le contribuable a élevé réclamation contre celles-ci.
c. Le 7 novembre 2022, il s’est vu notifier six commandements de payer portant sur les bordereaux de rappel et d’amendes IFD 2014 à 2016.
d. Par deux décisions sur réclamation du 23 décembre 2022, l’AFC-GE a maintenu ses décisions de refus de remise du 6 octobre 2022. Les distributions dissimulées de bénéfices ne pouvaient pas faire l’objet d’une remise d’impôt. Les pertes de CHF 1'221'000.- subies en bourse sur les bénéfices de la Sàrl, bien que considérables, n’étaient pas considérées par le législateur comme un critère de dénuement. La procédure de remise n’avait pas pour but de remplacer les voies de droit ordinaires, ni de modifier par le biais d’une révision les taxations entrées en force. Enfin, la requête n’apportait aucun fait nouveau propre à modifier la décision de refus du 6 octobre 2022. Les deux décisions précisaient que l’exécution forcée suivrait son cours.
e. Par acte déposé le 17 janvier 2023, A______ a interjeté recours auprès du TAPI contre ces deux décisions sur réclamation, concluant principalement à leur annulation et à une remise sur l’ensemble des suppléments d’impôts et des amendes notifiés le 12 octobre 2021, ainsi que sur les intérêts et frais. Préalablement, il a conclu à ce que l’effet suspensif au recouvrement des créances fiscales soit accordé et à l’annulation des poursuites.
Depuis 2011, il plaçait en bourse les avoirs de la Sàrl par le biais d’un compte D______, dans le but unique d’accroître les liquidités de l’entreprise. Or, sur un total de CHF 1'451'000.- placés sur ce compte entre janvier 2014 et décembre 2016, il ne restait plus qu’un solde de CHF 232'760.-, la différence correspondant aux sommes perdues en bourse. Il avait toujours agi pour le compte de la Sàrl, croyant que ses transactions, dûment communiquées à sa fiduciaire, avaient été comptabilisées comme placements au nom de son entreprise. Il ne s’était jamais enrichi personnellement.
Compte tenu de son revenu net imposable ICC de ces trois dernières années et du minimum vital fixé par l’office des poursuites (ci-après : OP) lors de la première saisie de salaire, son revenu disponible pour ces années s’était élevé à (en CHF) :
Année fiscale | Revenu net imposable | Minimum | Revenu disponible |
2019 | 78'886.- | -54'902.- | 23'984.- |
2020 | 23'800.- | -54'902.- | -31'102.- |
2021 | 32'345.- | -54'902.- | -22'557.- |
Sa fortune s’était toujours située en-dessous du seuil d’imposition.
De 2017 à 2019, il avait été occupé par une procédure de séparation dont dépendait la garde de son fils unique. En 2020 et 2021, la crise Covid-19 avait fortement affecté son entreprise par la perte de contrats et de collaborateurs (fermeture de chantiers ordonnée par l’État de Genève), ce qui l’avait contraint à contracter un crédit Covid-19. Ses déclarations fiscales 2019, 2020 et 2021 jointes à son recours reflétaient son état de « dénuement relatif ». En décembre 2021, il avait déposé une demande de changement de statut, afin d’être reconnu en tant qu’indépendant et réduire ainsi ses charges sociales. Sans les impôts supplémentaires et les amendes facturés le 12 octobre 2021, il parviendrait à se verser un revenu dépassant de peu le minimum vital et à assainir sa situation économique (remboursement du crédit Covid-19).
Au vu de son impossibilité à régler ces sommes et les intérêts courus, il demandait la suspension de leur encaissement et l’annulation des poursuites inscrites à son encontre, jusqu’à la décision finale sur sa demande de remise.
f. Par décision du 20 février 2023, le TAPI a admis la demande d’effet suspensif, traitée comme requête de mesures provisionnelles.
g. Par jugement du 4 décembre 2023, le TAPI a rejeté le recours.
La conclusion en annulation des poursuites devait être déclarée irrecevable, car le TAPI n’était pas compétent en matière de poursuites pour dettes et faillites. S'agissant de la remise d'impôts, la fortune investie par le contribuable n’avait cessé de diminuer depuis le mois d’avril 2014. Or, l’intéressé avait continué à investir massivement. Les importants apports de fonds consentis par lui en dépit de la piètre performance de son portefeuille dénotaient de sa part un manque de diligence qui pouvait lui être reproché.
Même si l’on devait admettre que A______ se trouvait dans le dénuement, il convenait de retenir qu’il en portait la responsabilité et l’avait provoqué de manière irréfléchie, de sorte qu’il ne pouvait bénéficier d’une remise d’impôt.
Les autres arguments développés ne pouvaient pas non plus être retenus.
D. a. Par acte posté le 8 janvier 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à une remise sur l’ensemble des suppléments d’impôts et amendes notifiés le 12 octobre 2021, ainsi que sur les intérêts et frais. Préalablement, il concluait à ce que l’effet suspensif soit accordé au recours.
Il reprochait au TAPI de ne pas avoir retenu la requalification en placements des versements du compte de la Sàrl sur le compte D______, ni que l'argent perdu en bourse était celui de son entreprise et non le sien. Il avait toujours soigneusement séparé ses versements de salaire ou d'honoraires d'indépendant sur son compte courant privé des versements de sommes destinées au placement au nom de la Sàrl sur le compte D______. Aucun versement du compte de la Sàrl sur son compte courant n'avait servi à un placement boursier et aucune somme versée du compte de la Sàrl sur le compte D______ n'avait servi à son usage personnel. Le fait qu'il plaçait des sommes en bourse pour le compte de son entreprise et non pour lui-même permettait de retenir qu'il n'avait jamais eu les moyens de régler sa dette fiscale et n'était donc pas responsable de sa situation de dénuement.
Son dénuement n'était pas dû uniquement à la diminution de ses revenus due à une baisse non fautive de l'activité de la Sàrl, mais à l'explosion subite de sa dette d'impôt le 12 octobre 2021. Plus que la réduction de sa capacité économique, c'était l'augmentation de sa dette fiscale qui était disproportionnée par rapport à sa capacité économique. Celle-ci avait en effet baissé de 75 % de 2016 à 2021 alors que celle‑là, pour la période de 2013 à 2016, avait augmenté de 870 %. Son dénuement relevait de l'un des motifs graves prévus par la loi, à savoir l'existence d'une situation choquante découlant de l'application des dispositions légales en vigueur ni voulue ni prévue par le législateur.
Son revenu annuel net prévisible à la base des six dernières années était de CHF 59'627.-. En soustrayant son minimum vital annuel de CHF 54'902.-, il restait un disponible prévisible de CHF 4'725.- par an. Étant donné qu'il devait atteindre l'âge de la retraite en 2034 et que ses cotisations sociales futures prévisibles étaient faibles, ses futurs revenus de retraite ne devaient pas dépasser ce minimum vital. Il ne pouvait vraisemblablement s'acquitter que du montant de CHF 47'250.- pour les dix prochaines années sur une dette fiscale d'environ CHF 557'000.-. En prenant en compte l'augmentation de sa dette fiscale en raison des intérêts dus sur les dix ans de remboursement, le montant de CHF 47'250.- précité devait être réduit à CHF 35'438.-. Selon le contribuable, la remise devait être accordée à concurrence de CHF 521'862.- (557'300 – 35'438). Si cela ne devait pas être le cas, il serait contraint de vivre en dessous du minimum vital, ce qui correspondait objectivement à des conséquences très dures.
Il résultait de ce précédait que les conditions de remise d'impôt étaient remplies.
b. Par décision du 16 février 2024, la chambre administrative a déclaré sans objet la demande de restitution de l’effet suspensif tout en suspendant, à titre de mesure provisionnelle, l'encaissement de la créance fiscale jusqu'à droit jugé dans la présente procédure.
c. Par décision du 13 mars 2024, la chambre administrative a déclaré irrecevable le recours pour non-paiement de l'avance de frais.
d. Par décision de révision du 8 mai 2024, la chambre administrative a annulé cette décision d'irrecevabilité, repris l'instruction de la cause et rétabli la décision sur effet suspensif.
e. L'AFC-GE a conclu au rejet du recours, faisant siens les considérants de la décision litigieuse.
f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 1678g al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 37 al. 7 de la loi relative à la perception et aux garanties des impôts des personnes physiques et des personnes morales du 26 juin 2008 - LPGIP - D 3 18).
2. Le litige porte sur le refus de l'AFC-GE d'accorder au contribuable une remise pour les rappels et amendes de l'ICC et l'IFD qui lui ont été réclamés pour les années 2014 à 2016.
2.1 Conformément aux principes généraux du droit intertemporel, lorsqu'un changement de droit intervient au cours d'une procédure administrative contentieuse ou non contentieuse, la question de savoir si le cas doit être tranché sous l'angle du nouveau ou de l'ancien droit se pose. En l'absence de dispositions transitoires, s'il s'agit de tirer les conséquences juridiques d'un événement passé constituant le fondement de la naissance d'un droit ou d'une obligation, le droit applicable est celui en vigueur au moment dudit événement. Dès lors, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste en principe celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (ATA/813/2022 du 17 août 2022 consid. 2b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 403 ss)
2.2 En l'occurrence, le litige sera examiné à l'aune du droit applicable au moment du prononcé des décisions de réclamation, soit le 23 décembre 2022. Pour l'IFD, sera applicable le droit fédéral articulé autour des art. 167 à 167g LIFD modifiés ensuite de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la loi fédérale du 20 juin 2014 sur la remise de l'impôt (RO 2015 9) et l'ordonnance sur les demandes en remise d'impôt du 12 juin 2015, également en vigueur depuis le 1er janvier 2016. Ne seront en revanche prises en compte pour l'ICC que les dispositions de la loi relative à la perception et aux garanties des impôts des personnes physiques et des personnes morales du 26 juin 2008 (LPGIP - D 3 18) et du règlement concernant la remise en matière d'impôts directs (RRID - D 3 18.03) dans leur teneur à la date précitée, étant précisé que ces textes ont récemment fait l'objet de modifications entrées en vigueur le 1er janvier 2024 consacrant notamment un assouplissement de la remise d'impôt avec la suppression de la condition de dénuement (PL 13063). En l'absence de dispositions transitoires contraires, ces nouvelles dispositions ne s'appliquent pas au présent litige, si bien que les conditions et la procédure de demande de remise d'impôt applicables sont donc analogues à celles prévues par le droit fédéral.
2.3 La remise d'impôt est la renonciation de la collectivité publique à la créance d'impôt (Ernst BLUMENSTEIN/Peter LOCHER, System des schweizerischen Steuerrechts, 8e éd., 2023, p. 468 s ; Pierre CURCHOD, in : Commentaire romand de la LIFD, 2e éd., 2017, n. 5 ad art. 167). Les motifs d'une telle renonciation doivent être recherchés dans la personne du débiteur, notamment dans sa situation personnelle ou économique difficile, dont il n'a pas été nécessairement tenu compte dans la procédure de taxation. Les raisons qui fondent l'institution de la remise peuvent être considérées de par leur nature humanitaire, socio-politique ou financière (arrêts du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] A-2953/2012 du 10 décembre 2012 consid. 2.3 ; A-430/2012 du 27 juillet 2012 consid. 2.2.3).
Afin de garantir l'égalité de traitement, au sens de l'art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la remise doit cependant rester exceptionnelle. En conséquence, elle n'est accordée qu'en présence de circonstances spéciales (arrêts du TAF A-1910/2011 du 5 avril 2012 consid. 2.3 ; A-1758/2011 du 26 mars 2012 consid. 2.2 ; A-7949/2010 du 6 octobre 2011 consid. 2.2.3).
2.4 Selon l'art. 167 LIFD, si, pour le contribuable tombé dans le dénuement, le paiement de l’impôt, d’un intérêt ou d’une amende infligée ensuite d’une contravention entraîne des conséquences très dures, les montants dus peuvent, sur demande, faire l’objet d’une remise totale ou partielle (al. 1). La remise de l’impôt a pour but d’assainir durablement la situation économique du contribuable. Elle doit profiter au contribuable lui-même et non à ses créanciers (al. 2). Les amendes et les rappels d’impôt peuvent faire l’objet d’une remise uniquement dans des cas exceptionnels particulièrement fondés (al. 3). L’autorité de remise n’entre en matière que sur les demandes en remise déposées avant la notification du commandement de payer (al. 4).
2.5 Aux termes de l'art. 167a LIFD, la remise de l’impôt peut être en partie ou en totalité refusée, notamment lorsque le contribuable a manqué gravement ou de manière répétée à ses devoirs dans la procédure de taxation, de sorte que l’évaluation de sa situation financière pour la période fiscale concernée n’est plus possible (let. a) ; n’a pas créé de réserves malgré la disponibilité de moyens à partir de la période fiscale à laquelle se rapporte la demande en remise (let. b) ; n’a pas effectué de versements malgré la disponibilité de moyens à l’échéance de la créance d’impôt (let. c) ; doit son incapacité contributive à la renonciation volontaire à un revenu ou à une fortune sans motif important, à un niveau de vie exagéré ou à tout autre comportement imprudent ou gravement négligent (let. d) ; a privilégié d’autres créanciers au cours de la période évaluée (let. e).
2.6 Sur le plan cantonal, à teneur de l’art. 37 al. 1 LPGIP, le contribuable peut se voir remettre tout ou partie de l’impôt dû si, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, il est tombé dans le dénuement et que le paiement intégral de la somme due aurait pour lui des conséquences très dures (al. 1).
Le RRID, qui fixe la procédure et les conditions de la remise. L'art. 3 al. 1 RRID prévoit que la procédure de remise a pour but de contribuer durablement à l’assainissement de la situation économique du contribuable par la remise, à titre exceptionnel, du montant dû. Cette remise doit profiter à la personne contribuable elle-même, et non à ses créanciers.
Le contribuable n'a pas un droit à la remise laquelle relève de la liberté d'appréciation du département (art. 4 RRID).
En application de l’art. 5 al. 1 et 2 RRID, l'autorité fonde sa décision sur l’examen de la situation économique du contribuable, considérée dans son ensemble. Est déterminante à cet égard la situation du contribuable au moment où la décision est prise ; le département peut tenir compte également de l’évolution de sa situation financière depuis la période fiscale à laquelle la demande en remise se rapporte, ainsi que des perspectives d’avenir. L’autorité examine en outre si des restrictions du train de vie du contribuable sont indiquées et si elles peuvent ou auraient pu être exigées. De telles restrictions sont en principe considérées comme raisonnables si les dépenses en question dépassent les frais d’entretien déterminés selon les directives pour le calcul du minimum vital au sens du droit de poursuite (art. 93 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 11 avril 1889 [LP; RS 281.1]).
2.7 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue en application de l’ancien droit relatif à l’impôt fédéral direct, le contribuable n'a pas droit à une remise d’impôt (voir notamment arrêts du Tribunal fédéral 2D_27/2013 du 27 juin 2013 consid. 3, 2D_55/2012 du 24 septembre 2012 consid. 2.1 et les 2.11 références). Le droit cantonal, tel qu'il ressort de l'art. 4 RRID, laisse un grand pouvoir d'appréciation à l'autorité compétente.
2.8 La remise d'impôt ne s'inscrit pas dans le processus de la taxation fiscale, mais dans celui de la perception de l'impôt ou de l'exécution des obligations fiscales. Il s'ensuit qu'une remise ne peut en principe intervenir que si la décision de taxation est entrée en force et si les montants sur lesquels porte cette décision n'ont pas encore été payés (art. 5 al. 2 et art. 7 al. 1 de l'ordonnance). Il s'agit là des conditions objectives de la remise d'impôt. Dans le cadre de la procédure de remise, il convient d'abord d'examiner exclusivement si ces conditions sont réalisées. Il ne peut pas être question de procéder à la révision des taxations fiscales ou du bien-fondé de la créance d'impôt (art. 7 al. 1 2e phrase de l'ordonnance). L'autorité de remise n'est, en effet, pas habilitée à se déterminer sur ces points (ATAF 2009/45 consid. 2.3; arrêt du TAF A-430/2012 précité consid. 2.3 ; Pierre CURCHOD, op. cit., n. 7 ad art. 167 LIFD).
L'art. 167 al. 1 LIFD prévoit par ailleurs deux conditions subjectives pour qu'une remise d'impôt puisse être accordée : l'existence d'une situation de dénuement et les conséquences très rigoureuses qu'entraînerait le paiement de l'impôt. Ces conditions sont cumulatives (Pierre CURCHOD, op. cit., n. 9 ad art. 167 LIFD).
La première condition subjective de l’art. 167 al. 1 LIFD, l'existence d'une situation de dénuement, est précisée aux art. 2 et 3 de l’ordonnance. L’art. 2 al. 1 prescrit qu’une personne physique est dans le dénuement : lorsque ses moyens financiers ne suffisent pas à subvenir au minimum vital au sens de la législation sur la poursuite pour dettes et la faillite (let. a); ou lorsque la totalité du montant dû est disproportionnée par rapport à sa capacité financière (let. b). Il y a disproportion par rapport à la capacité financière en particulier lorsque la dette fiscale ne peut pas être payée intégralement dans un avenir plus ou moins rapproché, bien que le train de vie du contribuable ait été réduit dans les limites du raisonnable (al. 2). La réduction du train de vie est raisonnablement exigible lorsque les frais liés au train de vie dépassent le minimum vital au sens de la législation sur la poursuite pour dettes et la faillite (art. 93 al. 3 LP). À teneur de l’art. 3 al. 1 de l'ordonnance, sont en particulier considérées comme causes conduisant à une situation de dénuement pour une personne physique : (let. a) une aggravation sensible et durable de la situation économique de la personne depuis l'année fiscale à laquelle se rapporte la demande en remise, en raison (1) de charges extraordinaires découlant de l'entretien de la famille ou d'obligations d'entretien, (2) de coûts élevés de maladie, d'accident ou de soins qui ne sont pas supportés par des tiers, ou (3) d'un chômage prolongé ; (let. b) un surendettement important dû à des dépenses extraordinaires qui ont leur origine dans la situation personnelle de la personne et pour lesquelles elle n'a pas à répondre.
L’art. 3 al. 2 de l'ordonnance précise que si la situation de dénuement est due à d'autres causes, l'autorité de remise ne peut renoncer aux prétentions légales de la Confédération au bénéfice d'autres créanciers. Lorsque d'autres créanciers renoncent à tout ou partie de leurs créances, une remise peut être accordée dans les mêmes proportions dans la mesure où cela contribue à un assainissement durable de la situation économique de la personne (art. 167 al. 2 LIFD). Sont notamment considérées comme d'autres causes : (let. a) les engagements par cautionnement ; (let. b) les dettes hypothécaires élevées ; (let. c) les dettes fondées sur le petit crédit en raison d'un niveau de vie excessif ; (let. c) les pertes commerciales ou pertes de capital élevées, pour les indépendants, lorsque cet état de fait met en danger l'existence économique de la personne et des emplois.
Pour les personnes physiques, il y a disproportion lorsque la dette fiscale ne peut pas être payée intégralement dans un avenir plus ou moins rapproché, bien que le train de vie du contribuable ait été ramené au minimum vital. Il n’est cependant pas nécessaire que le contribuable ait un droit à l’aide sociale (Pierre CURCHOD, op. cit., n. 16 ad art. 167 LIFD).
L'autorité examine si des restrictions du train de vie du contribuable sont indiquées et si elles peuvent ou auraient pu être exigées. De telles restrictions sont en principe considérées comme raisonnables si les dépenses en question dépassent les frais d'entretien déterminés selon les directives pour le calcul du minimum vital au sens du droit des poursuites (art. 2 al. 3 de l'ordonnance, en relation avec l'art. 93 LP).
La seconde condition subjective prescrite par l'art. 167 al. 1 LIFD exige que le paiement de l'impôt entraîne des conséquences très rigoureuses pour le contribuable. Cette seconde condition ne peut pas être définie indépendamment de la première, à savoir la situation de dénuement, puisque les deux se recoupent dans une large mesure. Ainsi, l'art. 2 al. 1 de l'ordonnance cite, sous le titre du dénuement, des éléments qui peuvent également être caractéristiques des conséquences très rigoureuses, à savoir notamment la disproportion entre le montant dû et la capacité financière du contribuable (Pierre CURCHOD, op. cit., n. 18 ad art. 167 LIFD). Des conséquences très rigoureuses peuvent par exemple résulter de l'aggravation continuelle, depuis la taxation, des circonstances financières ou peuvent ressortir de causes ayant trait à la situation de dénuement (art. 3 al. 1 let. a de l'ordonnance).
2.9 L'art. 167 al. 3 LIFD prévoit que les amendes et rappels d'impôt peuvent faire l'objet d'une remise dans des cas exceptionnels particulièrement fondés. L'art. 5 al. 1 de l'ordonnance précise que la remise peut être demandée pour des amendes relatives à une contravention. Pour les amendes infligées en raison d'une soustraction d'impôt, il y a lieu de poser des conditions particulièrement strictes pour en octroyer la remise. Ainsi, la remise d'une amende n'est accordée que lorsqu'elle se justifie non pas uniquement par une situation de détresse « simple », dans le sens d'une disproportion par rapport à la capacité financière, mais parce que le paiement de l'amende constitue un risque pour la subsistance du contribuable. En revanche, la loi prévoit clairement que les amendes pour des délits tels que l'usage de faux (art. 186 LIFD) et le détournement de l'impôt à la source (art. 187 LIFD) ne sont pas susceptibles de remise. Il y a lieu de tenir compte du fait que les rappels d’impôt concernent souvent des créances qui auraient déjà dû être payées auparavant dans le cadre d'une taxation ordinaire. Il est donc permis dʼexiger des efforts extraordinaires pour amortir cette dette, même sur plusieurs années. Cela vaut, par exemple, pour le rappel d'impôt en cas de dénonciation spontanée non punissable du contribuable, parce quʼil est renoncé à la poursuite pénale à condition que le contribuable s'efforce d'acquitter le rappel d'impôt dû (art. 175. al. 3 let. c LIFD pour les personnes physiques et art. 181a al. 1 let. c LIFD pour les personnes morales) Il serait donc contradictoire si, au lieu de cela, le contribuable soumettait immédiatement une demande en remise de l'impôt (FF 2013 7561 ; Pierre CURCHOD, op. cit., n. 22-24 ad art. 167 LIFD).
2.10 En présence de l'un des motifs dont la liste énoncée à l'art. 167a LIFD n'est pas exhaustive, la demande de remise peut être rejetée selon la formulation potestative utilisée par le législateur. Le droit cantonal ne contenait aucune disposition correspondant à l’art. 167a LIFD jusqu'à ce qu'elle y soit introduite lors de sa récente modification. Ces motifs, repris en partie de l'ancienne ordonnance fédérale, d'exemples d'états de faits justifiant un refus de la remise, correspondent par ailleurs à ceux déjà retenus actuellement dans la pratique de la jurisprudence et de l'administration fiscale cantonale (Pierre CURCHOD, op. cit., n. 1 ad art. 167d LIFD ; PL 13063).
3. En l'espèce, le recourant est redevable d'une importante dette fiscale ayant fait l'objet d'une décision de taxation entrée en force. Il sied de rappeler qu'une procédure de remise d'impôt n'a pas pour objet de permettre de contester une telle décision, peu importe que le recourant n'ait pas eu l'occasion de faire valoir valablement ses arguments dans le cadre de la procédure de taxation. Quoi qu'il en soit, ni l'autorité de remise ni la chambre de céans ne sont, dans ce cadre, habilitées à se déterminer sur le bien-fondé d'une telle créance.
Le recourant a introduit sa demande de remise avant la notification des commandements de payer les montants réclamés, alléguant son dénuement et les conséquences extrêmement dures qu'entraînerait leur paiement. Le TAPI a confirmé le rejet de la demande de remise en raison du comportement du recourant. Selon ses constatations, que le recourant ne conteste pas, son dénuement allégué est intervenu postérieurement aux périodes fiscales auxquelles se rapporte sa dette fiscale et serait dû à son incapacité à se consacrer à la gestion de ses affaires professionnelles à cause d'une procédure en action alimentaire ayant eu lieu entre 2017 et 2019, suivie de la crise du Covid-19 de 2020 à 2022, événements ayant affecté négativement son entreprise, et ainsi sa source de revenus.
Selon l'AFC-GE, les reprises de revenus qui ont été taxées, dans le chef du recourant, à titre d'avantages appréciables en argent, en particulier sur des distributions de bénéfices ouvertes ou dissimulées, ne peuvent faire l'objet d'une remise d'impôt. De plus, dans la mesure où elle vise les rappels d'impôt et les amendes pour soustraction d'impôt, sa demande ne remplit pas les conditions requises.
Il découle clairement des dispositions légales précitées que seules les amendes pour délits fiscaux sont exclues de la remise d'impôt. Contrairement aux affirmations de l'AFC-GE, elle ne saurait, en dépit de son pouvoir d'appréciation, exclure d'office du droit de la remise tout autre substrat de la créance fiscale dans le cadre de l'examen d'une remise d'impôt, fussent-ils comme en l'espèce des avantages appréciables en argent correspondant à des distributions de bénéfice dissimulées. Les rappels d'impôts et des amendes pour contravention dont le recourant a fait l'objet sont donc susceptibles de faire l'objet de remise – pour autant que les conditions particulièrement strictes soient fondées, à savoir précisément lorsqu'un éventuel paiement peut faire peser sur le demandeur un risque pour sa subsistance. Il n'apparaît pas que le recourant se prévale d'un cas de rigueur de cette nature, en tant qu'il attribue son dénuement à la disproportion entre le montant de la créance fiscale et sa capacité financière, ce qui a pour conséquence qu'il ne serait en mesure de payer qu'une partie mineure de sa dette au cours des dix prochaines années, soit jusqu'à sa retraite. Au-delà du fait que son analyse prospective de sa situation financière repose sur l'intangibilité de son minimum vital, certains éléments de prévision pris en considération ne sont pas rendus vraisemblables, à l'instar de la faiblesse des revenus à l'âge de la retraite ou la faiblesse des revenus provenant de l'exploitation de ses entreprises. Cela étant, la question de savoir si le recourant a rempli les conditions subjectives du dénuement peut rester indécise, les motifs examinés ci-après étant propres à justifier le rejet de la demande de remise.
Il n'est pas établi que le recourant aurait fait face à d'importantes dépenses ou charges pendant les périodes fiscales se rapportant à sa dette fiscale, lesquelles ont été caractérisées par des revenus considérables dégagés par son entreprise. Ainsi, au vu du montant de CHF 1'451'000.- à sa disposition entre janvier 2014 et décembre 2016, il avait clairement la possibilité de constituer des réserves durant ces périodes-là, réserves qui lui auraient permis d'assurer le paiement de ses impôts. Outre que le fait de ne pas avoir agi de la sorte constitue déjà un motif de refus de la remise, le placement dudit montant sur un compte d'investissement destiné à des opérations boursières ayant entraîné la perte de sa quasi-totalité relève d'une imprudence qui justifie également le refus de remise de sa créance d'impôt.
Il résulte que l'AFC-GE était fondée à refuser la remise d'impôt sollicitée par le recourant sans mésuser de son pouvoir d'appréciation. Partant, le jugement du TAPI confirmant ce refus ne prête pas le flanc à la critique.
Cela étant et compte tenu des difficultés de paiement alléguées par le recourant, il lui sera loisible de solliciter de l'intimée des facilités de paiement au sens de l'art. 35 LPGIP.
Mal fondé, le recours sera, par conséquent, rejeté.
4. Au vu de l'issue du litige, un émolument de CHF 700.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 8 janvier 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 décembre 2023 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de 700.- à la charge de A______ ;
dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;
communique le présent arrêt à A______, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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