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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/812/2022

ATA/867/2022 du 30.08.2022 ( AMENAG ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DROIT FONCIER RURAL;IMMEUBLE AGRICOLE;SERVITUDE;CARRIÈRE;PERMIS D'EXPLOITER DES MATÉRIAUX;DÉCISION;OBJET DU RECOURS;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ
Normes : LOJ.132.al2; LPA.4; LPA.57
Résumé : Irrecevabilité d’un recours déposé contre un courrier de la commission foncière agricole répondant à un courrier d’un notaire demandant confirmation à la commission foncière agricole que l’inscription d’une servitude d’usage à destination de gravière sur plusieurs parcelles situées en zone agricole et comprise dans un plan d’extraction n’avait pas à être autorisée. S’agissant d’un demande d’ordre général ne permettant pas à la commission foncière agricole de statuer dans un cas touchant un ou des administrés déterminés, la demande du notaire ne mentionnant notamment pas les parcelles ou les propriétaires concernés, le courrier ne constitue pas une décision au sens de l’art. 4 LPA.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/812/2022-AMENAG ATA/867/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 août 2022

 

dans la cause

 

A______
B______
C______
représentées par Me Laurent Baeriswyl, avocat

contre

COMMISSION FONCIèRE AGRICOLE



EN FAIT

1) Madame D______ (née E______) et Monsieur  E______ sont copropriétaires de la parcelle no 2'391, feuille 9, du cadastre de la commune de H______, d’une surface de 14'264 m2, non construite et située en zone agricole.

2) Madame F______ est propriétaire de la parcelle no 2'188, feuille 7, du cadastre de la commune de H______, d’une surface de 9'621 m2, non construite et située en zone agricole.

3) Ces deux parcelles sont incluses dans le plan d’extraction de gravière
« Sous-H______ » PE 1______ (ci-après : plan d’extraction de gravière) adopté par le Conseil d’État le 30 octobre 2013. Elles sont comprises respectivement dans les phases E4 et B8 du plan.

4) A______ (ci-après : A______) est inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève depuis le 16 mars 2016 et a son siège au
______. Elle a pour but l’exploitation de gravières, le transport, la vente et le commerce de sables, de graviers et de tous matériaux, ainsi que toutes opérations qui s’y rattachent.

C______ (ci-après : C______), est inscrite au RC de Zurich depuis le 9 décembre 1961 et a son siège à Zurich. Elle a pour but notamment l’extraction, la transformation et la distribution de sables et de graviers ainsi que la fabrication et la distribution de béton prêt à l’emploi et de produits apparentés.

B______ (ci-après : B______) est inscrite au RC du canton de Genève depuis le 14 juin 2013 et a son siège à ______. Elle a pour but l’exploitation de gravières, le recyclage et le négoce de matériaux et toutes activités s’y rapportant.

5) Le 7 juillet 2021, les propriétaires des parcelles précitées ainsi que A______, C______ et B______ ont signé devant Maître G______, notaire, pour chacune des parcelles, un acte de constitution de servitude d’usage à destination de gravière ainsi que de constitution d’un droit de préemption. Une redevance était convenue lors de la mise en exploitation de la gravière à raison de CHF 6.- le m3 extrait de sable et gravier noble.

6) Me G______ a requis l’inscription au registre foncier du canton de Genève (ci-après : RF) des constitutions de servitudes, ainsi que l’annotation des droits de préemption. Ces réquisitions ont été suspendues le 9 décembre 2021 par le RF par deux « avis de mise en suspens de réquisition » distincts.

Il subsistait un doute sur la soumission de l’opération au régime de l’autorisation. Par conséquent, les requérants étaient invités à solliciter de la commission foncière agricole (ci-après : CFA) une décision sur l’assujettissement ou non de l’opération au régime de l’autorisation et, en cas d’assujettissement, de présenter une demande dûment motivée d’autorisation d’exécuter les dispositions des réquisitions. Faute de démarche effectuée dans le délai de trente jours, les réquisitions seraient rejetées.

7) Par demande du 23 décembre 2021 adressée à la CFA, Me G______ a requis la confirmation que l’inscription de ce type de servitudes n’avait pas à être autorisée, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un acte d’aliénation au sens de l’art. 61 al. 3 de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11), conformément à une décision prise par la CFA le 12 janvier 2016 dans le dossier no 15'078, jointe. Avant la mise en exploitation de la gravière et après avoir reçu l’autorisation d’exploiter, le bénéficiaire devrait obtenir de la CFA une décision de désassujettissement temporaire.

8) Le 9 février 2022, la CFA a confirmé à Me G______ un entretien qu’il avait eu avec l’un de ses membres. Le contenu de la nouvelle directive en matière de servitudes d’extraction de graviers en zone agricole, communiquée par la chambre des notaires de Genève, indiquait qu’une parcelle agricole en zone gravière pouvait temporairement être désassujettie à la LDFR par la CFA dès que le plan d’extraction adopté par le Conseil d’État était entré en force, jusqu’à la fin de l’exploitation de la gravière constatée également par arrêté du Conseil d’État. Ainsi, seule la CFA pouvait constater ce non-assujettissement temporaire qui permettrait au notaire de faire inscrire des servitudes d’extraction de graviers en zone agricole. La décision de janvier 2016 se référait à une pratique antérieure qui ne saurait plus avoir cours.

9) Par acte déposé le 14 mars 2022, A______, C______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le courrier de la CFA du 9 février 2022, reçu le 11 février 2022, concluant à son annulation et à ce que, statuant à nouveau, la chambre administrative constate que la directive à laquelle se référait le courrier qu’elles qualifiaient de décision n’était pas conforme aux principes découlant de la LDFR, constate que la LDFR demeurait applicable aux parcelles situées dans le plan d’extraction, mais n’étant pas au bénéfice d’une autorisation d’exploiter, dise que les actes de constitution de servitude d’usage à destination de gravière du 7 juillet 2021 ne constituaient pas des actes d’aliénation au sens de l’art. 61 al. 3 LDTR.

La position de la CFA, fondée sur une directive peu claire et non datée, voire contradictoire, ne pouvait être suivie. La LDFR demeurait applicable conformément à ce que disaient conjointement la jurisprudence, l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) et l’office fédéral de l’agriculture et l’inscription des servitudes ne nécessitait pas d’autorisation de la part de la CFA puisqu’elles ne constituaient pas un acte d’aliénation au sens de l’art. 61 al. 3 LDFR.

10) Le 4 mai 2022, la CFA a conclu à l’irrecevabilité du recours et subsidiairement a son rejet.

Le courrier du 9 février 2022 ne constituait pas formellement une décision. Une décision était toujours prise sur la base d’une demande faite in concreto par le biais d’un formulaire de requête auquel des pièces justificatives devaient être jointes. Les décisions faisaient l’objet d’un émolument et étaient valablement notifiées.

La demande faite par le notaire le 23 décembre 2021 ne mentionnait aucune parcelle et ne pouvait donner lieu à une décision. Le courrier du 9 février 2022 ne constituait qu’une réponse à une question posée, précisant que la décision de la CFA de 2016 n’avait aucune portée générale, se basant sur une pratique qui n’avait plus aucune raison d’être.

Sur le fond, la CFA a développé son argumentation au sujet de sa directive et à son application aux actes instrumentés par le notaire. Les mises en suspens du RF étaient justifiées.

11) Le 13 juin 2022, les recourantes ont répliqué.

Le formulaire de requête de la CFA était en lien avec une opération immobilière en matière agricole et visait à obtenir une constatation de non-assujettissement à la LDFR. Or, leur demande ne portait pas sur cette question, ne s’agissant pas d’une telle opération.

Lorsque le notaire avait envoyé sa demande le 23 décembre 2021, la CFA était en copie des avis de mise en suspens du 9 décembre 2021 du RF et savait donc de quelles parcelles il s’agissait, le contexte, les parties, ainsi que l’opération visée. En outre, le notaire avait eu un entretien téléphonique avec l’un des membres de la CFA.

La décision remettait en cause les décisions antérieures de la CFA et s’appuyait sur une directive qui n’avait pas force de loi.

Pour le surplus, ils ont développé leur argumentation quant à la divergence entre la position de la CFA, de l’OCAN, de l’office fédéral de l’agriculture et de la jurisprudence du Tribunal fédéral.

12) Le 7 juillet 2022, la CFA a dupliqué.

Son fonctionnement, exposé en détail, et le fait que la demande du notaire n’avait pas été faite selon les règles, impliquait qu’elle n’avait pas pu instruire une requête et donc rendre une décision formelle. Lors de l’entretien avec l’un de ses membres, il avait été recommandé au notaire des recourantes de présenter une requête en y joignant les pièces justificatives.

Une servitude étant un droit réel, elle constituait une aliénation « limitée » de la propriété laquelle devait être soumise à autorisation s’agissant d’une parcelle assujettie à la LDFR.

13) Les parties ont été informées le 8 juillet 2022 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 13 loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 - LaLDFR - M 1 10 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) Le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e et 57 loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10). Sont réservées les exceptions prévues par la loi (art. 132 al. 2 LOJ). La chambre administrative connaît en instance cantonale unique des actions fondées sur le droit public qui ne peuvent pas faire l'objet d'une décision au sens de l'art. 132 al. 2 LOJ et qui découlent d'un contrat de droit public.

3) L'autorité intimée conclut à l'irrecevabilité du recours dans la mesure où le « courrier » du 9 février 2022 ne serait pas une décision attaquable puisqu’il ne portait pas sur une demande concrète.

a. Selon l'art. 4 LPA, sont considérées comme des décisions au sens de l'art. 1 LPA, les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet : de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a) ; de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b) ; de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c).

Sont susceptibles de recours (art. 57 LPA), les décisions finales (let. a) et les décisions incidentes si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. c).

b. Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours (art. 46 al. 1 LPA). Une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties (art. 47 LPA).

Pour qu'un acte administratif puisse être qualifié de décision, il doit revêtir un caractère obligatoire pour les administrés en créant ou constatant un rapport juridique concret de manière contraignante. Ce n'est pas la forme de l'acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/606/2022 du 7 juin 2022 consid. 2b ; ATA/775/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3a).

c. De manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.2 ; 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; ATA/320/2022 du 29 mars 2022 consid. 5a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 279 ss n. 783 ss).

4) En l’espèce, l’autorité intimée a été sollicitée par les recourantes par le biais d’un courrier de leur notaire du 23 décembre 2021 dans lequel ne figure aucune mention de numéro de parcelle ou de nom de propriétaire, ne permettant ainsi pas d’identifier les parcelles concernées. Le courrier mentionne que le notaire a été mandaté afin d’établir des actes de constitution de servitudes d’usage à destination de gravières sur diverses parcelles situées en zone agricole et comprise dans le plan d’extraction no PE 1______.

Le courrier du notaire demande uniquement la confirmation par la CFA que l’inscription de telles servitudes n’avait pas à être autorisée.

Il s’agit donc d’une demande d’ordre général ou d’une demande de renseignements, mais non d’une requête permettant à la CFA de statuer dans un cas touchant un ou des administrés déterminés. La réponse donnée par la CFA est donc dénuée du caractère individuel et concret qui définit une décision au sens rappelé ci-dessus.

Les arguments des recourantes portant sur le fait que la CFA, ayant reçu copie de l’avis de mise en suspension des réquisitions du registre foncier du 9 décembre 2021, devait faire le lien avec le courrier du notaire du 23 décembre 2021 ne sont pas convaincants dans la mesure où la CFA, comme elle l’a exposé, reçoit de très nombreuses demandes et que la procédure de requête est détaillée dans le règlement d’exécution de la loi d’application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 26 janvier 1994 (RaLDFR - M 1 10.01), exigeant notamment la production des pièces justificatives. Quant aux précisions qui auraient été données lors d’un entretien téléphonique par un membre de la commission, elles ne sont pas de nature à modifier cette conclusion, puisque la CFA affirme que le conseil de déposer une requête aurait alors été donné au notaire.

Dans ces circonstances, faute de décision attaquable au sens de l'art. 4 al. 1 LPA, le recours sera déclaré irrecevable.

5) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge conjointe des recourantes qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 14 mars 2022 par B______, A______, C______ contre le courrier de la commission foncière agricole du 9 février 2022 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge conjointe de B______ , A______, C______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Laurent Baeriswyl, avocat des recourantes, ainsi qu'à la commission foncière agricole et à l'office fédéral de la justice, à l’office fédéral du développement territorial et l’office fédéral de l’agriculture.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen, Lauber et Michon Rieben, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Marmy

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :