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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1472/2022

ATA/1058/2022 du 18.10.2022 ( NAVIG ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1472/2022-NAVIG ATA/1058/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 octobre 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Raphaël Rey, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCEAU



EN FAIT

1) Le 1er juin 2021, le service du lac, de la renaturation des cours d’eau et de la pêche a publié, sur son site internet, une nouvelle directive relative au non-transfert des places d’amarrage.

Cette directive a été retirée du site précité à une date non précisée dans le dossier.

2) Par « demande d’autorisation A – place d’eau » du 26 juillet 2021, Monsieur  A______ a sollicité, auprès de la capitainerie cantonale (ci-après : la capitainerie), l’octroi d’une place d’amarrage pour un bateau à voile d’une longueur de 8 m et d’une largeur de 3 m.

Le formulaire mentionnait que les demandes non satisfaites étaient portées d’office sur une liste d’attente.

3) Par courriel du 12 août 2021 à la capitainerie, M. A______ a indiqué ne pas avoir reçu de réponse à sa demande du 26 juillet 2021. Il souhaitait obtenir une confirmation qu’il était dûment inscrit sur la liste d’attente, des explications sur la modification légale intervenue au 1er juin 2021 et les raisons pour lesquelles la nouvelle directive n’était pas sur le site de la capitainerie.

Il avait passé le matin même au guichet avec Monsieur B______, qui souhaitait lui vendre son bateau pour des raisons médicales. Ils avaient conjointement sollicité une transmission de la place amarrage de celui-ci en sa faveur, mais s’étaient heurtés à une fin de non-recevoir de la part de la personne au guichet.

4) Par pli du même jour, M. B______ s’est adressé au conseiller d’État en charge du département du territoire (ci-après : le département ou le DT).

Il était propriétaire d’un voilier de 6,50 m en parfait état, amarré au nouveau Port-Noir. Il était atteint d’une maladie dégénérative, selon un certificat médical qu’il joignait. Il était contraint de vendre son bateau et avait besoin d’y procéder pour des raisons financières. Il avait trouvé un acheteur. Or, le système actuel l’empêchait de procéder à la vente, l’acheteur ne pouvant pas conserver sa place dans le port. Le système bloquait ainsi toutes les transactions.

5) Le 17 août 2021, la capitainerie a répondu à M. A______ qu’il n’existait plus de places disponibles sur les ouvrages de l’État. Il était inscrit sur la liste d’attente avec les références « a – 1228 ».

6) Par courriel du 30 août 2021 à la capitainerie, M. A______ a relevé n’avoir toujours pas reçu de réponse à sa demande de reprise de la place d’amarrage de M. B______. Il lui avait été dit, oralement, que cette démarche ne pouvait plus être entreprise depuis le 1er juin 2021 à la suite de l’édition d’une nouvelle directive. Or, celle-ci semblait avoir été « gelée » et retirée du site internet. La capitainerie paraissait toutefois continuer à l’appliquer, sans aucune base légale. Il attendait une réponse conforme au cadre légal en vigueur.

7) Par contrat écrit du 8 septembre 2021, M. A______ a acheté le voilier de M. B______. Le contrat mentionnait que sa validité était soumise à la condition que l’acheteur obtienne une place d’amarrage pour le bateau concerné à Genève.

8) Le 5 octobre 2021, la capitainerie a sollicité de M. B______ un certificat médical afin d’examiner si une éventuelle dérogation pouvait être accordée en lien avec sa demande de transfert du bateau GE 1______ avec la place d’amarrage n° 2______.

Une copie de ce courrier a été adressée à M. A______.

9) Le 18 octobre 2021, l’office cantonal de l’eau (ci-après : l’OCEau) a publié une directive relative au non transfert des places d’amarrage. Elle reprenait le principe général de celle entrée en vigueur le 1er juin 2021 et précisait les cas de rigueur, soit les situations très particulières pour lesquelles la prise en compte des réalités notamment sociale, médicale et familiale s’imposait.

Un communiqué de presse a été publié le même jour.

10) Par courrier du 6 décembre 2021, le conseiller d’État en charge du département a confirmé à M. B______ que son dossier était en cours d’examen pour savoir si les conditions d’un cas de rigueur, tel que prévu dans la directive, étaient remplies.

11) Par décision du 23 décembre 2021, la direction générale de l’OCEau a rejeté la demande de transfert de la place d’amarrage formulée par M. B______.

Cette décision n’ayant pas été contestée, elle est définitive et exécutoire.

12) Le 26 janvier 2022, la capitainerie a confirmé à M. A______ que sa demande de place d’amarrage était renouvelée pour 2022.

13) Par courriel du 10 mars 2022, M. A______ a requis de l’OCEau l’attribution de la place d’amarrage n° 2______ de M. B______ ou tout autre emplacement permettant d’amarrer le voilier immatriculé GE 1______.

14) Par décision du 24 mars 2022, la direction générale de l’OCEau a déclaré irrecevable la requête du 10 mars 2022 de M. A______.

Il n’était pas bénéficiaire de la place d’amarrage dont le transfert était demandé. Il n’existait aucun rapport juridique entre ce dernier et l’État en ce qui concernait la place d’amarrage n° 2______ ou tout autre place d’amarrage. En l’absence de tout rapport juridique concret relevant du droit administratif, la qualité de partie lui était déniée. Dès lors, sa demande du 10 mars 2022 tendant au transfert de la place d’amarrage précitée en sa faveur était irrecevable.

15) Par acte du 9 mai 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après chambre administrative) contre la décision du 24 mars 2022. Il a conclu à son annulation, à ce que sa demande en attribution d’une place d’amarrage du 10 mars 2022 soit déclarée recevable et à ce que ladite place lui soit octroyée, subsidiairement, une autre place d’amarrage.

M. B______ était atteint d’une maladie dégénérative de la vue lui causant une cécité partielle et l’empêchant de naviguer. Il n’avait pas eu d’autre choix que de mettre son bateau en vente. Le 23 décembre 2021, l’OCEau avait proposé, « de manière tout à fait exceptionnelle » à M. B______, au vu des raisons médicales et du fait qu’il proposait son voilier « à un prix modeste », de reconsidérer sa décision s’il trouvait un acheteur « se trouvant en haut de la liste d’attente ». Le chef de la capitainerie se tenait à sa disposition pour l’assister dans cette démarche, notamment en raison du fait que la liste d’attente complète n’était disponible pour le public que de manière anonymisée. Malgré ses essais dès le mois de janvier, M. B______ n’était parvenu à joindre la capitainerie qu’à la fin du mois de mars 2022. Il lui avait alors été indiqué que la fiche descriptive de son bateau et l’offre de vente avaient été transmises aux personnes se trouvant « en haut de la liste d’attente ». Personne ne l’avait toutefois contacté, malgré une nouvelle publication de son annonce.

En qualité de demandeur d’une place d’amarrage, en particulier de la place n° 2______, et acquéreur du bateau qui y était amarré, M. A______ était touché par la décision du 24 mars 2022 dans son intérêt juridiquement protégé. Il en disposait dès le moment où il avait déposé sa requête tendant à l’attribution de la place d’amarrage et avait ainsi la qualité de partie. C’était à tort que la décision attaquée la lui avait déniée. L’autorité intimée s’était pour le surplus référée à de la jurisprudence, non pertinente, la première traitant de la définition de la décision et la seconde ayant été prononcée par la chambre civile de la Cour de justice et évoquant le principe de la relativité des contrats de droit privé, sans aborder la notion de qualité de partie à une procédure administrative.

À teneur des art. 10 de la loi sur la navigation dans les eaux genevoises du 17 mars 2006 (LNav - H 2 05) et 13 du règlement d’application de la loi sur la navigation dans les eaux genevoises du 18 avril 2007 (RNav - H 2 05.01), il était titulaire d’un droit à l’obtention d’une place d’amarrage. Le texte des deux dispositions était clair et prévoyait qu’en cas de changement de détenteur, le service disposait de l’emplacement et une nouvelle demande d’autorisation devait lui être présentée par l’acquéreur si ce dernier désirait occuper la place (art. 13 al. 2 RNav). L’achat, la vente ou le changement de bateau n’impliquait pas l’octroi de la même place d’amarrage (art. 13 al. 3 RNav). En conséquence, a contrario, l’achat, la vente ou le changement de bateau impliquait l’octroi, au nouveau détenteur, d’une place, qui pouvait toutefois ne pas être la même.

La directive n° 2021-1 entendait préciser l’art. 13 al. 2 RNav mais elle était contraire au RNav et dépassait la lettre et l’esprit de la LNav. Par l’art. 13
al. 2 RNav, le Conseil d’État avait souhaité laisser un pouvoir d’appréciation aux autorités quant au choix de la place à attribuer au nouveau détenteur de bateau, afin que chaque décision soit prise en prenant en compte les circonstances du cas d’espèce. Le règlement ne laissait par contre pas de place à l’appréciation quant au principe qu’une place devait être attribuée au nouveau détenteur. Jusqu’au récent changement de pratique, la loi et le règlement avaient toujours été respectés. La nouvelle règle selon laquelle le transfert de place lors de la vente de bateaux était impossible ou selon laquelle le nouveau détenteur du bateau ne bénéficiait « ni de la place ni d’aucune autre place » limitait la portée d’une disposition de rang supérieur. La directive restreignait de manière contraire au droit le pouvoir d’appréciation des autorités, consacrant ainsi un excès négatif de celui-ci, ce qui constituait une violation de la loi.

Dans sa requête du 10 mars 2022, le recourant n’avait pas requis un transfert de place, mais l’attribution d’une nouvelle place. Sa demande était conforme à la LNav et à son règlement d’application.

De plus, sur un plan pratique, la directive avait pour conséquence d’empêcher toute attribution de place à l’acquéreur du bateau. Il était quasiment impossible que les bateaux en vente soient précisément ce que les personnes en tête de liste d’attente recherchaient à acquérir. L’application de la directive emportait ainsi une violation de la liberté économique des vendeurs de bateaux qui se verraient contraints de conclure un contrat de vente avec les personnes désignées par l’administration et se retrouveraient dans l’impossibilité d’y procéder, l’objet de la vente ne correspondant pas forcément à leurs souhaits.

L’autorité avait indiqué craindre un abus de droit de la part des administrés qui pourraient être tentés de vendre la place d’amarrage en demandant un prix de vente du bateau qui serait exorbitant. Tel n’était pas le cas en l’espèce, le prix du bateau ayant été qualifié de modeste par l’administration.

16) L’OCEau a conclu au rejet du recours. Son argumentation sera reprise en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

17) Le recourant n’ayant pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été imparti, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la décision de l’OCEau du 24 mars 2022 déclarant irrecevable la demande du 10 mars 2022 tendant « à l’attribution de la place d’amarrage n° 2______ ou l’attribution de toute autre place d’amarrage sur le lac permettant d’amarrer le voilier immatriculé GE 1______ ».

Le litige se limitant à la question du bien-fondé du prononcé de l’irrecevabilité de la demande, les conclusions au fond telles que l’octroi de la place d’amarrage précitée ou d’un autre emplacement sont irrecevables.

3) Ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision (art. 7 LPA).

4) L’amarrage et le dépôt de bateaux dans les eaux genevoises et sur le domaine public, le long des rives, sont subordonnés à une autorisation « à bien plaire », personnelle et intransmissible (art. 10 al. 1 LNav). Les autorisations sont en priorité attribuées aux détenteurs de bateaux domiciliés dans le canton (art. 10 al. 2 LNav). Afin d'assurer une occupation rationnelle des ports, et notamment d'adapter les places d'amarrage aux dimensions des bateaux, l'autorité compétente peut, en cas de nécessité et après avoir consulté les propriétaires des bateaux, procéder ou faire procéder à des échanges de places (art. 10 al. 3 LNav).

À teneur de l’art. 11 RNav, le détenteur d'un bateau ne peut en aucun cas occuper une place d'amarrage ou une place à terre sans avoir obtenu une autorisation (al. 1). En principe, une seule place peut être attribuée par détenteur, sous réserve des places pour planches à voiles et annexes (al. 2). Les autorisations sont délivrées « à bien plaire » par le service ; les conditions d'usage sont définies dans des directives (al. 3). Les places d'amarrage et les places à terre sont attribuées en fonction des caractéristiques des bateaux (longueur, largeur, tirant d'eau, tirant d'air et poids), ainsi qu'en considération de la compatibilité des dimensions des bateaux avec les caractéristiques des ports genevois (al. 4). La procédure et les critères d'attribution sont précisés dans une directive édictée par le service et accessible au public (al. 5).

En cas de changement de détenteur, le service dispose de l'emplacement et une nouvelle demande d'autorisation doit lui être présentée par l'acquéreur, si ce dernier désire occuper une place (art. 13 al. 2 RNav).

L'achat, la vente ou le changement de bateau n'implique pas l'octroi de la même place d'amarrage (art. 13 al. 3 RNav).

5) En l’espèce, par requête du 26 juillet 2021, le recourant a sollicité une autorisation d’amarrage pour un voilier de 8 m de longueur et 3 m de largeur. Le formulaire mentionne, sous conditions, notamment que le demandeur ne doit pas être déjà au bénéfice d’une place et que les demandes non satisfaites sont portées d’office sur une liste d’attente, ce qui a été le cas. Dans sa lettre du 10 mars 2022, le recourant évoque tout à la fois l’attribution de la place n° 2______ ou toute autre place et fait référence à l’art. 13 al. 2 et 3 RNav.

En déposant une requête auprès d’un service de l’État pour une utilisation accrue du domaine public, comme il l’a fait le 26 juillet 2021 et renouvelé pour 2022, puis par courrier du 10 mars 2022, le recourant est en droit d’obtenir une décision du service concerné quant à l’issue de sa demande. Pour cette seule raison, l’OCEau ne pouvait pas lui dénier la qualité de partie, devait déclarer recevable sa requête et trancher le litige au fond.

Autre est la question d’un éventuel droit au transfert de la place d’amarrage, comme le soutient le recourant en critiquant notamment la nouvelle directive, question qui sera abordée dans le traitement du fond du litige.

La jurisprudence mentionnée par l’autorité intimée n’est pas pertinente en l’état. Le premier cas concerne la qualité pour recourir d’un tiers. Sa pertinence devra en conséquence s’analyser à la suite du présent renvoi du dossier à l’autorité intimée. Le second cas, prononcé par la chambre civile de la Cour de justice, rappelle le principe de la relativité des contrats de droit privé, non utile en l’état.

Dès lors que l’OCEau a nié à tort la qualité pour agir du recourant, la décision sera annulée et le dossier renvoyé à l’OCEau pour décision au fond.

6) Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art.87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée au recourant, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 mai 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de l'eau du 24 mars 2022 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

renvoie le dossier à l’office cantonal de l’eau pour décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à Monsieur A______ à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt (la présente décision) peut être porté(e) dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt (la présente décision) et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Raphaël Rey, avocat du recourant. ainsi qu'au département du territoire-OCEau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :