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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/650/2004

ATA/716/2004 du 14.09.2004 ( IEA ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : QUALITE POUR AGIR; DROIT FONCIER RURAL; ASSUJETTISSEMENT; EXAMEN PREJUDICIEL
Normes : LDFR.83; LDFR.84; CC.647A; CC.647B; CC.648
Résumé : Examen à titre préjudiciel de la question de savoir si un copropriétaire peut demander le désassujettissement d'un bien-fonds sans l'accord de l'autre copropriétaire. Le copropriétaire a qualité pour recourir contre un refus d'autorisation. Rappel de la jurisprudence du TF : la demande en désassujettissement est une autorisation de désassujettissement au sens de l'article 83 LDFR. Une telle demande ne peut être assimilée à des actes d'administration courante (art. 647a CC). Partant, l'accord du copropriétaire est nécessaire au regard des articles 674b et 648 CC.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/650/2004-IEA ATA/716/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 14 septembre 2004

dans la cause

 

M. H. G.
représentée par Me Bernard Haissly, avocat

contre

COMMISSION FONCIERE AGRICOLE


 


1. M.H.G.et G.B. sont copropriétaires de la parcelle n° 7828 feuille 55 sur la commune de C.-B. (ci-après : la parcelle n° 7828). Elles ont recueilli cette parcelle sise en zone agricole, dans la succession de leur père, M.P.G., décédé en 1971.

2. Par requête du 21 septembre 2003, Me Y.A., notaire, agissant pour le compte de M. G., a demandé à la commission foncière agricole (ci-après : la commission) le désassujettissement de ce bien-fonds à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11), au motif que la parcelle était impropre à l’agriculture. Selon M. G., le bien-fonds n’avait plus été cultivé depuis la mort de M. G.. Il était divisé en deux zones par un massif de résineux : la première était recouverte d’arbres fruitiers impropres à toute production commercialisable et sur la deuxième se trouvait un potager de quelque 100 mètres carrés qui n’était pas utilisé. De plus, la parcelle n° 7828 formait anciennement un tout avec la parcelle voisine n° 7827 (la parcelle n° 4553, index 1 de la commune de C.-B.). Cette dernière avait été libérée de l’assujettissement à la LDFR, puis vendue en 1992.

3. Le 24 février 2004, la commission a rejeté la requête en désassujettissement, formée par M. G. et B., au motif que la parcelle était appropriée à l’agriculture.

4. Le 30 mars 2004, M. G. a saisi le Tribunal administratif d’un recours pour violation du droit, excès ou abus du pouvoir d’appréciation et constatation inexacte ou incomplète de faits pertinents.

La décision était exempte de toute motivation sur le fond et la commission n’avait ordonné aucun transport sur place. La parcelle faisant l’objet de la requête n’était pas appropriée à un usage agricole, de sorte qu’elle devait être désassujettie, comme cela avait été le cas pour la parcelle n° 7827. En rejetant la requête, la commission avait rendu une décision contradictoire.

5. Par courrier du 20 avril 2004, la commission s’est déterminée.

La parcelle n° 7828 avait une surface de 3'600 mètres carrés et des arbres fruitiers y étaient plantés. Elle se trouvait en zone agricole et elle était appropriée à un usage agricole ou horticole, tant sur le plan objectif que subjectif. Les critères d’appréciation en cas de désassujettissement avaient changé depuis l’entrée en vigueur de la LDFR en 1994.

La commission a conclu au rejet du recours.

6. Invitée à se déterminer au sujet de la requête et du recours tous deux déposés par M. G. uniquement, Mme B. a précisé, par courrier du 13 mai 2004, qu’elle n’avait personnellement jamais requis le désassujettissement de la parcelle n° 7828. Elle n’avait aucunement envie de vendre sa part dans la copropriété. M. G. n’était en aucun cas habilitée à négocier quoi que ce fût en son nom.

7. Par courrier du 17 mai 2004, M. G. a informé le tribunal de céans que la requête de désassujettissement de la parcelle n° 7828 avait été sollicitée exclusivement par elle et que le recours avait été déposé en son nom uniquement.

1. Il s’agit pour le tribunal de céans de déterminer, d’une part si la recourante a qualité pour recourir au regard de la LDFR et, d’autre part, si elle peut valablement recourir contre une décision refusant le désassujettissement d’une parcelle acquise en copropriété, sans l’accord de l’autre copropriétaire.

2. a. Le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la qualité pour recourir contre une décision refusant le désassujettissement d’un bien-fonds. La qualité pour recourir en matière d’autorisation exceptionnelle ne découle pas du droit cantonal, mais du droit fédéral (ATF 129 III 583 consid. 3, p. 586).

b. Dans cet arrêt, la demande de désassujettissement a été qualifiée d’autorisation de désassujettissement au sens de l’article 83 LDFR. Selon Christophe Bandli, la place de l’article 83 LDFR dans la systématique de la loi au sein des dispositions générales de procédure ainsi que sa justification parlent en faveur de son application générale à l’ensemble de la LDFR, de sorte qu’elle ne s’applique pas exclusivement aux autorisations d’acquérir, mais également à toutes autres autorisations (C. BANDLI, in Le droit foncier rural - Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, Brugg 1998, n. 3 ad art. 88 LDFR). Ainsi, l’article 83 alinéa 3 LDFR définit la qualité pour interjeter le recours prévu à l’article 88 LDFR contre le refus ou l’octroi d’une autorisation (B. STADLER, op. cit., n° 12 ad art. 83 LDFR).

c. Selon la règle générale, a qualité pour recourir quiconque est atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (art. 60 litt. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA – E 5 10 ; art. 48 litt. a de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 – PA – RS 172.021 ; art. 103 litt. a de la loi fédérale sur l’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 – OJ – RS 173.110). En droit foncier rural, le législateur a restreint le cercle des personnes généralement habilitées à recourir (cf. art 48 let. a PA et 103 let. a OJ). En effet, seules les parties contractantes peuvent interjeter un recours devant l’autorité cantonale de recours contre le refus d’autorisation (art. 83 al. 3 LDFR, qui renvoie à l’art. 88 LDFR). Toutefois, lorsque l’autorisation de désassujettissement est requise sans qu’il y ait simultanément aliénation, seul le propriétaire est concerné et habilité à recourir (B. STADLER, op. cit., n° 5 ad art. 83 LDFR ; ATF 129 III 583 consid. 3, p. 586).

d. En l’espèce, la recourante est copropriétaire de la parcelle n° 7828 et a requis le désassujettissement sans aliénation simultanée. La question se pose de savoir si la recourante est habilitée à faire cette demande sans l’accord de l’autre copropriétaire, au regard des règles légales régissant la copropriété.

3. Lorsque plusieurs personnes ont la propriété d’un bien-fonds, elles en sont copropriétaires (art. 646 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210). A ce titre, chaque copropriétaire a des droits quant au bien-fonds, notamment celui de faire des actes d’administration courante (art. 647a CC), des actes d’administration plus importants (art. 647b CC) et des actes de disposition (art. 648 CC). En principe, chaque copropriétaire a qualité pour faire les actes d’administration courante (art. 647a al. 1 CC), alors que les décisions pour des actes d’administration plus importants sont prises à la majorité de tous les copropriétaires (art. 647b al. 1 CC). De plus, le concours de tous les copropriétaires est nécessaire pour les aliénations, constitutions de droits réels ou changements dans la destination de la chose, à moins qu’ils n’aient unanimement établi d’autres règles à cet égard (art. 648 al. 2 CC).

Selon la recourante, une demande de désassujettissement donne lieu à une décision constatatoire, de sorte qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 648 alinéa 2 CC.

4. La question de savoir si la recourante peut requérir le désassujettissement d’un bien-fonds sans l’accord de l’autre copropriétaire est une question de droit civil que le tribunal de céans peut examiner à titre préjudiciel. En effet, le droit suisse admet, sauf disposition légale contraire, l'attraction de compétences : l'autorité compétente pour trancher le litige principal se prononcera aussi sur la question préjudicielle, à moins que celle-ci ne soit pendante devant l'instance compétente pour en connaître à titre principal (ATF 104 I b 345 ; 105 II 311 ; 108 II 460). La décision prise à titre préjudiciel sur cette question n'aura pas l'autorité de la chose décidée ou jugée, car elle ne fait pas partie du dispositif de la décision ou du jugement. Elle ne liera donc pas l'autorité compétente pour en connaître à titre principal quand celle-ci prendra sa propre décision (ATF 106 II 367).

L'autorité qui se prononce sur une question préjudicielle doit la traiter de la même façon que le ferait l'organe normalement compétent et ne saurait sans autre s'écarter de la pratique de ce dernier (B. KNAPP, Précis de droit administratif, Bâle & Francfort-sur-le-Main 1991, p. 39 et ss; ATA/197/1995 du 11 avril 1995 ; ATA L. du 12 septembre 1990 ; ATA S. du 1er février 1989).

5. a. Au regard de la jurisprudence (ATF 129 III 583 consid. 3, p. 586), la demande d’autorisation de désassujettissement ne peut pas être fondée sur l’article 84 LDFR. Selon la doctrine, la décision de constatation vise à ce que l’autorité donne à l’intéressé un renseignement de nature obligatoire concernant sa situation de fait ou l’interprétation, respectivement l’éventuelle application d’une disposition légale. Ce type de décision ne modifie pas le statut juridique de l’administré mais est une sorte de réponse à une demande de renseignements, assortie des effets d’une décision (B. STADLER, op. cit., n. 1 ad art. 84 LDFR).

b. La procédure prévue par l’article 83 LDFR permet de faire constater l’assujettissement ou le non-assujettissement d’un bien-fonds à la LDFR  (B. STALDER, op. cit., n. 2 ad art. 84 LDFR). Toutefois, cette voie est exclue en cas de demande de désassujettissement. En effet, bien que les décisions en constatation soient rendues par l’autorité compétente en matière d’autorisation, ce type de décision ne modifie pas la situation de droit ; il n’a pas d’effet formateur (B. STALDER, op. cit., n. 1 ad art. 84 LDFR).

c. L’octroi d’une autorisation de désassujettissement a pour conséquence d’exclure un bien-fonds du champ d’application de la LDFR. L’un des buts de cette loi est de faciliter l’accès à la propriété du sol agricole aux exploitants à titre personnel et aux membres de la famille du propriétaire, tout en freinant ou en empêchant l’acquisition du bien-fonds par des personnes qui poursuivent d’autres objectifs que ceux de l’agriculture. Ainsi, la LDFR règle les rapports juridiques concernant les terres agricoles, en déterminant qui peut acquérir des entreprises et des immeubles agricoles et à quelles conditions, et en limitant l’engagement de tels objets ainsi que leur partage et leur morcellement. Elle touche donc à la liberté d’aliénation du propriétaire du bien-fonds assujetti à la LDFR (Y. DONZALLAZ, Pratique et jurisprudence de droit foncier rural, Sion 1999, n° 3 et 6, pp. 31-32). Le désassujettissement d’un bien-fonds permet au propriétaire de retrouver toute liberté de l’aliéner à des personnes étrangères à l’agriculture. Le bien-fonds n’est plus soumis aux restrictions de droit privé (art. 11-56 LDFR) et de droit public (art. 58-72) dans les rapports juridiques concernant les entreprises et les immeubles agricoles. Une autorisation de désassujettissement a donc bien un effet formateur.

d. Au vu des conséquences juridiques qu’elle peut entraîner, une demande d’autorisation de désassujettissement ne peut en aucun cas être assimilée à des actes d’administration courante, tels qu’énumérés à l’article 647a alinéa 1 CC. Que le désassujettissement relève de l’article 647b ou 648 CC, dans les deux cas, les copropriétaires ne peuvent agir sans le consentement (à la majorité ou à l’unanimité) des autres copropriétaires, sauf exceptions prévues par un règlement d’utilisation et d’administration (art. 647 CC). Dans un cas d’espèce semblable, l’accord du copropriétaire a été requis pour recourir contre une décision refusant le désassujettissement d’un bien-fonds (ATA/363/2003 du 13 mai 2003).

En l’espèce, la sœur de la recourante n’a pas donné son accord à la demande de désassujettissement. Cette dernière ne pouvant pas faire une telle demande à titre individuel, elle n’a pas qualité pour recourir.

6. Partant, le recours doit être déclaré irrecevable.

7. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 LPA).

Vu l’issue du litige, il ne lui sera pas alloué d’indemnité de procédure.

 

* * * * *

à la forme :

déclare irrecevable le recours interjeté le 30 mars 2004 par M. H. G. contre la décision de la commission foncière agricole du 24 février 2004 ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Bernard Haissly, avocat de la recourante ainsi qu'à la commission foncière agricole et à l’office fédéral de la justice.

Siégeants :

M. Paychère, président, M. Schucani, Mme Hurni, M. Thélin, juges, M. Hottelier, juge suppléant.

 

 

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :