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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/514/2007

ATA/530/2010 du 04.08.2010 sur DCCR/569/2009 ( ICC ) , ADMIS

Descripteurs : ; IMPÔT ; SUCCESSION ; DONATION ; TAXE D'INSCRIPTION AU REGISTRE ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : LDS.13; LDS.16; LDS.24
Résumé : Les donations et autres libéralités reçues par l'intimé, donataire et légataire, au cours des cinq années précédant la mort du donateur-disposant, qui n'ont pas été enregistrées à l'AFC dans le délai de l'art. 185 LDE, sont réintégrées à l'actif successoral et soumises aux droits de succession. Le bordereau de taxation de droits de succession est confimé.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/514/2007-ICC ATA/530/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 4 août 2010

1ère section

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

Monsieur B______
représenté par Me Pierre-Alain Loosli, avocat

 

_________


Recours contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 15 juin 2009 (DCCR/569/2009)


EN FAIT

1. Monsieur B______ (ci-après : l'intéressé ou le contribuable) a fait la connaissance de Monsieur S______ en 1993, lequel l'a engagé en qualité d'homme de compagnie en 1996 sur la base d'un contrat de travail.

2. Le 9 novembre 1994, M. S______ a fait don à M. B______ de CHF 350'000.- et, le 23 décembre 1999, de CHF 700'000.-, montants pour lesquels il a aussi payé les droits de donation.

3. Par testament public du 14 octobre 1999, M. S______ a institué héritiers à parts égales les cinq enfants de sa sœur, Madame N______. Il a également effectué divers legs, dont un de CHF 3'000'000.- en faveur de M. B______, franc de droits.

Dans un codicille olographe du 12 janvier 2000, il a légué au précité un appartement sis à la rue du Jeu-de-l'Arc __ à Genève avec l'essentiel de son contenu, le tout franc de droits.

Un second codicille du 20 juin 2000 précise quels biens mobiliers revenaient aux héritiers institués.

4. M. S______ est décédé à Genève le 7 juillet 2000.

5. Par ordonnance du 21 novembre 2000, la Justice de Paix a ordonné l'inventaire civil de la succession. Maître C______, notaire, a été commis aux fins de procéder audit inventaire, lequel a laissé apparaître un actif successoral de CHF 34'486'985,26.

6. Le 25 juillet 2001, les héritiers institués et leur mère ont intenté une action par-devant le Tribunal de première instance, dirigée contre M. B______ et Me A______, notaire et exécuteur testamentaire, concluant à la nullité du testament public du 14 octobre 1999 ainsi que des codicilles des 12 janvier et 20 juin 2000 (C/12598/200001-2). Subsidiairement, ils demandaient qu'il soit dit que les sommes correspondant aux legs consentis à l'intéressé étaient compensées avec les montants dus par ce dernier à la succession. A titre plus subsidiaire, les demandeurs ont conclu à ce qu'il soit dit que le legs en faveur de l’intéressé contenu dans le testament public du 14 octobre 1999 avait été exécuté du vivant du testateur et qu'il n'était plus sujet à exécution.

7. Le 3 septembre 2001, Me A______, a établi la déclaration fiscale de succession, qu'il a remise à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC).

8. Le mandataire de l'hoirie de M. S______ (ci-après : l'hoirie) s'est adressé à l'AFC par courrier du 24 juin 2003. Il ressortait des comptes bancaires du défunt que, pour la période entre le 2 octobre 1994 et le 25 novembre 1999, M. B______ avait bénéficié de virements et de chèques pour un total de CHF 4'893'000.-, que les hoirs qualifiaient d'avances devant leur être restituées.

9. Lors d'un entretien avec l'AFC le 8 août 2003, l'intéressé a reconnu avoir reçu du défunt, entre 1995 et 2000, la somme de CHF 2'000'000.-, affectée à l'achat de divers biens.

10. Le 4 septembre 2003, l'AFC a notifié à l'hoirie un bordereau de droits de succession d'un montant de CHF 14'917'866,40, intégrant notamment dans l'actif successoral la somme de CHF 5'000'000.-, perçue à titre d'avances d'hoirie, donation ou autres libéralités par M. B______. Après déduction d'un acompte de CHF 8'000'000.-, le solde de l'impôt était de CHF 6'917'866,40.

11. L'hoirie, par l'intermédiaire de son mandataire, a formé une réclamation contre le bordereau susmentionné le 3 octobre 2003, en concluant à son annulation.

Compte tenu du fait que le calcul des droits de succession dépendait du jugement du Tribunal de première instance dans la cause C/12598/20001-2, la notification du bordereau devait être suspendue jusqu'à droit jugé ou accord entre les parties.

Le montant de CHF 5'000'000.-, correspondant aux avances perçues par l'intéressé et inscrit à l'avis de modification du bordereau, constituait une créance de l'hoirie qui devait être inscrite sous la rubrique « créances/titres » de la déclaration de succession et qui ne pouvait pas être taxée tant qu'elle n'avait pas fait l'objet d'un jugement définitif ou d'une transaction entre les parties.

La taxation de la créance libellée « avance par le défunt au contribuable des droits d'enregistrement sur les donations, contestée par ce dernier », d'un montant de CHF 559'860.-, devait également être suspendue.

Par ailleurs, l'hoirie contestait la valeur d'estimation du mobilier retenue par l'AFC et reprochait à celle-ci d'avoir taxé le legs en faveur de la paroisse de Champéry sans exonération.

12. Par courriers des 3 et 24 octobre 2003, l'administratrice d'office de la succession a contesté ledit bordereau et s'est jointe à la réclamation formée par l'hoirie, sans faire valoir de griefs complémentaires.

13. Le 16 décembre 2003, l'AFC a notifié au contribuable un bordereau de droits d'enregistrement portant sur cinq donations d'un montant de CHF 235'000.-, faites en sa faveur par le défunt en 1999.

M. B______ a contesté ledit bordereau le 23 janvier 2004.

14. Le Tribunal de première instance a débouté les héritiers du défunt de toutes leurs conclusions par jugement du 21 octobre 2004 (JTPI/11979/2004), confirmé par arrêt de la Cour de Justice du 16 septembre 2005 (ACJC/1050/05), puis sur recours, par arrêt du Tribunal fédéral du 14 mars 2006 (Arrêt du Tribunal fédéral 5C. 273/2005). Selon celui-ci, les sommes retirées par M. B______ entre 1994 et 1999 devaient être qualifiées de donations manuelles entre vifs et non pas de dettes de ce dernier envers la succession (consid. 4).

15. Le 15 septembre 2006, l'AFC a partiellement admis la réclamation du 3 octobre 2003 en tant qu'elle portait sur l'estimation du mobilier porté à l'actif de la succession. Prenant acte du retrait des prétentions de l'hoirie relativement aux montants de CHF 5'000'000.- et de 559'860, l'AFC rejetait la réclamation, laquelle était devenue sans objet sur ce point. Celle-ci était également rejetée s'agissant du legs en faveur de la paroisse de Champéry, puisque l'hoirie ne possédait pas la qualité pour agir.

16. Le 9 octobre 2006, l'AFC a adressé à l'hoirie un supplément de CHF 274'995,50 au bordereau d'impôts remis le 4 septembre 2003. Le solde de l'impôt dû était de CHF 7'192'861,90. Il ressort de cette pièce que M. B______ a été taxé sur un legs de CHF 4'473'600.- et des donations antérieures pour CHF 5'000'000.-.

17. Le 23 octobre 2006, Maître M______, administrateur d'office, a notifié à l'AFC l'opposition de M. B______ à la taxation susmentionnée, en ce qui le concernait. En raison de la complexité du dossier, la motivation de la réclamation serait communiquée ultérieurement.

18. Le 26 octobre 2006, l'AFC a accusé réception de ladite opposition. Elle restait dans l'attente de la motivation du contribuable.

19. Dans son courrier du 3 novembre 2006, Me M______ a informé l'AFC que la Justice de Paix avait mis fin à son mandat d'administrateur d'office. Le contribuable était désormais représenté par Maître F______ et la Fiduciaire D______, qui adresseraient la motivation de la réclamation précitée directement à l'AFC.

Me M______ a été relevé de ses fonctions par ordonnance du 1er décembre 2006 de la Justice de Paix, tel que communiqué à l'AFC par courrier du 8 décembre 2006.

20. Le 16 novembre 2006, l'AFC a accusé réception de la somme de CHF 7'192'861,90, versée par l'hoirie le 10 novembre 2006. Un solde d'intérêts de CHF 967, 95 restait dû.

21. Constatant qu'aucune motivation n'avait été apportée, l'AFC a déclaré la réclamation du 23 octobre 2006 irrecevable à la forme, en date du 12 janvier 2007, et communiqué le même jour sa décision à Me M______ à l'attention de l'hoirie. La voie et le délai de recours étaient mentionnés.

Dite décision a également été notifiée à Me F______ en date du 18 janvier 2007.

22. Me F______ a répondu à l'AFC le 19 janvier 2007. Il était le conseil de M. B______ et n'avait pas la qualité pour représenter l'hoirie. Il observait qu'aucun délai n'avait été fixé à son client pour communiquer la motivation de sa réclamation et que la décision du 18 janvier 2007 n'avait été précédée d'aucune interpellation ni mise en demeure.

23. Par acte du 8 février 2007, M. B______ a interjeté recours contre la décision précitée auprès de la commission cantonale de recours en matière d'impôt, remplacée le 1er janvier 2009 par la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission ou CCRA), en concluant à son annulation.

L'AFC aurait dû lui impartir un délai, sous peine de forclusion, pour exposer ses arguments, puisqu'elle avait accepté le principe d'une motivation antérieure dans son courrier du 26 octobre 2006.

Il contestait le montant de CHF 5'000'000.-, intégré à l'actif successoral par l'AFC, pour les libéralités que le de cujus avait faites en sa faveur de 1994 à 1999. Il n'avait personnellement bénéficié, à titre de donation, que des 2/5ème du tout, soit de CHF 2'000'000.-.

Les libéralités dont il avait bénéficié tombaient sous le coup de la loi sur les droits d'enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - RS D 3 30). Le bordereau complémentaire était partiellement nul en raison de la péremption du droit de procéder à la taxation des libéralités antérieures au 8 août 1998, l'AFC n'ayant exercé ledit droit que le 8 août 2003.

Chaque prélèvement constituait, pour ses 2/5ème, une libéralité qui aurait dû être annoncée par le donateur ou le donataire. Dans son supplément au bordereau, l'AFC avait retenu des libéralités à hauteur de CHF 5'000'000.-. Or, sur cette somme, CHF 3'500'000.- avaient été payés avant le 8 août 1998. Sur le solde de CHF 1'500'000.-, seuls 2/5ème lui avaient profité. En conséquence, l'AFC ne pouvait réintégrer que le montant de CHF 600'000.- dans l'actif successoral.

La réclamation du 23 octobre 2006 devait être déclarée recevable et le droit de l'AFC de procéder à la taxation des libéralités antérieures au 8 août 1998, périmé. L'assiette des droits de donation pour la période non couverte par la péremption devait être arrêtée à CHF 600'000.- et un bordereau de dégrèvement, notifié.

24. L'AFC a répondu le 3 décembre 2007, en concluant à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet.

M. B______ ne disposait plus d'un intérêt personnel, direct et actuel à l'examen de son recours et à l'annulation de la décision querellée, attendu que l'intégralité des droits de succession avait été réglée par l'hoirie.

Elle s'en rapportait à justice s'agissant d'apprécier si une période supérieure à deux mois n'était pas excessive pour le dépôt de la motivation d'une réclamation.

Les libéralités réintégrées dans l'actif successoral provenaient de deux sources. D'une part, il ressortait des relevés d'un compte du de cujus, pour lequel le contribuable bénéficiait d'une procuration, que ce dernier avait prélevé CHF 1'582'489.- entre 1996 et 2000. Ce montant représentait une dépense mensuelle moyenne de 35'000.-, soit dix fois plus que la dépense courante de M. S______ à l'époque où il vivait seul. D'autre part, celui-ci avait établi, entre 1994 et 1999, des virements et des chèques pour un total de CHF 4'893'000-. Dans le calcul de cette somme, confirmée par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 14 mars 2006, seules les transactions supérieures à CHF 10'000.- avaient été retenues. M. B______ avait bénéficié de CHF 4'893'000.- plus CHF 1'422'489.- (CHF 1'582'489.- dont il convenait de déduire le 10 % correspondant aux dépenses du défunt), soit CHF 6'315'489.-. En réintégrant CHF 5'000'000.- à l'actif successoral, l'AFC avait fait preuve de prudence.

25. M. B______ a maintenu son recours par courrier du 20 décembre 2007.

26. Le 3 juin 2009, l'hoirie a formé une requête d'appel en cause. Les héritiers ont conclu à la confirmation de la décision querellée et, dans l'hypothèse où la réclamation serait jugée recevable, à ce que celle-ci soit déclarée infondée.

27. Le 15 juin 2009, la CCRA a déclaré la demande d'appel en cause irrecevable.

28. Par décision du 15 juin 2009, la CCRA a admis le recours du contribuable. Les voie et délai de recours au Tribunal administratif étaient indiqués.

M. B______, en tant que légataire, était débiteur d'une part des droits de succession et avait de ce fait un intérêt à ce que la commission statue sur son recours. Le fait que l'hoirie, solidairement débitrice du solde des droits de CHF 7'192'861,90, se soit acquittée de ce montant, afin d'éviter la facturation d'intérêts, n'y changeait rien. Le recours était déclaré recevable.

Dans son courrier du 26 octobre 2006, l'AFC avait implicitement admis que le contribuable lui adresse ultérieurement sa motivation. N'ayant pas, à tort, imparti de délai à ce dernier pour motiver sa requête, l'AFC ne pouvait pas déclarer la réclamation irrecevable.

Ainsi que la Cour de Justice et le Tribunal fédéral les avaient définis dans leurs arrêts des 21 octobre 2004 et 14 mars 2006, les chèques et virements effectués par le défunt entre 1994 et 2000 étaient des donations, soumises aux droits d'enregistrement et non de succession. Le bordereau litigieux taxant lesdites donations par des droits de succession devait être annulé.

C'était à tort que l'AFC avait inclus le montant de CHF 5'000'000.- dans le bordereau de taxation des droits de succession. Les donations effectuées avant décès auraient dû faire l'objet d'un bordereau de droits d'enregistrement distinct et ne pouvaient être prises en considération que dans la fixation du taux d'imposition du legs accordé au contribuable.

29. Par acte déposé au greffe du Tribunal administratif le 21 juillet 2009, l'AFC a recouru contre la décision précitée, en concluant à son annulation et à la confirmation du bordereau complémentaire du 9 octobre 2006.

En application de l'art. 13 al. 2 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS - RS D 3 25), M. B______, légataire, avait l'obligation de déclarer les libéralités dont il avait bénéficié jusqu'à cinq ans avant le décès du donateur, que celles-ci aient été déclarées ou non. Les droits de succession étaient notamment calculés sur les donations (art. 16 let. c LDS).

Selon l'exposé des motifs à l'appui du projet de révision de la loi générale sur les contributions publiques (A. GAMPERT, Genève 1922 - ci-après : exposé Gampert), le législateur avait pour intention d'intégrer dans les droits de succession les libéralités reçues du vivant du donateur sur lesquelles aucun droit d'enregistrement n'avait été prélevé. Les donations effectuées entre 1994 et 2000 par le de cujus n'avaient pas été annoncées ni taxées en droits d'enregistrement. Celles-ci devaient donc être appréhendées dans le cadre des droits de succession.

M. S______ était décédé le 7 juillet 2000. Conformément à la décision n° 221/2003 de la CCRA et à l'art. 185 al. 2 LDE, les donations faites depuis le 7 juillet 1995, soit un montant de CHF 5'870'489 d'après les calculs de l'AFC, devaient être réintégrées dans l'actif successoral. Le chiffre de CHF 5'000'000.- retenu par l'AFC manifestait sa mansuétude et devait être confirmé.

Enfin, dans sa décision du 15 juin 2009, la CCRA faisait mention de la DCCR 111/2005 pour justifier que les donations antérieures au décès ne sauraient être prises en considération que pour la fixation du taux d'imposition, omettant toutefois d'indiquer que la donation devait impérativement avoir été soumise, au préalable et en temps utiles, à l'enregistrement. La DCCR 111/2005 n'était pas pertinente en l'espèce puisque tel n'était pas le cas dans la cause litigieuse.

30. Dans sa réponse du 7 août 2009, M. B______ a approuvé la décision du 15 juin 2009 de la CCRA et conclu au rejet du recours précité.

31. Le 10 août 2009, la CCRA a transmis son dossier, en persistant dans les termes de sa décision.

32. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L’objet du litige consiste à déterminer si les donations versées par le défunt à M. B______ entre 1995 et 1999, fixées par l'AFC à CHF 5'000'000.-, sont soumises aux droits de succession. Cette somme n'a pas été contestée par l'intimé dans le cadre du recours au tribunal de céans.

3. Selon l'art. 11 al. 1 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30), toute disposition entre vifs par laquelle une personne physique ou morale cède, sans contrepartie correspondante, à une autre personne physique ou morale, tout ou partie de ses biens ou de ses droits, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit, est, en tant que donation, soumise obligatoirement aux droits d'enregistrement, sous réserve des exceptions mentionnées aux art. 6, let. u et v, 28 et 29, al. 5 LDE.

Le droit de l'Etat d'assujettir aux droits d'enregistrement se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle l'acte ou l'opération obligatoirement soumis à l'enregistrement aurait dû être assujetti à cette formalité (art. 185 al. 1 let. b ch. 2 LDE).

En l'espèce, l'intimé a bénéficié de la part du défunt, entre 1994 et 2000, de libéralités, s'élevant à CHF 6'315'489.- et correspondant à des prélèvements, virements et chèques pour des montants respectifs de CHF 1'422'489.- plus CHF 4'893'000.-. Ces libéralités, en tant que donations, devaient être soumises aux droits d'enregistrement. Or, celles-ci n'ont pas été enregistrées à l'AFC, contrairement aux donations des 9 novembre 1994 et 23 décembre 1999, pour lesquelles le donateur s'est acquitté de l'impôt. L'AFC n'a pas exercé son droit dans le délai péremptoire de cinq ans ; partant, les libéralités ci-avant citées ne peuvent plus être assujetties aux droits d'enregistrement.

4. Les droits de succession sont un impôt frappant toute transmission de biens résultant d'un décès ou d'une déclaration d'absence, à quelque titre que cette transmission ait lieu (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDS).

5. Les héritiers légaux et les héritiers institués ont l'obligation de déclarer, pour la perception des droits en conformité des dispositions de la LDS, toutes les libéralités, quelle que soit leur date, reçues du défunt à titre soit d'avances d'hoirie soit de donations, tant en pleine propriété qu'en nue-propriété ou en usufruit, ainsi que les remises de dettes et autres avantages semblables (art. 13 al. 1 LDS). Les légataires et autres bénéficiaires sont tenus aux mêmes obligations ; toutefois, ils en sont dispensés pour les libéralités faites plus de cinq ans avant le décès du donateur (art. 13 al. 2 LDS).

6. A teneur de l'art. 16 let. d LDS, les droits de succession sont notamment calculés sur les avances d'hoiries et donations.

Lorsqu'un donataire devient plus tard héritier ou légataire du donateur, il est tenu compte des donations antérieures pour le calcul des droits sur la part héréditaire ou le legs. Toutefois, pour le calcul des droits sur la part héréditaire ou le legs il n'est pas tenu compte des donations dont l'enregistrement remonte à plus de dix ans avant le décès (art. 24 LDS).

En vue de l'estimation des biens du de cujus et de la perception des droits de succession, le contribuable avait l'obligation d'annoncer à l'AFC les libéralités reçues jusqu'à cinq ans avant le décès du donateur, entre les 7 juillet 1995 et 2000, qu'elles aient été déclarées ou non. En retenant le chiffre de CHF 5'000'000.- sur CHF 6'315'489.-, pour arrêter les sommes perçues par le contribuable entre 1995 et 2000, l'AFC a fait montre de réserve. Ce montant, qu'il convient de rapporter à la masse successorale, ne pourra qu'être confirmé par le tribunal de céans.

Par ailleurs, les libéralités susmentionnées ont toutes été effectuées moins de dix ans avant le décès du donateur. Elles entrent donc dans le calcul des droits de succession sur le legs, puisque le contribuable, donataire, est devenu légataire à la mort du donateur.

7. A rigueur de texte, l'art. 24 LDS part du principe que la donation a effectivement été enregistrée conformément à la LDE. Dans cette hypothèse, la prise en compte des donations antérieures paraît propice à la fixation du taux d'imposition. Néanmoins, cette interprétation ne saurait s'appliquer aux cas où la donation n'a pas été enregistrée dans les temps, sauf à cautionner la fraude. En effet, dans le cas où la mort du donateur surviendrait plus de cinq ans après la donation, le donataire-légataire qui n'aurait pas enregistré la donation serait exempté de tout impôt sur cet acte.

8. Conformément à la jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale ; ATA/557/2009 du 3 novembre 2009, consid. 7 et les références citées). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, le juge doit rechercher la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur, telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique ; ATF 131 I 394 consid. 3.2 p. 396 ; 129 V 263 consid. 5.1 et les références citées). Les diverses méthodes d’interprétation sont utilisées de manière pragmatique, sans ordre de priorité entre elles (ATF 131 I 394 consid. 3.2 p. 396 ; 131 II 13 consid. 7.1 p. 31 ; 128 II 66 consid. 4a p. 70 et les autres références citées).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à l'art. 13 LDS, dont l'origine se trouve à l'art. 106 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - RS D 3 05), la volonté du législateur de l'époque de préciser dans quelles conditions les donations et avances d'hoirie étaient rapportables à la succession pour le calcul des droits (MGC 1954 18/II 1621).

La portée de la LCP en matière de droits d'enregistrement et de succession est certes limitée, mais son examen n'en demeure pas moins intéressant pour la compréhension des dispositions de la LDS. Quoique les art. 92 à 265 et 285 LCP ne s'appliquent ni aux droits d'enregistrement ni de succession (art. 186 al. 1 LDE et 74 LDS), l'on ne saurait ignorer la proximité du texte légal des art. 13 LDS et 106 LCP. Ce dernier précise que les droits de mutation sont dus sur les donations qui n'ont pas supporté de tels droits, et qui « ont été faites manifestement pour éluder le paiement des droits de succession ». A la lecture de l'art. 106 LCP, il est évident que le législateur souhaitait se réserver le droit d'imposer les donations qui n'avaient pas été enregistrées avant la mort du donateur-disposant, quelle que fût la cause de cette omission. Cette latitude résulte également de l'art. 188 al. 2 LDE qui permet l'application de l'art. 13 LDS aux actes et opérations antérieurs à l'entrée en vigueur de la LDS, dont l'enregistrement n'était pas obligatoire. Dans ce contexte, l'ouverture de la succession correspond au dernier moment pour rattraper le défaut de déclaration de la donation par le donataire-légataire. De surcroît, cette interprétation est étayée par l'exposé Gampert (op. cit., p. 50) qui constatait la nécessité de percevoir les droits de succession sur les biens et sommes donnés à titre gratuit du vivant du de cujus lorsqu'ils n'ont pas supporté des droits de mutation.

9. Parallèlement, l'art. 24 LDS, dans sa version initiale (art. 18 al. 6 PL 1485), correspondait largement à l'art 113 al. 3 et 4 LCP (MGC 1954 18/II 1645). En vertu de l'art. 113 al. 3 LCP, et sur le modèle de l'art. 18 al. 6 PL 1485, l'on tient compte des donations antérieures pour le calcul des droits sur le legs, sous déduction des charges qui peuvent avoir été antérieurement imposées au donataire. Ainsi, les droits de succession ne seraient pas exigés du donataire-légataire qui se serait déjà acquitté des droits d'enregistrement sur la donation. A contrario, le donataire-légataire indélicat serait tenu de payer les taxes d'enregistrement qui n'avaient pas été réglées pour les libéralités remontant à moins de dix ans avant le décès.

L'imposition des libéralités entre vifs prioritairement par l'enregistrement, du vivant du donateur-disposant, puis par la succession, à la mort de celui-ci si la donation n'a pas été déclarée à l'autorité, entre dans la logique du système voulu par le législateur. En l'occurrence, les donations reçues entre 1995 et 2000 n'ont pas été assujetties aux droits d'enregistrement ; par, conséquent, c'est à juste titre que le montant de CHF 5'000'000 a été réintégré à l'actif successoral par l'AFC pour le calcul du taux d'imposition ainsi que pour l'assujettissement aux droits de succession.

10. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision du 15 juin 2009 de la CCRA annulée et le bordereau de taxation de droits de succession confirmé.

11. Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de l'intimé. Il ne sera pas alloué d’indemnité (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 juillet 2009 par l'administration fiscale cantonale contre la décision du 15 juin 2009 de la commission cantonale de recours en matière administrative ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du 15 juin 2009 de la commission de recours en matière administrative ;

confirme le bordereau de taxation émis par l'administration fiscale cantonale le 9 octobre 2006 ;

met à la charge de M. B______ un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à Me Pierre-Alain Loosli, avocat de l'intimé ainsi qu’à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy et Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

M. Tonossi

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :