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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1443/2024

ATA/712/2024 du 12.06.2024 ( PROF ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1443/2024-PROF ATA/712/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 12 juin 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me François CANONICA, avocat

contre

POLICE - BRIGADE DES ARMES, DE LA SÉCURITÉ PRIVÉE ET DES EXPLOSIFS intimée


Vu, en fait, la décision du 16 avril 2024 de la brigade des armes, de la sécurité privée et des explosifs (ci-après : BASPE) ordonnant l’ouverture d’une procédure en vue du retrait de l’autorisation d’engager A______ en qualité d’agent de sécurité privée accordée le 5 octobre 2022 à l’entreprise B______ SNC (ci-après : la société), et à titre provisionnel la suspension immédiate de ladite autorisation, la saisie immédiate et provisoire de la carte de légitimation pour agent de sécurité privée no 1______ établie au nom du précité et son dépôt à la BASPE, par l’intermédiaire de la société, précisant que la décision était exécutoire nonobstant recours et impartissant à la société et au précité un délai au 17 mai 2024 pour requérir d’éventuelles mesures en vue de l’établissement des faits, faire part de leurs observations et transmettre tout élément qui devrait être versé au dossier ;

que ladite décision se fondait sur des éléments résultant d’un rapport de renseignements de la police, adressé le 12 février 2024 par le Ministère public (ci-après : MP) dans le cadre de la procédure pénale P/2______/2024, selon lequel, aux premières heures du 21 octobre 2023, A______ (ci-après : l’agent), fonctionnait comme agent de sécurité pour la société à l’entrée du C______, rue D______ à Genève lorsque E______, accompagné d’un ami, avait souhaité entrer à nouveau dans le club, qu’il avait précédemment quitté après y avoir passé la soirée ; que l’agent lui avait refusé l’entrée, l’avait insulté et menacé avant de lui asséner soudainement plusieurs coups de poing au visage ; qu’alors que E______ tentait de s’éloigner, l’agent avait continué de le frapper, si bien que celui-là était tombé au sol ; qu’après que E______ s’était relevé et avait cherché à prendre de la distance, l’agent l’avait suivi et lui avait fait un balayage qui l’avait fait tomber à nouveau au sol ; que l’agent lui avait donné des coups de pied alors qu’il était à terre ; qu’à la suite de ces faits, E______ avait été conduit à l’hôpital en ambulance, où les lésions suivantes avaient notamment été mises en évidence : facture plurifragmentaire des os propres du nez avec infiltration des tissus mous en regard, probable fracture des côtes 9 et 10 à droite, plaies d’environ 2 cm sur la face gauche de l’arête du nez, 1 cm de la face externe de la lèvre supérieure ‑ avec saignement veineux actif ‑, 2 cm de la face interne de la lèvre supérieure, tuméfaction mandibulaire à droite, avec douleurs lors de l’ouverture, hématome costal postérieur d’environ 5 cm x 5 cm à droite, ainsi que plusieurs dermabrasions qui étaient décrites ; que l’agent présentait sur les deux mains des « marques/lésions » compatibles avec celles pouvant être occasionnées lorsque l’on a donné des coups de poing violents ;

vu le recours interjeté le 29 avril 2024 par A______ contre cette décision ; qu’il a conclu à ce que la nullité de la décision soit constatée, subsidiairement qu’elle soit annulée et que la BASPE soit enjointe de suspendre la procédure administrative jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale P/2______/2024, et plus subsidiairement que la cause soit renvoyée à la BASPE ; que préalablement et sur mesures superprovisionnelles, l’effet suspensif devait être restitué au recours ; que le 21 octobre 2023, une altercation s’était déroulée avec E______, lequel présentait un comportement agressif et dangereux pour la sécurité d’autrui ; qu’il réservait ses déclarations pour l’instruction pénale, raison pour laquelle il sollicitait la suspension de la procédure administrative ; qu’il contestait toutefois les faits qui lui étaient reprochés ; qu’il vivait seul, n’avait plus de revenu depuis la décision querellée et était placé dans une situation financière précaire ; qu’après une dizaine d’années d’activité dans ce secteur, il était illusoire qu’il puisse trouver à brève, voire moyenne échéance, un autre emploi, dans un domaine qui lui était inconnu et pour lequel il ne disposait pas des compétences requises ; que son engagement et sa fiabilité avaient toujours été louées par ses employeurs, rendant une décision aussi drastique d’autant plus incompréhensible ; que son intérêt privé à pouvoir exercer son activité professionnelle devait primer ; que l’instruction des procédures pénale et administrative ne serait pas mise en péril par la restitution de l’effet suspensif ; que la décision prononçait des mesures provisionnelles sans que les conditions n’en soient remplies, sans aucune motivation juridique, sans même mentionner de base légale, et sans la mention des voies de droit ; qu’au vu de ces vices, la décision était nulle ; qu’il n’avait pas été entendu préalablement à la prise de décision; que la suspension immédiate, sanction la plus sévère, alors qu’il présentait des états de service irréprochables, contrevenait en sus au principe de proportionnalité ; que le MP avait renvoyé le dossier à la police pour complément d’enquête, ce qui démontrait que les faits n’étaient pas établis ; que la BASPE se référait à un rapport de renseignements adressé le 12 février 2024 au MP alors même que le recourant n’y avait pas eu accès ; que les faits consignés dans la décision querellée pourraient hypothétiquement être qualifiés de lésions corporelles simples, le recourant persistant à les contester ; qu’il s’agirait en tous les cas d’un acte isolé ; qu’il sollicitait la suspension de la procédure administrative au profit de la procédure pénale, laquelle permettrait de l’auditionner, à l’instar de E______, séparément et en confrontation, ainsi que des témoins et de déterminer le déroulement des faits ; que les conditions pour une suspension immédiate au sens des art. 9 et 13 du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (CES - I 2 14) n’étaient pas remplies ; que la décision violait sa liberté économique ;

que les mesures superprovisionnelles ont été rejetées par courrier du 30 avril 2024, les chances de succès du recours n’étant prima facie pas évidentes ;

que la BASPE a conclu au rejet de la requête de restitution de l’effet suspensif ; que E______ avait déposé plainte en raison des faits du 21 octobre 2023 ce qui n’était pas le cas d’A______ ; que la commission concordataire avait édicté, le 3 juin 2004, une « directive concernant l’exigence de l’honorabilité » (ci-après : la directive) ; que le critère de la dangerosité y était mentionné comme étant important ; qu’il était d’intérêt public d’assurer à la population et aux entités et personnes ayant recours à des prestations de sécurité privée que les agents qui les exerçaient présentaient toutes les garanties de comportement adéquat que l’on était en droit d’attendre d’eux ; que par l’autorisation qui présidait à leurs activités, les entreprises de sécurité et les agents qu’elles employaient se voyaient en quelque sorte investies d’une parcelle d’autorité déléguée ; que c’était d’ailleurs cette dernière qui leur permettait d’admettre ou de refuser l’accès à un établissement public, au besoin par la force, dans le respect du principe de la proportionnalité ; qu’en l’espèce le rapport de renseignements du 12 février 2024 démontrait que le recourant avait fait preuve d’une violence extrême en s’en prenant physiquement à E______ ; qu’il l’avait frappé à plusieurs reprises au visage avec une force immodérée ; que les lésions subies à la face et à la tête en témoignaient à l’instar de celles relevées sur les mains du recourant ; que les lésions subies par E______ témoignaient du déchaînement de violence dont le recourant avait fait preuve ; qu’aucune provocation d’ordre physique avait présidé au déferlement de coups ; que même s’il y en avait eu une initialement qui aurait pu justifier des actes de défense, il faudrait constater qu’après s’être éloigné du recourant et chuté une première fois, E______ était tombé une seconde parce que le recourant, qui le poursuivait plutôt que d’éviter le contact, lui avait fait un balayage avant de s’acharner sur lui à coups de pied ; qu’en conséquence, sans aucune raison, le recourant s’était fait l’auteur de l’agression lors de laquelle il avait fait preuve d’une brutalité, d’un acharnement et d’une lâcheté qu’aucune circonstance n’expliquait ; qu’un examen objectif et subjectif des faits démontrait le caractère dangereux du recourant ; qu’il ne remplissait plus la condition d’honorabilité ; qu’en cas de poursuite de l’activité, le public serait exposé à de graves débordements de violence dénués de toute justification ; que l’hypothèse d’actes de légitime défense justifiés par l’état de nécessité paraissait raisonnablement devoir être exclue ; qu’au stade des mesures provisionnelles on ne voyait pas quelle autre mesure, moins incisive qu’une suspension provisoire de l’autorisation d’engager le recourant en qualité d’agent de sécurité privée, serait de nature à protéger la sécurité publique ;

qu’après avoir sollicité une prolongation du délai pour sa réplique, le recourant a persisté dans son argumentation, relevant que l’autorité se fondait manifestement sur un dossier relevant d’une procédure pénale, en cours d’instruction, auquel il n’avait pas eu accès et qui comprenait exclusivement des éléments à charge ; que les déclarations de l’ami du plaignant étaient rigoureusement, et opportunément, calquées sur les éléments ressortant de la plainte pénale ; que le recourant avait transmis les coordonnées de plusieurs personnes pouvant être citées à témoigner ;

que le dossier comprend une brève description des faits par le recourant ; qu’à teneur de cette dernière, il serait resté très calme, aurait tenté d’avoir un dialogue passif alors qu’il se faisait insulter et menacer physiquement ; que « la situation se serait ensuite envenimée » ; que E______ aurait tenté par deux fois de le frapper au visage ; que le prévenu l’aurait repoussé avec sa main gauche ouverte et l’aurait touché au visage, sans le vouloir ; qu’il n’aurait alors pas constaté de sang sur le visage de E______ et se serait replié dans le bar ; qu’il ne comprenait pas comment les diverses fractures s’étaient produites ; qu’il ignorait ce qui s’était déroulé entre le moment où il était rentré dans le bar et l’intervention de la police ;

que se trouve aussi au dossier un texte de quatre pages rédigé par le recourant, décrivant de façon plus détaillée les faits ; qu’il indique que le patron serait sorti dialoguer avec le client ; que la serveuse et l’ami de celle-ci auraient aussi été témoins de la scène ; qu’il indique qu’une cliente, présente dans le club, aurait porté les premiers soins à E______ ; qu’elle aurait été témoin des aveux de ce dernier exprimant clairement qu’il « aurait abusé » ; que l’incident aurait duré une vingtaine de minutes ;

que sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, l’art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par le président de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d’empêchement de ceux‑ci, par un juge ;

qu’aux termes de l’art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3) ;

qu’à teneur de l’art. 18 du CES, l’autorité qui a accordé l’autorisation doit la retirer : notamment lorsque les conditions de son octroi, prévues aux art. 8, 9, 10 et 10A ne sont plus remplies (al. 1 let. a) ; qu’elle peut retirer l’autorisation lorsque son titulaire ou l’agent concerné contrevient aux dispositions du CES, de ses directives d’application ou de la législation cantonale applicable (al. 2) ; que l’autorité peut également, dans les cas visés à l’al. 2 : a) prononcer un avertissement ; b) suspendre l’autorisation pour une durée de 1 à 6 mois ; c) prononcer une amende administrative d’un montant maximum de CHF 60’000.- ; que l’amende peut être cumulée avec les sanctions prévues aux let. a et b (al. 3) ; que demeurent réservées les mesures provisionnelles, notamment la suspension de l’autorisation ou l’interdiction de pratiquer, que peut prendre l’autorité décisionnelle compétente ou l’autorité du canton où s’exerce l’activité lorsque l’entreprise ou l’un de ses agents viole gravement la loi ou le concordat (al. 5) ;

que selon la directive « pour déterminer si le requérant remplit la condition d’honorabilité, on doit examiner le comportement et la situation personnelle de celui-ci. Si des actes à connotation pénale ont été commis, l’on doit tenir compte de leur gravité objective. En cas de nouvelle autorisation de renouvellement de celle-ci, on tiendra aussi compte d’une part du temps qui s’est écoulé depuis l’acte et, d’autre part, des circonstances purement subjectives de celui-ci ainsi que du comportement de l’intéressé depuis l’acte » ;

qu’en l’espèce, le dossier contient un rapport de police détaillé du 12 février 2024 comprenant des photos de E______ faites aux hôpitaux universitaires de Genève ainsi que les constats médicaux ; que s’y trouvent aussi, notamment, la plainte de E______ ainsi que le procès-verbal de l’audition de l’ami de ce dernier qui confirme une attitude agressive de l’agent ;

que les premiers éléments du dossier, notamment les photos attestant des lésions, du seul témoignage en l’état au dossier, de l’évolution du récit du recourant ‑ singulièrement avec l’intervention du directeur qui aurait discuté avec E______ dans son second récit ‑ tendraient, prima facie, à donner un poids plus important à la version de E______ qu’à celle du recourant ;

qu’aucun des témoignages invoqués par le recourant n’est en l’état au dossier, qu’il s’agisse de la cliente qui aurait recueilli les « aveux » de E______, du directeur de l’établissement, de la serveuse ou de son ami ;

que les blessures aux deux mains du recourant apparaissent à première vue peu compatibles avec son récit ; que les éventuelles blessures aux côtes apparaissent compatibles avec des coups donnés à une personne au sol, qu’à première vue rien ne semble justifier  ;

qu’à ce stade de la procédure, dans l’attente de l’établissement des faits de façon plus précise, la condition d’une violation grave de la loi du concordat au sens de l’art. 13 al. 5 CES apparaît à première vue remplie, justifiant le prononcé des mesures provisionnelles ;

que l’analyse détaillée, au sens de la directive, de la condition de l’honorabilité sera faite au fond ; qu’en l’état du dossier et conformément à ce qui précède cette condition n’apparaît prima facie plus remplie ;

que si l’intérêt du recourant à obtenir des revenus est important, la sanction décidée ne l’empêche pas de travailler mais en limite le secteur d’activité ;

que si certes trouver un emploi dans une autre branche peut s’avérer délicat, toutes les professions n’exigent pas de formation particulière étant rappelé que l’intéressé est jeune et en bonne santé ;

que l’intérêt à la sécurité publique, singulièrement la garantie de l’ordre public auquel doivent contribuer les entreprises de sécurité est très important et doit primer l’intérêt privé du recourant ;

qu’au vu de ce qui précède, le principe de proportionnalité est aussi respecté ;

qu’en l’état, les chances de succès du recours n’apparaissent pas évidentes ;

qu’en conséquence, la restitution de l’effet suspensif sera refusée ;

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête en restitution de l’effet suspensif ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me François CANONICA, avocat du recourant, ainsi qu’à la police - brigade des armes, de la sécurité privée et des explosifs.

 

 

 


Le président :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :