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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/544/2024

ATA/808/2024 du 09.07.2024 ( MARPU ) , REJETE

Descripteurs : MARCHÉS PUBLICS;APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS);PROCÉDURE D'ADJUDICATION;ANONYMAT
Normes : LMI.5.al1; AIMP.1.al3; AIMP.12.al3; LMP.22.al1; RMP.4; RMP.16; OMP.17
Résumé : Recours d’un consortium contre l’attribution à un autre consortium par l’office cantonal du génie civil d’un marché portant sur la conception d’une passerelle piétonne. Il a soulevé le grief de violation du principe de l’anonymat de la procédure du fait que la consultation du site internet du second consortium, dont l’adresse figurait sur les références techniques lors de la phase de sélection, aurait permis de visualiser des représentations très semblables et des plans identiques à ceux du projet présenté au jury, et partant d’identifier l’auteur du projet gagnant. Rejet du recours, le principe de l’anonymat étant respecté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/544/2024-MARPU ATA/808/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 juillet 2024

 

dans la cause

 

A______ SA

B______ Sàrl

C______ SA recourantes
représentées par Me Yves DE COULON, avocat

contre

D______ SA

E______ SLP

F______ SA

G______ SA

H______ SA intimées

représentées par Me Cyrille PIGUET, avocat

et

DÉPARTEMENT DE LA SANTÉ ET DES MOBILITÉS intimé



EN FAIT

A. a. D______ SA (ci-après : D______), inscrite le 25 janvier 1957 au registre du commerce (ci-après : RC) vaudois, a pour but l’exploitation d’un bureau d’ingénieurs. E______ SLP (ci-après : E______) est une société de droit espagnol exploitant un bureau d’ingénieurs civils ; F______ SA (ci‑après : F______), inscrite le 26 mai 2003 au RC vaudois, a pour but les prestations liées au développement, à la conception et à la réalisation de projets dans le domaine de la construction, en particulier dans le domaine de l’architecture et de l’ingénierie civile. G______ SA (ci-après : G______), inscrite le 30 septembre 1974 au RC vaudois, a pour but l’exploitation dans le domaine de la mécanique des sols et des roches de l'hydrologie, de l'environnement, des travaux de fondations et des ouvrages en contact avec le sol, d'un bureau d'ingénieurs-civils et conseils et d'un service d'essais et de mesures, la direction des travaux l'exécution d'expertises et toute autre prestation relative à l'étude des terrains. Elle possède une succursale à Genève, inscrite le 11 mai 2009 au RC genevois. H______ SA (ci‑après : H______), inscrite le 19 décembre 1991 au RC vaudois, a pour but la recherche et les études appliquées en biologie et environnement.

Dans la présente procédure, ces sociétés forment entre elles le consortium-1.

b. A______ SA (ci-après : A______), inscrite au RC vaudois le 5 avril 2004, a notamment pour but de fournir toutes les prestations de service dans le domaine de la construction, notamment en matière de génie civil, de géotechnique, de façade, d’architecture, d’urbanisme, d’informatique et de mécanique. B______ Sàrl (ci‑après : B______), inscrite au RC genevois le 2 mai 2017, a notamment pour but la réalisation de tous travaux et mandats d'architecture, d'urbanisme, d'architecture du paysage et de design, le service de suivi des travaux dans le domaine de la construction immobilière, la réalisation d'expertises et d'évaluation dans le domaine immobilier, les services de recherche de biens dans le domaine immobilier, la participation à des concours d'architecture, d'urbanisme, d'architecture du paysage et de design, le service de médiation et de gestion des conflits dans le domaine de l'aménagement urbain et du territoire et le développement, les études de faisabilité ainsi que d’autres services dans les domaines du graphisme, de la création de logos et du développement de sites internet. C______ SA (ci-après : C______), inscrite au RC genevois le 13 août 1998, a pour but l’exploitation d'un bureau de conseil en environnement et sécurité.

Dans la présente procédure, ces sociétés forment entre elles le consortium-2.

B. a. Le 14 novembre 2022, l’office cantonal du génie civil (ci-après : OCGC) a publié sur la plateforme simap.ch un concours de projets, anonyme à un degré et en procédure sélective (le jury se réservant le droit de prolonger le concours par un degré d’affinement anonyme optionnel limité aux projets restant en lice), soumis aux accords internationaux, et portant sur la conception d’une passerelle piétonne sur l’Arve au Bout-du Monde à Vessy (ci-après : la passerelle).

Selon le programme du concours, une première phase, de sélection, était ouverte aux candidats ou groupements de deux bureaux au plus, présentant au minimum des compétences en génie civil et en architecture paysagère. Les candidats retenus devraient s’adjoindre des spécialistes en géotechnique et en environnement, au plus tard pour la seconde phase, de concours.

Le programme énumérait les membres du jury et les spécialistes-conseils dans les domaines de l’architecture, du paysage des monuments et des sites, de l’environnement, de l’hydrologie, de la structure, de la géotechnique, de la mobilité ainsi que de l’économie de la construction, du mode opératoire et de la durabilité.

Le concours était soumis au règlement n° 507 142 de la société suisse des ingénieurs et des architectes relatif aux concours d’architecture et d’ingénierie (ci‑après : norme SIA 142).

b. Au 19 décembre 2022, 26 candidatures avaient été déposées, dont celles des consortiums 1 et 2.

c. Le 21 février 2023, l’OCGC a informé les candidats que le jury avait noté les dossiers remis et décidé de retenir les candidats de rang 1 à 7, parmi lesquels les consortiums 1 et 2.

d. Le 5 février 2024, par décision publiée le même jour sur le site simap.ch, l’OCGC a attribué, en procédure de gré à gré, le marché au consortium-1, en sa qualité de lauréat désigné par le jury du concours. Le consortium-2 arrivait en seconde position.

C. a. Par acte remis à la poste le 15 février 2024, le consortium-2 a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette adjudication, concluant à son annulation, à l’exclusion du projet du consortium-1, à ce qu’il soit dit que son projet était le lauréat du concours et à ce que le premier prix du concours lui soit attribué. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée à l’OCGC pour nouvelle décision. Préalablement, l’effet suspensif devait être accordé au recours et la production des dossiers complets de candidature et de projet du consortium-1 ordonnée à l’OCGC.

La procuration d’C______ pour l’avocat du consortium-2 ne comportait qu’une signature, vraisemblablement d’une fondée de procuration devant signer à deux.

La première phase, de sélection, n’avait pas été secrète, et le site internet du consortium-1, forcément indiqué dans le dossier de candidature, donnait accès, dans la sous-rubrique « Von Mises by E______ », à des plans et coupes détaillés d’une passerelle piétonne exactement semblables, et à des images de deux passerelles piétonnes réalisées très semblables au projet qu’il avait présenté et qui avait été désigné lauréat du concours pour la passerelle de Vessy.

L’exigence d’anonymat posée pour la seconde phase, de concours, avait été violée dès lors que quiconque ayant eu accès au site internet du consortium-1 comprenait immédiatement que le projet lauréat était le sien, ce qui était contraire aux principes de transparence, d’égalité de traitement et de l’anonymat en procédure de concours.

b. Le 16 février 2024, le juge délégué a fait interdiction à l’OCGC de conclure le contrat d’exécution de l’offre jusqu’à droit jugé sur la demande d’effet suspensif.

c. Le 4 mars 2024, le consortium-1 a conclu sur mesures provisionnelles à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.

Son site internet publiait ses nombreuses et très éclectiques réalisations. Les plans que le recourant avait indiqués n’étaient visibles, séparément, que durant 0.58 secondes, dans le cadre d’un diaporama présentant, en 7 secondes au total, successivement un pont puis douze plans. À supposer qu’une des coupes montrées attirât l’attention d’un visiteur, il paraissait impossible dans un temps aussi bref d’en identifier les spécificités techniques. Quoi qu’il en soit, les coupes du projet lauréat étaient présentées différemment et n’étaient pas identiques mais représentaient un design original spécialement créé pour le concours. Le recourant avait sélectionné quelques coupes au sein d’un ensemble figurant sur les planches du projet soumises au jury. Les images de réalisations antérieures différaient également des illustrations du projet de passerelle. Il était tout sauf certain que le projet lauréat avait pu être assimilé à ses précédentes réalisations.

Le consortium-2 était de mauvaise foi. Deux des ponts réalisés qu’il avait présentés lors de la phase de sélection étaient de couleur rouge, comme celui présenté dans la phase de concours. Étaient en outre systématiquement présents, y compris sur son site internet, un effet de courbe ainsi que le choix de garde-corps à barreaux perpendiculaires. Enfin, l’une des réalisations était en béton fibré à ultra haute performance (ou BFUP), comme son projet. On pouvait ainsi lui appliquer les mêmes reproches qu’elle formulait dans son recours. Le débat lancé était stérile : chaque concurrent avait sa marque de fabrique et il serait possible, « si tant est que la procédure ne le défende et que les jurés ne se l’interdisent », de reconnaître une « patte ». Cette possibilité ne serait toutefois donnée que pour autant que les membres du jury recherchent activement à déterminer quelle entreprise se cachait derrière chaque dossier anonyme qui lui était soumis.

d. Le 4 mars 2024, l’OCGC a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.

Toutes les mesures nécessaires pour garantir l’anonymat des projets avaient été prises. Dans la phase de concours, l’organisateur avait vérifié la conformité des délais et conditions d’anonymat, des documents demandés ainsi que leur conformité aux prescriptions réglementaires et au programme. Les sept rendus avaient été jugés conformes. Puis ils avaient été examinés par les spécialistes-conseils sous l’angle de l’architecture et du paysage, de l’environnement de l’hydrologie, de la structure, de la géotechnique, de la mobilité et de l’économie de la construction, du mode opératoire et de la durabilité.

Le jury s’était réuni pour l’examen des projets les 18 septembre et 12 octobre 2023. Lors de la première journée, il avait pu prendre connaissance des sept rendus exposés (sans qu’aucun exemplaire ne leur soit remis), de l’analyse de conformité présentée par l’organisateur et des analyses des spécialistes-conseils. Il avait décidé à l’unanimité de considérer tous les rendus comme recevables et en avait retenu trois, dont ceux des consortiums 1 et 2.

Il avait chargé les analystes-conseils d’effectuer des analyses complémentaires quant à l’impact sur les installations riveraines, les qualités structurelles et la statique, l’économie générale du projet et la faisabilité du système de montage. Le rapport lui avait été remis le 6 octobre 2023. Il avait alors délibéré sur les trois projets retenus à l’issue du premier tour de délibération après avoir envisagé puis renoncé à repêcher l’un des autres. Le projet du consortium-1 était retenu, avec des observations et demandes du jury. Celui du consortium-2 arrivait en seconde position.

L’octroi de subventions de la Confédération était subordonné à la condition que l’exécution commence entre 2024 et 2027. Le projet s’inscrivait dans le développement du nouveau quartier des Grands-Esserts, dont les premiers appartements seraient livrés en 2025. Sa réalisation répondait à un besoin de sécurité compte tenu de l’accroissement de la mobilité attendu.

e. Le 18 mars 2024, le consortium-2 a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif. C______ avait établi une nouvelle procuration, qu’il produisait.

f. Le 20 mars 2024, l’OCGC a conclu au rejet du recours.

La confidentialité avait été assurée pendant toute la seconde phase. Les qualités statiques et architecturales n’étaient qu’un élément parmi de nombreux autres soumis à l’appréciation des jurés, qui devaient également prendre en compte l’insertion paysagère et environnementale, les compétences et l’expérience collectives et individuelles nécessaires pour la conception et la réalisation. Huit mois s’étaient écoulés entre les deux phases et il était peu probable qu’un membre du jury ait pu faire le lien entre les 52 références des candidats et le rendu du concours.

g. Par décision du 22 mars 2024, la chambre administrative a octroyé l’effet suspensif au recours et appointé une audience de comparution personnelle des parties.

h. Le 7 mai 2024, le consortium-1 a conclu au rejet du recours.

Le premier site internet indiqué, celui de D______, présentait 54 photos de réalisations, dont 11 ponts ou passerelles. Le deuxième, celui de E______, affichait 37 réalisations différant largement entre elles par le style et le conception technique. Le dernier onglet renvoyait vers la page vonmises.eu/fr, laquelle laissait apparaître une animation graphique où se succédaient un modèle puis des coupes et des plans. Le troisième site, de F______, présentait 58 réalisations dont 9 ponts.

Par comparaison, le site du premier membre des recourants présentait 83 réalisations et celui du second membre 34. Les sites des membres du troisième projet présentaient respectivement 48, 46 et 34 réalisations. Les sites des participants présentaient 822 réalisations au total.

L’intégration au paysage avait été le point fort retenu par le jury pour sélectionner son projet.

Une violation de l’exigence d’anonymat devait être concrète. Une simple possibilité abstraite d’établir un lien entre la proposition de solution et son auteur ne constituait pas une violation de l’exigence d’anonymat.

i. Le 14 mai 2024, s’est tenue l’audience de comparution personnelle des parties.

ia. Retraité depuis peu, I______, ingénieur ETS de formation inscrit au registre A des ingénieurs et architectes suisses, avait dirigé durant quinze ans l’unité des grands projets à l’OCGC. Il avait organisé plus de 100 concours en qualité de maître d’ouvrage. Il avait fait partie durant trois législatures de la commission consultative en matière de marchés publics. Il avait lui-même organisé le concours objet de la procédure. Avec l’aide du mandataire spécialisé J______ SA (ci‑après : J______), il avait préparé le programme.

Durant la phase de sélection, ouverte, les candidats devaient notamment indiquer leur site internet. Il avait lui-même procédé, avec l’aide de J______, au contrôle de conformité formel des candidatures. Celles-ci avaient été soumises au jury sous forme d’affiches sur des panneaux. Aucun document au format papier ou électronique n’avait été remis aux jurés. En deux séances, le jury avait sélectionné dix puis sept candidats. Il était présent pour répondre aux questions et aucune question technique ne lui avait été posée.

Les précautions pour garantir l’anonymat dans la deuxième phase étaient mentionnées dans le programme. Les pièces devaient être produites au format .pdf pour limiter le risque de transmission de métadonnées. Il avait lui-même vérifié que les documents produits au format électronique ne permettaient pas d’identifier leurs auteurs, que les clés USB ne contenaient pas d’autres documents ni ne portaient de logos, et que les devises utilisées lors de la phase de sélection n’étaient pas reprises. Avec son collègue, il était arrivé à la conclusion que les sept dossiers étaient conformes aux exigences formelles, et notamment à celles en matière d’anonymat. Chaque concurrent produisait deux enveloppes cachetées : l’une contenait son identité et était ouverte après le verdict du jury et l’autre contenait l’offre d’honoraires et était restituée à tous les concurrents autres que le lauréat.

Les projets étaient présentés sur des panneaux arborant pour chaque candidat trois feuilles au format A0 paysage contenant les vues, plans et coupes ainsi qu’une description du projet. Les jurés pouvaient consulter trois documents écrits portant sur l’estimation des coûts, la note de calcul et le concept de mise en œuvre, posés sur une table.

Il avait commencé par faire rapport au jury du contrôle de conformité. Il n’y avait pas eu d’inconformité majeure. Les jurés avaient discuté et délibéré devant les panneaux. Il n’avait pas entendu la discussion. Dans l’après-midi, les spécialistes‑conseils, dont il faisait partie, et qui avaient reçu les pièces au format électronique, avaient livré rapport dans leurs domaines de compétence respectifs. À la fin de la première journée, les jurés lui avaient remis une série de questions à soumettre aux spécialistes-conseils. Il leur avait apporté leurs réponses lors de la seconde journée de délibération.

Durant la seconde journée, les jurés avaient repêché et réexaminé certains projets, mais n’avaient finalement conservé que les trois lauréats pressentis au terme de la première journée.

À aucun moment durant les discussions qu’il avait entendues ou dans les questions posées ou les réponses apportées, il n’avait pu trouver d’indice que l’identité des auteurs de l’un ou l’autre des projets avait pu être identifiée par l’un ou l’autre des jurés. Ni lui-même ni les spécialistes-conseils ne connaissaient l’identité des auteurs des projets. Il n’avait pas entendu durant les délibérations ou le échanges avec les experts de références à une « patte » ou un style typique d’un bureau ou d’un consortium.

Parmi les sept projets soumis, trois étaient similaires, ce qui était d’ailleurs habituel. Les contraintes imposées aux participants – interdiction des piliers dans le cours d’eau, interdiction des haubans, intégration au site et à un ouvrage célèbre (soit le pont existant) – avaient réduit l’expression du niveau de la statique de l’ouvrage et limité selon lui les possibilités aux ouvrages en arc, bi-encastrés, aux ponts-béquilles et aux ouvrages tendus. Étaient similaires les projets « K______ » (n° 2 ; consortium-2), « L______ » (n° 3) et « M______ » (projet non retenu).

Dans la phase de sélection, le mandataire n’avait examiné les sites des candidats que pour contrôler l’existence des bureaux et des personnes mentionnées. Lui‑même n’avait pas consulté les sites, pas même dans la phase de concours. Il n’avait entendu aucune référence à un site internet lors des discussions du jury et les interactions avec les spécialistes-conseils. Les dossiers des consortiums nos 1 et 2 avaient été produits sur une clé USB. Il s’agissait pour chacun de quatre documents A3 format paysage empilés et formant une bannière. Elles avaient été présentées aux jurés telles que produites par les concurrents. Les jurés n’avaient vu rien d’autre durant la phase de sélection. Il ne pouvait évaluer l’importance accordée par les jurés aux références exposées sur les panneaux.

ib. N______, associé du bureau F______ et titulaire d’une formation d’ingénieur et d’architecte, a expliqué que son bureau avait un rôle de leader dans le consortium-1, notamment en ce qui concernait l’intégration de l’ouvrage dans le site, soit la partie la plus importante du travail, ainsi que l’avait indiqué le jury dans son rapport. C’était son bureau qui avait assemblé tous les éléments du projet. Les proportions de l’ouvrage et les calculs avaient été faits par les ingénieurs et son bureau avait utilisé ces données pour établir les planches de rendu. Le projet était la synthèse originale des contributions de trois partenaires du consortium-1.

j. Le 27 mai 2024, le consortium-1 a persisté dans ses conclusions.

La consultation des sites internet n’entrait pas dans les attributions du jury, qui n’avait ni la faculté ni le temps pour cela. Les supposées violations du principe d’anonymat dénoncées dans le recours étaient parfaitement imaginaires.

k. Le même jour, l’OCGC a persisté dans ses conclusions.

l. Le 10 juin 2024, le consortium-2 a persisté dans ses conclusions.

Le projet du consortium-1 était très ressemblant aux réalisations de la variante « bicontentio » présentées en référence dans le concours objet de la procédure ainsi qu’aux réalisations « Von Mises by E______ » et « E______ » visibles sur les sites. Il s’agissait d’un des trois prototypes conçus par E______ pour les ponts urbains.

Il n’était pas nécessaire que les jurés aient pu faire un lien. Il suffisait que le concurrent présente un projet qui pouvait être rattaché à lui pour que soit violée l’obligation d’anonymat. L’art. 1.4 du règlement SIA 142 prescrivait que les participants devaient garantir l’anonymat de leur projet. Non seulement le projet présenté était presque semblable à la référence principale avancée dans la phase de sélection, mais le consortium-1 avait indiqué s’être associé à un second bureau d’ingénieurs qui avait beaucoup d’expérience dans la conception et la réalisation de passerelles d’une envergure similaire à celle du concours. Le projet de référence était décrit avec des termes très techniques, comme « poutre bi-encastrée » ou « passerelle bi-poutre en acier corten à hauteur variable encastrée sur culées cachées dans le terrain. »

Le consortium-1 n’était pas dans la nécessité de présenter une réalisation identique à ce que serait son projet. Il pouvait faire valoir de nombreuses autres passerelles. Il avait violé l’obligation de préserver l’anonymat et devait être écarté d’office.

m. Le 14 juin 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

n. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les allégués et les pièces produites.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15 al. 1 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. c et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01).

2.             Le recourant a conclu préalablement à la production des dossiers complets de candidature et de projet du consortium-1.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, l’OCGC a produit les planches soumises par les parties et présentées au jury. Le recourant n’a par la suite plus conclu à la production de pièces. Il a ainsi été donné suite à la conclusion, qui a perdu son objet.

3.             Le litige a pour unique objet la violation, alléguée par le recourant, du principe de l’anonymat.

3.1 Le concours est soumis à l’Accord GATT/OMC du 15 avril 1994 sur les marchés publics (AMP - RS 0.632.231.422), à la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), à l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), au règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) ainsi qu’au règlement des concours d’architecture et d’ingénierie SIA 142 (ci-après : règlement SIA 142), version 2009.

3.1.1 L’AMP n’évoque les concours qu’en matière d’appel d’offres limités pour poser la condition qu’il soit organisé de manière compatible avec les principes de l’AMP et que les participants soient jugés par un jury indépendant (art. XIII al. 1 let. h. ch. i et ii).

3.1.2 Selon l’art. 5 al. 1 LMI, les marchés publics des cantons, des communes et des autres organes assumant des tâches cantonales ou communales sont régis par le droit cantonal ou intercantonal. Ces prescriptions, et les décisions fondées sur elles, ne doivent pas discriminer les personnes ayant leur siège ou leur établissement en Suisse d’une manière contraire à l’art. 3 LMI. Lorsque l’adjudication d’un marché ou l’octroi d’une concession de monopole sont fondés sur l’AIMP, les dispositions de la LMI sont présumées respectées.

3.1.3 L’AIMP a entre autres buts d’assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires, garantir l’égalité de traitement à tous les soumissionnaires et assurer l’impartialité de l’adjudication et assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. a-c). Il prévoit que les concours d'études ou les concours portant sur les études et la réalisation doivent respecter les principes de l’AIMP ; pour le surplus, l'organisateur peut se référer aux règles établies par les organisations professionnelles concernées (art. 12 al. 3).

3.1.4 Le RMP réaffirme les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination (art. 16). Lorsque l'autorité adjudicatrice organise un concours ou si elle souhaite attribuer un mandat d'études parallèle, elle doit respecter les dispositions du présent règlement (art. 4 al. 1). Elle peut également se référer aux règles appliquées par les organisations professionnelles en la matière, si ces règles ne sont pas contraires aux dispositions du règlement (art. 4 al. 2).

3.1.5 L’art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (LMP - RS 172.056.1) non applicable en l’espèce, mais citée à titre d’illustration, prévoit que l’adjudicateur qui organise un concours d’études ou un concours portant sur les études et la réalisation ou qui attribue des mandats d’étude parallèles définit la procédure au cas par cas, dans le respect des principes énoncés dans la LMP. Il peut se référer aux règles édictées en la matière par les associations professionnelles. La LMP vise notamment la transparence des procédures d’adjudication (art. 2 let. b et 11 let. a) et l’égalité de traitement et la non-discrimination des soumissionnaires (art. 2 let. c et 11 let. c). L’art. 17 de l’ordonnance sur les marchés publics du 12 février 2020 (OMP - RS 172.056.11) prévoit que dans la procédure de concours, les projets soumis à l’adjudicateur doivent être présentés sous forme anonyme ; les participants qui ne respectent pas la condition de l’anonymat sont exclus du concours (al. 1). L’adjudicateur peut lever l’anonymat de manière anticipée si cette possibilité a été mentionnée dans l’appel d’offres (al. 3).

3.1.6 Selon la norme SIA 142, dans sa version en vigueur en 2009 applicable à la présente cause, les travaux du concours, rendus de manière anonyme, sont jugés par un jury qualifié et compétent. Le maître de l’ouvrage garantit l’anonymat jusqu’à ce que le jury ait jugé les propositions, les ait classées et primées, ait prononcé une recommandation pour la suite des opérations et formulé définitivement son rapport de jugement. Chaque concurrent a droit à l’égalité de traitement de son travail. Les résultats du concours et du jugement sont publiés (préambule). Les concours se déroulent dans l’anonymat. Le maître de l’ouvrage, les membres du jury, les participants et les professionnels mandatés se portent garants de l’anonymat des travaux de concours, jusqu’à ce que le jury ait jugé et classé les travaux de concours, attribué les prix et mentions et prononcé une recommandation pour la suite de l’opération (art. 1.4).

Le jury reste identique dans les concours à deux degrés (art. 5.2). Le programme du concours doit mentionner, entre autres, la façon de désigner les travaux de concours et l’obligation de mentionner l’auteur du projet et ses collaborateurs, uniquement sous pli fermé (art. 13.3 let. n). Selon l’art. 16.1, le rapport du jury mentionne notamment : (a) ses considérations générales relatives au concours, son appréciation des propositions dans le contexte global et la consignation du déroulement général du jugement ; (b) la description approfondie des propositions de concours retenues en vue de leur attribuer un prix ou une éventuelle mention en prenant en considération tous les domaines professionnels requis ; (c) les décisions prises au sujet des propositions, relatives aux exclusions, aux prix et aux éventuelles mentions et indemnités, ainsi que leur justification. L’art. 19.1 prévoit qu’une proposition doit être exclue : (a) du jugement si elle a été livrée en-dehors du délai ou de manière incomplète dans ses parties essentielles, si elle est incompréhensible, laisse supposer des intentions déloyales ou si son auteur a enfreint la règle de l’anonymat ; (b) de la répartition des prix, si elle s’écarte des dispositions du programme sur des points essentiels. L’art. 24.2 prévoit qu’après le jugement et la signature du rapport, l’anonymat est levé en suivant l’ordre du classement et, si nécessaire, en vérifiant le droit de participation.

Selon l’art. 4.3 des lignes directrices pour les normes SIA 142 et 143 de février 2009, les données numériques doivent être rendues anonymes lors du concours. Dans la mesure du possible, le participant veille à ce que les données du projet numérique remises soient exemptes d’éléments d’identification. Néanmoins, les données numériques peuvent contenir des informations cachées liées à l’auteur du projet (p. ex. métadonnées, chemins de stockage). Il incombe au maître de l’ouvrage d’écarter ces informations du processus de jugement. Selon l’art. 4.3.1, le maître de l’ouvrage se charge de faire anonymiser les données de projets numériques par un tiers. Celui-ci doit être indépendant du maître de l’ouvrage et des membres du jury et ne doit pas intervenir dans l’examen préalable. Selon l’art. 4.3.2, les participants veillent à ce que les supports de données portent uniquement la devise du projet rendu et qu’ils soient exempts d’éléments d’identification visibles. Les noms des fichiers et, dans la mesure du possible, les propriétés de document des données de projet doivent être exempts d’informations liées à l’auteur. En cas de violation intentionnelle de l’obligation d’anonymat (p. ex. nom du bureau d’études sur l’enveloppe, sur le support de données, etc.), les projets en question seront exclus du jugement.

3.1.7 En 2015, le Tribunal cantonal de Saint-Gall a jugé que l’indication sur le paquet d’un projet de l’adresse de l’amie de l’auteur – distincte de celle de ce dernier – ne permettait pas d’identifier celui-ci et ne constituait pas une violation du principe d’anonymat (TC-SG B_2015/133 du 17 décembre 2015 consid. 2.4).

En 2020, le Tribunal cantonal de Glaris a examiné si la mention, dans le pied de page d’un document de données soumis au jury, du prénom Theodor, permettait de faire le lien avec le bureau Thomas Fischer Architekt GmbH lauréat du concours, et portait ainsi atteinte à l’exigence d’anonymat. Il a jugé que l’anonymat au sens de la norme SIA 142 et de la disposition de droit cantonal signifie la séparation conséquente entre la proposition de solution d’une part et son auteur d’autre part. Ce qui est déterminant, c’est que le jury puisse juger objectivement et avec impartialité, ce qui n’est manifestement plus le cas lorsque l’auteur peut être reconnu grâce au projet. Il s’ensuit que la violation du principe d’anonymat doit toujours être admise lorsque des informations figurant dans le projet permettent de tirer des conclusions sur son auteur. En outre, il faut également retenir une violation du principe d’anonymat lorsque les indications font naître un soupçon fondé quant à l’identité de l’auteur du projet, même si ce soupçon ne se confirme pas par la suite. Même dans un tel cas il existe le risque que le jury ne peut plus établir son jugement de manière objective et indépendante. À l’inverse, l’exigence d’anonymat n’est pas violée lorsqu’il n’existe qu’abstraitement la possibilité qu’un lien puisse être établi entre un projet et son auteur. Dans le cas examiné, faute d’avoir établi à quel bureau respectivement à quel collaborateur le prénom de Theodor pouvait être relié, il n’y avait pas de soupçon fondé. Les juges ont encore relevé que la documentation d’autres concurrents comportait en pied de page des références autrement explicites à leurs auteurs (TC-GL VG.2020.00006 du 30 avril 2020 consid. 7 et 8).

En 2023, le Tribunal cantonal de Lucerne a jugé que la cause ne pouvait plus être renvoyée au jury une fois l’anonymat levé (TC-LU 7H22 293-295/197/199 du 9 mai 2023 consid. 4.3.2).

3.2 En l’espèce, il n’est pas contesté qu’aucune indication ni mention écrite permettant d’identifier le consortium‑1 – telles que des raisons sociales, des logos, des noms d’architectes, d’ingénieurs ou de collaborateurs – ne figurait sur la documentation papier et électronique que celui-ci a remise de manière anonyme lors du concours.

Le consortium-2 soutient dans son recours que la consultation d’un sous-répertoire du site internet du consortium-1, dont l’adresse figurait sur les références techniques lors de la phase de sélection, permettait cependant de visualiser des représentations très semblables et des plans pour ainsi dire identiques à ceux du projet présenté au jury, et partant d’identifier l’auteur du projet gagnant.

En cela, le cas d’espèce se distingue des précédents cantonaux susévoqués, qui portent sur des marques ou des signes présents sur les enveloppes ou les documents eux-mêmes, qui permettent le cas échéant un rapprochement immédiat.

Le consortium-1 objecte, sans être contredit : que le site internet de D______ présentait 54 photos de réalisations, dont 11 ponts ou passerelles ; que celui d’E______ affichait 37 réalisations différentes, la page vonmises.eu/fr laissant apparaître une animation graphique où se succédaient rapidement un modèle puis des coupes et des plans ; que le site de F______ présentait 58 réalisations dont 9 ponts ; que les sites des participants présentaient 822 réalisations au total.

L’OCGC objecte que huit mois s’étaient écoulés entre la phase de sélection et le concours.

Les enquêtes ont montré que la mention du site internet devait permettre à l’organisateur du concours de procéder à des vérifications, que la consultation du site n’était pas du ressort des jurés et n’avait pas intéressé ceux-ci et qu’aucun lien avec le consortium-1 n’avait à aucun moment été évoqué par les jurés lors des discussions, des questions ou des échanges avec les organisateurs ou les spécialistes-conseils.

Dans ses conclusions après enquêtes, le consortium-2 fait valoir que le prototype de pont « bicontentio » présenté par le consortium-1 lors de la phase de sélection ressemblait quoi qu’il en soit en tous points au projet soumis aux jurés pour le concours.

Les critères de sélection énoncés par le programme du concours (ch. 3.7) prescrivaient la présentation de deux références par candidature en adéquation avec les thèmes faisant l’objet du concours, à propos desquelles seraient appréciées notamment l’insertion paysagère et environnementale ainsi que la qualité statique et architecturale. Il n’est ainsi pas surprenant que les candidats aient présenté lors de la première phase des références proches des projets qu’ils soumettraient s’ils étaient sélectionnés pour le concours, et aucune déloyauté ne peut leur être reprochée.

Il ressort des pièces fournies par l’OCGC que le consortium-1 a présenté lors de la phase de sélection cinq passerelles réalisées : (1) la passerelle du la Thièle à Yverdon-les-Bains ; (2) la passerelle Martutene sur le Urumea à San Sebastian en Espagne ; (3) la passerelle sur la Trême ; (4) la passerelle de la Joux-Verte et (5) la passerelle Miguel Laboa. Seule la passerelle n° 2, soit l’une des deux références en grand format, présente une ressemblance avec les images du projet par son apparence et son concept – à l’exception toutefois de la couleur, ocre pour la réalisation et bleu-vert pour le projet, et éventuellement de la structure des garde-corps.

Compte tenu de tous ces éléments, soit notamment du nombre important des images soumises aux jurés lors de la phase de sélection et du temps relativement long écoulé entre la sélection et le concours, il paraît peu vraisemblable qu’un juré ait fait ou même simplement pu faire un rapprochement entre le projet gagnant et le consortium-1.

Il n’est certes pas exclu que le projet lauréat ait pu provoquer chez l’un ou l’autre des jurés un sentiment de « déjà vu ». Cependant, la probabilité que ce juré ait pu ensuite rattacher avec certitude le projet à l’un des sept concurrents retenus paraît insignifiante compte tenu du nombre des candidatures et des illustrations présentées lors de la phase de sélection.

En effet, en raison des contraintes spécifiques liées au site et des exigences du maître de l’ouvrage, rappelées par celui-ci, telles notamment l’absence de piliers centraux ou encore la synergie avec le pont existant, les réalisations mises en avant par l’ensemble des candidats lors de la phase de sélection et les projets soumis par les sept concurrents lors du concours proprement dit présentaient entre eux des similitudes suffisamment importantes et nombreuses pour qu’il paraisse pour ainsi dire impossible pour un juré d’attribuer, de mémoire, tel ouvrage à tel concurrent.

Certes, le consortium-1 fait valoir dans sa réponse que chaque bureau possède un style et que ses œuvres révèlent sa « patte », et le consortium-2 se plaint précisément de la similitude du projet lauréat avec un prototype du consortium-1.

Le fait que le consortium-1 aurait pu produire un prototype et le réaliser au moins une, deux ou même trois fois auparavant ne paraît pas de nature à modifier le raisonnement tenu ci-avant au sujet du risque qu’un juré ait pu relier le projet lauréat à son auteur. Il a été vu par ailleurs qu’il n’y avait rien de déloyal à présenter en phase de sélection une référence adaptée aux exigences du concours.

En outre, dans le cas d’espèce, le consortium-1 a relevé non sans raison que les réalisations présentées par le consortium-2 présentaient elles aussi à tout le moins une similitude du point de vue de la couleur ocre – choisie pour les tabliers des réalisations présentées respectivement la structure et le tablier du projet soumis.

Cela dit, de manière générale, il paraît douteux que la proximité d’un projet avec le style caractéristique d’un auteur (par exemple le style « Le Corbusier » ou « Frank Gehry ») ou encore des productions en série (par exemple les ensembles d’habitation « Honegger et Dumonthay ») puisse être constitutive en soi de violation de l’exigence d’anonymat, à peine de limiter excessivement la liberté de création et le droit des concurrents de participer aux concours, compte tenu notamment de la possibilité qu’un style ou une technique soient copiés ou imités par un concurrent ou inspirent plus généralement la création à une époque donnée.

La question du style ou de la « patte » doit enfin être relativisée, dès lors qu’elle ne constitue, de loin, pas le critère déterminant dans un concours.

Le rapport du jury à l’appui de son verdict a retenu en l’espèce, à propos du projet lauréat, l’attitude contemporaine respectueuse des enjeux qui le caractérisent, avec une retenue laissant au paysage naturel et bâti le premier rôle. Il a valorisé la solution proposée, notamment le non-alignement et l’inscription perpendiculaire de l’ouvrage à la courbe de la rivière. Il a salué le caractère remarquable de l’insertion du projet dans le paysage, en particulier les ancrages élevés contre les berges garantissant la stabilité de l’ouvrage lors de la crue centennale et préservant la vision sur les arches du pont existant tout en assurant une vision d’ensemble calme et contenue. Il a enfin apprécié les pliages du caisson structurel laissant lire les abords des berges pour se transformer en parapet protecteur lorsque les usagers se trouvent au milieu de l’Arve, saluant un choix structurel en relation presque organique avec l’expression architecturale et le paysage qui l’entoure. Enfin, l’usage d’une seul matériau, l’acier, accentuait le sentiment d’abstraction. Le jury a ensuite apprécié les qualités statiques et matérielles de l’ouvrage ainsi que les modalités de sa réalisation.

Il suit de là que c’est conformément à la loi que le jury a désigné comme lauréat le projet du consortium-1, sans retenir ni même envisager de violation de l’exigence d’anonymat.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

Vu l’issue du litige, les conclusions sur mesures provisoires ont perdu leur objet.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2'000.-, tenant compte de la décision sur mesures préprovisionnelles et de l’audience d’instruction, sera mis à la charge des recourantes (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, sera allouée aux intimés, qui y ont conclu (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 février 2024 par A______ SA, B______ Sàrl et C______ SA contre la décision du département de la santé et des mobilités du 5 février 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire d’A______ SA, B______ Sàrl et C______ SA un émolument de CHF 2’000.- ;

alloue solidairement à D______ SA, E______ SLP, F______ SA, G______ SA et H______ SA une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge solidaire d’A______ SA, B______ Sàrl et C______ SA ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourantes, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yves DE COULON, avocat des recourantes, à Me Cyrille PIGUET, avocat des intimées, ainsi qu'au département de la santé et des mobilités.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :