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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3628/2022

ATA/279/2023 du 21.03.2023 ( LIPAD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3628/2022-LIPAD ATA/279/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mars 2023

 

dans la cause

 

Madame A______ recourante
représentée par Me Constance Esquivel, avocate

contre

COMMISSION DE GESTION DU POUVOIR JUDICIAIRE intimée


EN FAIT

A. a. Par décision du 27 septembre 2022, notifiée le 3 octobre 2022, la commission de gestion du Pouvoir judiciaire (ci-après : commission) a refusé à Madame A______ l’accès intégral à la procédure pénale P/1______/2012 (archivée en 2012) concernant son défunt père, Monsieur B______ , autorisant uniquement l’accès au médecin désigné par elle au rapport d’autopsie médico-légale.

Le délai de protection de 25 ans à compter de la clôture du dossier, qui avait eu lieu en 2012, n’était pas échu, d’une part. D’autre part, le dossier contenait des données personnelles sensibles ou des profils de la personnalité, qui s’opposaient à l’accès intégral à celui-ci. L’accès était néanmoins autorisé, dans une mesure limitée, dès lors qu’il répondait à l’intérêt prépondérant de la requérante.

b. Le même jour, la commission a transmis au médecin désigné par Mme B______ le rapport d’autopsie médico-légale.

B. a. Par acte expédié le 2 novembre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, Mme B______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Elle a sollicité l’accès intégral au dossier médical de son père et à la procédure pénale précitée.

Son père était décédé le 3 septembre 2012, alors qu’elle était âgée de 11 ans. L’ordonnance relative à la personne décédée du même jour mentionnait que son père avait été retrouvé, par son collègue, allongé sur le ventre, derrière le bureau, son pantalon étant légèrement baissé et son sexe sorti et qu’il n’y avait aucune trace de lutte. Elle s’interrogeait sur les causes du décès de son père et avait ainsi demandé à consulter la procédure pénale.

Elle avait pris connaissance du rapport d’autopsie en présence et par le biais du médecin qu’elle avait désigné. Ce rapport ne mentionnait aucun symptôme d’overdose, mais concluait néanmoins à un décès par prise de drogue de type cocaïne, sans indiquer la quantité consommée ; la conclusion était uniquement fondée sur le fait que de la cocaïne avait été retrouvée dans les analyses d’urine et de sang. La mention du pantalon baissé et du sexe sorti de celui-ci laissait supposer que des relations sexuelles avaient eu lieu, ce qui impliquait qu’une autre personne avait été présente. Les informations transmises ne lui permettaient ainsi pas de faire son deuil.

b. La commission a conclu au rejet du recours.

Feu M. B______ était décédé sur son lieu de travail. Le jour de son décès, la procureure avait ordonné une autopsie afin de déterminer les causes du décès. L’accès au rapport d’autopsie était suffisant pour connaître les causes du décès. Le dossier de la procédure pénale contenait des informations relevant de la sphère intime du défunt et des personnes entendues ; l’accès à celui-ci violerait gravement les droits de la personnalité de l’ensemble de ces personnes.

La commission a transmis à la chambre administrative la procédure pénale en cause.

c. La recourante ne s’est pas manifestée dans le délai imparti pour répliquer.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Est litigieux l’accès intégral à la procédure pénale, ouverte à la suite du décès du père de la recourante.

2.1 La loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) régit l'information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle s'applique notamment aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux ainsi qu'à leurs administrations et aux commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a LIPAD). Selon l'art. 3 al. 1 du règlement d'application de la LIPAD du 29 décembre 2011 (RIPAD - A 2 08.01), les institutions publiques auxquelles s'applique la LIPAD – dont le pouvoir judiciaire et son administration – font l'objet d'une liste établie et publiée par le pouvoir dont elles dépendent ; le pouvoir judiciaire s'y est conformé (http://ge.ch/justice/acces-aux-documents-officiels-et-protection-des-donnees).

2.2 Dans le cadre de l'information du public (Titre II chapitre II LIPAD), l'accès aux procédures judiciaires closes est régi par l'art. 20 al. 3 LIPAD. Selon cette disposition, lorsqu'une procédure est close, l'information en est donnée sous une forme appropriée dans la mesure où un intérêt prépondérant le justifie, en veillant au respect des intérêts légitimes des parties (art. 20 al. 3 LIPAD).

Par ailleurs, les arrêts et décisions définitifs et exécutoires des juridictions de jugement et des autres autorités judiciaires doivent être accessibles au public auprès d'un service central dépendant du pouvoir judiciaire ou du greffe des institutions dont ils émanent, dans une version ne permettant pas de connaître les données personnelles des parties et des tiers qui y sont mentionnés. Le caviardage de ces données n'est pas nécessaire s'il ne répond, dans l'immédiat ou à terme, à aucun intérêt digne de protection (art. 20 al. 4 LIPAD). Les arrêts et décisions des juridictions de jugement et des autres autorités judiciaires sont publiés sous une forme appropriée respectueuse des intérêts légitimes des parties, si et dans la mesure où la discussion et le développement de la jurisprudence le requièrent (art. 20 al. 5 LIPAD).

2.3 Selon l'art. 20 al. 6 LIPAD, la commission édicte les directives nécessaires à la mise en œuvre des mesures de publication et de protection des intérêts légitimes prévues à l'art. 20 al. 4 et 5 LIPAD. Elle est habilitée, après consultation du préposé cantonal, à apporter à ces mesures les dérogations qui s'imposeraient pour garantir une bonne administration de la justice et la protection de la sphère privée.

Sur cette base-là, la commission a adopté le règlement du pouvoir judiciaire sur l'accès aux documents et aux données personnelles du 1er novembre 2021, entré en vigueur le 1er janvier 2022 (RADPJ – E 2 05.52), dont le but est de déterminer les mesures d'organisation générales et les procédures nécessaires d'accès aux documents judiciaires ou administratifs et aux données personnelles traités par le pouvoir judiciaire, à l'exclusion du Conseil supérieur de la magistrature et de la Cour d'appel du Pouvoir judiciaire (art. 1 RADPJ).

2.4 La conservation et l'archivage des documents sont régis par la loi sur les archives publiques du 1er décembre 2000 (LArch – B 2 15) (art. 29 al. 1 LIPAD). L'accès aux documents versés aux Archives d'État de Genève ou que des institutions sont chargées d'archiver elles-mêmes en lieu et place des Archives d'État de Genève est régi par la LArch (art. 29 al. 2 LIPAD).

Selon l’art. 12 LArch, les documents versés aux Archives d'État ou que des institutions sont chargées d'archiver elles-mêmes ne peuvent en principe être consultés qu'à l'expiration des délais de protection figurant aux al. 3 et 4 (al. 1). Ils demeurent toutefois accessibles pendant cinq ans dès leur archivage lorsque le requérant aurait pu y avoir accès auparavant en vertu de la LIPAD (al. 2). Le délai général de protection est de 25 années à compter de la clôture du dossier. Le dernier apport organique est déterminant pour définir l'année au cours de laquelle les dossiers ont été clos (al. 3). Les documents classés selon des noms de personnes et qui contiennent des données personnelles sensibles ou des profils de la personnalité ne peuvent être consultés que dix ans après le décès de la personne concernée, à moins que celle-ci n'en ait autorisé la consultation. Si la date de la mort est inconnue ou n'est déterminable que moyennant un travail disproportionné, le délai de protection expire 100 ans après la naissance. Si ni la date du décès, ni celle de la naissance ne peuvent être déterminées, le délai de protection expire 100 ans à compter de l'ouverture du dossier (al. 4). Le Conseil d’État peut autoriser la consultation des archives avant l’expiration des délais prévus aux al. 3 et 4, si aucun intérêt public ou privé prépondérant digne de protection ne s’y oppose, en particulier : a) si la consultation est faite dans l’intérêt prépondérant de la personne touchée ou de tiers ou b) si les documents sont nécessaires à l’exécution d’un projet de recherche déterminé ; dans ce cas, il peut être exigé que les données personnelles soient rendues anonymes (al. 5). Pour les archives du Pouvoir judiciaire, la commission de gestion du pouvoir judiciaire, soit pour elle son président, est compétente pour autoriser l’accès selon les conditions figurant à l’al. 5 (al. 6). À l'expiration des délais de protection figurant aux al. 3 et 4, l'accès aux archives en question peut encore être limité, par les autorités visées aux al. 5 et 6, en considération d'un intérêt public ou privé majeur et manifestement prépondérant qui s'y opposerait (al. 7).

2.5 Selon l’art. 3 al. 2 RADPJ, l'accès aux documents judiciaires de procédures archivées est régi par la LArch et le RADPJ. S'il est de nature judiciaire, un dossier est considéré comme archivé dès que la décision mettant fin à la procédure est définitive (art. 2 al. 1 let. b RADPJ). Les délais de protection prévus par l'art. 12 al. 3 et 4 LArch correspondent à la durée pendant laquelle la consultation des archives est en principe interdite. Ils courent dès l'archivage (art. 2 al. 6 RADPJ).

2.6 Aux termes de l’art. 15 al. 1 RADPJ, l'accès aux documents judiciaires de procédures archivées depuis plus de cinq ans est en principe interdit jusqu'à l'expiration des délais de protection, sauf si aucun intérêt public ou privé prépondérant digne de protection ne s’y oppose, en particulier a) si la consultation est faite dans l’intérêt prépondérant de la personne touchée ou de tiers ou b) si les documents sont nécessaires à l’exécution d’un projet déterminé de recherche scientifique à caractère académique ou c) s'il s'agit d'une décision judiciaire non publiée. Il peut encore être refusé à l'expiration du délai de protection, en présence d'un intérêt public ou privé majeur et manifestement prépondérant (art. 15 al. 2 RADPJ).

2.7 Selon l’art. 101 al. 1 du Code de procédure pénale du 5 octobre 2007 (CCP - RS 312.0), les parties à une procédure pénale pendante peuvent consulter le dossier. Des tiers peuvent consulter le dossier d’une procédure pendante s’ils font valoir un intérêt scientifique ou un autre intérêt digne de protection et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose (art. 101 al. 3 CPP).

Ces dispositions ne s'appliquent qu'aux procédures pénales pendantes. Celles-ci terminées, les modalités d'accès aux décisions judiciaires ne ressortissent pas ou plus au CPP, mais au droit cantonal, soit aux textes sur l'information du public, les données personnelles et l'archivage (ACPR/217/2019 du 18 mars 2019 consid. 1.3.1 et les références citées), étant précisé que l'art. 99 al. 1 CPP prévoit – en matière de protection des données – qu'après la clôture de la procédure, le traitement des données, la procédure et les voies de droit sont régis par les dispositions fédérales et cantonales sur la protection des données (ATA/1027/2019 du 18 juin 2019 consid. 8).

2.8 En l’espèce, la recourante n’a pas participé à la procédure pénale ouverte à la suite du décès de son père. Sa demande d’accès n’est pas non plus intervenue dans les cinq ans suivant l’archivage de la procédure en 2012 (art. 12 al. 2 LArch).

Par ailleurs, le délai de protection de 25 ans (art. 12 al. 3 LArch) n’est pas encore échu. Ainsi, elle ne pourrait être autorisée à accéder au dossier médical de son père et à la procédure pénale précitée que si aucun intérêt public ou privé prépondérant digne de protection ne s’y opposait et que la consultation était faite dans « l’intérêt prépondérant de la personne touchée ou de tiers » (art. 12 al. 5 let. a LArch).

Toutefois, comme l’a relevé la commission, le dossier médical et la procédure pénale contiennent des informations relevant de la sphère privée du défunt et des personnes entendues. Dans ces circonstances, l’intérêt à la protection de la sphère privée tant du défunt que des tiers figurant dans le dossier pénal constitue un intérêt privé digne de protection. Mis en balance avec l’intérêt privé de la recourante à connaître les circonstances du décès de son père, l’intérêt des personnes précitées à la protection de leur personnalité apparaît prépondérant. En outre, il a d’ores et déjà dûment été tenu compte de l’intérêt de la recourante à disposer de plus d’informations sur le décès de son père afin de faire son deuil en tant que le rapport d’autopsie médico-légale a été transmis au médecin de son choix, en présence et avec l’aide de qui elle a pu en prendre connaissance.

Il sied de rappeler que la consultation d’une procédure judiciaire archivée avant l’expiration du délai de protection constitue une exception. L’accès à ces informations est donc soumis à des exigences particulièrement élevées. Ainsi, aussi compréhensible que soit le besoin que décrit la recourante de mieux connaître les circonstances du décès de son père, disparu alors qu’elle était encore enfant, cet intérêt ne saurait prévaloir sur celui, prépondérant, du défunt et des tiers apparaissant dans la procédure pénale à ce que leur sphère privée soit préservée.

En tant que la décision querellée refuse l’accès à la procédure pénale et, implicitement au dossier médical du défunt, elle ne viole donc pas la loi ni ne consacre un abus du pouvoir d’appréciation.

Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 novembre 2022 par Madame A______ contre la décision de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire 27 septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Madame A______  ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Constance Esquivel, avocate de la recourante, ainsi qu'à la commission de gestion du Pouvoir judiciaire.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory,
Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :