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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4292/2023

ATA/617/2024 du 21.05.2024 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4292/2023-FORMA ATA/617/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mai 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES intimé



EN FAIT

A. a. Le 8 septembre 2023, A______, née le ______2000, a formé auprès du service des bourses et prêts d'études (ci-après : SBPE), une demande de bourse ou prêt d'études pour l'année scolaire 2023/2024.

La formation concernée par la demande était un apprentissage en qualité d’employée de commerce d’une durée de trois ans (six semestres).

b. Par décision du 26 septembre 2023, le SBPE a refusé de lui allouer une bourse d’études au motif qu’elle avait déjà reçu quatre bourses en 2016/2017, 2017/2018, 2018/2019 et 2019/2020. Elle avait ainsi bénéficié du maximum d’aide financière pour obtenir son titre du degré secondaire II.

c. Le 26 octobre 2023, A______ a formé réclamation contre la décision précitée. Elle reconnaissait avoir épuisé son droit à une bourse d’études, mais les demandes précédentes concernaient des formations à plein-temps alors qu’il s’agissait là d’une formation « dual ». Elle comptait sur l’octroi de cette bourse pour devenir indépendante vis-à-vis de son père et de sa belle-mère et obtenir un appartement. Son père n’avait aucun revenu et sa belle-mère recevait une rente de l’assurance-invalidité. Elle avait des dettes auprès de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) et ne bénéficiait plus des subsides d’assurance-maladie.

Elle a annexé à sa réclamation une demande de remboursement de l’hospice pour un montant de CHF 2'000.- correspondant aux prestations d’aide sociale versées à titre d’avance sur allocations familiales.

d. Par décision sur réclamation du 22 novembre 2023, le SBPE a confirmé sa décision de refus d’octroyer une bourse d'études. La différence entre les formations précédentes à plein-temps et celle « dual » n’avait pas pour effet de prolonger la durée maximale de financement prévue par la loi pour une formation du secteur secondaire II.

B. a. Par acte daté du 20 décembre 2023, remis à l’office postal le 27 décembre 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, sans prendre de conclusions formelles.

Les précédentes années de formation financées concernaient une formation de secondaire II à plein-temps, alors que celle qu’elle suivait depuis la rentrée scolaire de septembre 2023 correspondait à une formation en emploi.

Les montants des bourses pour les années de formation précédentes étaient encaissés par l’hospice car ses parents étaient bénéficiaires de prestations de l’aide sociale. Son père ne touchait aucun revenu et ne pouvait pas l’aider financièrement. Sa belle-mère bénéficiait de prestations de l’assurance-invalidité, mais elle ne recevait pas de rente pour enfant pour elle, faute du lien biologique. Sa situation financière était difficile et cette décision ne lui était pas favorable.

b. Le SBPE a conclu au rejet du recours.

La recourante avait en réalité pu bénéficier de cinq années (2016/2017, 2017/2028, 2018/2019, 2019/2020 et 2020/2021– et non quatre comme retenu dans la décision de refus – de financement pour une formation du degré secondaire II. Dès lors que la formation en cours était d’une durée de trois ans, le financement de deux semestres supplémentaires prévu par la loi était épuisé.

Les cinq décisions d’aide financière démontraient qu’en accord avec l’ordre de paiement de l’hospice, signé par la recourante ou son représentant légal, seul le montant de la bourse qui avait fait l’objet d’une avance par l’hospice, dans l’attente d’une décision d’octroi de bourse, lui avait été remboursé. Le solde avait été versé à la recourante.

La recourante avait épuisé son droit à une bourse d’études pour une formation du degré secondaire II, de sorte qu’aucune nouvelle bourse ne pouvait lui être octroyée.

c. A______ n’a pas exercé son droit à la réplique.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). L'acte de recours contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1re phr. LPA). La juridiction administrative applique le droit d'office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

2.1 Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant. Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/20/2022 du 11 janvier 2022 consid. 2b et les arrêts cités).

2.2 En l'espèce, la recourante n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée. Cela étant, elle a exposé de façon circonstanciée les raisons pour lesquelles elle estime qu’elle doit être modifiée, ce qui est suffisant pour comprendre qu'elle est en désaccord avec cette décision et souhaite son annulation.

Son recours est dès lors recevable.

3.             Le présent litige porte sur le droit de la recourante à une bourse d'études pour l'année 2023/2024, le SBPE considérant qu'elle n'y est pas éligible. Vu l’épuisement de son droit à une bourse, elle ne pourrait prétendre selon lui qu'à un prêt.

3.1 La loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20) règle l'octroi d'aides financières aux personnes en formation (art. 1 al. 1 LBPE). Selon l'art. 1 al. 2, le financement de la formation incombe aux parents et aux tiers qui y sont légalement tenus (let. a) ; aux personnes en formation elles-mêmes (let. b). Les aides financières sont accordées à titre subsidiaire (art. 1 al. 3 LPE).

3.2 Les bourses d'études sont des prestations uniques ou périodiques non remboursables, qui permettent aux bénéficiaires d'entreprendre, de poursuivre ou de terminer une formation (art. 4 al. 1 LBPE).

Les prêts sont des prestations uniques ou périodiques, qui doivent être remboursées à la fin de la formation ou en cas d'interruption ou d'échec de la formation (art. 4
al. 2 LBPE).

3.3 Aux termes de l'art. 5 LBPE, les aides financières sont accordées sous forme de bourses, de prêts ou de remboursement de taxes (al. 1). Demeurent réservés les cas qui, au sens de l'art. 26 LBPE, peuvent donner lieu à une conversion des prêts en bourses d'études (al. 2).

3.4 Le chapitre II de la LBPE règle les conditions d'octroi.

L'art. 11 LBPE liste les formations pouvant donner lieu à une bourse (al. 1) ou à un prêt (al. 2).

Selon l'art. 11 al. 1 let. a et b LBPE, peuvent donner droit à des bourses les classes de préparation aux études du degré secondaire II et du degré tertiaire (y compris les programmes passerelles et les solutions transitoires), les formations initiales (secondaire II), soit les formations menant à la maturité spécialisée (école de culture générale) et à la maturité gymnasiale et les formations professionnelles menant à l'attestation fédérale en deux ans, au certificat fédéral de capacité, à la maturité professionnelle fédérale.

À teneur de l'art. 11 al. 2 LBPE, peuvent donner droit à des prêts, la deuxième formation initiale de niveau secondaire II (let. a), ainsi que les formations de niveau secondaire II ou tertiaire lorsque la personne en formation n'a pas droit à une bourse (let. e).

Les travaux préparatoires relatifs au projet de loi 10'524 ayant conduit à l'adoption de la LBPE (exposé des motifs - MGC 2008-2009 XI/2, p. 14'907 ss, en particulier p. 14'933-14'934) précisent à propos de l'art. 11 al. 1 LBPE que les deuxièmes formations de base sont financées par des prêts remboursables. En effet, l'obligation subsidiaire de l'État de financer la formation ne peut pas aller au-delà du financement d'une première formation qui permet d'intégrer le monde du travail.

3.5 Selon l'art. 22 LBPE, le montant maximum annuel des bourses et/ou prêts d'études s'élève à CHF 12'000.- pour le niveau secondaire II. La somme totale des prêts ne peut pas dépasser CHF 50'000.- par personne en formation (al. 4).

3.6 L'art. 14 LBPE fixe la durée de l’aide : les bourses sont octroyées pour la durée minimale de la formation ; lorsque cette durée est de deux ans ou plus et que la formation n’est pas encore achevée, les bourses peuvent être versées pendant deux semestres supplémentaires (al. 1). Lorsque la durée des études dépasse de plus de deux semestres la durée minimale de formation, des prêts peuvent être octroyés si des circonstances particulières le justifient (al. 2). En cas de changement de filière de formation, la nouvelle formation donne aussi droit à l'octroi d'une bourse. Deux changements de filière sont admis. Si un changement de formation est dicté par des raisons médicales impératives, le droit à l'aide financière n'est pas diminué par les années de formation inachevées (al. 3). La durée des études pouvant donner droit à une aide financière est prolongée proportionnellement lorsque la formation ne peut être suivie qu'à temps partiel pour des raisons professionnelles, familiales ou de santé (al. 4). La durée maximale de l’aide financière est déterminée dans le règlement d’application édicté par le Conseil d’État (al. 6).

 

L'art. 6 al. 3 du règlement d'application de la LBPE du 2 mai 2012 (RBPE - C 1 20.01) apporte des précisions sur la durée de l’aide. La durée de la formation suivie détermine la durée maximale de l’aide financière au sens de l’art. 14 al. 6 LBPE.

3.7 En l'espèce, la recourante ne conteste pas avoir bénéficié de cinq bourses d’étude et admet avoir épuisé son droit à celles-ci. Elle a effectué en effet une première formation de degré secondaire II.

Le cursus suivi aujourd’hui, soit un apprentissage d’employée de commerce en emploi, correspond à la définition de deuxième formation initiale, soit de degré secondaire II. En effet, ni la loi, ni le règlement ne fait la distinction entre une formation en études à plein-temps ou en emploi.

Ainsi, dans la mesure où la recourante a déjà effectué une première formation pour laquelle elle a obtenu des bourses durant cinq années consécutives et qu’elle commence une nouvelle formation de degré secondaire II, il s’agit bien d’une deuxième formation initiale. Elle ne peut être financée sous forme d’une bourse par l’État, celui-ci ne pouvant pas aller au-delà du financement d'une première formation permettant d'intégrer le monde du travail. En effet, les bourses déjà obtenues par la recourante dépassent largement la durée de la formation (trois ans), majorée de deux semestres supplémentaires.

L’intimé a dès lors retenu à juste titre qu’elle ne pouvait plus bénéficier d’une bourse, ayant épuisé son droit à celle-ci, mais pouvait prétendre éventuellement à l’octroi d’un prêt.

4.             Reste à examiner si la recourante remplit les conditions du cas de rigueur.

4.1 Selon l’art. 23 LBPE, lors de l'octroi des bourses et des prêts d'études, il est tenu compte des particularités que comportent les filières d'études en matière d'organisation dans le temps ou de contenu (al. 1). La bourse peut être complétée par un prêt lorsqu'une formation fortement structurée rend plus difficile l'exercice d'une activité professionnelle en parallèle. Il en va de même lorsque les frais de formation dépassent largement les frais reconnus (al. 2). Des bourses pour des cas de rigueur peuvent être octroyées dans les limites des disponibilités budgétaires (al. 3). L’art. 16 RBPE, intitulé « cas de rigueur », prévoit l’allocation de bourses pour les personnes en formation qui, pour des raisons familiales, personnelles ou de santé, se trouveraient dans une situation de précarité (art. 16 RBPE).

Il ressort des travaux préparatoires qu'il était nécessaire de prévoir un régime particulier pour les personnes en formation se trouvant dans des situations difficiles, notamment en raison du refus des parents de prendre en charge les frais de formation ou en cas de reprise d'une formation après des années consacrées à l'entretien de personnes à charge (MGC 2008-2009 XI/2, p. 14'941).

4.2 En l’espèce, le SBPE n’a pas examiné si la recourante, qui invoque sa situation financière difficile, remplissait les conditions du cas de rigueur.

La recourante, quand bien même elle soutient se trouver dans une situation financière délicate, ne se prévaut pas d'une des situations évoquées dans les travaux préparatoires, qui mentionnent la reprise d’une formation après des années consacrées à l'entretien de personnes à charge ou un refus des parents de prendre en charge les frais de formation (ATA/458/2021 du 27 avril 2021 consid. 4h ; ATA/610/2020 du 23 juin 2020 consid. 7d). Au vu de l’argumentation qu’elle développe, elle ne paraît du reste pas se trouver dans une telle situation.

C’est en conséquence sans violer le droit ni son large pouvoir d’appréciation que le SBPE a refusé l’octroi d’une bourse.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu la matière concernée, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 11 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 décembre 2023 par A______ contre la décision du service des bourses et prêts d'études du 22 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :