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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2097/2020

ATA/82/2021 du 26.01.2021 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2097/2020-PROF ATA/82/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 janvier 2021

1ère section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Damien D______, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU

et

Monsieur B______

représenté par Me Otto Guth, avocat



EN FAIT

1. a. A______ (ci-après : la société) est une société anonyme, dissoute au 11 janvier 2011, dont les administrateurs étaient Madame C______ et Monsieur C______ (ci-après : les époux).

b. Monsieur D______, avocat (ci-après : le liquidateur), a été nommé liquidateur de la société.

2. a. Monsieur B______, avocat (ci-après : l'avocat ou le mandataire), a déposé, le 5 mars 2012, une demande en paiement de septante-cinq pages par-devant le Tribunal de première instance (ci-après : le TPI) portant sur des honoraires impayés, pour la période du 28 mars 2006 au 31 décembre 2010, à l'encontre des époux, d'une part, et de la société, d'autre part, pris conjointement et solidairement. La valeur litigieuse était de CHF 585'267.-. Plusieurs centaines de pièces étaient produites à l'appui des allégués de fait. Vingt-deux pages étaient consacrées à mentionner les principales procédures menées par l'avocat pour les époux et la société.

b. Les débats ont été limités dans un premier temps à la légitimation passive des époux. La chambre civile de la Cour de justice (ci-après : la chambre civile) a confirmé par arrêt du 9 juin 2017 (ACJC/______) que les époux disposaient de la légitimation passive car leur volonté réelle était de conclure un contrat de mandat avec M. B______, les liant aux côtés de la société, celle-ci n'étant qu'un instrument en leurs mains.

c. Lors de l'audience de comparution personnelle du 30 janvier 2018 devant le TPI, la société a interpellé M. B______ concernant la levée de son secret professionnel, lequel a confirmé ne pas l'avoir demandée.

d. Par ordonnance du 29 juin 2018, le TPI a ordonné un second échange d'écritures sur la quotité des honoraires d'avocat réclamés.

e. La procédure par-devant le TPI est toujours pendante.

3. a. Le 3 juillet 2018, M. B______ a saisi la Commission du barreau (ci-après : la commission) d'une requête en levée de son secret professionnel.

Il « avait cru comprendre » que les procédures en cours d'instance lors du changement de pratique de la commission devaient faire l'objet d'une régularisation à cet effet. Il expliquait avoir été mandaté depuis janvier 2002 par les époux et la société, et s'opposer à eux depuis 2011 dans une procédure de recouvrement d'honoraires, dans laquelle un nouvel échange d'écritures avait été ordonné le 29 juin 2018. Il sollicitait par conséquent la levée de son secret dans le cadre de cette procédure à l'encontre de la société et des époux.

b. Il a informé le même jour le conseil des époux et la société de sa démarche, sans toutefois leur transmettre la requête de levée.

À la suite de la reprise de l'instruction de la cause par le TPI et de la nouvelle pratique de la commission, il confirmait avoir saisi celle-ci, pour la bonne règle, d'une requête en levée de son secret professionnel.

c. Par décision du 11 juillet 2018, rendue sans que la société ni les époux n'aient été consultés, le bureau de la commission a délié M. B______ de son secret professionnel.

Au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 6B_545/2016 du 6 février 2017), qui avait confirmé la condamnation pénale d'un avocat ayant introduit des mesures provisionnelles en vue du recouvrement de ses honoraires sans avoir préalablement demandé et obtenu de l'autorité de surveillance la levée de son secret professionnel, le bureau de la commission, changeant ainsi sa pratique, considérait qu'en matière de recouvrement d'honoraires, un avocat devait désormais requérir la levée de son secret professionnel.

Il ressortait des pièces remises par M. B______, ainsi que notamment du jugement de la chambre civile du 9 juin 2017, qu'il avait déployé une activité pour le compte des époux et de la société, et qu'un litige portant sur le paiement des honoraires perdurait depuis de nombreuses années. Il ne pouvait pas être reproché à M. B______ de ne pas avoir saisi la commission auparavant compte tenu du changement de pratique, et seule une comparution des mandataires s'était tenue. Le bureau le déliait de son secret professionnel pour lui permettre de poursuivre la procédure en constatation de sa créance.

4. Le 10 septembre 2018, M. B______ a produit la décision de la commission avec ses écritures auprès du TPI, lesquelles ont été transmises à la société. Celle-ci les a reçues le 12 septembre 2018.

5. Par acte du 12 octobre 2018, la société a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de Justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 11 juillet 2018 de la commission, concluant préalablement à ce que la qualité de partie lui soit reconnue dans la procédure de levée du secret professionnel et principalement à l'annulation de la décision et au renvoi à la commission pour nouvelle décision. Subsidiairement, elle a conclu à ce que soit refusée la levée du secret professionnel de M. B______.

6. Par arrêt du 19 novembre 2019, la chambre administrative a partiellement admis le recours, annulé la décision de la commission du barreau du 11 juillet 2018 et lui a renvoyé la cause pour nouvelle décision. La société s'opposait à la levée du secret professionnel de l'avocat. Elle devait bénéficier de la qualité de partie à tous les stades de la procédure cantonale de levée dudit secret. Elle devait par conséquent se voir attraire dans la procédure de levée du secret professionnel menée par la commission et pouvoir se déterminer sur la demande de l'intimé ainsi que sur les pièces avant qu'une décision ne puisse être rendue à ce sujet.

7. Par pli du 26 novembre 2019, M. B______ a sollicité l'attraction dans la cause pendante devant la commission de la société en liquidation et des époux.

8. Le 10 décembre 2019, la commission a requis de M. B______ qu'il sollicite en premier lieu la levée de son secret professionnel auprès de ses anciens clients, l'intervention de la commission n'étant que subsidiaire.

9. L'avocat ayant produit copie d'un procès-verbal d'une audience devant le TPI au cours de laquelle ses anciens clients avaient refusé de le délier de son secret professionnel, la procédure a suivi son cours devant la commission.

10. Par décision du 5 mars 2020, le bureau de la commission a levé le secret professionnel de M. B______.

11. La société et les époux ont demandé la saisine de la commission plénière.

12. Par décision du 8 juin 2020, la commission plénière a délié M. B______ de son secret professionnel au sens des considérants. Ceux-ci rappelaient que l'avocat devait respecter les « principes de proportionnalité et de subsidiarité aux fins de ne révéler que les informations nécessaires à la démonstration du bien-fondé de ses prétentions tendant à la constatation de sa créance et/ou à la condamnation au paiement, et de préserver le secret sur les faits confidentiels qui ne sont pas en relation directe avec la cause ».

13. Par acte du 13 juillet 2020, la société a interjeté recours contre cette décision auprès de la chambre administrative.

Elle a conclu à l'annulation de la décision, au refus de la requête en levée du secret professionnel présentée par M. B______ et au constat que ce dernier avait, à plusieurs reprises, violé ledit secret dans le cadre de la procédure de recouvrement qu'il menait à l'encontre de la société et des époux.

À la demande du liquidateur, M. B______ avait transmis un relevé de son activité. Ce dernier avait par ailleurs requis le séquestre d'actifs immobiliers et bancaires des époux, et avait déposé une demande en paiement devant le TPI. Dans le cadre de l'instruction de cette requête, l'avocat avait dévoilé « une foultitude d'informations couvertes par le secret professionnel » sans avoir requis la levée de son secret professionnel ni demandé à ses clients leur accord.

La commission n'avait examiné que très partiellement les griefs et n'avait pas abordé la question de l'intérêt privé de la société à maintenir le secret, opposé à l'intérêt privé de l'avocat à le voir levé. La commission avait traité la requête sans comprendre qu'il s'agissait de la continuation de la procédure en cours depuis plusieurs années. Les demandes de provisions et de notes d'honoraires avaient toujours été honorées. À partir de décembre 2005, sans aucune explication et malgré les demandes répétées de la société sollicitant l'envoi de factures, l'avocat avait cessé de transmettre ses notes d'honoraires et n'avait pas sollicité de nouvelle provision. Aucune explication n'avait été donnée à cette attitude. Il avait même refusé le paiement de la somme de CHF 155'433.- en 2008, mais avait réclamé le triple de ce montant en 2011. Ce comportement n'avait pas été expliqué dans la requête en levée du secret professionnel. La commission n'en avait pas tenu compte et n'avait pas procédé à une pesée des intérêts. Or, l'avocat n'aurait pas eu besoin de demander la levée de son secret s'il avait fait preuve de diligence dans sa facturation. De même, le séquestre n'avait pu être obtenu que grâce aux renseignements dont l'avocat avait eu connaissance dans le cadre de son mandat. Enfin, les règles déontologiques étaient violées par l'agressivité démesurée manifestée par l'avocat à l'égard de ses anciens clients. Neuf cents pièces du dossier avaient été produites sans que l'utilité en soit démontrée.

14. M. B______ a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité et à ce que la société soit condamnée à une indemnité de procédure de CHF 2'845.45 TVA incluse. Il avait assuré, avec deux autres confrères, la défense des intérêts de la société et des époux dans le cadre d'un litige les opposant à la succession E______. À la fin de ce mandat, intervenue le 31 décembre 2010, la société et/ou ses deux actionnaires avaient refusé d'acquitter le solde des frais et honoraires réclamés par les trois avocats, lesquels avaient requis, et obtenu, le séquestre de la villa des époux. Avant d'introduire, en novembre 2011, l'action en recouvrement d'honoraires, il avait formellement invité la société et les époux à lui préciser l'objet exact de leur contestation de sa créance afin de circonscrire les débats et de limiter son offre de preuve au strict nécessaire. Au vu des refus de ses anciens clients, il avait été contraint de produire de très larges extraits de son dossier afin de démontrer la réalité et l'ampleur de ses prestations. La société avait contesté pendant de nombreuses années le rapport de mandat direct entre ses deux actionnaires et M. B______. La Cour de justice avait toutefois tranché en leur défaveur. Les deux autres conseils avaient perçu le montant de leurs honoraires dans le cadre d'une transaction judiciaire pour le premier, en mars 2015, et lors d'une transaction extra judiciaire en Belgique pour le second. Chacun des deux avait versé aux débats plusieurs centaines de pièces.

La procédure civile avait été introduite en novembre 2011 et avait déjà atteint la phase des débats principaux. Les centaines de pièces produites avaient déjà été examinées et débattues à l'occasion d'une multitude d'audiences en 2013 et 2015. On peinait à discerner l'intérêt actuel et concret de la recourante à obtenir l'annulation de la décision entreprise, un hypothétique refus de la levée du secret professionnel ne pouvant avoir un quelconque effet rétroactif au jour du dépôt de l'assignation en novembre 2011. Par ailleurs, les époux n'avaient pas recouru contre la décision de la commission. La confusion entre la société en liquidation et les époux avait été reconnue par la cour civile.

La conclusion en constat d'une violation du secret professionnel, contestée, était nouvelle et exorbitante à l'objet de la décision attaquée. Elle devait être déclarée irrecevable.

S'agissant d'une requête en levée du secret professionnel aux fins de procéder au recouvrement d'honoraires non payés, un intérêt digne de protection était en principe reconnu à l'avocat. L'opposition de la société ne s'appuyait sur aucun fondement sérieux et ne servait qu'à faire obstruction au cours de la justice. La société ne s'était jamais déterminée sur les pièces qui ne seraient pas nécessaires au traitement du litige en recouvrement. Enfin, la sécurité du droit s'opposait au refus de la levée du secret professionnel dès lors que les pièces du dossier avaient déjà été produites et étaient en mains de la juridiction ordinaire depuis de nombreuses années.

Finalement, les motifs avancés par la recourante n'étaient pas pertinents. La quotité des honoraires litigieux et leur exigibilité étaient des questions de fond qui échappaient au pouvoir de cognition de la commission et de la chambre administrative. Le grief tiré de l'absence de provisions adéquates n'avait pas de portée déterminante, semblable critère n'étant pas en vigueur à l'époque où l'avocat avait exercé son mandat. L'absence de facturation entre 2006 et 2010 résultait d'un accord entre les parties. L'intérêt prépondérant de l'avocat à la levée du secret était établi, la société n'ayant justifié d'aucun intérêt privé sérieux susceptible de s'y opposer.

15. La commission s'est référée à sa décision.

16. Dans sa réplique, la société a persisté dans ses écritures et conclusions.

La jurisprudence du Tribunal fédéral n'avait pas changé en matière de levée du secret en cas de recouvrement d'honoraires. Le Tribunal fédéral n'avait fait qu'appliquer la loi.

17. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

La question de l'intérêt actuel de la recourante au vu des pièces d'ores et déjà produites dans le cadre de la procédure civile en recouvrement pendante depuis 2011 souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit.

2. a. L'objet du litige correspond à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 142 I 155 consid. 4.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_533/2020 du 25 juin 2020 consid. 3 ; ATA/563/2020 du 9 juin 2020 consid. 2a). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée,
c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/369/2020 du 16 avril 2020 consid. 3b).

b. En l'espèce, l'objet du litige porte sur le bien-fondé de la décision de la commission de lever le secret professionnel de l'avocat.

Les conclusions de la recourante tendant à la constatation que le mandataire aurait violé ledit secret et différentes règles déontologiques sont exorbitantes au litige et en conséquence irrecevables.

3. a. Aux termes de l'art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les avocats, défenseurs en justice, notamment, ainsi que leurs auxiliaires, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (ch. 1 al. 1). La révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2).

b. Selon l'art. 13 al. 1 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), l'avocat est soumis au secret professionnel -également prévu par l'art. 321 CP - pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l'exercice de sa profession, cette obligation n'étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l'égard des tiers. Le fait d'être délié du secret professionnel n'oblige pas l'avocat à divulguer des faits qui lui ont été confiés.

c. En droit genevois, l'art. 12 de la loi sur la profession d'avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10) prévoit que l'avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l'exercice de sa profession ou dont il a connaissance dans l'exercice de celle-ci, cette obligation n'étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l'égard des tiers (al. 1). Sans en avoir l'obligation, l'avocat peut toutefois révéler un secret si l'intéressé y consent (al. 2). Il en est de même si l'avocat obtient l'autorisation écrite de la commission (al. 3). L'autorisation n'est délivrée que si la révélation est indispensable à la protection d'intérêts supérieurs publics ou privés (al. 4).

4. a. Le secret professionnel de l'avocat assure l'indépendance de l'avocat face aux tiers et protège l'exercice de la profession, ce qui est dans l'intérêt de l'administration de la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2.4 et les références citées). Il préserve cependant également les droits du justiciable, qui doit pouvoir compter sur la discrétion de son mandataire, et est ainsi essentiel à la consécration effective des droits matériels de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 précité consid. 2.4 et les références citées). L'institution du secret professionnel sert tant les intérêts de l'avocat et de son client que ceux de la justice, dont il est l'auxiliaire (ATF 117 Ia 341 consid. 6).

b. En application de l'art. 13 al. 1 LLCA, les avocats sont les titulaires de leur secret et ils en restent maîtres en toutes circonstances. L'avocat doit toutefois obtenir le consentement de son client, bénéficiaire du secret, pour pouvoir révéler des faits couverts par ce dernier. Lorsque l'accord du client ne peut pas être obtenu, l'avocat peut s'adresser à l'autorité compétente en vue d'obtenir la levée du secret professionnel. Une procédure de levée du secret professionnel de l'avocat ne saurait avoir lieu que dans la mesure où le client s'oppose à la levée de ce secret ou n'est plus en mesure de donner son consentement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_879/2018 du 16 janvier 2019 consid. 3.1).

Pour agir en recouvrement d'honoraires impayés, l'avocat doit obtenir la levée de son secret professionnel (arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 du 16 mai 2018 consid. 3.2). L'autorité de surveillance doit procéder à une pesée de l'ensemble des intérêts en présence pour déterminer si elle doit accorder la levée du secret. Au regard de l'importance du secret professionnel du double point de vue de l'institution et des droits individuels, la levée du secret ne peut être accordée qu'en présence d'un intérêt public ou privé nettement prépondérant (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_101/2019 du 18 février 2019 consid. 4.3).

Lors de la pesée des intérêts, il faut prendre en considération le fait qu'un avocat a ordinairement un intérêt digne de protection à la levée du secret en vue du recouvrement de ses honoraires. Cet intérêt s'oppose en principe à l'intérêt institutionnel au maintien de la confidentialité et à l'intérêt individuel du client à tenir secrets le mandat et les informations qui s'y rattachent (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 précité consid. 3.4). La justification de l'intérêt au secret ne doit pas être soumise à des exigences excessivement élevées, faute de quoi la protection du secret professionnel consacrée à l'art. 321 ch. 1 CP serait compromise (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_704/2016 du 6 janvier 2017 consid. 3.2).

Dans la pesée des intérêts, il faut également prendre en compte le fait que l'avocat peut en principe se faire verser une provision par le client. Il incombe ainsi à l'avocat qui sollicite la levée du secret de démontrer pourquoi il ne lui était pas possible de faire couvrir les coûts par le versement d'une provision (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3). La procédure de levée du secret professionnel ne préjuge en rien des procédures civiles ultérieures relatives au recouvrement des honoraires. Les questions juridiques de fond n'ont pas à être examinées dans une procédure de levée du secret professionnel de l'avocat, le client étant libre de soulever des objections dans le litige de droit civil au sujet des honoraires (arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 précité consid. 3.3 ; ATA/1526/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4b).

5. a. En l'espèce, à la suite de l'arrêt de renvoi du 19 novembre 2019 de la chambre de céans, la commission a attrait la société et les époux à la procédure de levée du secret professionnel de l'avocat afin qu'ils se déterminent. Ils se sont opposés à la requête de l'avocat.

Seule la société a recouru contre la décision de la commission plénière du 8 juin 2020 levant, au sens des considérants, le secret professionnel de l'avocat.

b. Conformément à la jurisprudence précitée, le mandataire a un intérêt digne de protection à obtenir la levée du secret en vue du recouvrement de ses honoraires. Ce dernier s'oppose en principe à l'intérêt institutionnel au maintien de la confidentialité d'une part, et, selon les circonstances, à l'intérêt individuel du client à garder le mandat secret d'autre part.

La chambre civile a retenu, par arrêt du 9 juin 2017 (ACJC/______), que le mandataire avait déployé une activité pour le compte de la recourante.

La procédure en recouvrement a été introduite devant le TPI en 2011. Elle est volumineuse et la longueur des décisions de justice témoigne de son importance.

Or, pendant longtemps, la question de savoir si l'avocat qui voulait recouvrer ses honoraires par voie de poursuite ou par voie judiciaire devait être relevé de son secret est restée indécise. Il en a résulté des pratiques cantonales variées, voire parfois contradictoires. Cette question a été tranchée dans les arrêts du 9 mai 2016 (ATF 142 II 307) et du 6 février 2017 (6B_545/2016 ; François BOHNET/Luca MELCARNE, La levée du secret professionnel de l'avocat en vue du recouvrement de ses créances d'honoraires, in SJ 2020 II 29 ss, p. 37 ; Benoît CHAPPUIS, L'évolution jurisprudentielle récente sur le secret de l'avocat, 2019, Bulletin CEDIDAC n. 83). Jusque-là, le Tribunal fédéral ne s'était pas directement prononcé sur l'admissibilité d'une levée implicite du secret professionnel en relation avec un litige concernant les honoraires de l'avocat (arrêt du Tribunal fédéral 2C_878/2011 du 28 février 2012 consid. 6.1).

À la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral du 6 février 2017 précité, la commission a modifié, dès mai 2017, la pratique qui prévalait jusqu'alors selon laquelle le recouvrement des honoraires ne donnait pas lieu à une décision de levée du secret professionnel de l'avocat, l'intérêt supérieur privé de l'avocat au recouvrement de ses honoraires « étant évident ».

La recourante ne conteste pas que telle ait été précédemment la pratique de la commission.

En conséquence, l'intérêt du mandataire à voir lever son secret professionnel et à pouvoir poursuivre la procédure entamée il y a près de dix ans, compte tenu notamment de l'ampleur de la procédure, de la précision de jurisprudence et du changement de pratique de la commission intervenus au cours de ladite procédure, prime l'intérêt de la société au refus de la levée de son secret professionnel.

Ceci est d'autant plus vrai que les époux n'ont pas recouru contre la décision du bureau de la commission du 11 juillet 2018 ni contre celle de la commission plénière du 8 juin 2020, autorisant la levée du secret professionnel à leur encontre, dans les limites posées par la décision, dans le cadre de la procédure de recouvrement.

c. Par ailleurs, au vu du changement de la pratique de la commission en mai 2017, il ne peut être reproché à l'avocat de n'avoir pas sollicité la levée de son secret professionnel en 2011, date du dépôt de la requête en paiement de ses honoraires.

De même, il ne peut lui être tenu grief de ne pas avoir sollicité de provision, s'agissant de la période entre 2006 et 2010, soit bien antérieure aux jurisprudences précitées. Le dossier contient de surcroît des courriers du mandataire à ses clients sur la question des honoraires et notamment une requête tendant à obtenir des précisions quant à la contestation de ceux-ci, avant la saisine des tribunaux.

En outre, l'intérêt à la levée dudit secret doit aujourd'hui être relativisée, les pièces pertinentes ayant été produites dans leur très grande majorité en 2012 déjà.

d. La recourante se plaint de la production de quelque neuf cents pièces dans le cadre de la procédure en recouvrement. Ce fait n'est toutefois pas pertinent pour procéder à la pesée des intérêts. La décision litigieuse rappelle que le secret est levé dans le strict respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. La question de leur non-respect, de surcroît dans le cadre d'une procédure déjà en cours, ne fait pas l'objet du présent litige, à l'instar de la question de savoir si l'entier des pièces produites est nécessaire à la détermination des éventuels honoraires dus.

Il s'ensuit que le recours sera rejeté.

6. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à M. B______ qui y a conclu et obtient gain de cause, étant rappelé que de jurisprudence constante celle-ci n'est qu'une participation aux honoraires d'avocat (ATA/533/2018 du 29 mai 2018 et les références citées ; art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette en tant qu'il est recevable le recours interjeté le 13 juillet 2020 par A______ contre la décision de la commission du barreau du 8 juin 2020 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Monsieur B______ à la charge de A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me D______, mandataire de A______, à Me Otto Guth, avocat de M. B______ ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :