Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1683/2022

ATA/851/2022 du 23.08.2022 ( CPOPUL ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1683/2022-CPOPUL ATA/851/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 août 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______B______
représenté par Me Raphaëlle Bayard, avocate

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1) Monsieur A______B______ est né le ______ 1976 à C______, au Zaïre, devenu depuis la République démocratique du Congo (ci-après : RDC).

2) Son père biologique, Monsieur D______B______, n'a pas déclaré sa naissance auprès de l'état civil congolais dans le délai légal de nonante jours à compter de la naissance. Ses parents se sont séparés en 1978.

3) Sa mère, Madame E______ née F______, s'est par la suite mariée avec Monsieur G______ H______ et s'est installée en Suisse avec son fils, tant la mère que le fils ayant alors acquis le patronyme H______.

4) Par arrêté du 7 janvier 1993, le département de justice et police, aujourd'hui le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département), a autorisé « H______-B______ » à porter à l'avenir le patronyme et les prénoms de « H______, I______ ».

5) M. A______ a acquis la nationalité suisse en 1996. Dans ses documents d'identité suisses et dans tous les actes d'état civil suisse, il est indiqué que son nom est I______H______, fils de G______.

6) M. A______ a retrouvé son père biologique M. D______ en 1999 en RDC, et des liens se sont tissés entre eux.

7) Le 1er décembre 2000, M. A______, encore appelé H______, s'est marié à Madame J______, laquelle a pris le nom de H______.

Deux filles sont nées de cette union, K______, née le ______ 2003, et L______, née le ______ 2005.

8) Selon un rapport d'expertise établi par le centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML) le 23 juillet 2019, sur la base d'une comparaison de matériel génétique, il était prouvé à 99,999 % que M. D______ était le père biologique de M. A______.

9) Par jugement supplétif du 15 janvier 2021, entré en force le 13 février 2021, le Tribunal de paix de C______ a constaté que A______ était né le ______ 1976 et issu de l'union entre D______ et E______ et a ordonné à l'officier d'état civil de la commune de M______ de délivrer à M. A______ un acte de naissance correspondant et de transcrire le dispositif du jugement « dans le registre des naissances de l'année en cours ».

10) Le 26 février 2021, l'officier d'état civil précité a établi ledit acte de naissance.

11) Le 3 mai 2021, M. A______ s'est adressé à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM). Ayant finalement obtenu son acte de naissance, il voulait connaître la marche à suivre afin de modifier le nom de famille apparaissant sur ses documents officiels ainsi que ceux des membres de sa famille, à savoir son épouse et ses deux filles.

12) Le 19 mai 2021, le service état civil, naturalisations et légalisations (ci-après : le service) de l'OCPM a répondu à M. A______ que son identité avait été établie lors de sa procédure de naturalisation en 1996 et sur la base d'une attestation de naissance congolaise fournie par ses soins. Le service ne pouvait modifier l'état d'une personne qu'en présence d'inexactitudes résultant d'une inadvertance ou d'une erreur manifeste commise, ce qui n'était pas le cas s'agissant de sa filiation.

L'on se trouvait en présence de données litigieuses et la rectification ne pouvait être ordonnée que par le juge compétent, si bien qu'il était invité à déposer une requête en rectification des registres de l'état civil auprès du Tribunal de première instance de Genève (ci-après : TPI), conformément à l'art. 42 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210).

13) Le 21 septembre 2021, M. A______, son épouse et leurs deux filles ont déposé une telle requête auprès du TPI, concluant à ce que leurs noms soient rectifiés dans les registres de l'état civil.

14) Invitée par le juge civil à se prononcer sur la requête, l'autorité de surveillance de l'état civil, à savoir le secrétariat général du DSPS, a conclu qu'« en présence de données litigieuses, il appart[enait] au juge compétent de se déterminer conformément à l'art. 42 CC ».

Seuls les faits d'état civil survenus sur territoire suisse devaient faire l'objet d'une inscription. Faisaient exception certains faits d'état civil qui s'étaient produits à l'étranger mais concernaient des ressortissants suisses. En l'occurrence, des faits d'état civil étaient intervenus sur territoire suisse. L'action que devait entreprendre la requérante (sic), dont les données personnelles semblaient erronées, avait pour objet premier de permettre la modification de son inscription dans les registres de l'état civil. L'art. 42 CC était ainsi applicable.

15) Par ordonnance du 24 novembre 2021, communiquée à la direction cantonale de l'état civil le 19 janvier 2022, le TPI a ordonné la rectification des noms des quatre membres de la famille, à savoir de ses prénoms et patronymes pour M. A______ et de leur patronyme pour son épouse et ses deux filles.

L'art. 42 CC était applicable. La procédure relevait de la juridiction gracieuse et était une procédure sommaire selon l'art. 248 let. e du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272). Les inscriptions opérées en l'espèce au registre d'état civil l'avaient été sur la base de documents présentés lors de la procédure de naturalisation de M. A______. Le jugement du Tribunal de C______ du 15 janvier 2021 devait être reconnu en Suisse. Il était ainsi établi que M. A______ avait pour père biologique M. D______. Afin de préserver le droit du premier à la connaissance de ses origines, il y avait lieu de procéder aux modifications requises dans le registre d'état civil.

16) Le 11 mars 2022, le service s'est adressé au conseil de M. A______, en se référant à deux entretiens téléphoniques avec ce dernier les 2 février et 2 mars 2022.

Les registres d'état civil devaient être probants. La filiation de M. A______ devait être rectifiée en raison des documents qu'il avait produits dans le cadre de sa requête en rectification des registres et de la motivation contenue dans l'ordonnance du TPI du 24 novembre 2021, dont il résultait que son père était M. D______, alors que les registres indiquaient que son père était M. G______. La filiation était ainsi litigieuse et devait être rectifiée par le juge sur la base de l'art. 42 CC.

Lors de l'entretien téléphonique du 2 mars 2022, le conseil de M. A______ avait indiqué que ce dernier ne voulait pas que sa filiation soit rectifiée dans le registre de l'état civil, et qu'il n'avait pas et ne souhaitait pas déposer une requête en rectification de l'ordonnance du TPI.

Le service était ainsi dans l'obligation de bloquer, conformément à l'art. 46a de l'ordonnance sur l'état civil du 28 avril 2004 (OEC - RS 211.112.2), l'utilisation des données d'état civil de M. A______ pour une durée indéterminée, jusqu'à ce qu'une décision définitive et exécutoire sur sa filiation soit rendue. Une décision sujette à recours serait prochainement rendue. L'intéressé était invité à demander la rectification de l'ordonnance du TPI.

17) Le 29 mars 2022, M. A______ s'est adressé au TPI pour obtenir ladite rectification, sur la base de l'art. 334 CPC, en joignant le courrier reçu du service.

18) Par ordonnance du 5 avril 2022, le TPI a rejeté la requête en rectification.

Cette dernière ne pouvait tendre à la modification matérielle de la décision concernée, mais seulement à permettre la correction d'erreurs de rédaction ou de pures fautes de calcul. En l'espèce, la conclusion était en outre exorbitante au cadre de la requête initiale, qui visait uniquement la modification des noms des membres de la famille.

19) Par décision du 19 avril 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le secrétariat général du DSPS, en tant qu'autorité cantonale de surveillance de l'état civil, a ordonné le blocage de la divulgation et de l'utilisation des données personnelles d'état civil de M. A______, dans la mesure où sa filiation paternelle était litigieuse, ceci pour une durée indéterminée et jusqu'à ce qu'il soit produit une décision sur sa filiation paternelle rendue par le TPI, autorité compétente pour ordonner la rectification du registre de l'état civil.

La filiation paternelle saisie dans le registre de l'état civil était « erronée et litigieuse ». Il ressortait des pièces du dossier et de la motivation de l'ordonnance du TPI que le père de M. A______ était M. D______ et que le jugement du 15 janvier 2021 constatant sa filiation paternelle était reconnu en Suisse. Dès lors, la filiation de M. A______ était litigieuse et devait être rectifiée par le juge conformément à l'art. 42 CC. En l'absence de jugement du TPI ordonnant la rectification de sa filiation paternelle, il convenait d'éviter qu'il puisse obtenir des actes d'état civil qui constateraient des données personnelles erronées et litigieuses. Il existait ainsi un risque d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse commandant le blocage de l'utilisation de ses données de l'état civil.

20) Par acte posté le 24 mai 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, et principalement à l'annulation de la décision attaquée ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Sa relation avec M. H______ avait toujours été distante et conflictuelle, raison pour laquelle il avait quitté le domicile familial à l'âge de 20 ans et avait cherché à se rapprocher de son père biologique.

Un changement de nom n'impliquait en aucun cas une nécessité de modifier sa filiation. Le changement de sa filiation n'était initialement ni son souhait, ni l'objet de sa requête.

En bloquant l'utilisation et la divulgation de ses données d'état civil, le service (recte : l'autorité de surveillance de l'état civil) limitait drastiquement son droit à disposer de ses données – il n'avait même pas accès à ses nouveaux papiers d'identité – et allait au-delà de sa requête initiale, si bien qu'il convenait de restituer l'effet suspensif au recours.

Il avait produit le jugement du Tribunal de C______ pour montrer l'existence de motifs légitimes, au sens de l'art. 30 CC (sic), à changer de nom. Ledit jugement n'avait pas été reconnu sur le territoire suisse et n'y avait pas force exécutoire. Partant, l'autorité de surveillance de l'état civil ne pouvait se baser sur ce document pour fonder sa décision.

Cette dernière était en outre disproportionnée. Pour modifier sa filiation, il devrait faire reconnaître le jugement du Tribunal de C______, ce qui engendrerait l'obligation d'intenter une action en paternité au sens de l'art. 255 CC, puis intenter une action en reconnaissance de sa nouvelle paternité juridique, puis enfin une action en rectification de l'état civil. De plus, les délais de l'action en paternité étaient prescrits (sic). L'autorité faisait preuve de formalisme excessif.

21) Le 10 juin 2022, le département a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

22) Le 29 juin 2022, il a conclu au rejet du recours sur le fond.

La requête de M. A______ ne se basait aucunement sur l'art.  30 CC, mais portait sur une rectification des registres de l'état civil en se fondant sur l'art. 42 CC, soit une procédure qui servait à corriger une inscription qui était déjà erronée au moment des faits, soit à la suite d'une erreur de l'officier d'état civil, soit parce que celui-ci avait été laissé dans l'ignorance de faits importants.

La chambre administrative avait déjà validé une mesure de blocage du même type en 2015, pour des administrés n'ayant pas annoncé leur mariage à l'étranger. En l'espèce, M. A______ devait déposer une demande visant aussi la rectification de sa filiation, alors qu'il avait seulement conclu à une rectification de son nom.

M. A______, ressortissant suisse, avait l'obligation légale d'annoncer à l'état civil que l'attestation de naissance produite en 1996 contenait des informations qui s'étaient révélées erronées et que le Tribunal de paix de C______ avait rendu une décision concernant sa filiation paternelle. Les conditions prévues par la LDIP pour la reconnaissance de ce jugement étaient remplies, sous réserve de la production des originaux du jugement authentifiés par la représentation suisse en RDC, de la signification de ce dernier, du certificat de non-appel et de l'acte de naissance. Il n'y avait aucune raison de ne pas reconnaître le jugement du 15 janvier 2021, ceci d'autant que cette filiation avait été inscrite au registre de l'état civil congolais et qu'il était contraire à la sécurité du droit d'avoir une filiation différente inscrite dans les registres de deux États.

Il était indispensable que le contenu des registres soit correct et complet. Il s'agissait des principes les plus importants dans le domaine de l'enregistrement de l'état civil. Il découlait du dossier que l'inscription de la filiation de M. A______ ainsi que de ses noms et prénoms était erronées lorsqu'elle avait été inscrite. Il était dès lors primordial que le contenu du registre soit rectifié. Les registres de l'état civil faisant foi, il fallait éviter que M. A______ puisse obtenir et utilise ensuite des actes d'état civil qui constateraient des données personnelles erronées. M. A______ ne pouvait pas choisir de ne pas modifier sa filiation paternelle. Il n'aurait pas quatre actions à intenter, comme il le prétendait, mais seulement une nouvelle requête en rectification basée sur l'art. 42 CC, dans laquelle il conclurait cette fois à la rectification de sa filiation. La décision attaquée était donc proportionnée et ne violait pas l'interdiction du formalisme excessif.

23) Le 5 juillet 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 22 juillet 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

24) Le 18 juillet 2022, le département a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à faire valoir.

25) Le 18 juillet 2022 également, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Via sa requête du 21 septembre 2021, il avait simplement souhaité rectifier ses données d'état civil dans la mesure où il avait retrouvé son père biologique et souhaitait reprendre son nom. Il n'en demeurait pas moins que la filiation avec son « père juridique » devait être conservée, car c'était lui qui l'avait reconnu à la naissance. Il était sur cette base faux d'exiger de lui qu'il rectifie sa filiation paternelle, celle-ci n'étant pas contestée. La position inflexible de l'autorité de surveillance de l'état civil, qui avait bloqué ses données, était erronée.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/366/2015 du 21 avril 2015 consid. 11).

2) Le litige porte sur le blocage – ordonné d'office par l'intimé – de l'utilisation des données d'état civil du recourant.

3) Par délégation de l’art. 48 CC, le Conseil fédéral a édicté l’OEC, dans laquelle il a notamment énoncé les dispositions d’exécution applicables aux registres à tenir et aux données à enregistrer (art. 48 al. 2 ch. 1 CC), à la tenue des registres (art. 48 al. 1 ch. 3 CC) et à la surveillance (art. 48 al. 1 ch. 4 CC).

4) a. L’état civil est constaté par des registres électroniques qui sont exploités au sein d’une banque de données centrale INFOSTAR (art. 39 al. 1 et 45a CC).

b. L’art. 39 al. 2 CC précise :

« Par état civil, on entend notamment :

1. Les faits d’état civil directement liés à une personne, tels que la naissance, le mariage, le décès ;

2. le statut personnel et familial d’une personne, tels que la majorité, la filiation, le lien matrimonial ».

c. Le détail des données à enregistrer est énoncé aux art. 7 et 8 OEC. Le mariage constitue l’une d’entre elles (art. 7 al. 2 let. i OEC).

Toute personne est saisie dans le registre de l’état civil à l’annonce de sa naissance (art. 15a al. 1 OEC). Les ressortissants étrangers dont les données ne sont pas disponibles dans le système sont saisis plus tard lorsqu’ils sont concernés par un fait d’état civil qui doit être enregistré en Suisse (art. 15a al. 2 OEC). Celui qui n’a jamais été marié ou lié par un partenariat enregistré est célibataire
(art. 8 let. f ch. 1 OEC ; Michel MONTINI, in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX [éd.], Commentaire Romand - Code civil I, 2010, n. 3 ad ad art. 39 CC).

5) Aucun fait d’état civil ne peut être enregistré dans le registre de l’état civil si la personne concernée n’y est pas saisie et que ses données ne sont pas à jour, sauf naissance d’un enfant trouvé ou décès d’une personne inconnue (art. 15 al. 2 OEC).

6) Les faits d’état civil sont en principe enregistrés suite à la production par les personnes concernées de la documentation requise (art. 16 al. 2 OEC).

7) Les décisions ou actes étrangers concernant l’état civil sont transcrits dans les registres de l’état civil en vertu d’une décision de l’autorité cantonale de surveillance en matière d’état civil du canton d’origine de la personne concernée (art. 32 al. 1 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 - LDIP - RS 291, art. 23 al. 1 OEC). La transcription est autorisée si elle remplit les conditions d’une reconnaissance au sens des art. 25 à 27 LDIP
(art. 32 al. 2 LDIP).

8) a. En l’absence de documents, l’enregistrement de données d’état civil non litigieuses est possible aux conditions restrictives de l’art. 41 CC.

Selon cette disposition, lorsque les données relatives à l’état civil doivent être établies par des documents, l’autorité cantonale de surveillance peut admettre que la preuve repose sur une déclaration faite à l’officier de l’état civil, pour autant que les données ne soient pas litigieuses et que la présentation des documents s’avère impossible ou ne puisse raisonnablement être exigée (art. 41 al. 1 CC). Tel est le cas lorsque la personne tenue d’apporter sa collaboration démontre qu’au terme de toutes les démarches entreprises, l’obtention des documents pertinents s’avère impossible ou qu’elle ne peut raisonnablement être exigée (art. 17 al. 1 let. a OEC) et qu’il ressort des documents et des informations à disposition que les données en question ne sont pas litigieuses (art. 17 al. 1 let. b OEC). Lorsque l’autorité de surveillance saisie s’estime incompétente, elle rend une décision formelle et invite la personne concernée à saisir les tribunaux compétents pour constater son état civil et obtenir la modification des données d’état civil (art. 17 al. 3 OEC).

b. Lorsque les données d’état civil enregistrées sont litigieuses, le requérant doit alors s’adresser au juge pour obtenir leur modification (art. 42 CC ; art. 30 OEC), sauf s’il s’agit d’inexactitudes résultant d’une inadvertance ou d’une erreur manifeste qui peuvent être rectifiées directement par les autorités de l’état civil (art. 43 CC ; art. 29 OEC). Toute personne qui justifie d’un intérêt personnel légitime peut demander au juge d’ordonner l’inscription, la rectification, ou la radiation de données litigieuses relatives à l’état civil (art. 42 al. 1 CC). La procédure est régie par le droit cantonal pour autant que la Confédération ne règle pas la matière de manière exhaustive. Selon l’art. 22 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), c’est le tribunal dans le ressort duquel les données de l’état civil à modifier ont été ou auraient dû être enregistrées qui est impérativement compétent pour statuer sur les actions en modification du registre. Dans le canton de Genève, ce rôle échoit au Tribunal de première instance, rattaché au Tribunal civil (art. 86 al. 1 et 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

c. Les art. 42 et 43 CC visent en principe la modification d'une inscription qui est illégitime dès le début. Si l'inscription a été opérée correctement, mais qu'elle est devenue inexacte par la suite, il faut procéder à une mise à jour du registre, laquelle est normalement opérée par l'officier d'état civil compétent sur la base des déclarations et pièces qui lui sont remises, sans intervention du tribunal, sous réserve du cas des indices de mort (Paul-Henri STEINAUER/Christiana FOUNTOULAKIS, Droit des personnes physiques et de la protection de l'adulte, 2014, n.814 et 816).

9) a. Il revient au Conseil fédéral de déterminer les personnes et les autorités qui sont tenues de déclarer les données nécessaires à la constatation de l’état civil (art. 40 al. 1 CC).

b. Selon l’art. 39 OEC, les personnes de nationalité suisse ou les ressortissants étrangers qui ont une relation avec un citoyen suisse en vertu du droit de la famille sont tenus d’annoncer la survenance des faits d’état civil qui les concernent à la représentation compétente de la Suisse ; elles ont les mêmes obligations s’agissant des déclarations et des décisions étrangères. Cette obligation résulte de l’absence, sauf quelques exceptions, de conventions internationales passées par la Suisse avec des États étrangers garantissant la communication automatique de données d’état civil intervenues à l’étranger (Michel MONTINI, op. cit., n. 10 ad art. 40 CC).

En l’occurrence, aucune convention n’existe entre la Suisse et la RDC qui prévoirait la communication automatique des faits d’état civil entre les deux pays.

10) a. Selon l’art. 46a al. 1 OEC, entré en vigueur le 1er janvier 2011, l’autorité de surveillance de l’état civil bloque l’utilisation des données de l’état civil disponibles en ligne si elle juge qu’il existe un risque d’obtention frauduleuse d’une constatation fausse. Elle lève le blocage dès qu’elle peut exclure une utilisation abusive des données (art. 46a al. 2 OEC).

Le blocage s'étend à toute la Suisse et empêche les offices d'état civil d'émettre des documents contenant les données en cause (Toni SIEGENTHALER, Die Dienstleistungen des Zivilstandsamtes nach der grossen Reform, 2011, p. 433).

b. La référence à la notion d’obtention frauduleuse d’une constatation fausse figurant à l’art. 46a OEC renvoie à l’art. 253 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Cette infraction pénale réprime toute personne qui induit en erreur un fonctionnaire ou un officier public, l’aura amené à constater faussement dans un titre authentique un fait ayant une portée juridique (al. 1) ou celui qui aura fait usage d’un tel titre pour tromper autrui sur le fait qui y est constaté (al. 2). Constitue un titre tout document remplissant les conditions de l’art. 110 al. 4 CP, soit qui est destiné et propre à prouver un fait ayant une portée juridique (ATF 100 IV 241) ; constitue un titre authentique, un tel document lorsqu’il émane d’une autorité, d’un fonctionnaire ou d’un officier public.

En particulier, les registres publics auxquels les tiers peuvent se fier constituent des titres authentiques. Les inscriptions fausses dans de tels registres obtenues sur la base de faux documents sont constitutives d’une telle infraction (ATF 123 IV 138 ; Daniel KINZER, in Alain MACALUSO/Laurent MOREILLON/Nicolas QUELOZ [éd.], Commentaire romand – Code pénal II, 2017, n. 64 ad art. 251 CP).

Dans le cas de l’art. 253 CP, l’agent public qui dresse le titre authentique est utilisé comme un instrument humain en vue de créer un faux intellectuel au sens de l’art. 251 al. 2 CP, soit un document officiel constatant un fait qui ne correspond pas à la réalité (ATF 132 IV 14).

c. La circulaire de l'office fédéral de l'état civil (ci-après : OFEC) n° 20.07.10.01 du 1er octobre 2007 relative au blocage de la divulgation ou de l'utilisation des données d'état civil ne donne aucun renseignement sur l'origine de la norme ou son fondement légal. Du point de vue des critères matériels d'application de l'art. 46a OEC, elle indique néanmoins d'une part que « la divulgation ou l'utilisation des données par les offices de l'état civil ne peuvent être bloquées par l'autorité de surveillance elle-même que dans des cas particulièrement fondés » (ch. 5), et d'autre part que « la délivrance d'un document relatif à l'état civil, à l'état de famille ou au droit de cité peut être refusée si la personne n'apporte pas sa collaboration lors de l'enregistrement d'un événement d'état civil survenu à l'étranger » (ibid.), en renvoyant à ce dernier égard à l'art. 39 OEC.

d. Dans un arrêt du 21 avril 2015 (ATA/366/2015), la chambre de céans a confirmé le blocage de l'utilisation des données d'état civil, fondé sur l'art. 46a OEC, d'un couple qui s'était marié à Madagascar mais ne l'avait annoncé ni à la représentation suisse sur place, ni aux autorités suisses de l'état civil.

11) a. La liberté personnelle (art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) garantit aux personnes physiques la liberté de mouvement (ATF 142 I 135 consid. 4.1) ainsi que tous les aspects élémentaires de l'épanouissement personnel (ATF 142 I 195 consid. 3.2).

b. Selon l'art. 14 Cst., le droit au mariage et à la famille est garanti. L'art.  13  al. 1  Cst. prévoit quant à lui que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications.

c. Une atteinte grave aux droits fondamentaux exige en principe une base légale formelle, claire et précise, alors que les atteintes plus légères peuvent, par le biais d'une délégation législative, figurer dans des actes de niveau inférieur à la loi, ou trouver leur fondement dans une clause générale (ATF 123 I 112 consid. 7 ; 122 I 360 consid. 5b/bb ; ATA/488/2021 du 27 avril 2021 consid. 5a).

12) Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 ; 1C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). Ce principe est l'émanation d'un principe plus général, celui de la confiance, lequel suppose que les rapports juridiques se fondent et s'organisent sur une base de loyauté et sur le respect de la parole donnée. Le principe de la loyauté impose aux organes de l'État ainsi qu'aux particuliers d'agir conformément aux règles de la bonne foi ; cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; ATA/555/2022 du 24 mai 2022 consid. 9).

13) a. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

b. Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ;
136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

c. La mesure doit être nécessaire et suffisante pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4 ; ATA/481/2022 du 5 mai 2022 consid. 6d).

14) En l'espèce, la décision attaquée se fonde sur l'art. 46a OEC. La légalité de cette disposition réglementaire est pourtant sujette à caution. En effet, contrairement au blocage à la demande de l'administré de ses propres données (art. 46 OEC), qui trouve un fondement constitutionnel à l'art. 13 al. 2 Cst. et légal à l'art. 43 CC, le blocage d'office de l'utilisation des données d'état civil, et ce sans limitation de temps, ne trouve aucun fondement dans le CC, alors même qu'un tel blocage est susceptible d'entraîner une ingérence grave dans la liberté personnelle, le droit au respect de la vie privée et familiale ou encore le droit au mariage des administrés, dès lors qu'il peut les empêcher le cas échéant de se procurer des documents d'identité, de divorcer, ou de se (re)marier. La question de la validité de la décision attaquée sous cet angle souffrira néanmoins de rester indécise au vu de ce qui suit.

Force est de constater qu'aucune des parties n'a respecté ses devoirs constitutionnels ou légaux. Le recourant a ainsi violé son devoir d'annonce au sens de l'art. 39 OEC, dès lors qu'il n'a pas communiqué le jugement du Tribunal de C______ – dont on doit constater qu'il porte également sur l'établissement de sa filiation paternelle – à la représentation suisse en RDC. Quant à l'intimé, invité à déposer des observations devant le TPI, il s'en est rapporté à justice et n'a aucunement soulevé le potentiel problème lié à la limitation des conclusions à la rectification des seuls noms des membres de la famille puis, à réception de l'ordonnance du TPI, il a mis en demeure le recourant de faire modifier l'ordonnance (par le biais d'un moyen procédural inadéquat) puis a bloqué l'utilisation. Il s'agit là d'un comportement contradictoire et, partant, contraire à la bonne foi.

S'agissant des motifs du blocage, l'intimé considère d'une part que les données d'état civil concernant la filiation paternelle sont « litigieuses », et d'autre part que ces données figurant dans le registre suisse de l'état civil sur cette filiation étaient, « erronées lorsqu'elles avaient été inscrites ». La première de ces affirmations est en contradiction avec le contenu des écritures de l'intimé, pour qui, à l'exception de l'annonce à la représentation diplomatique suisse en RDC et de l'authentification des actes originaux par cette dernière, il n'existe aucune raison de ne pas reconnaître le jugement du 15 janvier 2021. Ceci à juste titre, puisque le TPI a indiqué dans son ordonnance que ce jugement pouvait être reconnu en Suisse, et que ledit jugement concorde avec les pièces du dossier, notamment l'expertise du CURML qui conclut à la paternité quasi certaine de M. D______. Or le seul fait qu'une donnée d'état civil doive être modifiée n'est pas suffisant pour la considérer comme litigieuse. De plus, une application de l’art 46a OEC suppose un risque d’obtention frauduleux d’une constatation fausse, risque que l’intimé tient pour avéré mais qu’il n’explicite pas

De plus et surtout, la demande de rectification au sens de l'art. 42 CC qui semble indispensable à l'intimé suppose que l'inscription à rectifier soit erronée depuis le début. Or, rien n'indique que tel soit le cas en l'espèce. Pour rappel, la filiation biologique et la filiation juridique ne correspondent pas nécessairement, si bien que le fait que la personne indiquée comme père dans les registres de l'état civil ne soit pas le père biologique de la personne concernée ne consacre pas forcément une inscription illégitime. En l'espèce, quand bien même le recourant n'a nullement démontré que, ainsi qu'il l'allègue dans ses dernières écritures, M. H______ ait été son père juridique, il est patent que, en 1996, l'inscription faite au registre suisse d'état civil n'était en tout cas pas contraire à une autre filiation juridiquement établie, que ce soit en Suisse ou en RDC. Le jugement du 15 janvier 2021 ne prévoit par ailleurs pas que la constatation de la filiation paternelle à l'égard de M. D______ déploie des effets ex tunc, et l'intimé n'allègue pas que tel serait de lege le cas en droit congolais. Au contraire, ledit jugement prescrit à l'officier d'état civil une inscription « dans le registre des naissances de l'année en cours », soit 2021. On ne voit dès lors pas ce qui empêcherait une modification de l'entrée concernant la filiation paternelle du recourant comme un nouvel événement d'état civil portant sur des données non litigieuses, si nécessaire après avoir soumis à l'ambassade de Suisse à C______ les originaux du jugement du Tribunal de C______ et des actes qui lui sont connexes.

Dans ces conditions, un blocage de l'utilisation des données jusqu'à ce que le recourant obtienne du TPI la rectification des données d'état civil concernant sa filiation paternelle – et donc illimité dans le temps si le recourant ne s’exécute pas – ne se justifie pas, étant rappelé que la circulaire de l'OFEC limite un tel blocage à des cas « particulièrement fondés ».

Le recours sera partant admis, la décision attaquée annulée et la cause renvoyée à l'intimé pour procéder aux mesures qui s'imposent sur la base des considérations qui précèdent.

15) Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Dans la mesure où la présente procédure aurait facilement pu être évitée si le recourant avait saisi le TPI d'une requête concluant aussi à la rectification de sa filiation paternelle – une seule ligne supplémentaire dans ses conclusions eût suffi –, et où il ne peut prétendre à ne modifier que son nom sans rectifier également sa filiation, seule une indemnité réduite, de CHF 500.-, lui sera allouée, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 mai 2022 par Monsieur A______ contre la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 19 avril 2022 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 19 avril 2022 ;

renvoie la cause au département de la sécurité, de la population et de la santé au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l'état de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Raphaëlle Bayard, avocate du recourant, au département de la sécurité, de la population et de la santé ainsi qu'à l'office fédéral de l'état civil, à l'intention de l'office fédéral de la justice.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :